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Scénariste privilégiant les adaptations impossibles, aventurier excentrique, John Huston fut d'abord un « cinéaste classique ». Son indépendance farouche révéla ensuite un grand narrateur mais anti classique – sans doute le véritable Huston, naturaliste, moderne, mais porté par l'obsession du mythique. On pourra ainsi traverser les périodes créatrices d'un cinéaste irréductible aux grilles thématiques, à l'aise avec l'échec de l'immense.
Un comédien qui interprète plusieurs rôles attire irrésistiblement l'attention. Dans l'autre sens, les manipulations plastiques de son image, dédoublée ou transformée, peuvent démonter son jeu et menacer sa présence au point d'opérer un remplacement par un autre acteur. Ce sont ces destins d'images, spectaculaires et périlleux, qu'il s'agira de raconter, de Méliès à Face/Off en passant par Lost Highway.
Tapin narcoleptique entre assomption et évanouissement, River Phoenix incarne dans My Own Private Idaho la quintessence du nouage van-santien entre angélisme et autodestruction, jeunesse suave et trépas imminent. Cette figure, l'acteur l'a aussi prolongée dans la vie, jusqu'à disparaître à l'âge de vingt-trois ans d'une overdose. De sa brève mais intense filmo d'acteur aux œuvres qui le réfléchissent comme icône (My Own Private River, le film de James Franco à partir des rushes de celui de Gus Van Sant), pérégrination sur les traces du plus vibrant des anges foudroyés.
Auteur solitaire, à part, hors des territoires bien marqués du cinéma américain, Gus Van Sant n'en est pas moins un artiste sous influence, complice d'une Beat Generation qu'il côtoya et dont il se fit, par son anticonformisme, un héritier proclamé et discret. On exposera les manifestations de cette influence (William Burroughs, Allen Ginsberg, Ken Kesey...), mais aussi ses résurgences plus secrètes, culminant avec Gerry, film-transe au défi ultra-sensoriel, une sorte d'incarnation de cette Dreamachine créée par l'artiste Brion Gysin en 1962 et dont Burroughs fut l'un des premiers utilisateurs.
Périples, errances, jeux de l'oie et voyages initiatiques : Raoul Ruiz, fils de marin, est sans conteste l'un des grands maîtres dans l'art de la navigation. Son cinéma tresse faits divers, légendes, superstitions et adaptations-« poursuites » des grands classiques (Stevenson, Homère, Proust, Balzac) pour renouveler l'imaginaire de la traversée.
Le parcours de Hou Hsiao-hsien est atypique : profondément imprégné d'une histoire, celle de Taïwan, il s'est attaqué aussi à ses plus grands tabous dans le but de l'écrire vraiment. De fait, il s'est imposé comme une figure d'exception au sein de la nouvelle vague du cinéma taïwanais des années 1980.
De La Valse des pantins au Loup de Wall Street, les personnages passent beaucoup de temps et de séquences à changer de place, à vouloir échanger, à envier la position de l'autre jusqu'à le remplacer parfois, à organiser des flux, mais de quel genre d'échange les héros scorsesiens sont-ils porteurs ? De quelle vision du monde contemporain ? Enfin, quel est le sens de cette vitesse, si caractéristique du style de son auteur ?
Retour sur un des films phare de Scorsese et des années 1970 : Taxi Driver (1976), avec Robert De Niro dans le rôle de Travis Bickle, un chauffeur à la dérive, prêt à tout pour sortir du cercle de sa solitude. Et retour, en particulier, sur une scène en partie improvisée pendant le tournage et aux multiples implications : « You talkin' to me? »
De The Band (The Last Waltz) aux Rolling Stones (Shine a Light), de George Harrison (Living in the Material World) à Bob Dylan (No Direction Home), Martin Scorsese n'a cessé de consacrer des documentaires à la musique, au live et à des performers de la scène. Autant de films, peu souvent commentés, d'un cinéaste qui, pourtant, a toujours considéré la musique populaire comme la bande originale de son existence.
Depuis les horizons brumeux et désolés du Cri jusqu'au désert de Profession : reporter, des cabanes de pêcheurs abandonnées de Gente del Po jusqu'à la maison bâtie sur du vide d'Identification d'une femme, le cinéma de Michelangelo Antonioni semble avoir toujours été habité par une vacuité environnementale. C'est un nouvel art que celui de porter l'évidement au cœur des lieux et des paysages.
Au tournant des années 1950, la généralisation de la couleur, au lieu de mener vers plus de réalisme, traduit plastiquement l'excès des passions dans le cas de grands coloristes comme Vincente Minnelli (Comme un torrent) ou Douglas Sirk (Tout ce que le ciel permet). Ce dernier fait même de la couleur de la peau un enjeu dramatique dans Mirage de la vie, apothéose du mélodrame de l'amour filial. Mirage de la vie ou Imitation of Life en version originale : un titre qui pourrait à lui seul définir le mélodrame.
Dès Chronique d'un amour, les hommes ne savent plus quoi faire en face des femmes. Quelque chose a disparu, quelque chose est perdu, il y a un malaise. Les hommes sont érotiques parce qu'ils sont « malades d'Éros », nous dit Antonioni. Les femmes les regardent peinées, voire avec pitié. L'érosion d'Éros les conduit dans une quête érotique nouvelle. Les corps s'éclipsent, s'envolent, disparaissent dans le brouillard, mais les choses s'animent d'une intensité nouvelle et portent une charge érotique et existentielle insolite, inquiétante peut-être, mais aussi vertigineuse, euphorique.
Antonioni est un cinéaste du présent et au présent. C'est dans son époque qu'il cherche à construire des points de vue, des perspectives inédites. Presque aucun de ses films n'inscrit sa fiction dans le passé, y compris dans l'histoire même récente de l'Italie, celle située entre son unité nationale (les années 1870) et la Seconde Guerre mondiale. En d'autres termes, il est un cinéaste indéfectiblement contemporain. C'est dans le présent de la réalisation de ses films qu'il construisit des réponses aux questions que lui imposa ce même présent et celles-ci parurent contre toute attente, en leur temps, des énigmes à la mesure de leur adhérence au réel.
Chassés-croisés et aveuglement sont au coeur du récit mélodramatique classique, caractérisé par une quête féminine que le philosophe Stanley Cavell a opposée aux « comédies du remariage », avec leur happy end codifié. Inconnue, oubliée, voire bafouée, la femme amoureuse de George Cukor ou de Max Ophuls n'en est pas moins une héroïne, enfin placée au centre de films marqués par leur sophistication narrative et visuelle (tournoiement des travellings et flashbacks soulignent chacun à leur manière la circularité fatidique de l'amour).
Bien que surtout connu pour son Cinema Novo, le cinéma brésilien s'est développé depuis les débuts du XXème siècle au croisement de plusieurs influences, dont l'avant-garde européenne. C'est également une industrie qui a connu son âge d'or lors du « règne » du président Getúlio Vargas (1930-1945 et 1951-1954), avant la rupture esthétique introduite par le Cinema Novo dans les années 1960 : une période qui questionne plus que jamais la position des artistes sous la dictature militaire avant le retour de la démocratie dans les années 1980.
Malgré une apparence « bouclée », malgré son obsession de la transgression criminelle et sa vocation à mener la critique des travers de la société japonaise, l'œuvre de Nagisa Oshima n'a cessé de se concevoir dans la rupture et de se mouvoir entre des revirements de formes et de thématiques, d'économies de production et de style.
Comment le cinéma s'empare-t-il d'un genre théâtral et musical daté pour en faire l'expression plastique et morale de la relation amoureuse ? À l'époque muette, Chaplin mais aussi Lubitsch, deux maîtres dont les films « sérieux » sont moins connus que les comédies, font un usage sidérant de l'ellipse et de l'insert (le très gros plan de visage ou d'objet) : ainsi les ratages amoureux, parfois dus à une trop grande hiérarchisation des classes sociales, ouvrent à un lyrisme inédit un médium vanté d'ordinaire pour sa précision réaliste.
Il s'agit de faire un retour sur les origines de cette production, le fait historique qui a donné naissance au roman d'Alan Le May que Ford adapte, de revenir en détail sur le tournage d'un film qui n'acquit pas immédiatement le statut d'œuvre ultime et séminale à la fois qu'il incarne aujourd'hui. La Prisonnière du désert, un film qui ne pouvait sans doute pas être totalement compris en son temps.
Le Soleil brille pour tout le monde (1952) était le film préféré de son auteur. Est-ce une idylle du Sud fordien ou un film qui pourrait s'appeler Intolérance ? Doit-on y voir une harmonie féodale ou une ville déchirée par les vieilles rancœurs, les hiérarchies et le racisme ? Il s'agit en tout cas d'une œuvre charnière, tournée dans un moment charnière des États-Unis, entre la fin de la guerre et la crise de Little Rock.
Le temps du western était différent, disait John Ford : la simple survie réclamait plus que l'ordinaire, et les hommes qui ont dominé ce temps sortaient de l'ordinaire. La griffe du cinéaste grandit alors les corps et les fait se dépasser, en route vers leur propre aura. Le récit de Tombstone et de Wyatt Earp vu par Ford en 1946, à la Fox, sous l'égide de Darryl Zanuck, reste comme une idéale plongée dans la fabrique de la légende et les tensions du style classique.
Truffaut réalisateur : tout le monde l'aime. Truffaut acteur : beaucoup l'ignorent, certains s'en moquent, peu l'aiment. Pourquoi le réalisateur le plus populaire de la Nouvelle Vague a-t-il pris tant de risques en devenant acteur ? Et l'acteur qui est en lui, ne détient-il pas les clés d'une obscure serrure ?
En ferraillant, aux Cahiers du cinéma et de manière encore plus spectaculaire à Arts, contre les représentants de la « qualité française », Truffaut se construit un style de polémiste, attentif à démasquer à travers la chronique des tournages la figure réelle d'un auteur (ou d'un non-auteur). En même temps, il s'inscrit dans une double continuité : celle des écrivains « hussards » d'après-guerre, parents déjà provocateurs de la revue Arts ; celle du romantisme de 1830, qu'il rejoint dans le culte assumé de la subjectivité.
Trente ans après sa disparition, l'œuvre de François Truffaut continue d'irriguer le cinéma contemporain. De Taïwan à Grenoble, de Manhattan à Paris, de Versailles-Chantiers à Tanger, une tentative pour suivre, dans un « marabout, bout d'ficelle » d'extraits, la façon dont sa mémoire se dissémine, polymorphe et toujours féconde.
À la fin des années 1980, Carole Le Berre obtient de la veuve de François Truffaut de pouvoir explorer les archives du cinéaste (aujourd'hui déposées à la Cinémathèque française). Dans cette conférence donnée devant des étudiants dans le cadre de la journée d'études Truffaut et l'archive (5 novembre 2014), elle témoigne de son travail sur ce fonds. Carole Le Berre est l'auteur de François Truffaut au travail (Cahiers du cinéma, 2014).
Dans le cadre de la journée d'études Truffaut et l'archive (5 novembre 2014) destinée auétudiants, Florence Tissot, de la Cinémathèque française, raconte son rôle dans l'élaboration de l'exposition François Truffaut à partir du fonds d'archives détenu par la Cinémathèque.
La reconnaissance tardive du cinéma de Yasujirō Ozu en Occident, dans les années soixante-dix, plus de vingt ans après les consécrations d'Akira Kurosawa et de Kenji Mizoguchi, s'explique par la croyance selon laquelle la « japonéité » de son univers aurait été inaccessible à un spectateur lointain. Il est donc paradoxal qu'aux yeux de réalisateurs tels que Wim Wenders, Claire Denis, Alain Resnais ou Hirokazu Kore-eda, la façon si singulière qu'a eue Ozu de filmer le monde soit devenue plus qu'une référence : une source d'inspiration pour d'intimes variations. Cette conférence sera donc le récit d'un complet renversement de perspective.
Nous sommes parvenus à l'époque du « tout accessible ». Nous sommes loin de la rareté qui faisait se battre les cinéphiles pour une projection exceptionnelle de L'Âge d'or de Buñuel dans les salles historiques de la Cinémathèque de la rue d'Ulm ou du palais de Chaillot. La toile du Web offre désormais l'accès à tout ou partie de nombreux films, y compris ce qui fut considéré comme des objets perdus par les précédentes générations. Alors, quel sens cela a-t-il de réfléchir aujourd'hui, par une exposition, à la création de l'œuvre d'Henri Langlois : la Cinémathèque française ?
Certains ont prétendu que le burlesque ne s'était jamais remis de la disparition du cinéma muet. Or, des Marx Brothers à Jerry Lewis, ou grâce à Blake Edwards et Peter Sellers, le cinéma classique américain a entretenu la flamme du comique gestuel et l'a profondément renouvelée.
La relation mutuellement admirative entre Henri Langlois et Jean-Luc Godard s'avère l'une des plus fidèles et créatrices qu'ait connue l'histoire du cinéma. Henri Langlois tenait l'auteur d'À bout de souffle pour un « génie poétique » et considérait qu'il y avait « un cinéma d'avant Godard et d'après Godard ». Dès 1964, il rend un « Hommage à Godard » à la Cinémathèque de Chaillot, et l'une de ses dernières grandes entreprises, la série des Anti-cours en 1976, consacre un épisode à une comparaison entre Andy Warhol et Jean-Luc Godard. Réciproquement, la conception du cinéma défendue par Jean-Luc Godard s'inscrit dans le cadre spéculatif développé par Langlois et ne cesse de l'alimenter, tout en s'inspirant de ses pratiques inventives et joyeusement illégales. Nous observerons quelques formes du passage d'Henri Langlois dans les choix stylistiques godardiens, tant dans ses films que dans son exposition Collage(s) de France.
Stéphane Goudet examine la représentation de l'espace (géographique et social) dans le cinéma burlesque américain, ainsi que son refus du langage verbal.
Face à la « pouillerie » ambiante : la beauté des jeunes femmes, et celle du vivace cinéma. La splendeur du désir. Toujours insoumis, subversif. Accédant enfin au plaisir souverain. La splendeur des plans. Parfois, leur impact. Souvent, leur composition et leur vibration.
Cecilia Cenciarelli travaille à la Cinémathèque de Bologne depuis 2000. Elle est actuellement directrice de la recherche, en charge du projet Chaplin. Elle coordonne également les projets de restaurations soutenus par la World Cinema Foundation.
Intervention de Gilles Langlais (laboratoire des Archives françaises du film), précédé d'une introduction de Daniel Borenstein.
Près de quinze ans après un premier coup d'essai sans suite immédiate (Le Sang d'un poète), après être devenu le scénariste prisé d'un cinéma français dont il désavoue tous les préceptes, Jean Cocteau revient à la mise en scène avec La Belle et la bête. Et réussit non seulement un chef-d'œuvre (à la splendeur inentamée), mais aussi un manifeste, un coup de cutter dans le cinéma de son époque – le réalisme poétique – redéfinissant cinématographiquement le réalisme et la poésie. En conclusion de la conférence, lecture à deux voix d'extraits de La Belle et la bête : journal d'un film de Jean Cocteau.
« Références à l'appui », en 1962, l'ex-star de la Warner conclut ainsi la petite annonce qu'elle fait paraître dans un journal de Hollywood. « Mère de trois enfants, divorcée, expérience à Broadway, cherche du travail... ». C'est ce moment de tournant dans la carrière de Bette Davis et l'histoire de Hollywood qui est ici choisi pour parcourir en rêve le destin de celle que sa mère surnomma « Bette » en hommage à Balzac.
Exposer le cinéma de Jacques Demy. Une drôle d'idée ou une évidence tant l'œuvre invite à circuler entre chacun de ses titres, à les « visiter » un par un. Demy rêvait que tous ses longs métrages n'en forment qu'un seul au final, espace ouvert et fermé où ses personnages réapparaîtraient, se croiseraient et échangeraient sans cesse. Comment « mettre en espace » cette éternelle mise en scène de la rencontre ? Comment raconter le parcours de ce cinéaste français qui fut l'un des seuls à interroger le devenir musical du septième art tout en étant secrètement passionné de peinture ? Comment définir une œuvre non seulement obsédée par le motif du croisement (chorégraphique et amoureux), mais aussi par l'hybridation, la citation et le mélange des genres ?
Dès qu'on lui a donné la parole (autour de 1929), le cinéma français s'est mis à chanter : adaptation d'opérettes, films-véhicules pour stars du music-hall, élaboration d'un étrange modèle de films chantants par René Clair. Jamais pourtant, la comédie musicale ne se constitue en genre. Seul Jacques Demy va en proposer sa très singulière formulation. Mais au même moment, de Varda à Godard, c'est toute la Nouvelle Vague qui place le format chanson au cœur même de son esthétique. Depuis, d'Eustache à Bozon, tout ce que le cinéma français comporte de plus créatif a aimé suspendre ses récits en chansons. Tendons l'oreille à ce que nous chante le cinéma français.
Amateur d'art et peintre à la fin de sa vie, Jacques Demy a réalisé de nombreuses comédies et drames romantiques influencés par les arts, de la peinture ancienne à la scène artistique de son temps. Ses décors, ses scénarios, ses dialogues rappellent ces inspirations, laissant deviner un lien entre les histoires d'amour qu'il met en scène et son amour de la peinture.
Entre hantise du scénario et méfiance à l'égard de l'improvisation, croyance absolue dans les vertus du tournage pour saisir le moment de bascule du réel, entre engueulades légendaires sur le plateau et relation d'amour-haine avec les acteurs, comment Pialat s'y prenait-il pour inventer une méthode inédite permettant au film de se faire, y compris au risque de le faire échouer ?
Si le principe fondamental du spectacle est de ne jamais ennuyer, Comencini a d'emblée et sans cesse affiné un ton à mi-chemin entre la comédie et le drame, un ton où se mélangent et se répondent, douleur, mélancolie, humour, ironie. Les grandes œuvres de la maturité du cinéaste explorent ce registre : les situations les plus dramatiques peuvent prêter à rire et les moments les plus grotesques avoir des racines tragiques.
Donnée à l'occasion d'une Journée autour des fonds d'archives, le 14 novembre 2012, cette conférence aborde le film de Marcel Carné sous l'angle de ses archives, détenues par la Cinémathèque française.
De Laura (1944) à The Thirteenth Letter (1951), à travers les dix premiers films qu'Otto Preminger réalisa, et souvent produisit, pour la Twentieth Century Fox, une étude de l'arrivisme, de l'égoïsme, des figures de domination et d'exclusion dans un univers – les États-Unis d'après-guerre – où il faut sans cesse lutter pour espérer rester dans le cadre, assurer sa place devant la caméra.