Courts propos improvisés et quotidiens, A propos de tout et de rien.
Paris, France

Grâce au logigramme, à ses jolies flèches, à ses cases mélangeant les choux et les carottes et à ses choix biaisés, le manager de 2025 peut avoir le sentiment de n'être pas vraiment responsable de ses actes puisqu'il ne fait qu'appliquer des processus scientifiquement élaborés, des processus qui conduisent à une punition rationnelle et logiquement fondée sur laquelle il n'a pas vraiment la main.

Ce qui doit guider l'action du manager, dans le châtiment comme dans le reste de son activité, c'est le souci de l'efficacité, de la proportionnalité, du devoir : ce n'est ni lui, ni son bras, ni sa main qui punit, c'est l'entreprise et la nécessité ; ce ne sont pas ses intérêts propres qu'il défend mais la pérennité, la réputation, les revenus et le cash-flow.

Voilà une question qui, pendant la longue parenthèse, la longue déliquescence ouverte par le Covid et le développement du télétravail, avait été un peu mise de côté. Mais cette triste page ayant maintenant été tournée, et le retour à des pratiques plus rigoureuses et, osons le mot, plus viriles, ayant été franchement amorcé, elle revient enfin (il en était temps !) au cœur des préoccupations managériale.

C'est ce tempérament de prédateur, cette avidité destructrice parce qu'incapable de s'autoréguler, que le test du marshmallow valorise : pourquoi se contenter du nécessaire quand on peut avoir le superflu ?

On n'aspire pas seulement à vivre, on aspire à être heureux. C'est normal et sain mais il arrive que, sous l'effet de pensées perverses et manipulatrices, d'idéologies morbides et dominatrices, on l'oublie. Et cet oubli est une défaite de la joie, de l'esprit et de la vie.

Nos œuvres les plus originales et les plus créatives sont des réinterprétations, des revisitations, des remakes d'œuvres déjà créées et qui renaissent indéfiniment dans ce processus continu de reprise et d'imitation, de régénération.

Quand je me rase, je me prends toujours un peu pour le Charlton Heston des Dix commandements coupant sa barbe après avoir vu Dieu.

"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?", demandent ceux qui, sous couvert d'équité et d'universalisme, travaillent à ce que jamais il ne parte, à qu'il reste toujours à quai.

On peut ne pas chercher et ce faisant ne pas vouloir ; et on peut ne pas chercher et cependant bien vouloir.

C'est précisément dans la prise de conscience de cette indifférence mutuelle que réside la source profonde du plaisir, du plaisir un peu surpris que j'éprouve : plaisir pas du tout de l'individu mais plaisir de l'animal humain, de l'animal grégaire, de l'animal heureux de voir prospérer les siens, de les voir nombreux, divers, vaquant à leurs occupations variées et faisant cependant, incontestablement, société.

Je suis simultanément contemporain de tous les âges du monde, des âges qui ne se succèdent pas mais s'entremêlent en fonction de la position relative des uns et des autres.

La vie, pourtant, n'est pas un verre de vin ; on ne la déguste pas, appréciant sa rondeur, son goût boisé ou le parfum de la banane ; on la vit ; on la vit au rythme de la vie, avec ses joies, ses ennuis, ses bonheurs, ses envies de dormir et ses instants de grâce.

Nous pensons vouloir nous remplir ; et pourtant nous n'aspirons vraiment qu'à nous vider.

Hosanna, hosanna ! Vive le cadre de référence et puissent ses bienfaits se répandre sur nos vies et nos activités comme miel et ambroisie !

Même s'il est quasiment miraculeux que le 5 sorte mille fois de suite, la probabilité locale et immédiate des événements demeure inchangée, et le 5 n'a pas moins de chance de sortir que n'importe lequel des autres nombres portés par les six faces du dé.

Il faut inverser Adorno : comment peut-on, après Auschwitz et Hiroshima, comment peut-on oser faire encore autre chose que de la poésie et du théâtre ?

Je découvre, stupéfait, qu'il serait dans l'intention du Premier ministre de supprimer le 8 mai. Quelle étrange idée ! En a-t-il pesé tous les effets ? À ma connaissance, la dernière fois qu'une telle chose a été faite, c'était du temps du pape Grégoire.

Imaginons donc que, comme pour l'intelligence, la simple imitation de l'amour par prédiction probabiliste des mots et tokens susceptibles de poursuivre une suite de mots amoureux puisse, presque miraculeusement, créer un discours amoureux, un discours amoureux indiscernable de celui de l'amante ou de l'amant.

Il serait utile de mettre au point, à côté du test de Turing que chacun connaît, un test plus particulier, appelons le test de Pygmalion, conçu pour évaluer la capacité des IA à simuler l'amour et ce qui va avec.

Amantes et amantes IA : ces compagnes et compagnons devant le regard desquel.le.s nous ne tremblons pas, qui ne réveillent pas chaque jour en nous la terreur d'être un jour abandonné.e.s.

Au fond, et depuis Pygmalion au moins, la seule chose qui nous intéresse vraiment, là dedans, c'est le sexe : le sexe et la sexualité des IA génératives : les IA peuvent elles aimer, les IA peuvent-elles faire crac crac ?

Là est le lien entre hypnocratie et IA génératives : d'un côté, une réalité politique et stratégique sort de propos et d'actes erratiques ; de l'autre, du sens surgit de la juxtaposition statistique de mots incompris.

Un ami et moi avons trouvé ensemble un trésor. Pour des raisons pratiques, c'est moi qui ai dû l'emporter. Puis vient le moment du partage : que vais-je proposer à mon partenaire ?

Rien ne ressemble plus à notre intelligence, rien n'est à certains égards plus proche de notre intelligence, que son imitation, y compris dans les applications, notamment médicales et scientifiques, qui ne se contentent pas de singer, mais qui cherchent et découvrent.

À quoi cette construction systématique d'un chaos des lieux, des vies, des esprits et des âmes ; à quoi fait-elle penser, sinon à certaines des heures les plus sombres, les plus tristes, les plus désespérantes pde l'histoire humaine ?

C'est dans le plaisir à la fois narcissique et prométhéen d'avoir su donner apparence de vie à une créature à notre ressemblance, y compris ses défauts, qu'est le coeur de notre fascination pour les IA.

Nous sommes les enfants de la Chute et de Po-Io, le dresseur de chevaux, les héritiers de cette coupure d'avec le reste de la création, les filles et les fils de cette séparation initiale qui fit de nous ce que nous sommes. Et aussi liés que nous soyons avec les autres créatures, aussi intimement plongés que nous soyons dans le monde, nous sommes autres et jouissons d'abord de nous-mêmes.

Nous sommes justement admiratifs de la rapidité et de l'efficacité des intelligences artificielles, de leur capacité à brasser une quantité phénoménale d'informations et à prendre des décisions dans l'urgence mais savons qu'au bout du bout et pour les choix les plus fondamentaux, il importe moins d'être rapide et efficace que de prendre le temps du recul, le temps de la mélancolie. C'est pourquoi, étonnamment, à nos presque jumeaux : gorilles, et surtout chimpanzés et bonobos, nous préférons les orang-outans, ces cousins au regard pensif.

Les grands modèles de langage (LLM) spécialisés dans la production graphique, Midjourney, par exemple, sont capables de générer des images, des pseudo portraits photographiques notamment, d'une grande beauté. Ils font preuve par défaut (parce qu'entraînés sur des modèles de qualité) d'un excellent goût en matière de composition, de lumière, de choix des couleurs, de profondeur de champ, de tonalités.

Le mot est apparu il y a un an, peut-être deux, et depuis il prolifère (comme l'écosystème, son frère en jargonnerie bullshiteuse). Mais derrière le mot, qui prête à rire, se dissimule une réalité, une réalité peut-être moins rieuse, une façon insidieuse de présenter comme lanternes des vessies, des vessies qui ne sont pas forcément détestables en elles-mêmes mais qu'il serait plus respectueux de désigner sous leur vrai nom. On aura, derrière cette description, reconnu les "irritants".

Nous sommes cet être pétri d'insatiété qui croit parfois rechercher la satiété mais qui sait bien, au fond de lui, que cet objectif est un leurre, que l'atteindre ne servira à rien, qu'il n'en sera pas comblé parce qu'il ne veut pas être comblé, que ce qu'il cherche est le seul mouvement, le seul plaisir du désir, cette seule façon de se sentir vivant.

J'aime bien, j'aime beaucoup les musées de province, ces musées sans vanité où sont rassemblées en un seul lieu toutes les disciplines, toutes les expressions, toutes les créations issues d'une région

Nous sommes ces êtres qui à chaque instant rêvent, imaginent, se souviennent ; à chaque instant s'étendent au-delà d'eux-mêmes ; à chaque instant projettent leurs pensées, leurs espoirs, leur regrets dans l'espace et le temps comme la méduse ses tentacules dans le flux du courant.

S'il y a bien une chose de sûre avec les décisions du président étasunien en matière de droits de douane, c'est qu'elles auront pour premier effet de faire diminuer le commerce mondial et les échanges, de réduire le rythme de croissance de la production industrielle et donc de la pollution, de laisser un peu de répit aux orang-outans, aux baleines, aux femmes et aux hommes.

Quand on demande aux IA génératives de représenter le réel, il est singulier de leur reprocher ensuite de livrer une version réaliste du réel.

Dans ces affaires ou l'importance des choses se reconnaît au retournement, à l'hésitation continuelle de la conscience, le signe le plus clair de la pesanteur est ce besoin de vouloir trancher de facon définitive, cette incapacité à accepter la légèreté de l'être.

Ce qui manque à Dieu, c'est l'amour, le vrai amour ; pas ces erzatz d'amour que sont l'amour divin (αγάπη), ou l'amour familial (στοργή), mais le vrai amour (Έρως), celui qui prend aux tripes et qui emporte tout. Ce qui manque à Dieu, c'est de désirer, de sentir ce besoin de se noyer dans l'autre, de sentir dans sa chair le désir de la chair, le mystère du désir, le plaisir du désir, la souffrance du désir, le délire du désir.

Est-ce pour cela que le calcul infinitésimal à été inventé ? Pour trancher qui, de Dieu ou d'Abraham a raison, quand le premier semble penser qu'un pleur d'enfant suffit à condamner le monde ; et que le second rétorque qu'un sourire de jeune fille devrait suffire à le sauver.

Cela valait-il la peine, ce travail de six jours et six nuits ; cela valait-il la peine si c'est pour qu'au bout du compte, quelque part à Sodome ou ailleurs, une petite fille où un vieillard pleure de la souffrance qui lui est infligée ?

Pourquoi faut-il, comment se fait-il que ce soit Abraham qui apprenne cela à Dieu : qu'aussi nombreux et terribles aient été les crimes des habitants de Sodome et Gomorhe, ils ne justifient pas, en rien ils ne justifient qu'on s'en prenne à l'innocent ?

“Is anybody unhappy with Elon? If you are, we'll throw him out of here. Is anybody unhappy?”

Ne pas faire tout ce qu'on peut faire, ne pas dire tout ce qu'on peut dire mais laisser volontairement des choses en suspens, des choses dans l'inachèvement ; laisser du vide et du silence pour que, au sein de ce vide et de ce silence, puisse advenir autre chose.

La Révolution industrielle avait séparé le sale du propre, créé les égouts et les poubelles ; nous en revenons : dans le grand débordement des exutoires, tout devient égout, tout devient poubelle.

Ce n'est pas l'absence de croissance qui cause la crise, c'est la crise préexistante qui rend la croissance nécessaire. Celle-ci n'est pas un remède mais l'indice de la maladie.

Parfois surgissent des hommes qui, bombant le torse et bandant bras et membres, éructent, dans un rire gras : "Drill, Baby, drill !". Et la grande tournante repart alors dans le halètement des camions qui, dans les découvertes, vont et viennent dans les vulves de la terre, leurs bennes chargées d'or et de diamants.

Homo sapiens serait cette créature qui croit librement inventer des technologies sophistiquées par amour de la science mais il ne ferait en réalité que mettre en œuvre un programme génétique : inventer tout ce qu'il faut pour que l'espèce puisse se multiplier et se répandre partout.

Il me semble que la seule chose qui croisse vraiment, au bout du compte, c'est l'humanité, je veux dire le nombre de femmes et d'hommes peuplant cette planète. Le reste, et notamment le progrès matériel et technologique, qui est réel et tangible, ne sert en fait qu'à cela : rendre possible la croissance de la population

Notre extraordinaire capacité à trouver du plaisir partout, à nous enivrer de tout, à nous passionner pour tout, est également porteuse d'inconséquence, de désinvolture, de frivolité, de futilité.

La multiplication des sites, applications, logiciels, outils créés pour faciliter la vie à pour contrepartie immédiate la multiplication des contraintes (mises à jour, mises en cohérence, gestion des identifiants et des mots de passe, réplication) imposées à celles et ceux qui les gèrent et à celles et ceux qui les utilisent, c'est-à-dire tout le monde.

L'existence du désir n'est socialement légitime que dans le regard, la bouche et la pensée de celles et ceux qui sont eux-mêmes désirables. Pour les autres, il devient une obscénité, une chose contre nature : on ne peut être légitimement sujet de désir qu'à condition d'être objet de désir, à tout le moins de pouvoir l'être.

On a tellement de mal à avouer, et même parfois à reconnaître sa faiblesse, son désir, son besoin des autres, sa dépendance. Et on est surtout tellement instruit par la vie, l'expérience et la petite connaissance qu'on acquiert peu à peu de nous-mêmes ; tellement convaincu de la vérité, de la véracité, plutôt, du terrible aphorisme qui dit : "Tu me fuis, je te suis ; tu me suis, je te fuis."