Chaque semaine, le desk Asie de RFI décrypte un évènement qui a marqué le continent asiatique ou dresse le portrait d’un acteur qui a fait l’actualité. « Fréquence Asie » éclaire la vie politique, économique, culturelle, ou sportive de cette région.
Début octobre, la Commission européenne a dévoilé une liste de quatre secteurs stratégiques qui devront être mieux défendus face à des puissances rivales. C'est le cas des semi-conducteurs. Les Pays-Bas sont aujourd'hui le seul pays européen à produire ces puces électroniques. Mais une nouvelle usine sera construite à Dresde, en Allemagne, et l'université de la ville formera ses futurs cadres en partenariat avec le géant taïwanais TSMC. L'image est restée dans les mémoires : des chaînes de production à l'arrêt dans l'industrie automobile lors de la pandémie de la Covid. La cause : la rupture des stocks de semi-conducteurs venant de Taïwan via la Chine. Pour l'Union européenne, ce fut un électrochoc, mais un choc salvateur, si l'on en croit Angela Stanzel de la Fondation allemande pour la science et la politique. « Ça a commencé avec la pandémie, et la guerre en Ukraine a enfoncé le clou. À Bruxelles et dans les capitales européennes, on s'est rendu compte qu'il fallait agir de façon plus géostratégique, diversifier nos relations économiques avec la Chine et ainsi réduire nos risques », explique-t-elle. La construction d'une usine de semi-conducteurs au cœur de l'Europe vient donc à point nommé. Le géant taïwanais des puces électroniques TSMC, qui contrôle plus de la moitié de la production mondiale, investira près de 4 milliards d'euros dans l'État fédéral allemand de la Saxe, avec à la clé la création de 2000 emplois.Problème : il manque du personnel qualifié. « Ce manque de personnel qualifié dans l'industrie des semi-conducteurs se fait sentir partout dans le monde, et même à Taïwan. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle TSMC s'installe à Dresde, son expansion à Taïwan est aujourd'hui compromise. À Dresde, nous formons déjà des étudiants, mais ils ne sont pas assez nombreux pour répondre aux besoins de l'industrie à l'avenir », précise Josef Goldberger, coordinateur d'un tout nouveau programme d'échange entre l'université technique de Dresde et Taïwan.L'Allemagne, précurseur mondial du marché des semi-conducteursD'où l'idée du projet de l'université technique de Dresde et de l'entreprise TSMC. À moyen terme, une centaine d'étudiants allemands y participeront chaque année. Sur le bureau de Josef Goldberger à Taipei, les candidatures s'accumulent déjà. « Les proportions de cette coopération avec TSMC feront de l'Allemagne le précurseur mondial. Les étudiants viendront à Taïwan à partir de février 2024. Ils seront formés en deux phases : d'abord, ils passeront quatre mois à l'université, ensuite, ils iront pendant deux mois dans le centre de formation de TSMC et puis dans leur usine de Taichung, semblable à celle qui sera construite à Dresde », énonce-t-il.De tels partenariats internationaux font d'ailleurs partie de la boîte à outil proposée par l'Union européenne. L'idée étant de mieux armer le continent pour défendre ses intérêts face à la Chine. « Cela veut dire que nous ne miserons plus exclusivement sur la Chine. Taïwan produit les semi-conducteurs, mais pour l'acheminement de ces puces vers l'Europe, nous dépendons des routes et des ports chinois. Par ailleurs, Taïwan est menacé par la Chine et nous envisageons l'éventualité d'une guerre. Dans ce cas, le commerce maritime s'écroulerait. Nous devons donc devenir plus indépendants. Cela passe par une relation directe et plus étroite avec Taïwan, mais aussi par notre volonté de prendre pied dans cette technologie d'avenir », assure Angela Stanzel.Comme l'a expliqué le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, il s'agit de « mettre fin à l'ère de la naïveté et d'agir comme une véritable puissance géopolitique ». Les étudiants de Dresde doivent devenir les nouvelles têtes de pont de cette stratégie.À lire aussiSemi-conducteurs, IA, biotech... L'UE dévoile ses technologies clés à défendre
La guerre entre Israël et le Hamas et ses résonances en Asie du sud-est… L'Indonésie, le plus grand pays musulman de l'Asie du Sud-Est, n'a jamais établi de relations formelles avec l'État hébreu et s'est toujours montrée solidaire de la cause palestinienne. Quelques mois avant l'élection présidentielle prévue en février 2024, les autorités indonésiennes sont de nouveau confrontées à cette question brûlante : faut-il, comme certaines voix le réclamaient encore, il y a quelques mois, engager un rapprochement Israël ? Entretien avec Delphine Allès, vice-présidente de l'Inalco et spécialiste de l'Indonésie.
Les Aborigènes australiens seront-ils enfin reconnus dans la Constitution ? Auront-ils « une voix » au Parlement ? Verdict le 14 octobre prochain à l'issue d'un vote historique. Mais l'amendement à la Constitution, qui devrait réparer en partie des siècles d'injustice, fait l'objet d'un vif débat. Retour sur le long processus de reconnaissance des populations autochtones sur l'île-continent avec l'anthropologue Martin Préaud.
Le Kazakhstan viole-t-il les sanctions occidentales imposées à la Russie depuis la guerre en Ukraine ? Le gouvernement, officiellement neutre dans ce conflit, le dément. Mais comment expliquer que le commerce entre la plus grande économie d'Asie centrale et son alliée historique russe est en plein essor ? Que des lave-linges, des imprimantes ou des drones continuent de passer par la frontière longue de plus de 7 000 kilomètres ? À Almaty, la capitale économique du Kazakhstan, des entrepreneurs en témoignent. De notre envoyée spéciale à Almaty,Assis dans le jardin d'un hôtel international, Askar tripote un mouchoir dans sa main. Il est nerveux. Trentenaire en t-shirt et baskets, ce patron d'un fonds d'investissement ne s'appelle pas vraiment Askar. Mais ce n'est qu'à condition de rester anonyme que ce jeune entrepreneur est prêt à se confier à RFI :« Le gouvernement essaie de respecter les sanctions, mais pour nous, entrepreneurs, les affaires sont les affaires. Bien sûr qu'il existe des importations parallèles. Il y a notamment une grande demande de nos voisins russes pour des marchandises à double utilisation. On retire certaines pièces pour les réutiliser ensuite dans le secteur militaire. »Un exemple : depuis la guerre en Ukraine, le Kazakhstan a multiplié par quatre ses importations de lave-linges depuis l'Union européenne. Bruxelles soupçonne la Russie d'en extraire les précieux semi-conducteurs, sous embargo, pour réparer par exemple ses chars. Des lave-linges pour la guerre de Poutine ? Des lave-linges pour la guerre de Poutine ? « Personnellement, je n'ai jamais entendu parler de lave-linges, mais c'est vrai, le transport de produits pouvant servir pour la guerre a nettement augmenté », nous explique la responsable d'une entreprise de transport international d'Almaty, qui préfère, elle aussi, rester anonyme. « Des sacs de couchage, des vêtements militaires, tout cela vient directement de Chine. Je le reconnais : trop de nos concurrents ferment les yeux et transportent des produits interdits. Mais nous, non, on préfère rester honnêtes. » La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) parle d'un véritable « carrousel eurasiatique » : en 2022, les exportations vers le Kazakhstan depuis l'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni ont augmenté de 80%. Pendant cette même période, celles du Kazakhstan vers la Russie ont augmenté de 22%. Récemment encore, les douanes ont intercepté des drones destinés à la Russie, affirme le politologue Dosym Satpayev : « Il n'y a pas de doute : la Russie utilise le Kazakhstan comme pays de transit pour ses importations grises. L'an dernier, au 1ᵉʳ septembre, 15 000 nouvelles sociétés russes s'étaient déjà implantées chez nous. Quand on l'a découvert, le gouvernement a rétorqué qu'il respectait les sanctions. Mais comment contrôler 7 000 km de frontière commune ? Il n'y a pas que les Russes qui en profitent, des Kazakhstanais aussi ! C'est lorsque les Américains et les Ukrainiens ont évoqué des sanctions secondaires que le Kazakhstan a enfin commencé à renforcer ses contrôles. »« Nous sommes devenus un pont entre la Russie et le monde occidental » Depuis, un système de traçage a été établi, mais il reste des trous dans la raquette. D'autant que l'élite au pouvoir est connue pour être notoirement corrompue. Comme beaucoup d'autres, le jeune entrepreneur Askar sait en tirer bénéfice : « Je ne vous cache pas que notre fonds d'investissement a gagné beaucoup d'argent. De nombreux Russes qui se trouvent sur la liste des personnes sanctionnées et qui veulent acheter des actions d'entreprises cotées en Bourse passent par nous. Comme nous ne figurons pas sur la liste, nous achetons les titres pour eux. Nous sommes devenus un véritable pont entre la Russie et le monde occidental. »Des hommes d'affaires kazakhstanais aident leurs ex-frères russes à contourner les sanctions, sous les yeux de Bruxelles et de Washington qui n'osent pas sanctionner durement les pays d'Asie centrale, par crainte de les pousser encore plus dans les bras de Moscou.
À la tête du Move Forward, son parti progressiste, Pita Limjaroenrat a raflé le vote populaire aux dernières législatives thaïlandaises et a failli renverser la table en devenant Premier ministre. Il a raté la nomination d'un cheveu face au poids des élites conservatrices. Cependant, son programme infuse déjà la société et pourrait déboucher sur une mini révolution politique d'ici à quelques années. Démilitariser, démonopoliser, décentraliser. En trois mots, il a décapé la campagne des législatives. La jeunesse thaïlandaise a bien sûr voté pour lui. Tous les étudiants qui ont grandi avec la junte militaire et qui n'en peuvent plus d'un système corseté par les généraux ont cru jusqu'au bout en ce député de 42 ans, formé dans les meilleures universités thaïlandaises, intello diplômé d'Harvard et du MIT. Mais Pita a séduit au-delà de son électorat naturel. Son parti, le Move Forward, est allé gratter des voix à Bangkok et dans le nord du pays. Avec 151 sièges sur 500, une coalition progressiste semblait possible et l'ancien monde tout près de disparaître, jusqu'à ce qu'il se réveille. « La Constitution telle qu'elle est actuellement a justement été faite pour pouvoir bloquer les propositions jugées inacceptables et il n'a pas eu suffisamment de soutien au Sénat pour passer », affirme Marie-Sybille de Vienne, professeure émérite à l'Inalco et spécialiste de la Thaïlande. « Lorsque le Move Forward, un parti d'une réforme constitutionnelle, a voulu toucher à ce qui tournait autour de la monarchie, d'abord abolir l'article 112 sur le lèse-majesté, a été une ligne rouge. C'était radical, alors que ce qu'il fallait, c'était en modifier l'application, en la restreignant de manière considérable, sans la supprimer », ajoute-t-elle.Par deux fois, Pita se heurte au mur du réel. Il a besoin des sénateurs pour devenir Premier ministre, mais ces derniers, aux ordres de l'armée, ne le laisseront jamais passer. Deux votes, deux échecs, et pas le temps de respirer. La Cour constitutionnelle thaïlandaise l'accuse très opportunément d'avoir violé la loi électorale et ordonne la suspension de son mandat de député. Il ne sera pas chef du gouvernement. En tout cas, pas cette fois-ci.Pita l'étoile filante a-t-il fait tout cela pour rien ? « Quand vous lisez le programme déposé et lu par l'actuel Premier ministre devant l'Assemblée, il a bien annoncé une réforme constitutionnelle et il a annoncé une réforme majeure de l'armée en reprenant une des grandes revendications du mouvement roi qui était la suppression du service militaire, qui est par conscription et par tirage au sort et qui dure deux ans. Donc, on ne peut pas dire que le Move Forward ait perdu son audience, tant s'en faut. Et la réforme constitutionnelle avec un comité d'experts juridiques qui va travailler dessus, il est évident qu'elle va supprimer la désignation du Premier ministre par les deux chambres réunies. À la limite, je dirais que la composition de Sénat est secondaire. Ce qui est essentiel, c'est qu'il soit dégagé du choix d'un Premier ministre que le choix du Premier ministre repose exclusivement sur une Chambre des députés élus. Et c'est bien ça qui est sous le coude dans la réforme constitutionnelle », explique Marie-Sybille de Vienne. On verra d'ici à la fin de la mandature si le progressisme à la Pita a de l'avenir, lui n'a que 42 ans et reste très populaire. Il n'a pas dit son dernier mot.À lire aussiThaïlande : la candidature de Pita Limjaroenrat au poste de Premier ministre déclarée illégale par les parlementaires
Direction Okinawa, réputée pour sa gastronomie, ses centenaires et ses plages de sable blanc. Située entre l'océan Pacifique et la mer de Chine, l'île la plus méridionale du Japon abrite encore 32 bases militaires américaines plus de 50 ans après la rétrocession au Japon. Pour comprendre la colère des Okinawais et le rôle géostratégique de l'archipel, Emilie Guyonnet, autrice de Okinawa, une île au cœur de la géopolitique asiatique (Éditions Géorama), répond aux questions de RFI. RFI : Votre livre est une mine d'informations, en particulier sur l'histoire récente et tourmentée de l'île. Le destin d'Okinawa, ancien royaume Ryukyu, bascule de manière irrévocable en 1945. Que s'est-il passé ?Emilie Guyonnet : En 1945, Okinawa est le site d'une terrible bataille entre les Américains et les Japonais. C'est la bataille d'Okinawa. Les combats durent trois mois d'avril à juin 1945. Les soldats japonais se battent avec beaucoup d'acharnement, plus que d'habitude, parce que c'est la première bataille sur le sol japonais. Les Japonais finissent par perdre.La bataille fait 240 000 morts, parmi lesquels 123 000 civils, et elle marque le début de la construction des bases américaines à Okinawa. En effet, les Américains avaient prévu un débarquement sur les îles principales du Japon pour novembre 1945 et Okinawa devait servir de tête de pont à ce débarquement. Finalement, au vu de la résistance acharnée des Japonais, les Américains choisissent d'utiliser la bombe atomique et les civils de l'île, qui n'avaient pas pu être évacués à temps, se sont retrouvés pris sous les bombes et c'est ce qui explique le nombre très élevé de victimes civiles.Autre date clé, 1972, lorsque Okinawa retrouve enfin son indépendance de l'occupant américain, et ce, deux décennies après le reste du Japon. Un événement qui n'aura pourtant que peu d'incidence sur la présence des bases américaines. Pourquoi ?Les habitants de l'île ont l'habitude de dire qu'elle a été sacrifiée trois fois. Une première fois en 1945 avec la bataille d'Okinawa, une deuxième fois en 1951 lors de la signature du traité de San Francisco qui met fin à l'occupation américaine du Japon, mais qui prolonge celle d'Okinawa sans limite dans le temps, et une troisième fois en 1972. En effet, en 1972, les locaux tiennent la rétrocession de l'île au Japon et ils s'attendent au minimum à une réduction des bases américaines, mais en fait, il n'en est rien. La rétrocession a pour conséquence la fermeture de nombreuses bases américaines sur les îles principales du Japon qui sont redéployées partiellement à Okinawa. Donc la présence américaine à Okinawa augmente après 1972.Du fait de cette volonté de concentrer les bases à Okinawa, les locaux se sentent discriminés par rapport au reste du territoire japonais. C'est difficile de savoir s'ils ont raison parce que les dirigeants japonais ne diront bien sûr jamais la vérité sur cette question. Il semble toutefois que ces bases soient surtout concentrées à Okinawa pour des raisons stratégiques. D'après les experts, Okinawa est mieux placée, parce qu'elle est plus centrale par rapport aux pays asiatiques et aux différentes zones de tension. L'autre explication, c'est la nécessité de regrouper les forces sur un seul site pour des raisons d'organisation, de coordination ou pour des raisons stratégiques.Dans votre ouvrage, vous donnez la parole aux Okinawais. Quels sont les témoignages qui vous ont le plus marqué ?C'est le témoignage du deuxième chapitre, celui de Monsieur Uehara qui a perdu presque toute sa famille pendant la bataille d'Okinawa. Ce Monsieur est un véritable exemple de résilience. Il raconte tout cela avec beaucoup de patience et de calme, il est très apaisé. Il explique notamment qu'il n'a pas pu faire d'études, alors qu'il aurait aimé devenir professeur. Il a fondé une famille et a attendu que ses trois enfants terminent leurs études pour reprendre les siennes à l'âge de 48 ans.L'autre témoignage qui constitue le chapitre cinq, c'est celui de Madame Takazato, une militante féministe et travailleuse sociale qui raconte l'état de santé très grave dans lequel se trouvaient les prostituées en 1972, lors de la rétrocession d'Okinawa au Japon, puisqu'en effet, il y avait beaucoup de prostitution aux abords des bases américaines. En 1972, la loi japonaise de prévention de la prostitution est entrée en vigueur à Okinawa, donc les maisons closes ont fermé et Mme Takazato raconte que de nombreuses prostituées ont dû être hospitalisées, car elles étaient très malades physiquement et psychologiquement. Ces deux témoignages m'ont le plus marqué.Dans quel état d'esprit est la population aujourd'hui, dans un contexte géopolitique tendu, notamment en raison des rivalités sino-américaines ?Les Okinawais et les Japonais sont conscients que le Japon a besoin des États-Unis, face à la Chine surtout, mais aussi face à la Corée du Nord. L'opinion publique japonaise a une perception très négative de la Chine et a conscience des risques qui pèsent sur l'archipel. La guerre en Ukraine n'a fait que renforcer cette perception. Ils dressent le parallèle avec la situation en Europe et en Asie, avec les visées chinoises à Taïwan, et les Okinawais spécifiquement ont conscience pour la plupart que le Japon a besoin des États-Unis et ne souhaitent donc pas forcément que les bases américaines quittent Okinawa ou le Japon.À lire aussiJapon: Okinawa, cinquante ans après sa restitution par les Etats-Unis, reste une base avancée stratégiqueCe qu'ils souhaitent, c'est une meilleure répartition des bases sur le territoire japonais, que certaines bases à Okinawa soient transférées ailleurs au Japon, ou qu'elles quittent complètement Okinawa. C'est leur rêve, mais cela paraît difficile. Malheureusement personne ne veut des bases et le commandement militaire américain préfère qu'elles soient regroupées à Okinawa pour éviter des pertes de temps et avoir une meilleure coordination des moyens.Ces bases provoquent aussi un rejet de la population en raison de leur impact néfaste sur l'environnement.Effectivement, il y a eu beaucoup de problèmes environnementaux, notamment pendant la guerre du Vietnam avec le stockage à Okinawa de barils d'agent Orange, qui ont été retrouvés plus tard et qui ont contaminé les sols et l'eau. Les dernières manifestations à Okinawa sont axées aussi sur la défense de l'environnement, puisqu'une base qui est située au centre d'une grande ville de près de 100 000 habitants va être transférée ailleurs dans l'île, dans le nord, qui est une région très sauvage. Donc deux nouvelles bases vont être construites sur la mer, ce qui pose des problèmes, car les derniers récifs de corail se trouvent dans cette baie.Et il y a des dugongs qui sont de grands mammifères marins en voie d'extinction qui viennent se nourrir dans cette baie et sur ces coraux, donc cela pose des problèmes. Mais les Américains et les Japonais n'en ont pas tenu compte puisque les travaux de construction de la base ont commencé malgré les très nombreuses oppositions. L'autre site de construction d'une nouvelle base, Takae, qui se situe dans la montagne, abrite une forêt primaire où l'on trouve énormément d'espèces, notamment d'oiseaux rares. Donc là aussi, on se dit, c'est affreux, ne peuvent-ils pas trouver un autre site pour leurs bases ?Comment voyez-vous les années à venir, la population a-t-elle les moyens d'échapper à un nouveau conflit ?La stratégie américaine évolue globalement vers un maintien d'un nombre réduit de grandes bases, dont Okinawa fera vraisemblablement partie. Et en complément de ces grandes bases, les Américains veulent pouvoir compter sur de nombreuses bases plus petites, disséminées un peu partout dans le monde, avec l'objectif de pouvoir intervenir plus rapidement. C'est lié à la nature des nouvelles menaces, par exemple le terrorisme, et non plus seulement des menaces d'un État à un autre.La concentration des bases à Okinawa, leur proximité avec les points chauds en Asie, c'est aussi un inconvénient parce que cela en fait une cible potentielle à portée des tirs de missiles. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les habitants voudraient transférer les bases ailleurs au Japon. Mais ce n'est pas la direction que prennent les gouvernements américains et japonais.À lire aussiLes habitants d'Okinawa votent contre le déplacement d'une base américaineUne autre évolution, c'est la tendance du Japon à aller vers plus d'autonomie en matière de défense, à la fois parce que les Américains le leur demande et parce qu'au sein du Parti Libéral-Démocrate (PLD), le parti au pouvoir, c'est ce que souhaitent les hommes politiques japonais. Certaines bases américaines pourraient donc être remplacées par des bases japonaises, c'est aussi une possibilité.En tout cas, les risques de conflits en Asie existent vraiment, même si ce n'est dans l'intérêt d'aucune des parties. Ce qui est sûr, c'est que s'il y a un conflit, la population d'Okinawa sera aux avant-postes, comme elle l'a été pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cela sera certainement très différent, mais il y a un vrai risque pour la population.
Ce n'est pas un phénomène nouveau, mais le ton monte entre les Philippines et la Chine. Des tensions renouvelées ces dernières semaines autour du navire que les autorités philippines ont fait échouer il y a deux décennies sur un atoll disputé en mer de Chine méridionale. La Chine se montre de plus en plus présente dans l'espace maritime, entrant en conflit avec plusieurs nations dans la région. Jusqu'où cela pourrait-il aller ? La Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei et Taïwan revendiquent des parties de la mer de Chine méridionale, où transitent chaque année, selon les estimations, 3,37 milliards de dollars, soit 21 % du commerce mondial.La Chine se montre de plus en plus revendicatrice dans la région : « Cette partie de l'océan Pacifique est extrêmement riche en ressources naturelles diverses : pétrole, gaz, nourriture et tant d'autres choses », souligne Mats Engman, ancien haut gradé de la marine suédoise, expert à l'institut du développement et la sécurité.C'est aussi une voie maritime très importante qui traverse cette région. Si vous étendez votre contrôle à cette partie de l'océan, vous pouvez également contrôler des lignes de communication vitales pour la paix et la sécurité et pour le commerce international.Mats Engman poursuit en expliquant qu'il y a aussi la volonté d'isoler davantage Taïwan en essayant de réduire le nombre de pays qui entretiennent actuellement des relations diplomatiques avec cet archipel, tenter de persuader certains pays de changer leur reconnaissance diplomatique de Taipei : « Il y a ensuite les aspects militaires et stratégiques : en étendant son contrôle aux eaux profondes, récifs et îles artificiels, la Chine peut alors créer des infrastructures militaires, déployer des forces. Le rayon d'action de l'armée chinoise s'étend et, de ce fait, rend beaucoup plus difficile et dangereux pour les forces américaines d'opérer dans cette zone. »À lire aussiMer de Chine méridionale: tirs de canon à eau chinois sur des navires philippinsVers une possible fragmentation de l'Asean ?Pour lui, l'un des risques que cette conquête de l'espace maritime fait courir, c'est une possible fragmentation de l'Asean, car d'un côté se trouve un groupe de nations qui sont politiquement et économiquement dépendantes de la Chine, et de l'autre, un autre groupe de nations qui, de la même manière, sont tournées vers l'Occident et les États-Unis. L'Asean dans son ensemble s'efforce vraiment de s'affirmer en tant qu'organisation indépendante dans le contexte actuel de tensions entre les États-Unis et la Chine. Il s'agit, selon l'expert, d'y trouver son équilibre. Pékin cherche indéniablement à étendre son influence mondiale, mais il s'agit également de réaffirmer son pouvoir au sein de la Chine continentale. L'analyse de Gregory Poling, chercheur au Centre d'études stratégiques et internationales :Pékin s'est laissée séduire par son propre conte de fées, pensant que ces eaux, l'espace aérien et les fonds marins ont toujours été chinois et qu'ils ont été volés à la Chine par ses voisins d'Asie du Sud-Est au cours de la période que la Chine qualifie de "siècle d'humiliation".« C'est devenu un récit politiquement plus saillant sous la direction de Xi Jinping. Il s'agit donc d'une question de légitimité politique et de nationalisme à l'intérieur du pays. Peu importe si cette Histoire est fausse. Peu importe qu'elle soit illégale. Ce qui compte, c'est que le parti s'est convaincu et a convaincu son public que c'était vrai », souligne encore le chercheur. À lire aussiAsie du Sud-Est: au sommet de l'Asean, la mer de Chine méridionale et la Birmanie polarisentIntimidation chinoiseGregory Poling rappelle que beaucoup de gens en Asie du Sud aiment se remémorer une anecdote révélatrice de l'attitude de la Chine. « Il y a une dizaine d'années, lors d'un des forums régionaux de l'Asean, plus particulièrement lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères, la mer de Chine méridionale a été longuement débattue. La délégation chinoise, alors dirigée par Yang Jiechi, aujourd'hui directeur de la commission centrale des Affaires étrangères du Parti communiste chinois, s'est mis en colère, a fait irruption dans la salle et a pointé du doigt tous les pays d'Asie du Sud-Est, et en particulier George Yeo, le ministre des Affaires étrangères de Singapour, la plus petite ville-État et a crié : “Certains pays sont de grands pays, d'autres sont petits. Ce qui sous-entend que la Chine a un ensemble de règles et que tous les autres en ont un autre." »Selon l'expert, cela en dit long sur la façon dont la Chine voit l'avenir de la région, que ces pays vont vivre dans l'orbite de la Chine et qu'ils feraient mieux de s'y habituer. « Ce que cela implique, c'est que la Chine pense qu'il y a des règles pour elle et d'autres pour le reste du monde. Et cela peut être considéré comme un analogue de la façon dont le Parti communiste chinois considère la loi dans son pays. »La loi est une chose avec laquelle on gouverne. Ce n'est pas une chose par laquelle on est gouvernés. La loi ne s'applique pas aux puissants. Elle ne s'applique qu'aux faibles.Greg Poling estime que la Chine ne cherche en aucun cas le conflit armé, mais que Pékin veut cependant utiliser tous les outils de coercition et d'intimidation dont elle dispose, à l'exception de la force militaire, pour convaincre ses voisins d'aller dans telle ou telle direction.À lire aussiPhilippines: Manille condamne les actions «illégales» de Pékin en mer de Chine méridionale
La température de l'air a augmenté de plus d'un degré depuis le début du XXe siècle, ce qui provoque une fonte des glaciers dont les conséquences pourraient être dantesques d'ici la fin du siècle. Échange avec Patrick Wagnon, glaciologue à l'Institut des géosciences de l'environnement de Grenoble. (Rediffusion du 30 avril 2023)Les deux tiers des glaciers de l'Himalaya et de l'Hindou Kouch pourraient fondre d'ici 2100 si la planète restait sur la même trajectoire d'émissions de gaz à effet de serre, avec des conséquences dramatiques pour les millions d'habitants qui dépendent des ressources en eau jusqu'ici fiables. Près de 60 millions de personnes vivant autour de l'Himalaya souffriront de pénuries alimentaires dans les décennies à venir, alors que les glaciers rétrécissent et que les sources d'eau dont ils dépendent pour arroser leurs cultures se tarissent.À lire aussiLes glaciers de l'Himalaya fondent à une vitesse inattendue selon une étude
Comment vit-on sous une surveillance permanente, sans le droit de s'exprimer librement et avec la peur d'être dénoncé à tout moment ? Zhang Zhulin en témoigne. Dans son livre La société de surveillance made in China, ce journaliste français d'origine chinoise dénonce une mainmise autoritaire qui ne s'arrête pas aux frontières chinoises et dont est aussi victime la diaspora des Chinois de France. (Rediffusion du 7 mai 2023)
Élévation du niveau de la mer, réchauffement de l'océan, acidification de l'océan, inondations, sécheresses, catastrophes naturelles à répétition… Les nations du Pacifique sont en danger de disparition totale. Milika Sobey, scientifique marine, est directrice de programme pour les îles du Pacifique au sein de l'Asia Foundation. Elle a décidé de contribuer à sa manière à l'éducation des plus jeunes aux Fidji. Elle est à l'initiative de la publication de dix livres pour enfants qui visent à les éclairer sur les grands thèmes du réchauffement climatique. (Rediffusion du 20 novembre 2022)RFI : Quels sont les thèmes des 10 livres que vous avez publiés ?Milika Sobey : Nous avons commencé avec Seachange, qui parle de l'élévation du niveau de la mer, un sujet très actuel. Les gens du Pacifique savent très bien ce qu'implique la montée des eaux. Quelqu'un d'autre a décidé d'écrire sur les mangroves, parce que c'est souvent un écosystème sous-estimé, mais qui joue un rôle critique dans l'atténuation du changement climatique. On a écrit sur l'acidification des océans, un autre sujet d'actualité, car l'absorption par l'océan d'une plus grande quantité de dioxyde de carbone entraîne l'acidification des océans, qui entraîne à son tour un manque de calcium dans certaines structures marines. C'est aussi crucial. Un autre a décidé d'écrire sur les forêts, parce que les forêts sont tout aussi importantes et connectées à l'océan.À écouter aussiGrand Reportage - Fidji, des îles du Pacifique en première lignePourquoi est-ce important de parler dès le plus jeune âge du réchauffement climatique ? Parce que nous vivons dans une région où nous contribuons le moins aux émissions de carbone, mais où nous sommes probablement confrontés aux impacts les plus importants du changement climatique. Les enfants du Pacifique sont confrontés à des cyclones violents. Nous en avons eu plusieurs au cours des six dernières années. Des cyclones de catégorie 5. Ces événements très intenses sont tellement ravageurs pour les communautés dans tout le pays, pas seulement ceux de la côte… à l'intérieur des terres aussi. Donc, il est nécessaire que les enfants soient informés. Comment tout cela est-il lié au changement climatique ? Nous allons voir davantage de ces phénomènes météorologiques violents. Nous avons de graves inondations entre les cyclones. Ce n'est pas seulement les îles, c'est le monde entier. À lire aussiFidji : un retour aux savoirs ancestraux pour préserver l'environnementLe monde entier subit le réchauffement climatique, mais les pays insulaires demeurent en première ligne ? Les gens qui vivent sur le continent européen supposent que tous les enfants qui vivent dans les îles connaissent les récifs par exemple, mais pas nécessairement. Les enfants qui vivent en ville ne vont pas vraiment sur le récif, c'est donc important de leur expliquer. Ils doivent connaître l'importance des mangroves. Ils doivent savoir comment le changement climatique a des conséquences sur les systèmes naturels qui les protègent. C'est pourquoi il est important que les enfants des îles du Pacifique soient informés sur ces sujets. Je pense qu'il suffit de se rendre dans nos communautés côtières pour se rendre compte de l'urgence de la situation. Il n'y a pas un jour qui passe sans que l'on lise dans les journaux que telle communauté sur la côte vient d'avoir une intrusion d'eau salée dans son village. Et, en gros, on parle tout le temps de la perte de terres au détriment de la mer. Et par ailleurs, les personnages des livres sont fidjiens et ils ont tous été écrits et illustrés par des locaux… Les enfants peuvent s'y identifier parce que les personnages ont des noms qu'ils peuvent reconnaître. Ils leur ressemblent. Ils ont des décors et des thèmes qui leur sont familiers. C'est ce qui fait la particularité de ces livres et c'est pourquoi nous avons demandé à des créatifs locaux de les produire. Vous savez, j'ai grandi en lisant des histoires de Raiponce, de Blanche Neige et de la Belle au bois dormant et en lisant des histoires de neige et d'ours. Nous ne savons pas ce qu'ils sont parce que nous vivons sous les tropiques ! C'est tellement rafraîchissant que les enfants puissent maintenant lire des livres auxquels ils peuvent s'identifier. Ils peuvent s'y reconnaître, et l'un des objectifs de ces livres est de susciter l'amour de la lecture chez les enfants. Donc si vous pouvez les faire commencer à aimer la lecture dès leur plus jeune âge, c'est un amour qu'ils auront pour le reste de leur vie.À écouter aussiTémoins d'Actu - Climat : comment les populations des îles du Pacifique luttent pour leur survie
Le sanskrit, c'est la langue des érudits indiens, celle des textes religieux. Elle est de moins en moins parlée, mais sa grammaire continue de fasciner. Elle repose sur l'ouvrage d'un savant génial nommé Panini, qui a mis au point dans l'Antiquité des règles qui intriguent encore la communauté scientifique. Mais un étudiant de Cambridge pourrait avoir levé une partie de son mystère. (Rediffusion du 15 janvier 2023) La grammaire de Panini, c'est la naissance de la linguistique moderne. Un chef-d'œuvre de précision et de sophistication qui n'a jamais été égalé... Comment fonctionne-t-elle ? À la manière d'un architecte, Panini invente ce que l'on appelle une métalangue : près de 4 000 règles, les sutras, qui organisent le bon usage du sanskrit.Cette construction intellectuelle, vieille de plusieurs siècles avant Jésus-Christ, est si fine qu'elle fascine encore les grammairiens modernes. « Ce qui a beaucoup frappé nos contemporains à partir du XIXe siècle, c'est la qualité de la métalangue, explique le philologue et traducteur Michel Angot, spécialiste de la littérature sanskrite. Une métalangue qui, dans une large mesure, nous apparaît comme étant scientifique. Avec le souci, par exemple, de l'économie de volume. La grammaire de Panini était apprise par cœur, il fallait économiser de la mémoire et pour économiser de la mémoire, Panini et ses amis ont poussé le principe d'économie extrêmement loin en créant un lexique très concis, très scientifique, où les mots ne signifient qu'une chose. »Un système extrêmement complexeProblème, Panini pousse la concision à l'extrême. Il pose les règles sur la table, mais ne donne pas le mode d'emploi. Ce que l'on peut trouver dans les grammaires anciennes de latin ou de grec – les déclinaisons, les conjugaisons verbales – n'a pas d'équivalent dans son traité. Et depuis des siècles, c'est un casse-tête pour les locuteurs de sanskrit.« Ce sont de toutes petites formules, souvent de quelques syllabes, parfaitement absconses. C'est une sorte de pelote de laine : dès que vous touchez à une formule, il faut voir comment la formule raisonne dans l'ensemble de 3 992 formules qui constituent l'œuvre. Et Panini ne dit pas comment des règles qui sont parfaitement contradictoires peuvent s'arranger, observe encore le philologue et traducteur Michel Angot.« Par exemple, ajoute-t-il, si je vous dis dans une salle : "Tout le monde sort, Pierre reste", vous avez deux règles : une qui dit que tout le monde sort, et l'autre qui dit que Pierre, qui est pourtant dans tout le monde, reste. Il y a donc deux règles contradictoires et instinctivement, on va comprendre que la règle particulière s'impose à la règle générale. Ça se fait tout seul. Mais quand on est dans la grammaire de Panini, vous avez des règles grammaticales et ça ne se fait pas tout seul. Il faut ensuite trouver les métarègles qui organisent les règles, parce que ces règles sont mutuellement contradictoires. »Une nouvelle méthode plus préciseC'est là qu'intervient Rishi Rajpopat. Cet étudiant de Cambridge revendique d'avoir enfin cerné l'une de ces métarègles, mal comprise depuis très longtemps. Sa théorie se résume ainsi : en cas de conflit, lorsque l'une des formules de Panini peut s'appliquer aussi bien à droite ou à gauche d'un même mot, il faut choisir la règle qui s'applique au côté droit. Ça n'a l'air de rien, mais c'est sans doute une avancée majeure dans la compréhension du système de Panini.« Si vous appliquez l'interprétation des commentateurs traditionnels, celle qui faisait foi jusqu'à ce jour, il vous arrivera de tomber sur le mauvais résultat. En appliquant la sienne, vous tomberez juste dans plus de 90% des cas, assure Vincenzo Vergiani, le professeur de thèse de Rishi Rajpopat à Cambridge. C'est un peu comme en mathématiques : il peut y avoir plusieurs méthodes qui permettent de résoudre un problème. Mais les mathématiciens vous diront qu'il n'y a qu'une manière de parvenir à ce résultat de façon courte et élégante. C'est ce qu'a fait Rishi. Les anciens, eux aussi, avaient trouvé un chemin vers la bonne réponse. Mais la méthode de Rishi est bien plus économe et élégante. »Les critiques vous diront qu'il n'y a pas matière à se vanter. Et que, rapporté à la pensée complexe de Panini, c'est une goutte d'eau dans l'océan. Certes, mais l'équipe de Cambridge espère fédérer les bonnes volontés. « J'espère, conclut Vincenzo Vergiani, que les spécialistes du sanskrit vont se pencher sur la question et venir bousculer nos certitudes. »
Deux ans et demi après le coup d'État militaire en Birmanie, la population tout entière continue de se mobiliser contre la junte. Aux avant-postes de la lutte : la génération Z, ces jeunes ultra-connectés, en tête des manifestations et du mouvement de désobéissance civile. Ils agissent aujourd'hui dans l'ombre, pour retrouver leur liberté. Kristen est l'un des visages de cette jeunesse révolutionnaire. (Rediffusion du 5 février 2023) « Ce coup d'État a bouleversé ma vie. Du jour au lendemain, mon avenir s'est assombri. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de m'engager dans la révolution. » Kristen a 27 ans. Cette jeune ingénieure est issue de la Génération Z, ces moins de 30 ans, nés avec la révolution numérique, se sont investis corps et âme, il y a deux ans, pour reconquérir leur liberté. Kristen est devenue un maillon indispensable du mouvement révolutionnaire. Malgré la contestation muselée avec une incroyable brutalité, les jeunes continuent de s'engager dans la clandestinité.« Dès le 6 février 2021, j'ai commencé à manifester en prenant la tête d'un groupe de grévistes, raconte Kristen. Mais lorsque la junte a durement réprimé les manifestants, on a vite compris que les militaires n'allaient pas s'arrêter là et qu'il fallait s'organiser autrement. Avec deux camarades, nous avons créé un réseau d'information de la société civile. Le CIN collecte et diffuse les informations sur les mouvements de l'armée. »Leur travail consiste à contrôler, répertorier, signaler tout mouvement et activité de l'armée birmane. Ces informations sont compilées puis distribuées aux guérillas ethniques et au ministère de la Défense du gouvernement d'unité nationale en exil. Ce rapport permet entre autres de réévaluer la stratégie révolutionnaire et de collecter les preuves des crimes de guerre commis par la junte. Kristen participe à une multitude d'autres groupes et organismes qui coordonnent les actions anti-junte dans une quarantaine de villes partout dans le pays.« Min Aung Hlaing gouverne uniquement pour son intérêt personnel »Que pense la militante du chef de la junte et du gouvernement Parallèle d'Unité Nationale (NUG), composés d'anciens élus renversés par la junte ? « Min Aung Hlaing gouverne uniquement pour son intérêt personnel et celui de sa famille. Il se fiche de la population, explique Kristen. Il tue, il réprime, arrête les gens, brûle des villages pour son propre intérêt, il n'a aucune compétence pour gouverner. Concernant le gouvernement d'unité nationale, je trouve qu'il est trop lent pour un groupe qui dirige un mouvement révolutionnaire. Mais nous n'avons pas le choix et je suis convaincue qu'ils font de leur mieux pour diriger le pays et ne plus être un gouvernement fantôme. Ce gouvernement à notre plein soutien, car nous poursuivons le même objectif. Nous devons mener ce combat ensemble main dans la main. »À lire aussiBirmanie: la prolongation de l'état d'urgence, tout sauf une surpriseMais ce combat exige de nombreux sacrifices : « Cela fait deux ans que j'ai quitté mon domicile, c'était juste après l'arrestation de mes camarades. Depuis, je passe mon temps à fuir et à vivre dans la clandestinité. Je donne tout mon temps et ma vie entière à cette révolution, et c'est pour garder ma dignité, déclare la militante. Ces deux dernières années, des millions de personnes ont perdu leurs droits fondamentaux, se sont retrouvées sans toit, sans soins, sans éducation. Les militaires vendent tout : les ressources naturelles, le gaz, le pétrole, les pierres précieuses et même l'Irrawaddy que la Chine veut racheter pour y construire un barrage. La Thaïlande rachète aussi à la junte nos ressources naturelles, du pétrole notamment. Et ils font ça pour leur propre profit. »Dans cette révolution, Kristen s'est fait de nouveaux amis, des camarades, des compagnons le lutte, car ses amis d'enfance et de l'université, en tout cas la plupart d'entre eux, ont choisi l'exil. Kristen, elle, a décidé de rester pour combattre ce régime tyrannique et autoritaire qui a brisé net tous ses rêves. « Je dois tenir et continuer à me battre. Je construis l'avenir de notre pays et c'est la seule chose qui me fasse aller de l'avant. »À lire aussiBirmanie: la peine de l'ex-dirigeante Aung San Suu Kyi réduite à 27 ans après une grâce partielle
Le « greenwashing » a le vent en poupe. Les entreprises vantent leurs actions climatiques, mais leurs promesses sont souvent loin de la réalité. Parmi les 50 plus grands émetteurs de CO2 mondiaux, le cimentier suisse Holcim est ciblé par une plainte inédite en Indonésie. Quatre habitants de l'île Pulau Pari accusent le géant du béton de mettre leur vie en péril. Une affaire qui pourrait devenir un cas d'école, car Holcim, qui a cédé ses activités en Indonésie en 2019, est visé pour ses dégâts causés dans le monde entier. (Rediffusion du 26 février 2023)C'est un combat dans la veine de David contre Goliath. Une petite île défie le numéro un mondial du béton. Selon Edi, l'un des quatre plaignants, Holcim est responsable de la montée des eaux qui menace les 1 500 habitants de Pulau Pari : « Nous serons forcés de quitter notre île. À cause des inondations récurrentes, nous avons peur de rester ici avec nos enfants. Notre vie est en danger. Qu'allons-nous devenir si les eaux continuent à monter ? » L'année dernière, Pari, qui vit de la pêche et du tourisme, a été inondée cinq fois. L'eau a déjà grignoté 11 % de la surface de l'île et détruit petit à petit les terres de Pak Arif : « J'ai subi d'importants dégâts. L'eau est arrivée dans la cour de ma maison et elle a détruit le mur d'enceinte. L'eau potable est de plus en plus dure à trouver, car l'eau salée a pollué nos puits. Beaucoup d'arbres fruitiers sont déjà morts, et il n'y a déjà presque plus de papayes et de bananes. Le sel fait aussi rouiller nos motos. » « 7 milliards de tonnes de CO2 rejetées depuis 1950 »À long terme, Pulau Pari risque de disparaître. Une conséquence directe des émissions de CO2 du cimentier Holcim, selon Yvan Maillard, le responsable « justice climatique » de l'ONG Entraide protestante suisse. Elle défend les plaignants, aux côtés de deux autres ONG.« Holcim est coresponsable du changement climatique. Il fait partie des 50 plus gros pollueurs du monde. Holcim a rejeté 7 milliards de tonnes de CO2 depuis 1950, cela correspond à 0,5 % de toutes les émissions industrielles de CO2. Et cela fait de Holcim l'un des plus grands pollueurs au niveau mondial. » Les plaignants réclament une indemnisation de 14 000 euros pour les dommages causés. Ils veulent aussi planter des mangroves et des murs protégeant les rivages. Une somme certes dérisoire pour une multinationale, mais une somme qui créerait un précédent… et ça, le cimentier suisse veut l'éviter.Sollicitée, l'entreprise nous a répondu : « Nous ne pensons pas que des poursuites en justice ciblant des entreprises individuellement soient un mécanisme efficace pour s'attaquer à la complexité globale de l'action pour le climat. » Holcim, deuxième entreprise attaquée en justice par des victimes du changement climatiqueHolcim dit vouloir devenir une entreprise à zéro émission nette de CO2 à l'horizon 2050. Trop tard, estiment les habitants de Pulau Pari. Il faut demander des comptes aux grands pollueurs dès à présent, estime aussi Yvan Maillard, une façon d'ouvrir la voie à d'autres victimes du dérèglement climatique : « Nous soutenons cette action de quatre Indonésiens et Indonésiennes. L'objectif est bien sûr de créer un précédent. L'objectif est aussi d'avoir des tribunaux qui se penchent sur cette question des dommages qui sont causés par le changement climatique… et qui doit payer pour ces dommages. Ce qui est aussi très important, c'est que les tribunaux se prononcent sur cette question : à quelle vitesse ces grands pollueurs doivent-ils réduire leurs émissions en CO2 ? »Holcim est seulement la deuxième entreprise dans le monde à être attaquée en justice par des victimes du changement climatique. L'autre est le géant allemand de l'énergie RWE, poursuivie par un paysan péruvien dont les terres risquent d'être englouties par le lac Palcacocha, gonflé par la fonte des glaces.
Direction Taïwan : Stellina Chen est une caricaturiste qui fait partie du collectif Cartooning for Peace. Cartooning for Peace permet de faire dialoguer les dessinateurs entre eux et de confronter leurs différentes nuances idéologiques. Son réseau donne une visibilité et un appui à ceux qui sont empêchés d'exercer librement leur métier ou dont la liberté est menacé. Avec sa plume, ou plutôt son coup de crayon, elle relate avec humour l'actualité mondiale. (Rediffusion du 2 octobre 2022)Stellina Chen : J'ai rejoint l'organisation Cartooning for Peace en 2018, et j'ai commencé à dessiner en 2017. Donc, au bout d'un an, j'ai postulé pour rejoindre l'organisation basée à Paris, créée par Plantu, le caricaturiste français. Ils nous aident à entrer en contact avec des médias français, mais leur but, c'est d'aider des caricaturistes dans le monde, dans des pays menacés par la dictature. Et maintenant, à cause de sa proximité avec la Chine, Taïwan est en haut de leur liste ! RFI : Comment procédez-vous pour trouver votre inspiration ?Je regarde l'actualité et je cherche pendant une heure quelque chose qui va m'intéresser, jusqu'à ce que je trouve un angle, une idée ou une petite phrase sur lesquels je puisse travailler. Le procédé est compliqué à expliquer : par exemple, lorsque que Nancy Pelosi est venue à Taïwan, tout le monde se rappelle son tailleur rose et ses chaussures blanches à talons hauts assez emblématiques. Donc, je me suis demandée comment je pourrais utiliser ça comme symbole, ce costume, que tout le monde pourrait reconnaître immédiatement, et comment je pourrais le transformer. Puis, j'ai pensé à la forme de Taïwan, quand on regarde, ça ressemble à un talon. Et comme elle utilisait cette excuse de visite à Taïwan pour marcher sur une ligne rouge, pour voir jusqu'où cette ligne allait d'ailleurs pour la Chine, je me suis dit que j'allais transformer le talon en forme de Taïwan en train de s'appuyer sur les doigts de pied de Xi Jinping, c'était parfait. C'était un point de rupture que je pouvais exploiter.En faisant ce genre de dessin, tout en étant taïwanaise, n'êtes-vous pas inquiète pour votre sécurité ?Pour être honnête, en vivant à Taïwan, je ne me sens pas menacée, on est toujours en sécurité à Taïwan, il n'y a pas de censure, et nous sommes bien protégés par notre gouvernement. Nous avons notre liberté. Mais oui, je ne me sentirai pas autant en sécurité en voyageant en Chine, ou même à Hong Kong maintenant. Je m'inquiète de la sécurité de manière générale. Mais il y a bien sûr une sorte de cyber-armée en ligne, sur Instagram, sur Twitter, je reçois une multitude de commentaires me disant de retourner dans mon pays, et c'est souvent à propos de dessins sur la Chine. Je ne pense même pas que ce soit des humains derrière tout ça, juste des messages générés automatiquement ! Donc parfois, je ne regarde même pas, je laisse couler.Pourquoi pensez-vous qu'il est important de mettre de l'humour dans des contextes qui sont parfois tragiques ?Le monde est plein d'actualités tragiques, constamment, et si l'on ne peut pas rire de certaines choses de temps en temps, ce serait vraiment triste. Par ailleurs, je pense que l'humour est une bonne façon pour les gens d'absorber de nouvelles informations, lorsque l'on rit de quelque chose, on l'intègre aussi, parfois sans s'en rendre compte. Par exemple, lorsque l'on lit un article, c'est au moins 1 000 mots, il faut se mettre dedans et peut-être qu'on laisse tomber en plein milieu, en se disant qu'on n'a pas le temps, ou bien que c'est trop de blabla… Mais un dessin, c'est très puissant. En cinq secondes, on perçoit l'humour, le sarcasme, ça s'imprime dans votre mémoire. Et cela vous prend cinq secondes pour dire « ah oui, tiens, on peut le voir comme ça ».À lire aussiQuinze ans après les caricatures danoises, où en est le dessin de presse ?
Il y aurait plus de 900 caméras chinoises installées dans tous les lieux de pouvoir australiens : ministères régaliens, au Parlement, dans les administrations... Des technologies qui font craindre un système d'espionnage à grande échelle. Car ces produits sont fabriqués par des entreprises liées au gouvernement de Pékin. L'Australie va-t-elle, à l'image des États-Unis, interdire purement et simplement le commerce de ces produits sur son territoire ? (Rediffusion du 19 février 2023)
Comment encourager ses parents à témoigner et raconter l'indicible, avant qu'il ne soit trop tard ? Comment recoller les morceaux des histoires familiales fragmentées des survivants, pour reconstituer la mémoire collective et la transmettre aux générations futures ? Sun Lay Tan, journaliste et militant associatif, lance un appel à témoins. Il est l'initiateur de Fragments KH50, un projet ambitieux à caractère scientifique, culturel et mémoriel, basé sur trois piliers : une plateforme web, un film documentaire et un monument érigé en hommage aux victimes des Khmers rouges.(Rediffusion du 21 mai 2023)
Jakarta renouvelle à marche forcée son matériel de défense et n'hésite plus à mettre sur la table des milliards de dollars pour s'équiper de Rafale français, mais aussi, fidèle à sa politique de non-alignement, de F-15 américains ou d'équipement turc. Une véritable course à l'armement que notre journaliste décrypte avec Alban Sciascia directeur de la société de conseil stratégique Semar Sentinel. ► À lire aussi : L'Indonésie achète 12 Mirage 2000 d'occasion dans l'attente de la livraison de Rafale
Le 16 juin dernier, un rapport de Google révélait la plus large campagne de cyberespionnage depuis 2021 par un acteur malveillant lié à la Chine. Un groupe de cyberattaquants, visiblement lié à l'État chinois, qui visait notamment des agences gouvernementales de plusieurs pays représentant un intérêt stratégique pour Pékin. Que sait-on exactement du cyberespionnage chinois ? Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégies d'influence » de l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire à Paris (IRSEM), répond aux questions de Joris Zylberman. À lire aussiBallons, pirates et caméras: quand les États-Unis et leurs alliés accusent la Chine d'espionnage
La guerre en Ukraine a relégué au second plan d'autres crises comme le terrible sort de la minorité musulmane des Rohingyas. En août prochain, cette communauté apatride commémorera la sixième année de son exode massif de Birmanie. Près d'un million de Rohingyas vivent, depuis, dans une prison à ciel ouvert, des camps tentaculaires et insalubres au sud du Bangladesh. Mayyu Ali, originaire de l'État de Rakhine, rescapé des massacres de 2017 et victime de persécution dans les camps de réfugiés au Bangladesh, a pu finalement s'exiler au Canada. Ce poète, écrivain et militant nous livre son histoire qui est aussi celle de son peuple. Mayyu Ali a été le témoin des pires violences et injustices contre sa famille et sa communauté, une minorité musulmane parmi les plus opprimées au monde. Il est né en 1991 à Maungdaw dans l'État de Rakhine à l'ouest de la Birmanie. En août 2017, la junte militaire mène une politique de la terre brûlée qui forcera plus de 700 000 personnes à l'exil.« À l'époque, je vivais dans le centre-ville de Maungdaw, mes parents étaient dans notre village », raconte Mayyu Ali. « J'ai reçu un appel de ma mère en pleurs. Elle me disait que notre maison et tout le village avaient été brûlés et qu'ils ont dû fuir dans un village voisin. Ensuite, les forces de sécurité sont arrivées à Maungdaw. Elles ont commencé à incendier les maisons, à tuer de manière indiscriminée, hommes, femmes, enfants et personnes âgées. »Mayyu Ali décide de suivre ses parents qui ont finalement dû fuir de l'autre côté de la frontière, à Kutupalong, au Bangladesh.« En prenant la fuite, j'ai vu un père Rohingya et sa petite fille abattus en pleine rue, leurs corps gisaient sur le sol », se souvient-il. « J'ai réussi à me frayer un chemin jusqu'au bois, puis le 6 septembre au soir, avec 14 autres personnes dont de nombreuses femmes et enfants, on est monté à bord d'un canot à rames, une toute petite embarcation. Pendant la traversée, il y avait beaucoup de vent, il faisait nuit noire. On a réussi à rejoindre l'autre rive le lendemain. Et j'ai pu retrouver mes parents dans le camp de réfugiés de Kutupalong. »L'écriture, entre exutoire et acte de rébellion pour MayyuIl y restera 4 ans. Le camp est surchargé. Il y règne un climat de peur et d'insécurité. Viols, trafics, meurtres, enlèvements. Mayyu travaille avec des ONG, des journalistes, son activisme dérange.« J'ai été la cible de groupes de militants, car je dénonçais des violations des droits humains, j'écrivais aussi et j'enseignais l'écriture aux jeunes réfugiés et comment défendre leurs droits. J'ai dû partir et je me suis longtemps caché dans la région pour échapper aux gangs qui étaient à mes trousses. Jusqu'à ce que, deux ans plus tard, j'obtienne un visa pour émigrer au Canada depuis 2021, avec mon épouse, en Ontario. »► À écouter aussi : Facebook, facteur de haine envers les RohingyasL'écriture est pour Mayyu un exutoire, un acte de rébellion aussi. À l'heure où, faute de dons suffisants, les rations alimentaires des réfugiés ont été réduites et où la région a été récemment durement frappée par un cyclone, Mayyu continue de témoigner, sans relâche, pour aider sa communauté, pour qu'elle ne soit pas oubliée.« Même avant les violences de 2012, nous subissions des restrictions et la discrimination. Je n'ai connu que ça, quasiment toute ma vie, des violences, des meurtres, des arrestations. Cela m'a poussé à écrire, car les médias étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans l'État de Rakhine, le monde ignore ce que vit ma communauté. Écrire permet d'informer la communauté internationale pour qu'elle nous aide à juger les responsables afin qu'ils répondent de leurs crimes. C'est devenu pour moi un acte de résistance », affirme Mayyu Ali.« Je continuerai à élever la voix pour mon peuple »Puis il poursuit : « Aujourd'hui, je suis libre ici au Canada pour la première fois de ma vie. Mais je ne pourrai pas jouir de cette liberté, tant que mes frères et sœurs vivront dans les camps de réfugiés à Cox's Bazar ou dans des camps de déplacés internes dans l'État de Rakhine où ils risquent d'être massacrés par la junte birmane. Nous sommes les rescapés d'un génocide. Je continuerai à élever la voix pour mon peuple ».Mayyu Ali appelle la France et les autres pays européens à se joindre à la plainte de la Gambie contre la Birmanie, pour génocide contre les Rohingyas, devant la Cour Internationale de Justice. Pendant ce temps, sur le terrain, rien n'a changé. Les Rohingyas continuent de vivre dans la peur et l'insécurité, privés de droits, de liberté de mouvement et de citoyenneté.► À lire aussi : Argentine: des Rohingyas témoignent dans une enquête sur les crimes présumés de l'armée birmane
Il y a cinq ans, le 12 juin 2018, Kim Jong-un acceptait de rencontrer Donald Trump. Et, l'espace de quelques mois, la communauté internationale s'est autorisée à penser que la Corée du Nord allait enfin sortir de son isolement, renoncer à l'arme nucléaire et revenir dans le concert des nations. Cinq plus tard, la réalité a repris le dessus. L'Occident ne sait pas parler avec Pyongyang et le régime nord-coréen ne renoncera jamais à son programme nucléaire. Au soir du 12 juin 2018, Donald Trump se présente devant les journalistes du monde entier réunis à Singapour. Il vient de s'entretenir en tête-à-tête avec Kim Jong-un, et pour lui, c'est une certitude, tous les voyants sont au vert : « Cette rencontre sans précédent, la première entre un président américain et un dirigeant nord-coréen prouve qu'un réel changement est possible. Nous venons de signer une déclaration commune par laquelle le président Kim réaffirme son engagement inébranlable en faveur d'une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne. Nous nous sommes aussi mis d'accord pour engager des négociations vigoureuses afin de mettre en œuvre cet accord le plus vite possible. Et il veut le faire. »C'est vrai, symboliquement, cette rencontre marque un premier pas. Mais en réalité, cet accord ne prévoit aucun calendrier précis, il ne dit pas non plus quels seraient les mécanismes de vérification, et surtout, la Maison-Blanche commet une magistrale erreur d'interprétation, car, à Pyongyang, la dénucléarisation de la péninsule coréenne n'a pas du tout le même sens qu'à Washington. « Les Nord-coréens ne reconnaissent pas la Corée du Sud comme un État souverain en tant que tel, pour eux la péninsule coréenne est occupée au sud par des forces coloniales qui seraient américaines, rappelle la spécialiste Raphaëlle Pierre. À leurs yeux, la dénucléarisation totale implique que les États-Unis ne doivent plus être présents sur la péninsule pour que cela puisse se réaliser. »Kim Jong Un fait tout de même un premier geste, il annonce la fermeture du site d'essais nucléaires de Punggye-ri, dans le nord-est du pays, mais pas question d'aller plus loin. C'est donnant-donnant, martèle les Nord-Coréens : si les États-Unis veulent que ce dossier avance, il faut qu'ils lèvent, au moins partiellement, leurs sanctions économiques. C'est le sens de l'allocution rarissime prononcée par Ri Yong Ho, le patron de la diplomatie nord-coréenne, qui acte l'échec du sommet de Hanoï, au Vietnam, le 28 février 2019. « À ce jour, dit-il, 11 résolutions de l'ONU visent la Corée du Nord. Nous avons demandé le retrait de cinq d'entre elles, qui entravent le bon fonctionnement de l'économie civile et les conditions de vie de notre peuple. En échange, nous nous tenions prêts à démanteler l'ensemble des installations de production nucléaire de Yongbyon, incluant le plutonium et l'uranium, en présence d'experts américains. Mais lorsque les États-Unis ont exigé une concession supplémentaire, il est devenu évident que cette proposition n'avait plus de raison d'être. » En d'autres termes, la Corée du Nord a le sentiment de faire son maximum, et il apparaît très vite qu'elle ne comprend plus le logiciel américain, car Washington se montre incapable, souligne Raphaëlle Pierre, de proposer un contre-scénario crédible : « Le mot-clé, c'est la réciprocité. Pour les Coréens, par rapport à ce qu'ils ont mis eux sur la table, la délégation américaine et l'administration Trump, que ce soit lors des sommets ou hors des sommets, n'a pas réussi à leur proposer quelque chose de substantiel ».Un an et demi après la poignée de main de Singapour, la rupture est consommée. Le 1er janvier 2020, Kim Jong-un annonce la fin du moratoire sur les essais de missiles balistiques et la remontée en puissance du programme nord-coréen. Il n'y aura plus de retour en arrière, car l'an dernier (), la Corée du Nord a réinscrit dans sa loi ce que tout le monde avait compris : nous sommes un État nucléaire, c'est irréversible, il va falloir faire avec.
Chaque année depuis 1989, le 4 juin est une date ultrasensible en Chine. Il est toujours interdit d'évoquer le massacre qui a eu lieu cette nuit-là sur la place Tiananmen à Pékin et qui a mis fin à un important mouvement étudiant pour la démocratie. En France, de jeunes Chinois se mobilisent : ils commémorent les victimes et disent aussi « stop » au régime toujours plus répressif du président Xi Jinping. Rencontre de deux jeunes Chinois qui organisent ce dimanche une manifestation à Paris. Du « printemps de Pékin », ces quelques mois pendant lesquels des millions d'étudiants en Chine osaient rêver de démocratie. Luxi, qui à l'époque n'avait qu'une dizaine d'années, a gardé ce souvenir : « Pour moi, à l'époque, c'était comme une grande fête. Tout le monde était dans la rue, tout le monde parlait librement. C'était nouveau pour moi. En Chine, on a une éducation. Tu ne vas jamais critiquer les professeurs, tu ne vas jamais critiquer les parents, et tes parents ne critiquent jamais le gouvernement. C'était la première fois que j'entendais les adultes mettre en doute l'autorité. Tout le monde était content, à Pékin, c'était une grande fête. »Mais tout bascule dans la nuit du 3 au 4 juin : l'armée ouvre le feu sur les occupants de la place Tiananmen. Des chars écrasent le mouvement pro-démocratie dans le sang. « Avant, pour moi, les étudiants étaient des héros, raconte Luxi, mais les parents nous disaient qu'ils étaient manipulés par des forces étrangères. Je ne comprenais pas, je continuais de poser des questions, mais mes parents ne voulaient plus parler de ça, en disant "ça ne te regarde pas, tu es petite, il faut penser à autre chose". » La peur au ventre La dessinatrice, qui vient de publier la bande dessinée Les enfants du rêve chinois, vit en France. Ici, elle peut enfin briser le tabou et rendre hommage aux victimes du massacre. Même si elle l'avoue : c'est avec la peur au ventre. « C'est notamment la peur parce qu'on a toujours nos familles en Chine. Pour moi, c'est surtout ma famille, mes proches. Il y a 10 ans, j'aurais eu moins peur, mais aujourd'hui, j'ai plus peur en fait. » ► À écouter aussi : Massacre de Tiananmen du 4 juin 1989: la mémoire verrouillée des PékinoisLuxi cachera son visage derrière un masque pour ne pas être repérée par des agents chinois. Elle manifestera contre le régime toujours plus répressif de Xi Jinping. Chiang, étudiant à Paris, sera, lui aussi, dans la rue : « La situation est très grave, je travaille dans le cinéma, je suis artiste, et je trouve qu'on a de moins en moins d'espace de liberté en Chine. On ne peut plus s'exprimer, et même des critiques très modérées ne sont plus tolérées. Puis, il y a la répression des Ouïghours, des Tibétains, tout ça est très grave. Voilà pourquoi il faut dire non au gouvernement chinois. » « On est là pour le principe, pas pour le résultat »Pendant longtemps, les défenseurs des droits de l'homme et les vétérans du mouvement pro-démocratie étaient bien seuls à commémorer le massacre de Tiananmen. Mais l'interdiction de la traditionnelle veillée aux bougies à Hong Kong en 2020 a changé la donne. Puis, en novembre dernier, il y a eu en Chine les manifestations contre la politique « zéro Covid » et ses restrictions à outrance qui ont donné un coup d'accélérateur à la mobilisation des Chinois de l'étranger : « Il y a toujours eu de petites manifestations ici, se rappelle Chiang. Nous, ça fait déjà trois fois qu'on a organisé un rassemblement. Mais depuis la "Révolution A4" en Chine, celle aux feuilles blanches, des Chinois se mobilisent un peu partout dans le monde. Ça a pris de l'ampleur. » Les étudiants de Tiananmen '89 – un exemple à suivre ? Chiang et Luxi l'affirment. La dessinatrice voit dans cette manifestation un devoir moral nécessaire, mais n'est pas dupe quant à son impact réel : « Oui, ça nous inspire, c'est un modèle. Aujourd'hui, on est moins optimiste par rapport à l'époque, c'est pourquoi on n'est pas nombreux, mais on est là pour le principe, pas pour le résultat. » Ce dimanche, ils rendront hommage aux victimes du 4 juin 1989 devant la fontaine Saint-Michel à Paris, avant de participer à une cérémonie organisée par l'association Solidarité Chine.► À lire aussi : Hong Kong: les trois organisateurs d'une veillée pour Tiananmen reconnus coupables d'«obstruction»
Des négociations internationales pour lutter contre la pollution plastique reprennent ce lundi 29 mai à Paris sous l'égide des Nations unies. 175 pays se sont engagés à parvenir à un traité international juridiquement contraignant d'ici 2024. Les enjeux sont énormes pour l'Asie. Les plastiques connaissent une croissance exponentielle depuis les années 1950 et devraient tripler d'ici 2060. Entretien avec Tim Grabiel, avocat au sein de l'Agence d'investigation environnementale (EIA). RFI : Pourquoi les négociations qui s'ouvrent ce lundi sont-elles primordiales ?Tim Grabiel : Les plastiques contiennent plus de 13 000 produits chimiques. Certains sont connus pour être toxiques et dangereux, et sont réglementés au niveau national. Mais il n'y a pas d'approche globale. L'impact sur la biodiversité est énorme. Ce qui est préoccupant, c'est que l'on ne sait pas exactement ce que cela implique si nous n'agissons pas rapidement. Nous n'avons pas de chiffre lié au plastique qui nous permette de savoir à quel point notre planète sera différente de celle dont nous avons hérité. Mais il y a des indications selon lesquelles nous avons atteint les limites de notre Terre. Jusqu'à quand pourra-t-elle encaisser cette quantité de pollution ? Si rien ne change, l'état de la planète ne fera qu'empirer.En ce qui concerne les pays de l'Asie du Sud-Est, quelle est la gravité de la situation ?Ce sont eux qui reçoivent une grande partie de la pollution plastique sur leurs côtes, sans qu'ils en soient responsables. Ils considèrent donc qu'il s'agit d'une question essentielle qui doit être abordée non seulement par des mesures telles que la gestion des déchets, mais aussi par des mesures plus en amont, telles que la production et la consommation de plastiques en général. Nous aimerions voir une approche globale, afin de réduire réellement notre production de plastique et, pour le plastique que nous utilisons, de l'utiliser à bon escient et de manière à promouvoir l'économie circulaire. Ce qui réduira le fardeau dont ces pays asiatiques souffrent. Et cela contribuera à nettoyer leurs plages. Cela contribuera à soutenir le tourisme et la gestion des pêcheries locales, sans oublier l'aspect climatique. Les plastiques sont fabriqués à 99% à partir de combustibles fossiles. En agissant de la sorte, nous nous alignerons sur nos objectifs en matière de climat.Il y a deux camps, deux façons de penser différentes lors de ces négociations pour aboutir à un traité international sur la pollution plastique. Quel sera le principal enjeu lors des discussions pour ces pays asiatiques ?D'une part, nous devons réduire la complexité du problème, ce qui signifie que nous devons éliminer les produits chimiques préoccupants, ceux qui sont toxiques et dangereux et pour lesquels il existe des substituts. Nous aurons un sous-ensemble plus petit de produits chimiques utilisés que nous pourrons gérer plus facilement. En ce qui concerne les plastiques que nous utilisons déjà, ils sont produits en des volumes tellement importants qu'il n'y a aucune chance que nous puissions nous sortir de ce problème aisément. Donc tout en réduisant la complexité du problème, nous devons en réduire la taille, et c'est ce que l'on appelle communément les limites de la production et de la consommation. Et je pense que le grand défi réside dans le fait que certains pays ne veulent en aucun cas limiter leur production de plastique. Et l'idée que nous puissions avoir des limites convenues au niveau international est une chose contre laquelle ils font pression. Mais c'est probablement là que réside la mesure la plus importante que nous puissions prendre. En effet, elle a de telles implications pour tout ce qui se passe en aval, que ce soit la conception des produits, notre utilisation excessive du plastique, ou bien notre capacité à gérer ce que nous utilisons. Si nous n'imposons aucune limite, nous ne pourrons jamais parvenir à une économie circulaire pour les plastiques. Avec un tel volume de plastique mis sur le marché chaque année, il est tout simplement impossible de disposer de l'infrastructure nécessaire pour le collecter et le traiter séparément.► À lire aussi : Pollution plastique: la Californie ouvre une enquête sur le rôle de l'industrie pétrochimique
Comment encourager ses parents à témoigner et raconter l'indicible, avant qu'il ne soit trop tard ? Comment recoller les morceaux des histoires familiales fragmentées des survivants, pour reconstituer la mémoire collective et la transmettre aux générations futures ? Sun Lay Tan, journaliste et militant associatif, lance un appel à témoins. Il est l'initiateur de Fragments KH50, un projet ambitieux à caractère scientifique, culturel et mémoriel, basé sur trois piliers : une plateforme web, un film documentaire et un monument érigé en hommage aux victimes des Khmers rouges.
Il y a dix jours, l'Ouzbékistan a dit oui à sa nouvelle Constitution. Un texte écrit sur mesure par et pour le président ouzbek, Chavkat Mirzioïev, qui va lui permettre de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Où est passé celui que l'on présentait à ses débuts comme un réformateur acharné, qui voulait à tout prix transformer son pays ?
Dans la région autonome du Xinjiang, la Chine a poussé la surveillance de masse à l'extrême. Déjà depuis 2017, Human Rights Watch documente les crimes contre l'humanité commis dans cette région. Dans une nouvelle étude, l'ONG illustre comment - grâce à des technologies sophistiquées - la police bafoue les droits des Ouïghours et d'autres minorités turciques et musulmanes, au nom de la lutte antiterroriste. Maya Wang, chercheuse spécialiste de la Chine à HRW, décrypte les méthodes employées par les autorités. RFI: Votre nouveau rapport apporte-t-il la preuve qu'au Xinjiang, il suffit d'écouter des sourates du Coran sur son téléphone pour être arrêté ?C'est ça. Nous avons analysé scientifiquement une base de données dont la police se sert. Cette nouvelle investigation démontre que les autorités considèrent l'enregistrement de prêches et de récitations du Coran comme étant dangereux et extrémiste. Nous l'avons identifié dans l'une de leurs bases de données officielles, et nous comprenons désormais comment la surveillance fonctionne.Que contient cette base de données à laquelle vous avez pu avoir accès ?Nous avons examiné une liste de 50 000 fichiers qualifiés de violents ou d'extrémistes par la police. 9% de ces fichiers incluent en effet des contenus violents, comme par exemple des égorgements. 4% contiennent des appels à la violence. Mais cela reste une toute petite proportion. Plus de la moitié, 57%, ne sont que de simples textes religieux y compris des récitations du Coran, qui n'ont rien d'extrémiste ou de violent.Aux yeux de la police chinoise, les termes « violent » ou « extrémiste » signifient quoi exactement ?C'est précisément ça, le problème en Chine et particulièrement au Xinjiang. Le gouvernement chinois dit lutter contre le terrorisme et l'extrémisme. Mais ces termes sont vastes. Déjà, si vous critiquez le gouvernement, on peut vous accuser d'être un extrémiste. Les lois antiterroristes sont formulées de manière extrêmement vague en Chine. Mais au Xinjiang, les autorités vont même au-delà de ces lois et agissent souvent de manière illégale. Sous la bannière de la lutte antiterroriste, quasiment tout est considéré comme du terrorisme.Peut-on dire que le smartphone facilite un espionnage totalitaire des citoyens ?C'est ce que notre étude démontre. Le smartphone est devenu le meilleur moyen de surveiller la population. Ce qui est choquant dans notre enquête, ce sont aussi l'ampleur et la rapidité avec lesquelles les policiers savent analyser tout le contenu des téléphones. À Urumqi, la capitale (3,5 millions d'habitants), ils ont examiné 1,2 million de téléphones pas moins de 11 millions de fois en seulement neuf mois. Imaginez combien d'agent serait nécessaire pour le faire manuellement ! Mais les nouveaux systèmes de surveillance de masse automatisés permettent de vérifier de façon très rapide le contenu de votre portable. On peut réprimer une société avec des moyens techniques simples et sophistiqués. À chaque fois, l'État pousse plus loin. À chaque étape, on éradique davantage la liberté d'une façon très intrusive.Human Rights Watch réclame une enquête internationale et indépendante au Xinjiang, mais comment convaincre la Chine de l'accepter ?En octobre dernier, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a voulu voter une résolution pour discuter de la situation au Xinjiang. Mais cela a échoué, car trop d'États étaient contre. Mais nous espérons que lors des prochaines sessions, à partir de juin, des gouvernements comme celui de la France, se mettent à la tête du mouvement pour demander une résolution, pour discuter et pour établir un mécanisme qui permettra de scruter les abus des droits de l'Homme commis par la Chine, surtout au Xinjiang. C'est faisable, la question est juste s'il y a la volonté pour le faire au sein du Conseil des droits de l'Homme. ► À lire aussi : Chine: le journaliste citoyen Fang Bin libéré après trois ans de détention
La température de l'air a augmenté de plus d'un degré depuis le début du XXe siècle ce qui provoque une fonte des glaciers dont les conséquences pourraient être dantesques d'ici la fin du siècle. Entretien avec Patrick Wagnon, glaciologue à l'Institut des géosciences de l'environnement de Grenoble. Les deux tiers des glaciers de l'Himalaya et de l'Hindou Kouch pourraient fondre d'ici 2100 si la planète restait sur la même trajectoire d'émissions de gaz à effet de serre, avec des conséquences dramatiques pour les millions d'habitants qui dépendent des ressources en eau jusqu'ici fiables. Près de 60 millions de personnes vivant autour de l'Himalaya souffriront de pénuries alimentaires dans les décennies à venir, alors que les glaciers rétrécissent et que les sources d'eau dont ils dépendent pour arroser leurs cultures se tarissent.► À lire aussi : À la Une: l'Asie suffoque sous une «chaleur extrême» alimentée par le réchauffement climatique
Le 24 avril 2013, un immeuble situé dans les faubourgs ouest de Dacca, s'effondre. Le bâtiment de huit étages abritait six usines textiles. Le bilan est effroyable : 1 138 ouvriers sont morts et plus de 2 000 blessés. Jusqu'à aujourd'hui, l'accident du Rana Plaza est l'accident le plus grave jamais répertorié dans l'industrie de l'habillement. La tragédie, qui était le résultat d'une succession de négligences, a mis en lumière la corruption des fonctionnaires locaux, le non-respect des normes élémentaires de sécurité et de nombreuses autres défaillances.Pour éviter de telles catastrophes, quels progrès ont été réalisés depuis ? Entretien avec Nayla Ajaltouni, déléguée générale du collectif « Éthique sur l'étiquette ».RFI : Nayla Ajaltouni, dix ans après la tragédie du Rana Plaza, qu'est-ce qui a véritablement changé en termes de droit du travail et de la sécurité au travail ? Nayla Ajaltouni : Une des avancées majeures a eu lieu en termes de sécurité des bâtiments suite à cet effondrement, c'est-à-dire que rapidement après le drame, les grandes multinationales de l'habillement ont été poussées par la société civile à signer un accord contraignant qui les oblige à rénover des usines et à faire des inspections. Les entreprises ont signé l'accord, qu'on a appelé l'accord Bangladesh, qui est désormais un accord international qui a permis de réaliser plus de 30 000 inspections dans les usines, de couvrir près de 1 600 usines, c'est-à-dire à peu près la moitié du parc fournisseur du pays, et qui a permis de mettre aux normes ces usines donc, pour que les travailleurs ne soient plus en danger. La limite, c'est que chaque cinq ans, chaque trois ans, il faut renouveler cet accord, et que depuis 2021, on peine à faire en sorte que toutes les multinationales de l'habillement acceptent de continuer de signer cet accord, qui va être étendu à des pays comme le Pakistan, où on a les mêmes problèmes systémiques de mise en danger des travailleurs, ce qui prouve bien qu'il faut passer par des régulations contraignantes, et plus uniquement ce type d'accord. Et pourquoi cette hésitation du côté des grandes marques ? Je pense que très clairement, depuis des années, on a un modèle économique dans l'habillement qui est fondé sur la production à extrêmement bas coût, dans des pays dans lesquels soit il n'y a pas d'État de droit, soit les droits sociaux sont bafoués, et qu'il n'y a pas d'obligations imposées aux grandes sociétés multinationales de faire fabriquer leurs vêtements dans des conditions où il y a des salaires corrects. Donc c'est vraiment l'impunité, l'absence de règles contraignantes, et l'absence de responsabilité juridique entre ces multinationales et leurs chaines de sous-traitance. Y a-t-il eu des progrès en termes de salaires, d'horaires de travail ou encore de libertés syndicales ? Malheureusement, le Bangladesh reste un eldorado pour la production à très bas coût et à très bas salaires. Les travailleuses et travailleurs bangladais, dans l'habillement notamment, continuent à être sous-payés, et à être une main d'œuvre exploitée. Ils gagnent aujourd'hui autour de 8 000 takas en moyenne, c'est-à-dire un peu moins de 70 euros, et les syndicats réclament une augmentation de salaire entre 22 000 et 25 000 takas, et ça ce serait le niveau qui serait vital, qui serait acceptable pour ces travailleurs, pour qu'ils puissent vivre dignement du fruit de leur travail. Ce qui n'a pas évolué non plus, c'est les horaires démesurés de travail, le travail 7 jours sur 7, et puis la violation de la liberté syndicale, puisque l'État du Bangladesh est aussi un État complètement défaillant, et empêche les travailleurs de s'organiser en syndicat pour défendre leurs droits, donc je dirais qu'en matière de droits fondamentaux au travail, on est encore dans des conditions d'exploitation même s'il y a des mobilisations permanentes et une solidarité internationale qui s'accroit sur ces questions. Est-ce que vous diriez que les habitudes des consommateurs en Occident ont véritablement changé ? Est-ce qu'il y a une prise de conscience de ce que vivent les travailleurs au quotidien dans les pays en voie de développement ? Il y a une prise de conscience des citoyens manifeste, mais ça ne se traduit pas encore dans les comportements de consommation, pour un tas de raisons. Les grandes enseignes de fast fashion continuent de communiquer sur le fait qu'elles produisent dans des conditions responsables, alors que les consommateurs n'ont aucun moyen de vérifier ces exercices de communication. Tout l'enjeu aujourd'hui, c'est de développer cette offre, et là, c'est la responsabilité des pouvoirs publics, c'est-à-dire d'aider les consommateurs à pouvoir consommer autrement, en sanctionnant les modèles irresponsables, en sanctionnant les modèles de surproduction, la fast fashion, l'exploitation des travailleurs, et c'est pour ça qu'il faut passer par des lois contraignantes au niveau international.
En Thaïlande, l'opposition caracole en tête des sondages pour les législatives prévues le 14 mai prochain. Mais depuis le putsch militaire en 2014, l'armée a changé les règles du jeu politique en sa faveur. Ce scrutin doit déterminer si la deuxième économie de l'Asie du Sud-Est arrive enfin à sortir de l'ornière qui paralyse le pays. La campagne électorale bat son plein dans les rues de Bangkok, et comme à chaque fois depuis plus de 20 ans, deux mastodontes politiques s'affrontent. D'un côté, on trouve le tout-puissant clan militaro-royaliste, de l'autre celui du principal parti d'opposition Pheu Thai de l'ex-Premier ministre et milliardaire en exil Thaksin Shinawatra. La question cruciale qui se pose aux 52 millions d'électeurs : « Est-ce qu'on va enfin sortir de ce face à face entre l'armée et le clan Shinawatra ? », pose ainsi Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie de l'IFRI. « De façon habile, Thaksin a nommé sa fille. Ce face à face qui ne permet pas aux partis alternatifs, aux jeunes comme Move Forward de vraiment prendre leur place sur l'échiquier politique nationale. »Le parti Move Forward espère faire carton plein chez les jeunes pro-démocratie qui sont descendus en masse dans la rue en été 2020. Mais réussira-t-il à renverser la table pour établir, aux côtés du parti Pheu Thai, un gouvernement plus démocratique ?Sunai Phasuk, représentant à Bangkok de l'ONG Human Rights Watch, craint que beaucoup de jeunes bouderont les urnes : « Les jeunes électeurs sont frustrés, ils sont très malheureux avec la politique thaïlandaise si peu démocratique. Ils veulent des changements, une transition vers une véritable démocratie. Le défi pour les partis pro-démocratie est donc de les convaincre qu'une façon d'y arriver est de participer aux élections. Il faut les convaincre que malgré les défauts, malgré un système électoral biaisé, il peut y avoir des changements, à condition qu'ils aillent voter en masse. »Une Constitution favorable au général PrayutAu pouvoir depuis un putsch militaire en 2014 et légitimé en 2019 par des législatives controversées, l'actuel Premier ministre, l'impopulaire général Prayut, peut compter sur une constitution façonnée à sa guise : « L'armée a mis en place tout un mécanisme qui lui permet de garder le contrôle et notamment cette fameuse Constitution de 2017 impose que le Premier ministre soit nommé à la fois par les députés et les 250 sénateurs qui sont eux nommés par le pouvoir », rappelle Sophie Boisseau du Rocher. « La question est de savoir : est-ce que ces sénateurs pourraient aller à l'encontre des intérêts de l'armée ? »C'est peu probable. En 2019, aucun sénateur n'a voté contre les militaires. Cette fois encore, seul un raz de marée permettrait à l'opposition de nommer le Premier ministre. « Il lui faudra gagner plus de 376 sièges sur les 500 pour contourner le vote des sénateurs. C'est un énorme défi. C'est un système électoral pourri jusqu'à l'os qui permet au général Prayut de continuer à gouverner le pays, peu importe son résultat aux élections. »Aux électeurs, il ne restera peut-être que la rue pour exprimer leur mécontentement, prédit Sophie Boisseau du Rocher : « La voix populaire n'est jamais entendue. Aujourd'hui, le sentiment général est que, s'il y a trop d'abus, de manipulations excessives, est-ce que la population va descendre à nouveau dans la rue ? C'est une question ouverte ! La voix populaire n'est jamais entendue. »
La culture du riz, principal aliment de base en Asie, est responsable d'environ 10% des émissions mondiales de méthane, un gaz qui, en deux décennies, retient environ 80 fois plus de chaleur que le dioxyde de carbone. Normalement associé aux vaches, le méthane est également généré par des bactéries qui se développent dans les rizières inondées et qui prospèrent si les résidus de paille restent pourrir dans les champs après la récolte. ► À écouter aussi : Élevage: comment réduire le méthane entérique des vachesLe marché carbone scruté depuis l'espace
D'un côté, la Chine, deuxième puissance mondiale. De l'autre, Taïwan, qui ne veut pas devenir une région chinoise. Et qui, pour exister sur la scène mondiale, a besoin d'alliés. En tournée en Amérique centrale, la présidente Tsai Ing-wen va plus que jamais devoir rassurer et cajoler deux petits pays, le Bélize et le Guatemala, qui sont les derniers États de la région à reconnaître officiellement l'existence de son pays. Il se murmure qu'un gros chèque serait passé par là… Dix milliards de dollars. Voilà le prix du Honduras qui a retourné sa veste quelques semaines avant le voyage de Tsai Ing-wen en Amérique centrale. Nouer des relations diplomatiques avec la Chine et couper ses liens avec Taïwan, au jeu de la diplomatie du chéquier, les autorités chinoises sont imbattables. Et leur stratégie fonctionne ! Petit à petit – Costa Rica en 2017, Salvador en 2018, Nicaragua en 2021, Honduras en 2023 –, les alliés de Taïwan quittent le navire. Et, face au rouleau compresseur chinois, on en vient même à se demander ce qui les retient. Quel discours Tsai Ing-wen va-t-elle bien pouvoir tenir aux dirigeants du Bélize et du Guatemala pour les convaincre de rester dans le giron taïwanais ?« En gardant un lien diplomatique avec Taïwan, ils assurent aussi un lien très fort avec les États-Unis, observe Jean-Yves Heurtebise, maître de conférences à l'Université catholique de Fulan, à Taïwan. Quand un pays comme le Honduras fait volte-face ou reconnaît la République populaire de Chine, il peut s'attendre à recevoir moins de soutien par ailleurs des États-Unis et, malgré tout, il y a aussi pour eux une forme de vitrine diplomatique et démocratique. En restant du côté de Taïwan, on manifeste son soutien à la démocratie, on manifeste son soutien à un régime politique ouvert. Pour un dirigeant de l'opposition, quand le gouvernement se place du côté de la Chine, il sait que sa représentativité démocratique va être menacée. Le lien entre un pays qui reconnait officiellement Taïwan et, à l'intérieur du pays, le degré de démocratie, et donc le degré de possibilité pour l'opposition de continuer à exister, c'est quelque chose qui est presque prouvé empiriquement. »► À lire aussi : Chine: pourquoi le Honduras n'a-t-il d'autre choix que de rompre avec Taïwan ?Il y a cinquante ans, 71 pays reconnaissaient l'existence souveraine de Taïwan ; ils ne sont plus que 13 aujourd'hui. Mais le diable se niche dans les détails. Penchez-vous sur l'activité diplomatique taïwanaise, et vous constaterez que presque chaque semaine, une délégation étrangère est reçue à Taipei. Il y a quelques jours, ce sont 150 personnalités tchèques qui ont fait le déplacement. Et c'est symptomatique, souligne Jean-Yves Heurtebise. Depuis trois ou quatre ans, à mesure que certains États lui tournent le dos au profit de la Chine, Taïwan n'a jamais reçu autant de déclarations d'amour informelles. Et ces cartes postales sont très souvent venues de pays d'Europe de l'Est.« Une des choses principales, c'est que la Chine est arrivée vers ces pays de l'Est avec toute une série de projets, de financements, qui en réalité n'ont jamais vraiment vu le jour. En plus, évidemment, entre-temps, il y a eu la nouvelle glaciation des relations entre la Chine et les États-Unis et, cerise sur le gâteau, le rapprochement entre la Chine et la Russie, rappelleJean-Yves Heurtebise. Et on ne peut pas dire que les pays d'Europe de l'Est soient très amis avec la Russie. Donc, à partir du moment où on a une amitié sans limites entre ces Xi Jinping et Vladimir Poutine et que je suis la Pologne ou la Lituanie, forcément je ne vais pas regarder la Chine de la même manière. Xi Jinping rend visite à quelqu'un qui est déclaré maintenant comme potentiellement un criminel de guerre. Au départ, on avait l'idée que la Chine allait permettre la paix entre l'Ukraine et la Russie, plus personne n'en parle maintenant. On pensait, quand il était en Russie, il ferait un coup de fil au président ukrainien, ça ne s'est pas passé non plus. »► À écouter aussi : Taïwan, Pékin et Washington, le trio infernal ?Pour l'instant, pas de quoi s'affoler, mais Tsai Ing-wen n'est pas éternelle. En vertu de la Constitution taïwanaise, elle ne pourra pas se représenter à l'élection présidentielle de janvier 2024 et son parti est en perte de vitesse. Qui sait si son successeur cherchera lui aussi l'appui de la communauté internationale face aux assauts de Pékin ?
Tensions autour de Taiwan, contentieux en mer de Chine méridionale et orientale.... Pour contrer les ambitions chinoises, les alliés asiatiques de Washington multiplient les manœuvres et partenariats. Les Philippines occupent à ce titre une place géostratégique de premier plan dans la guerre d'influence que se livrent les États-Unis et la Chine. Mi-avril, Washington et Manille vont lancer leurs plus grandes manœuvres militaires conjointes. Quatre bases philippines vont de nouveau accueillir des militaires américains, près de 30 ans après leur rétrocession.Entretien avec Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l'IRIS, spécialiste des questions stratégiques en Asie.
Comment vit-on sous une surveillance permanente, sans le droit de s'exprimer librement et avec la peur d'être dénoncé à tout moment ? Zhang Zhulin en témoigne. Dans son livre La société de surveillance made in China (éditions de l'Aube), ce journaliste français d'origine chinoise dénonce une mainmise autoritaire qui ne s'arrête pas aux frontières chinoises et dont est aussi victime la diaspora des Chinois de France.
La tension monte entre la Chine et le reste du monde à propos du réseau social TikTok. En cause notamment, la collecte de données et la sécurité nationale. Il faut prendre en compte le contexte géopolitique, mais plus encore, la lame de fond depuis des années, le sujet de la cybersécurité. La confidentialité des données stratégiques est devenue une priorité énorme des États comme des entreprises. Il y a donc une réelle prise de conscience et une montée en puissance des enjeux de la cybersécurité qui ont poussé aux récentes décisions par rapport à TikTok. Yosra Jarraya, co-fondatrice d'Astrain, une société qui édite un logiciel de confidentialité des données dans le Cloud, explique cependant que l'espionnage, vieux comme le monde, se pratique de tous bords.
Douze ans après la catastrophe de Fukushima, l'opérateur de la centrale nucléaire se prépare à déverser plus d'un million de tonnes d'eau contaminée dans l'océan Pacifique. Le projet inquiète les pêcheurs et provoque la colère des voisins du Japon. Entretien avec Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en charge du pôle santé et environnement, et Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace France.
Le « greenwashing » a le vent en poupe. Les entreprises vantent leurs actions climatiques, mais leurs promesses sont souvent loin de la réalité. Parmi les 50 plus grands émetteurs de CO2 mondiaux, le cimentier suisse Holcim est ciblé par une plainte inédite en Indonésie. Quatre habitants de l'île Pulau Pari accusent le géant du béton de mettre leur vie en péril. Une affaire qui pourrait devenir un cas d'école, car Holcim, qui a cédé ses activités en Indonésie en 2019, est visé pour ses dégâts causés dans le monde entier. C'est un combat dans la veine de David contre Goliath. Une petite île défie le numéro un mondial du béton. Selon Edi, l'un des quatre plaignants, Holcim est responsable de la montée des eaux qui menace les 1 500 habitants de Pulau Pari : « Nous serons forcés de quitter notre île. À cause des inondations récurrentes, nous avons peur de rester ici avec nos enfants. Notre vie est en danger. Qu'allons-nous devenir si les eaux continuent à monter ? » L'année dernière, Pari, qui vit de la pêche et du tourisme, a été inondée cinq fois. L'eau a déjà grignoté 11 % de la surface de l'île et détruit petit à petit les terres de Pak Arif : « J'ai subi d'importants dégâts. L'eau est arrivée dans la cour de ma maison et elle a détruit le mur d'enceinte. L'eau potable est de plus en plus dure à trouver, car l'eau salée a pollué nos puits. Beaucoup d'arbres fruitiers sont déjà morts, et il n'y a déjà presque plus de papayes et de bananes. Le sel fait aussi rouiller nos motos. » « 7 milliards de tonnes de CO2 rejetées depuis 1950 »À long terme, Pulau Pari risque de disparaître. Une conséquence directe des émissions de CO2 du cimentier Holcim, selon Yvan Maillard, le responsable « justice climatique » de l'ONG Entraide protestante suisse. Elle défend les plaignants, aux côtés de deux autres ONG.« Holcim est coresponsable du changement climatique. Il fait partie des 50 plus gros pollueurs du monde. Holcim a rejeté 7 milliards de tonnes de CO2 depuis 1950, cela correspond à 0,5 % de toutes les émissions industrielles de CO2. Et cela fait de Holcim l'un des plus grands pollueurs au niveau mondial. » Les plaignants réclament une indemnisation de 14 000 euros pour les dommages causés. Ils veulent aussi planter des mangroves et des murs protégeant les rivages. Une somme certes dérisoire pour une multinationale, mais une somme qui créerait un précédent… et ça, le cimentier suisse veut l'éviter.Sollicitée, l'entreprise nous a répondu : « Nous ne pensons pas que des poursuites en justice ciblant des entreprises individuellement soient un mécanisme efficace pour s'attaquer à la complexité globale de l'action pour le climat. » Holcim, deuxième entreprise attaquée en justice par des victimes du changement climatiqueHolcim dit vouloir devenir une entreprise à zéro émission nette de CO2 à l'horizon 2050. Trop tard, estiment les habitants de Pulau Pari. Il faut demander des comptes aux grands pollueurs dès à présent, estime aussi Yvan Maillard, une façon d'ouvrir la voie à d'autres victimes du dérèglement climatique : « Nous soutenons cette action de quatre Indonésiens et Indonésiennes. L'objectif est bien sûr de créer un précédent. L'objectif est aussi d'avoir des tribunaux qui se penchent sur cette question des dommages qui sont causés par le changement climatique… et qui doit payer pour ces dommages. Ce qui est aussi très important, c'est que les tribunaux se prononcent sur cette question : à quelle vitesse ces grands pollueurs doivent-ils réduire leurs émissions en CO2 ? »Holcim est seulement la deuxième entreprise dans le monde à être attaquée en justice par des victimes du changement climatique. L'autre est le géant allemand de l'énergie RWE, poursuivie par un paysan péruvien dont les terres risquent d'être englouties par le lac Palcacocha, gonflé par la fonte des glaces.
Il y aurait plus de 900 caméras chinoises installées dans tous les lieux de pouvoir australiens : ministères régaliens, au Parlement, dans les administrations... Des technologies qui font craindre un système d'espionnage à grande échelle. Car ces produits sont fabriqués par des entreprises liées au gouvernement de Pékin. L'Australie va-t-elle, à l'image des États-Unis, interdire purement et simplement le commerce de ces produits sur son territoire ?
En 2015, Luxi, étudiante chinoise en cinéma à Paris, décide de partir dans son pays natal avec son copain français pour y réaliser son documentaire de fin d'études sur sa copine, Fanfan, professeure des écoles et lesbienne dans une région rurale très pauvre. La bande dessinée Les enfants du rêve chinois raconte le making-off dont les images ont été confisquées par les autorités chinoises lors du tournage. Dans l'impossibilité d'aller au bout de son projet, Luxi a décidé d'en faire une BD. L'auteur met en exergue les problématiques de la société chinoise rurale, la répression, le conformisme et le durcissement politique du régime.► À lire aussi : En Chine, des manifestants de novembre dernier formellement inculpés
Dix ans après l'enlèvement d'un des plus influents défenseurs des droits de l'homme au Laos, la société civile internationale ne veut pas l'oublier. Ses proches et de nombreuses ONG continuent d'interpeller le gouvernement laotien pour qu'il mène une enquête indépendante et fournisse des informations crédibles sur son sort. Shui Meng, l'épouse de Sombath Somphone, s'exprime sur sa longue quête de vérité et de justice et dresse un bilan sombre de la situation des droits de l'homme au Laos. Shui Meng : Cela fait maintenant dix ans que je n'ai aucune nouvelle, je suis face à un mur. Je continue à me demander ce qui a pu lui arriver. Jusqu'à présent, je n'ai obtenu aucune réponse des autorités. RFI : Le jour de sa disparition le 15 décembre 2012 à Vientiane, Sombath est arrêté devant un poste de police pour un banal contrôle routier avant d'être emmené quelques minutes plus tard par des inconnus dans une fourgonnette blanche. La scène, de ce qui ressemble à un enlèvement par des hommes en civils, a été filmée par une caméra de vidéosurveillance. Ce sont les dernières images de lui avant sa disparition. La police a effectivement reconnu l'avoir interpellé, mais ils m'ont dit ne pas savoir ce qui lui était arrivé ensuite. Dans un premier rapport publié après la disparition de Sombath, la police a promis d'enquêter, mais à mesure que le temps passait, la version a commencé à changer. Prétextant des images de piètre qualité, ils se sont mis à douter que la personne sur les images était bien Sombath. En fait, plus le temps passait et plus la police s'enfermait dans le déni. À vrai dire, je n'ai aucune information sur l'identité des personnes qui l'ont enlevé. Mais comme je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises, sa disparition pourrait avoir été une sorte d'avertissement à la société civile laotienne, une façon de leur dire de ne pas poser trop de questions. Mais pourquoi Sombath aurait-il été victime de disparition forcée ? Qui dérangeait-il ? Un événement majeur pourrait être à l'origine de son enlèvement ? Sombath était considéré comme une sorte de leader par les ONG. Il a joué un rôle dans l'organisation de l'AEPF, le forum des peuples, qui s'est tenu conjointement avec l'Asem, le sommet Europe Asie. La participation d'un très grand nombre d'organisations européennes et asiatiques a eu un écho très important. Poser des questions sur les politiques économiques et de développement dérangeait les autorités laotiennes qui ont choisi de mettre un coup d'arrêt à ce puissant mouvement de la société civile. Et pour remettre les choses dans leur contexte, avant la disparition de Sombath, la directrice d'une ONG suisse, Helvetas, qui travaillait très étroitement avec Sombath et a aidé dans l'organisation du forum des peuples, a été expulsée du pays. C'était donc un avertissement aux organisations internationales et l'enlèvement de Sombath était un rappel à l'ordre aux Laotiens. Le Laos, pays enclavé et pauvre en industrie, est présenté comme la future batterie de l'Asie du Sud-Est. Le pays possède 44 barrages financés en grande partie par la Chine et la Thaïlande. Quarante-six autres projets d'investissements sont en cours. Pour empêcher toute contestation, le gouvernement harcèle, menace ou emprisonne tout villageois, fermier ou militant qui ose demander justice ou réparation pour l'accaparement des terres. Mais le travail de Sombath portait surtout sur l'éveil des consciences et l'éducation de la population sur ses droits. Sombath ne critiquait jamais directement le gouvernement au sujet des concessions foncières, des expropriations ou de la construction du barrage de Sayaburi par exemple. En revanche, lors de ces voyages à travers le pays, il conseillait les communautés sur leurs droits. Il disait aussi que la population et les pauvres devaient être protégés. Les questions environnementales lui tenaient à cœur. Il travaillait avec les jeunes en les encourageant à réfléchir par eux-mêmes. Et lorsqu'il s'adressait au gouvernement, c'était pour lui dire d'écouter la population, de laisser les jeunes et les exclus de la société s'exprimer et de ne pas uniquement écouter les puissants. À ce jour, le sort des dix autres militants reste inconnu. Depuis 2014, comme le Vietnam ou la Birmanie, le Laos punit toute critique du gouvernement sur internet. C'est le cas d'une blogueuse Muay, condamnée à cinq ans de prison pour avoir critiqué les négligences du gouvernement et leur mauvaise gestion des dégâts causés par la rupture d'un barrage en pleine construction dans le sud du pays. Ou encore d'Od Sayavong, 34 ans, un critique des autorités laotiennes qui a disparu à Bangkok en août 2019. Selon Shui Meng, la disparition de Sombath a porté un coup dur au travail des ONG. La peur est très présente. Les gens ne parlent plus de rien, personne ne mentionne Sombath, même ceux qui le connaissent ne m'approchent plus. Mais même si les gens ont peur, des organisations continuent de travailler sur les sujets environnementaux, en se mobilisant sur le terrain. Dans une certaine mesure, je dirais que son travail se poursuit, même si la dynamique n'est plus la même. Je dirais qu'au Laos, ces activités sont plus secondaires. C'est en dehors du Laos, dans des pays plus ouverts et où les gouvernements sont moins répressifs que son influence continue d'exister. Je compte poursuivre ma quête de vérité et de justice sur ce qu'il s'est vraiment passé. Je continuerai à exiger des réponses, même si le gouvernement laotien refuse de m'en donner pour l'instant. Je pense qu'un jour, nous connaîtrons la vérité et j'espère que les gens qui connaissent Sombath ou qui ont été influencés par ses enseignements continueront d'agir. Je pense que la vérité ressortira un jour, c'est en tout cas mon espoir. Un espoir que partagent 66 organisations internationales qui ont signé un appel pour demander aux autorités laotiennes de briser le silence et d'informer la communauté internationale sur ce qui s'est passé ce 15 décembre 2012. Sombath Somphone ne sera pas oublié.
Un rapport accablant : celui d'Amnesty International, qui accuse Meta, la maison mère de Facebook, d'avoir alimenté la haine des Rohingyas à travers des contenus haineux propagés par algorithmes et sans aucune remise en cause de son modèle commercial. Le réseau social le plus populaire au monde est désigné comme co-responsable des persécutions infligées à la minorité musulmane de Birmanie. À partir de 2012, le sentiment anti-Rohingya s'envole en Birmanie. Les violences intercommunautaires explosent et les messages de haine affluent sur les réseaux sociaux. Certaines publications deviennent virales, comme ce texte signé d'un météorologue birman très populaire. Il exhorte ses compatriotes à la résistance envers « l'ennemi commun », les musulmans, qu'il ne faut pas, dit-il, laisser envahir la Birmanie. Ce brûlot sera partagé plus de 10 000 fois, recueillera 47 000 réactions et 830 commentaires, dont des appels purs et simples au meurtre et à l'éradication des Rohingyas, qui resteront en ligne pendant des années. En 2018, le Sénat américain convoque Mark Zuckerberg, le patron de Facebook. Le sénateur démocrate Patrick Leahy l'interroge au sujet de la Birmanie et lui demande, les yeux dans les yeux, pourquoi il est incapable de faire supprimer ces contenus dans les 24 heures. « Nous sommes en train de recruter des dizaines de modérateurs de langue birmane, car les discours haineux sont étroitement liés à la question linguistique. Il est très difficile de les éradiquer sans ressources humaines capables de parler les dialectes locaux. Et nous devons faire un effort considérable dans ce domaine », reconnaît le patron du groupe Meta. À l'époque de cette déclaration, des centaines de milliers de Rohingyas ont déjà été forcés de fuir la Birmanie. Facebook ne compte que cinq employés comprenant le birman pour un total de 18 millions d'utilisateurs dans le pays, ridiculement peu face aux enjeux de la crise interethnique. Et beaucoup trop tard. Amnesty rapporte les témoignages de militants de la société civile ou d'employés de l'ONU qui se sont tournés en vain vers la page d'alerte du réseau social, qui permet de signaler les menaces de mort ou les incitations à la haine raciale. Deux hypothèses peuvent être émises. Premièrement, la négligence : Facebook, dépassé par les événements, n'a pas su agir face à la masse d'ignominies qui s'abattaient sur les Rohingyas. La deuxième, la complicité : car les algorithmes de Facebook qui promeuvent les contenus les plus lus ne distinguent pas ce qui relève de la violence. Les algorithmes de Facebook favorisent les « discours incendiaires » et les « contenus les plus dangereux » C'est loin d'être un hasard, d'après le principal auteur de ce rapport, Patrick de Brún, d'Amnesty International : Les documents que la lanceuse d'alerte Frances Haugen a mis sur la place publique montrent de quelle manière fonctionnent ces algorithmes. On sait maintenant que les principaux algorithmes, ceux qui régissent le fil d'actualité, les recommandations ou le classement des publications sont élaborés pour que nous passions le plus de temps possible sur Facebook. Or, toutes les études convergent : ce processus donne la priorité aux discours incendiaires et aux contenus les plus dangereux. Mais il s'avère qu'en parallèle, ce modèle a prouvé qu'il était incroyablement profitable pour le groupe Meta. À tel point que même lorsque Meta a pris conscience des risques engendrés par ce système, cette société n'a rien fait pour modifier ses algorithmes ou changer son modèle économique. Aujourd'hui, Meta fait l'objet d'une batterie de poursuites devant la justice internationale. Deux plaintes ont été déposées des deux côtés de l'Atlantique : aux États-Unis et au Royaume-Uni par des membres de la communauté rohingya, qui s'estiment victimes de la campagne de violence relayée par Facebook. Ils réclament à la société de Mark Zuckerberg la somme de 150 milliards de dollars sous forme de dommages et intérêts. Quant aux déplacés qui survivent dans les camps de réfugiés au Bangladesh, ils ont formé une vingtaine d'associations et demandent à Meta de financer leur scolarité, afin de faire respecter leur droit fondamental à l'éducation. Facebook doit payer pour ses manquements, martèle Amnesty International, et réformer ses pratiques pour éviter de nouvelles dérives. ► À lire aussi : Des réfugiés rohingyas portent plainte contre Facebook
La bande dessinée Taï Dam nous plonge dans le voyage initiatique de Marijah, arrivée en France avec ses parents en 1976, après la guerre du Vietnam, qui en sait peu sur ses origines Taï Dam. Encouragée par Joël Alessandra, son compagnon et auteur de la BD, ils partent à la rencontre de ces « Thaïs noirs » qui vivent entre Thaïlande, Vietnam et Laos. Retrouvailles familiales, paysages somptueux et histoire coloniale rythment ce périple qui la reconnecte à ses racines.
Pour contourner la censure, de plus en plus de Chinois passent par les plateformes occidentales comme Twitter pour s'informer, mais aussi pour témoigner. Un compte avec un avatar de chat répondant au pseudo de « Professeur Li » a ainsi gagné des centaines de milliers d'abonnés à l'occasion des manifestations qui ont secoué la Chine à la fin du mois dernier. De notre correspondant à Pékin, Une pelleteuse folle qui arrache les toits des voitures à la sortie d'un métro de Zhengzhou au centre de la Chine, des coups de feu dans la nuit ce mercredi 14 décembre, le travailleur migrant qui n'a visiblement pas trouvé d'autres moyens pour percevoir son salaire a été abattu par la police. Ce genre de vidéos, vous ne les voyez jamais dans les médias chinois. Nous l'avons trouvé sur le compte Twitter @whyyoutouzhele, alias « Professeur Li », un peintre de 30 ans, joint en Italie. « Je ne mets pas en lumière les évènements sociaux, je les enregistre. Mon intention est de documenter ce dont les médias officiels ne parlent pas. Il y a beaucoup de gens aujourd'hui qui font ce travail sur internet. Les internautes m'envoient leurs vidéos, leurs photos et leurs informations via la messagerie privée Twitter. Je filtre en fonction de l'actualité, ce qui se passe en ce moment et ce qui est le plus important. » Informer « en direct » sur Twitter Qui se cache derrière cet avatar de « chat-tigre » sur Twitter, que nous avons découvert au moment des émeutes de Foxconn, puis des manifestations aux « papiers blancs » contre la politique zéro Covid fin novembre ? Le « Professeur Li » a tweeté en direct les « incidents de masse » se déroulant simultanément dans tout le pays, offrant une image rare de la contestation. Impossible de le faire via les réseaux chinois, immédiatement censurés. Il faut donc passer par les applications étrangères comme Instagram et Twitter. « De plus en plus de jeunes Chinois vont sur Twitter pour s'informer. Pour cela, ils utilisent un VPN afin de contourner la grande muraille informatique chinoise. C'est la seule façon de savoir ce qui se passe en Chine. Sur les réseaux chinois, les infos tiennent cinq minutes, trente minutes au plus avant que la censure n'intervienne. Ainsi, lorsqu'ils entendent qu'il se passe quelque chose, mais qu'ils ne voient rien dans les médias ou sur les réseaux, ils franchissent le pare-feu pour se rendre sur Twitter, et obtenir les dernières informations ». À 30 ans, arrivé en Italie pour étudier l'art en 2016, le compte « Professeur Li » qui compte aujourd'hui plus de 870 000 abonnés, a révélé que les Chinois étaient toujours en quête de liberté d'expression, après des années à se taire, comme l'indiquent les feuilles blanches brandies par les protestataires. Parmi les vidéos marquantes publiées ces dernières semaines, celles notamment de la révolte ouvrière chez le sous-traitant d'Apple ou encore de ce « superman » de Chongqing, un homme seul critiquant les restrictions sanitaires et soutenues par les riverains lors de l'arrivée de la police. Mais aussi ces slogans exigeant la démission du président chinois dans la rue d'Urumqi à Shanghai le 26 novembre. Slogans inimaginables encore la veille qui ont encouragé la jeunesse de Pékin à manifester le lendemain. Anonyme pour sa sécurité Des publications qui ont valu des menaces de mort au professeur Li sur Twitter.« J'ai choisi mon pseudo un peu au hasard. L'anonymat fait partie de la culture internet, mais aussi, c'est important pour ma propre sécurité. Même loin de la Chine, je dois faire attention. Hier par exemple, j'ai reçu des appels insistants. Le type au téléphone prétendait qu'il était livreur de repas. Il voulait mon adresse, donc vous voyez, c'est assez dangereux. Selon les journaux italiens, il y a beaucoup de policiers chinois en Italie. Donc oui, je crois que ma sécurité est dans une certaine mesure menacée. » Un compte anonyme qui continuera de trier et d'éditer des milliers de vidéos rapportant les mouvements sociaux en Chine. À ceux qui l'accusent d'être plusieurs, Professeur Li dit qu'il a peu quitté son clavier, sauf pour nourrir ses quatre chats ces dernières semaines, et qu'il a peu dormi, compte tenu du décalage horaire entre Rome et Pékin. ►À lire aussi : Chine: avec la fin du « zéro Covid », ruée sur la médecine traditionnelle et les pêches au sirop
Entretien avec Adam Lyons, professeur adjoint de l'Institut des études religieuses à l'Université de Montréal et enseignant des religions du Japon. L'assassinat il y a cinq mois de Shinzo Abe par le fils d'une adepte de la secte Moon, a provoqué une onde de choc au Japon et braqué les projecteurs sur le mouvement sectaire et ses liens occultes avec de nombreux élus conservateurs du parti conservateur de l'archipel. Ce meurtre d'un très haut responsable dans un pays réputé parmi les plus sûrs au monde a libéré la parole sur un sujet jusqu'ici tabou et poussé le gouvernement à agir. RFI : Depuis le 8 juillet et l'assassinat de Shinzo Abe, le débat fait rage autour de l'Église de l'Unification (secte Moon) et ses liens occultes avec le Parti libéral démocrate au pouvoir. À quand remontent ces liens ambigus et comment une secte a-t-elle pu s'immiscer dans l'appareil d'État ? Adam Lyons : L'Église de l'Unification est une nouvelle religion fondée en Corée du Sud par le révérend Sun Myung Moon dans les années 1950. Ce groupe a été l'une des premières nouvelles religions étrangères à avoir du succès au Japon. C'est le grand-père de Abe Shinzo qui a construit les relations entre le PLD et l'Église de l'Unification, et une des idées véhiculées par Sun Myung Moon était que le communisme était en fait le satanisme. L'Église de l'Unification est un produit de l'époque de la guerre froide ; un conflit entre les pays démocratiques et les pays communistes et qui était au centre de la vision de Sun Myung Moon. Par conséquent, lorsqu'il parlait de guerre entre les deux cultures, il parlait de guerre contre le communisme et c'est cette idéologie qui est à l'origine de son alliance avec le Parti libéral démocrate au Japon. Aujourd'hui, nous savons que plus de 100 membres du Parlement ont compté sur le soutien des bénévoles de l'Église de l'Unification. Comment la secte a-t-elle réussi à bâtir son empire financier et quels sont ses rites et ses croyances ? L'Église de l'Unification contrôle un véritable empire économique. Il y a un business de sushi très connu aux États-Unis, mais également un journal, le quotidien conservateur Washington Times, qui est lié à l'Église de l'Unification. Son rite le plus célèbre est la cérémonie de mariage de masse. L'idée derrière cette cérémonie est que des personnes issues de cultures autrefois en guerre fondent des familles dans le processus de l'unification du monde. Mais le scandale actuel est lié à des ventes spirituelles. C'est une sorte d'arnaque à la voyance, dans laquelle un voyant cherche à collecter de l'argent en trouvant des clients dans le grand public. Le voyant explique par exemple au client que ce dernier est confronté à des menaces qui doivent être écartées par l'achat d'une protection de Dieu. Ils utilisent le concept de Karma, tiré du bouddhisme, ou encore les idées selon lesquelles les ancêtres ont agi contre la Corée durant l'époque colonialiste japonaise. Et ces idées ne fonctionnent pas en dehors du Japon. En chute dans les sondages, le Premier ministre Fumio Kishida s'attaque au statut d'organisation religieuse de la secte Moon, qui lui permet de ne pas payer d'impôt. Pensez-vous qu'il réussira à circonscrire les dérives du mouvement sectaire ? Il y a vraiment une possibilité pour le gouvernement nippon d'annuler le statut religieux de l'Église de l'Unification au Japon. Il existe deux exemples. Celui d'Aum Shinrikyo qui a été impliqué dans des activités terroristes dans les années 90 et un autre groupe qui était mêlé à des ventes spirituelles. Malheureusement, le gouvernement n'a pas conservé les archives des procédures qu'il a utilisées pour démanteler ces organisations. Et personne ne s'est rendu compte qu'ils créaient ainsi un précédent. Pour conclure, j'aimerais insister sur un point : l'Église de l'Unification souligne à juste titre que ce n'est pas son Église qui a assassiné Abe. Et ils ont raison. Yamagami Tetsuya est à mon avis le terroriste le plus efficace de l'histoire du Japon d'après-guerre. Je veux dire par là qu'il a tué Abe pour atteindre son objectif, qui était de détruire la réputation de l'Église de l'Unification. Donc la question est plutôt de savoir ce qu'il faut faire face à la montée de la violence politique dans une démocratie comme le Japon.
« La mondialisation ne signifie pas de regarder vers un seul pays », a déclaré le chancelier allemand Olaf Scholz le 14 novembre à Singapour, lors de sa tournée en Asie. Alors qu'Angela Merkel s'était rendue douze fois en Chine, son successeur compte peser davantage dans l'Indo-Pacifique. Objectif : réduire la dépendance allemande à la Chine. Entretien avec Angela Stanzel, spécialiste de l'Asie à l'Institut allemand de politique internationale et de sécurité. RFI : Le chancelier Olaf Scholz dit qu'il ne veut plus mettre tous les œufs dans un seul panier. Pourquoi est-ce si important en ces temps de crise ? Angela Stanzel : La crise avec la Russie et la guerre nous ont appris qu'une dépendance, notamment dans des domaines sensibles, est très dommageable pour nous. Depuis, la diversification est considérée comme une urgence et une priorité face à des États autoritaires. Et cela concerne en premier lieu la Chine. L'idée avait déjà fait son chemin sous le gouvernement Merkel. Mais la guerre y a mis un coup d'accélérateur. Mais Berlin ne veut pas se mettre à dos la Chine, son premier partenaire commercial. Une équation qui semble bien complexe… Oui, bien sûr. Notre industrie automobile ou encore Siemens et BASF ont tout misé sur la Chine. Vu les profits faramineux que ces entreprises continuent à y faire, elles ne veulent pas que cela change. Évidemment, l'économie allemande a tout intérêt à en tirer profit. Un deuxième facteur qui rend le jeu d'équilibre compliqué : nous devons nous assurer que la Chine dépende du marché allemand. Dans certains domaines, elle l'est déjà. Si nous voulons que notre voix soit entendue à Pékin, il faut que la Chine ait besoin de nous. Cela aussi complique ce jeu d'équilibre. Début 2023, l'Allemagne présentera sa nouvelle stratégie vis-à-vis de la Chine. Est-ce que vous vous attendez à plus de fermeté ? Oui, la ministre Annalena Baerbock et son ministère des Affaires étrangères comptent adopter une position plus critique vis-à-vis de la Chine, sans que cela soit pour autant un changement de cap radical. L'un des piliers de cette nouvelle stratégie sera la rivalité systémique. Depuis 2019, notre relation avec la Chine est basée sur trois axes : la Chine est notre partenaire, notre compétiteur et notre rival. Mais depuis peu, l'accent est davantage mis sur la rivalité, et c'est normal. Nous devons alors diversifier nos ressources, approfondir nos relations avec des partenaires qui partagent nos valeurs et nouer de nouveaux partenariats. Nous devons aussi remettre en question l'influence grandissante de la Chine dans les organisations internationales ainsi que la rivalité avec la Chine dans des pays tiers. Tous ces éléments détermineront notre future stratégie vis-à-vis de la Chine. L'Allemagne a pour la première fois envoyé sa frégate « Bayern » dans l'Indo-Pacifique et y participe à des exercices militaires. Le but, est-il de tenir tête à une Chine qui montre ses muscles ? Oui, absolument. Vous n'allez le lire dans aucun document officiel. Mais le signal ne pourrait guère être plus clair : il faut endiguer l'influence et l'agressivité de la Chine dans la région. Nous devons nous engager aux côtés de ceux qui veulent freiner l'expansionnisme chinois. Jusqu'à présent, Berlin n'a pourtant pas ouvertement soutenu Taïwan face aux bruits de bottes chinois… Je pense que nous allons assister à un changement de notre politique envers Taïwan, à plus de solidarité et une volonté de nouer un vrai partenariat entre Taïwan, l'Allemagne et l'Europe. Sans que cela soit un virement radical dans notre politique envers la Chine. Face aux manifestants qui réclament la fin de la politique « zéro Covid , voire même la démission de Xi Jinping, qu'attendez-vous du gouvernement allemand ? J'appelle à beaucoup de prudence. Il y a effectivement un cri pour plus de liberté et la fin des confinements. Mais la population est incitée depuis longtemps à adopter une attitude hostile vers l'Occident. Si on soutient les manifestants, on alimentera le narratif selon lequel l'Occident est responsable de ce qui arrive. Mais ce que nous pouvons faire, c'est de rappeler à nos interlocuteurs que la Chine a besoin de vaccins efficaces et qu'il faut réformer le système de santé. C'est aussi dans notre intérêt que la Chine s'ouvre à nouveau et mette fin à la politique d'isolationnisme.
L'Association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN) vient de donner son accord de principe à l'adhésion du Timor oriental. Un pas de géant pour ce minuscule pays meurtri par l'invasion de l'Indonésie dans les années 1970 et qui, 20 ans après son indépendance, sort tout doucement de l'extrême pauvreté. Joint à Dili, la capitale timoraise, par Vincent Souriau, José Ramos-Horta, le président du Timor oriental et prix Nobel de la paix, revient sur la décision du dernier sommet de l'Asean. RFI : Qu'est-ce que cette adhésion à l'ASEAN, l'Association des nations de l'Asie du sud-est, peut apporter à votre pays ? José Ramos-Horta : Beaucoup plus d'investissements vont venir, bien sûr, parce qu'on peut dire que le Timor est un territoire vierge, sans concurrence, soit pour des hôtels, des usines textiles, des pharmacies, etc. Il y a un nombre d'investisseurs provenant du Brunei, de Singapour, de Malaisie, de la Corée du Sud, etc., qui sont intéressés précisément parce que le Timor sera le onzième membre de l'ASEAN, avec un marché conjoint de 700 millions de personnes, avec 4 trillions de dollars de PIB conjoints de la région. Vous avez fait cette demande d'adhésion à l'ASEAN en 2011, il a fallu plus de 10 ans pour que ça se concrétise, qu'est-ce qui a bloqué votre entrée si longtemps ? À l'époque, le Timor n'était pas vraiment préparé, mais depuis déjà dix ans on a fait beaucoup d'efforts, notamment en développant des infrastructures. Par exemple, dans quelques jours, on va inaugurer formellement le nouveau port de Dili, de dimension régionale, très moderne, et on a aussi développé l'électrification du pays, plus de 90% du pays a déjà l'électricité. Bien sûr, nous sommes sous-développés, notre économie est basée surtout sur l'exportation de gaz et de pétrole, mais de toute façon, nous sommes investisseurs dans des économies de pays plus développés du monde, notamment des milliards de dollars dans les obligations américaines, et des obligations d'un nombre de pays européens. Un dernier mot José Ramos-Horta, à propos du Myanmar : vous allez siéger aux côtés du régime birman, qui est membre de l'ASEAN lui aussi. Aujourd'hui c'est un pays en crise, l'ASEAN est le seul organe qui ait engagé un dialogue avec les militaires birmans, est-ce qu'il faut aller plus loin ? Est-ce qu'il faut sanctionner la junte birmane et, par exemple, suspendre son adhésion à l'ASEAN ? Il faut reconnaître que la situation est très difficile et gênante pour les pays de la région, ils font au mieux pour normaliser la situation, promouvoir le dialogue interne, entre les militaires et les opposants. Mais les faits c'est que les militaires n'ont pas bougé du tout. Ils ont signé le soi-disant « Cinq points », « Five points », mais ils n'ont absolument rien fait pour respecter cet engagement avec l'ASEAN. Les leaders de la région sont très gênés, bien sûr, avec le comportement des militaires du Myanmar : la violence contre la population civile, des gens innocents, l'emprisonnement, la torture, les exécutions sommaires, et ça c'est entièrement inacceptable pour l'ASEAN et ça pose des questions très sérieuses pour la crédibilité de l'ASEAN.
Élévation du niveau de la mer, réchauffement de l'océan, acidification de l'océan, inondations, sécheresses, catastrophes naturelles à répétition... Les nations du Pacifique sont en danger de disparition totale. Milika Sobey, scientifique marine, est directrice de programme pour les îles du Pacifique au sein de l'Asia Foundation. Elle a décidé de contribuer à sa manière à l'éducation des plus jeunes aux Fidji. Elle est à l'initiative de la publication de dix livres pour enfants qui visent à les éclairer sur les grands thèmes du réchauffement climatique. RFI : Quels sont les thèmes des 10 livres que vous avez publié ? Milika Sobey : Nous avons commencé avec Seachange, qui parle de l'élévation du niveau de la mer, un sujet très actuel. Les gens du Pacifique savent très bien ce qu'implique la montée des eaux. Quelqu'un d'autre a décidé d'écrire sur les mangroves, parce que c'est souvent un écosystème sous-estimé, mais qui joue un rôle critique dans l'atténuation du changement climatique. On a écrit sur l'acidification des océans, un autre sujet d'actualité, car l'absorption par l'océan d'une plus grande quantité de dioxyde de carbone entraîne l'acidification des océans, qui entraîne à son tour un manque de calcium dans certaines structures marines. C'est aussi crucial. Un autre a décidé d'écrire sur les forêts, parce que les forêts sont tout aussi importantes et connectées à l'océan. ► À lire aussi : Fidji, des îles du Pacifique en première ligne Pourquoi est-ce important de parler dès le plus jeune âge du réchauffement climatique ? Parce que nous vivons dans une région où nous contribuons le moins aux émissions de carbone, mais où nous sommes probablement confrontés aux impacts les plus importants du changement climatique. Les enfants du Pacifique sont confrontés à des cyclones violents. Nous en avons eu plusieurs au cours des six dernières années. Des cyclones de catégorie 5. Ces événements très intenses sont tellement ravageurs pour les communautés dans tout le pays, pas seulement ceux de la côte… à l'intérieur des terres aussi. Donc, il est nécessaire que les enfants soient informés. Comment tout cela est-il lié au changement climatique ? Nous allons voir davantage de ces phénomènes météorologiques violents. Nous avons de graves inondations entre les cyclones. Ce n'est pas seulement les îles, c'est le monde entier. ► À lire aussi : Fidji : un retour aux savoirs ancestraux pour préserver l'environnement Le monde entier subit le réchauffement climatique, mais les pays insulaires demeurent en première ligne ? Les gens qui vivent sur le continent européen supposent que tous les enfants qui vivent dans les îles connaissent les récifs par exemple, mais pas nécessairement. Les enfants qui vivent en ville ne vont pas vraiment sur le récif, c'est donc important de leur expliquer. Ils doivent connaître l'importance des mangroves. Ils doivent savoir comment le changement climatique a des conséquences sur les systèmes naturels qui les protègent. C'est pourquoi il est important que les enfants des îles du Pacifique soient informés sur ces sujets. Je pense qu'il suffit de se rendre dans nos communautés côtières pour se rendre compte de l'urgence de la situation. Il n'y a pas un jour qui passe sans que l'on lise dans les journaux que telle communauté sur la côte vient d'avoir une intrusion d'eau salée dans son village. Et, en gros, on parle tout le temps de la perte de terres au détriment de la mer. Et par ailleurs, les personnages des livres sont fidjiens et ils ont tous été écrits et illustrés par des locaux… Les enfants peuvent s'y identifier parce que les personnages ont des noms qu'ils peuvent reconnaître. Ils leur ressemblent. Ils ont des décors et des thèmes qui leur sont familiers. C'est ce qui fait la particularité de ces livres et c'est pourquoi nous avons demandé à des créatifs locaux de les produire. Vous savez, j'ai grandi en lisant des histoires de Raiponce, de Blanche Neige et de la Belle au bois dormant et en lisant des histoires de neige et d'ours. Nous ne savons pas ce qu'ils sont parce que nous vivons sous les tropiques ! C'est tellement rafraîchissant que les enfants puissent maintenant lire des livres auxquels ils peuvent s'identifier. Ils peuvent s'y reconnaître, et l'un des objectifs de ces livres est de susciter l'amour de la lecture chez les enfants. Donc si vous pouvez les faire commencer à aimer la lecture dès leur plus jeune âge, c'est un amour qu'ils auront pour le reste de leur vie. ► À lire aussi : Climat : comment les populations des îles du Pacifique luttent pour leur survie
La campagne électorale bat son plein en Malaisie, six jours avant des élections législatives anticipées. Marqué par l'instabilité politique, le pays a vu se succéder trois gouvernements en quatre ans. Quelles sont les origines de cette crise ? Décryptage des enjeux de ces élections avec Victor Germain, spécialiste de la Malaisie et ancien chargé de recherche à l'Irsem (Institut de recherche stratégique de l'École militaire)
Presque trois ans après le début de la pandémie du Covid, le retour à la normale est un soulagement pour les 400 000 employées de maison au service des familles hongkongaises, venues pour la plupart des Philippines. Mais sous la mainmise croissante de Pékin, des dizaines de milliers de Hongkongais et d'expatriés quittent la ville, et beaucoup d'entreprises envisagent leur délocalisation. Ces employées de maison, que l'on appelle les « helpers » se demandent quel sera leur avenir. De notre envoyée spéciale à Hong Kong, L'heure est à la fête, un dimanche après-midi. Entre les vitrines bling-bling de Gucci, Dior et Versace, Rosemary et sa bande de copines se déhanchent devant une vidéo diffusée par leur smartphone vissé sur un trépied. Pour elles, venir ici un dimanche a son importance. « C'est pour nous détendre, on a un seul jour de repos par semaine. On se fait une cure détox », dit Rosemary, en riant. « Pendant le Covid, beaucoup parmi nous avaient interdiction totale de sortir ! Moi, je travaille de 7h du matin à 9 du soir, sans pause. Je m'occupe des enfants, je cuisine, je nettoie. Je fais un peu partie de la famille, mais d'autres aides à domicile souffrent. Leurs patrons ne sont pas gentils », souligne-t-elle. ► À lire aussi : À Hong Kong, le calvaire des employées de maison étrangères Débardeur moulant, pantalon fleuri et baskets, Rosemary, 41 ans, prend du bon temps pour oublier les trois années passées. « D'habitude, je partais tous les deux ans chez moi aux Philippines. Mais avec le Covid, c'était impossible. Vous pouviez partir, mais pas revenir. À coup sûr, vous perdiez votre emploi », explique Rosemary. Au lieu de payer l'hébergement pendant les 21 jours de quarantaine, certaines familles ont préféré mettre leurs helpers à la rue. La crainte de perdre son emploi Courbée en deux, Leila enroule du scotch autour d'un gros colis. En semaine, elle s'occupe 12 heures par jour d'un vieux monsieur pour un salaire de 700 euros par mois. Le dimanche est réservé à sa famille. « J'envoie du café, du chocolat, des fruits… Ça va aux Philippines, à ma famille ! Ça fait cinq ans maintenant que je n'ai pas pris de vacances. Impossible de rentrer chez moi à cause du Covid », indique Leila. La plupart des restrictions sanitaires sont aujourd'hui levées, mais Leila a entendu que plus de 140 000 Hongkongais ont déjà quitté la ville. Les uns pour échapper à la mainmise de Pékin, les autres pour suivre leurs entreprises, délocalisées vers Singapour ou ailleurs. « Ça arrive tout le temps ! Si notre patron s'en va, nous aussi, on doit partir. À moins que l'on trouve un autre emploi », note l'employée de maison. ► À écouter aussi : Hong Kong: le grand exode Le souhait d'un retour à la normale à Hong Kong Une crainte partagée par Anna, assise seule sur le bord d'une fontaine publique, à côté d'un bar karaoké improvisé. « Mes amies sont déjà reparties chez elles aux Philippines pour toujours », raconte Anna. « La plupart des patrons sont des Occidentaux et ils sont en train de quitter Hong Kong. Celui d'une amie est reparti en Israël, il lui a dit que Hong Kong n'était plus un bon endroit pour vivre. D'autres sont retournés au Canada ou encore à Londres. » Employée de maison depuis une dizaine d'années, Anna revient tout juste d'un séjour chez elle. C'est la première fois qu'elle a pu revoir son fils. « J'étais tombée enceinte ici et partie aux Philippines pour accoucher. Mon fils avait deux mois, lorsque je suis repartie », se souvient-elle. Puis, elle ajoute : « Là, ça faisait trois ans que je ne l'avais pas vu. Il parle déjà beaucoup ! Il ne m'a pas tout de suite reconnu, mais maintenant, quand je l'appelle, il dit ‘oh, maman'. Au moins, il sait que je suis sa mère. » Impossible de vivre aux Philippines avec sa famille. La mère et les huit frères et sœurs d'Anna dépendent de son salaire hongkongais. Son espoir : « Maintenant qu'il n'y a plus la quarantaine, peut-être au moins les touristes reviendront, n'est-ce pas ? J'espère que tout reviendra enfin à la normale à Hong Kong. »
Chanee («Le gibbon») est un Français qui vit sur l'île de Borneo depuis 25 ans. Il se bat sans relâche pour la faune et les forêts indonésiennes. Grâce à la solidarité internationale, Kalaweit, son association de défense de l'environnement, va pouvoir sanctuariser d'un seul coup 1 500 hectares de végétation à la barbe des industriels de l'huile de palme et du charbon.
Quel impact un troisième mandat du président chinois Xi Jinping aura-t-il sur Hong Kong ? La reprise en main de Pékin et la répression de toute velléité démocratique dans l'ex-colonie britannique, vont-elles se poursuivre ? Entretien avec le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Hong Kong est confronté à une fuite des cerveaux sans précédent depuis qu'une loi sur la sécurité nationale draconienne, imposée par Pékin en 2020, a condamné l'opposition pro-démocratie au silence. Aujourd'hui, toute critique du parti communiste chinois est passible de lourdes peines. Jean-Pierre Cabestan est l'auteur de Demain la Chine: dictature ou démocratie ? (éditions Gallimard)
Depuis 2001 et l'adhésion de la Chine à l'OMC, les espoirs de libéralisation politique ont volé en éclats. Au contraire, l'économie chinoise, grande gagnante de la mondialisation, est montée en puissance. Résultat : un énorme déséquilibre commercial en défaveur des États-Unis, qui n'a fait que renforcer les rivalités entre l'aigle américain et le dragon chinois. Les explications du sinologue Alain Wang, enseignant à l'école Centrale Supélec. Alain Wang est également co-auteur de l'ouvrage Le dossier chinois : portrait d'un pays au bord de l'abîme, paru aux éditions Cherche Midi. ► À écouter aussi : Le «Dossier chinois» dresse le «portrait d'un pays au bord de l'abîme»
Un rapport accablant, celui d'Amnesty International qui accuse Meta, la maison mère de Facebook, d'avoir alimenté la haine des Rohingyas, à travers des contenus haineux propagés par algorithmes et sans aucune remise en cause de son modèle commercial. Le réseau social le plus populaire au monde est désigné comme co-responsable des persécutions infligées à la minorité musulmane de Birmanie. À partir de 2012, le sentiment anti-Rohingya s'envole au Myanmar. Les violences intercommunautaires explosent et les messages de haine affluent sur les réseaux sociaux. Certaines publications deviennent virales, comme ce texte signé d'un météorologue birman très populaire. Il exhorte ses compatriotes à la résistance envers « l'ennemi commun », les musulmans, qu'il ne faut pas, dit-il, laisser envahir la Birmanie. Ce brûlot sera partagé plus de 10 000 fois, recueillera 47 000 réactions et 830 commentaires, dont des appels purs et simples au meurtre et à l'éradication des Rohingyas, qui resteront en ligne pendant des années. En 2018, le Sénat américain convoque Mark Zuckerberg, le patron de Facebook. Le sénateur démocrate Patrick Leahy l'interroge au sujet de la Birmanie et lui demande, les yeux dans les yeux, pourquoi il est incapable de faire supprimer ces contenus dans les 24 heures : « Nous sommes en train de recruter des dizaines de modérateurs de langue birmane, car les discours haineux sont étroitement liés à la question linguistique. Il est très difficile de les éradiquer sans ressources humaines capables de parler les dialectes locaux. Et nous devons faire un effort considérable dans ce domaine. » À l'époque de cette déclaration, des centaines de milliers de Rohingyas ont déjà été forcés de fuir la Birmanie. Et Facebook ne compte que cinq employés comprenant le birman pour un total de 18 millions d'utilisateurs dans le pays. Ridiculement peu face aux enjeux de la crise interethnique. Et beaucoup trop tard. Amnesty rapporte les témoignages de militants de la société civile ou d'employés de l'ONU qui se sont tournés en vain vers la page d'alerte du réseau social, celle qui permet de signaler les menaces de mort ou les incitations à la haine raciale. Deux hypothèses. Un, la négligence. Facebook, dépassé par les évènements, n'a pas su agir face à la masse d'ignominies qui s'abattaient sur les Rohingyas. Deux, la complicité. Car les algorithmes de Facebook qui promeuvent les contenus les plus lus ne distinguent pas ce qui relève de la violence. Et c'est loin d'être un hasard, d'après le principal auteur de ce rapport, Patrick de Brún, d'Amnesty International : « Les documents que la lanceuse d'alerte Frances Haugen a mis sur la place publique montrent de quelle manière fonctionnent ces algorithmes. On sait maintenant que les principaux algorithmes, ceux qui régissent le fil d'actualité, les recommandations ou le classement des publications sont élaborés pour que nous passions le plus de temps possible sur Facebook. Or, toutes les études convergent : ce processus donne la priorité aux discours incendiaires et aux contenus les plus dangereux. Mais il s'avère qu'en parallèle, ce modèle a prouvé qu'il était incroyablement profitable pour le groupe Meta. À tel point que même lorsque Meta a pris conscience des risques engendrés par ce système, cette société n'a rien fait pour modifier ses algorithmes ou changer son modèle économique. » ► À lire aussi : Des réfugiés rohingyas portent plainte contre Facebook Aujourd'hui, Meta fait l'objet d'une batterie de poursuites devant la justice internationale. Deux plaintes ont été déposées des deux côtés de l'Atlantique : aux États-Unis et au Royaume-Uni par des membres de la communauté Rohingya qui s'estiment victimes de la campagne de violence relayée par Facebook. Ils réclament à la société de Mark Zuckerberg la somme de 150 milliards de dollars sous forme de dommages et intérêts. Quant aux déplacés qui survivent dans les camps de réfugiés au Bangladesh, ils ont formé une vingtaine d'associations et demandent à Meta de financer leur scolarité, afin de faire respecter leur droit fondamental à l'éducation. Facebook doit payer pour ses manquements, martèle Amnesty International, et réformer ses pratiques pour éviter de nouvelles dérives.