Une découverte des représentations de la Terre et du ciel à travers des fiches synthétiques illustrées sur la cartographie, les globes, la découverte progressive du monde, les cartes marines et instruments de navigation.
Bibliothèque nationale de France
Au-delà des opérations militaires, de nombreux contacts pacifiques s'établissent entre les trois rivages de la Méditerranée. La Sicile de Roger II, au centre de cet espace, favorise la rencontre des cultures, une véritable osmose perceptible dans l'oeuvre d'al-Idrîsî. Les échanges commerciaux s'en trouvent ainsi favorisés, mais on assiste à un transfert d'influence de l'Orient à l'Occident. Byzance et les pays d'Islam perdent de leur poids économique face à un Occident latin en plein essor. En témoigne l'expansion de Venise et des autres cités marchandes italiennes aux dépens de l'Empire byzantin. On rencontre des Amalfitains en Égypte, alors que les Génois cherchent à réduire la piraterie sarrasine. Ces contacts nouveaux ont permis aux civilisations de s'enrichir mutuellement.
Au XIIe siècle, la Méditerranée est une zone de contacts entre les trois «mondes» qui la bordent. L'Empire byzantin, l'Occident chrétien et l'Empire musulman
Commandée par le roi normand de Sicile Roger II, la Géographie d'al-Idrîsî, appelée aussi Kitâb Rujar ou Livre de Roger, est l'héritière de la géographie antique d'Ératosthène ou de Ptolémée, mais aussi de la géographie arabe classique (d'Ibn Khurradâdhbih à Ibn Hawqal). Pendant près de vingt ans, le géographe arabe collecte une mine d'informations orales auprès des voyageurs de passage, et réalise un véritable quadrillage du monde connu et habitable, l'oekoumène*.
Conquise sur les Arabes, après une longue domination byzantine, la Sicile normande au XIIe siècle est une véritable oasis culturelle au sein de la chrétienté occidentale : une importante communauté musulmane y est encore majoritaire, et semble vivre en bonne intelligence avec des minorités grecque, juive et latine. C'est donc à un géographe arabe, al-Idrîsî, que s'adresse le roi normand de Sicile Roger II pour réaliser une vaste compilation des savoirs de son époque.
Il faut imaginer Magellan sur son navire, suivi par deux autres bâtiments, s'engageant dans un dangereux détroit, long de 600 km. De temps à autre, des foyers incandescents brillent dans la nuit. Après des semaines de navigation, le dernier cap est enfin franchi, on le baptise "Deseado", "Le Désiré", le dernier territoire qui laisse derrière lui les tempêtes et les peurs des semaines passées. Une brise régulière souffle enfin, la couleur de la mer change, le calme règne et Magellan baptise cette nouvelle mer "Mar Pacifico". Ce qu'il ignore encore, c'est que le plus pénible est à venir puisqu'il reste 20 000 km à parcourir, trois fois plus que ce qu'il pensait. Après le passage du détroit, la grandeur du Pacifique fut sa plus grande découverte. Un siècle plus tard, au moment où le Hollandais Hessel Gerritsz réalise sa carte du Pacifique, cette mer qui n'est pas encore un "océan" conserve ses mystères et fait peur aux marins européens. On peut y mourir de faim ou du scorbut, on peut y être brûlé par le soleil ou dévoré par un poisson gigantesque dans les courants déchaînés du sud. Hessel Gerritsz borde les « mers » de terres et d'îles qui semblent bien fragiles, devant toute cette immensité. Les trois portraits de Balboa, Magellan et Lemaire sont comme des phares lumineux, présents pour nous rappeler au combien exceptionnels furent leurs périples, et qu'il reste encore beaucoup à faire.
Très tôt, les Portugais ont conscience de l'immense intérêt de leurs découvertes et de l'intérêt non moins immense qu'y portent les Espagnols ainsi que, à un degré moindre, les autres puissances européennes. Dans ce contexte, les cartes marines devenaient de véritables "cartes au trésor". Les puissances rivales étaient naturellement prêtes à les payer très cher. Nous connaissons ainsi les premiers spécimens de la cartographie portugaise grâce à des copies pirates transmises à l'étranger par des informateurs, des traîtres ou des espions. En 1502, un "agent secret" italien, Alberto Cantino, venu sous le prétexte d'acheter des chevaux, soudoya pour douze ducats d'or un cartographe portugais de l'Armazém da Guiné e India, qui lui céda un planisphère qu'il rapporta aussitôt au duc Ercole d'Este. Ce "larcin" donnera naissance à une célèbre carte : le planisphère de Cantino qui influencera à son tour le travail du génois Caverio lorsqu'il dessinera sa carte en 1506.
La parole des voyageurs comme source des cartes marines Les récits de voyageurs écrits entre le XIVe et le XVIe siècle relèvent à la fois d'un héritage antique et médiéval de légendes sur les pays lointains, et d'expériences réelles et nouvelles. Ils témoignent de la circulation des savoirs et des fables, de la curiosité et de la mobilité des Européens et de leur rencontre avec les autres peuples du monde. Ces textes à leur tour inspirent les commentaires et l'iconographie des cartes marines, et renouvellent les images de « l'ailleurs ». Tout en continuant à mêler faits authentiques et merveilleux, les récits de voyage revendiquent de plus en plus, à la Renaissance, un savoir empirique, basé sur l'expérience vécue. De plus, ils invitent à poursuivre l'aventure des découvertes qui élargissent le monde connu.
Au IIIe siècle avant Jésus-Christ, Ératosthène calcule la circonférence de la Terre à l'aide d'un gnomon, un simple bâton de bois planté dans le sol. Ptolémée, au IIe siècle de notre ère, conçoit la carte du monde et ses cartes régionales à l'aide d'un quadrillage de lignes parallèles et perpendiculaires. Au Moyen Âge, les dessinateurs des cartes marines disposent eux aussi d'instruments très simples – ceux des marins – comme la boussole et sa rose des vents. Avec des moyens qui semblent dérisoires, voyageurs et savants ont œuvré à la découverte de la Terre, à l'élargissement sans précédent du monde connu et, pour finir, à la connaissance totale du globe. Les cartes marines invitent à retrouver ces épopées. Ces représentations visuelles ne sont-elles pas à l'intersection entre l'expérience des voyages, aléatoires et dangereux, autour du globe, et la pensée abstraite de la totalité de la Terre ? Comment ces cartes ont-elles contribué à dessiner l'image du monde des Européens ?
Deux globes, terrestre et céleste, de 4 mètres de diamètres réalisés par Vincenzo Coronelli pour rendre hommage au Roi-Soleil. Ces globes dits de Louis XIV sont exceptionnels d'un point de vue technique, compte tenu de leurs dimensions et de leur poids. Leur réalisation, essentiellement menée de 1681 à 1683, est aussi exemplaire sur le plan artistique : le globe céleste décline un extraordinaire camaïeu de bleus, le globe terrestre est extrêmement coloré et tous deux sont richement décorés. Ils illustrent le savoir-faire de nombreux artisans et artistes. Les renseignements portés sur les sphères ne se limitent pas à l'astronomie ou à la géographie mais concernent aussi la navigation, le commerce, la faune et la flore, les moeurs de diverses populations à la surface de la Terre… L'ampleur du travail de compilation n'a pas permis de prendre en compte les avancées concomitantes de la géographie et de la cartographie, réalisées en particulier par les membres de l'Académie des sciences et de l'Observatoire de Paris. De ce fait, les globes ont été dépassés dès leur installation. Ils nous permettent, malgré tout, de mieux appréhender les progrès effectués et qui porteront leurs fruits au XVIII° siècle. Ils témoignent de la recomposition entre les grandes puissances des empires coloniaux issus des Grandes Découvertes.
Les savants de l'Antiquité perçoivent la mer comme une terra incognita sans substance, dont on ne connaît ni l'étendue ni les mouvements, pas plus que la profondeur. Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour voir s'accélérer le rythme des découvertes, les richesses du monde sous-marin étant explorées jusqu'à leurs limites extrêmes au cours du XXe siècle. On a longtemps cru la mer infranchissable, la mer sans fond, sans vie dans les profondeurs, immense espace de tous les périls. Il faudra des siècles pour passer de la compilation des Anciens à l'observation directe, puis à la classification systématique. Tandis que les instruments et les techniques d'exploration sur et sous la mer permettent la découverte d'un espace océanique de plus en plus important, le microscope autorise une observation plus fine et l'identification d'espèces de poissons de plus en plus nombreuses. L'exploration des grands fonds, au-delà de 2 000 mètres, qui a débuté il y a une trentaine d'années, a mis en évidence l'existence de sources hydrothermales jaillissant à plus de 350° C, entretenant la vie d'organismes et d'animaux inconnus jusque-là. Une très grande partie de ces grands fonds demeure encore inexplorée, ce qui laisse la porte ouverte à l'imagination.
L'imagination a peuplé la mer de monstres redoutables et fascinants, tels la baleine de Jonas ou la pieuvre des Travailleurs de la mer, mais également de merveilles souvent ambiguës, au premier rang desquelles les sirènes qui enchantent les marins pour les entraîner dans les profondeurs mortifères. Les océans, tant qu'ils sont restés inconnus, ont constitué pour les hommes un univers inquiétant, peuplé d'êtres étranges, hybrides, plus ou moins monstrueux. À notre époque, à l'heure où les grands fonds marins sont bien connus et même filmés, où l'on répertorie les poissons des abysses, la mer conserve cependant son mystère. Les encyclopédies médiévales, dont le but était de dresser l'inventaire de la nature, sont remplies d'images d'êtres fantastiques dessinés d'après d'anciens récits, auxquels se mêlent des réminiscences de la mythologie gréco-romaine. Monstres et divinités de toutes sortes peuplent l'imaginaire collectif.
À l'opposé de l'image théologique du monde que donne la mappemonde, une nouvelle représentation cartographique se répand à partir du XIIIe siècle, dans un contexte d'essor du commerce maritime. Ce sont les "portulans" qui, à l'exemple de l'Atlas Catalan, décrivent les côtes et les ports. Jusqu'à la Renaissance, la navigation pratiquée n'est que du cabotage. Les navigateurs grecs réunissent les informations dont ils disposent dans des guides nautiques, mais on ne leur connaît aucune carte marine ni aucun relevé précis des côtes. Au cours du Moyen Âge, ces connaissances héritées des Anciens seront transmises et étudiées par les scientifiques arabes ; dans l'Occident chrétien, le discours scientifique est subordonné au discours religieux et la Bible sert de modèle pour penser la création du monde comme le fruit d'une intervention divine. À partir du XIIe siècle, quelques penseurs commencent à proposer une interprétation plus scientifique des phénomènes. Les géographes arabes, tel al-Idrîsî, fournissent des représentations plus ou moins précises et réalistes du monde méditerranéen. Ce n'est qu'un siècle plus tard que les Occidentaux dessinent leurs premières cartes : tracées sur les bords de la Méditerranée, elles sont destinées aux marins et aux navigateurs.