Les chroniques économiques de Bernard Girard

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Chroniques économiques sur l'actualité prononcées chaque mardi matin sur AligreFM, une radio parisienne

Bernard Girard


    • Nov 27, 2012 LATEST EPISODE
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    La compétitivité c'est aussi le dialogue social

    Play Episode Listen Later Nov 27, 2012


    Pour écouter cette chroniquePatronat et syndicats de salariés négocient actuellement un renouvellement du contrat salarial. Que sortira-t-il de leurs discussions ? bien malin qui peut le dire. On sait que le gouvernement, qui vient d'accorder aux entreprises des avantages significatifs sous forme de crédit d'impôts, exerce une pression forte pour que les organisations patronales trouvent un terrain d'entente avec les syndicats ouvriers. Les négociations promettent d'être difficiles et on ne peut exclure une intervention de l'Etat qui, faute d'accord des partenaires sociaux, légifère, au grand dam, d'ailleurs, des patrons eux-mêmes qui seront les premiers à se plaindre de ce que les députés et sénateurs auront multiplié les amendements qui leur déplaisent.Cette situation n'est pas nouvelle. On pourrait même dire qu'ele est endémique et qu'elle explique, d'une certaine manière, la prolifération de notre droit social et de toutes ces réglementations dont les employeurs se plaignent si fréquemment. Pour dire les choses simplement, l'hypertrophie de notre droit social est, pour beaucoup, le fruit de la faiblesse du dialogue social dans notre pays. Plutôt que de s'en plaindre, les organisations patronales devraient s'interroger sur les causes de ce déficit, mais cela leur est naturellement difficile alors même que beaucoup de leurs membres ont développé une véritable phobie des syndicats.Le cas du salaire minimumLe cas du salaire minimum est exemplaire de la manière dont le déficit de dialogue social favorise l'effervescence réglementaire. Dans un article publié il y a quelques mois, Philippe Aghion, un économiste qui enseigne à Harvard et a conseillé Ségolène Royal et François Hollande, a montré que les pays dans lesquels les relations sociales sont vivantes, ceux dans lesquels les organisations syndicales sont puissantes et en mesure de négocier, sont aussi ceux dans lesquels les législations sur le salaire minimum sont le plus rares (Can policy interact with culture ? Minimum wage and the quality of labor relations). Il y a, pour dire les choses de manière plus savante, une forte corrélation négative entre les effectifs des organisations syndicales et les lois sur le salaire minimum. Les pays nordiques qui ont des syndicats puissants font sans. A l'inverse, la France ou la Grèce, deux pays dans lesquels les syndicats sont très faibles ont une législation rigoureuse sur le sujet.On comprend bien pourquoi : là où les syndicats ne peuvent rien obtenir par la négociation parce que trop faibles, l'Etat se substitue à eux. Mais, et c'est ce qui se produit en France depuis des décennies, plus l'Etat intervient, plus les syndicats s'en trouvent affaiblis : pourquoi se syndiquer si l'Etat intervient, si l'on peut obtenir le même résultat en votant une fois tous les quatre ou cinq ans ? l'intervention de l'Etat pour compenser la faiblesse syndicale ne fait que l'aggraver. Cette situation se complique de ce que plus les syndicats sont faibles plus leurs membres, leurs militants se spécialisent dans la gestion des organismes paritaires au dépens de l'action sur le terrain auprès des salariés. Ce qui conduit, dans le cas français, à une sorte de blocage de nos institutions dont on vient d'avoir une belle illustration. On le sait, le gouvernement a choisi de réduire de manière significative le coût du travail. S'il l'a fait en choisissant un crédit d'impôt plutôt que le transfert des cotisations patronales vers la CSG ou la TVA, c'est que cela aurait conduit à un casus belli avec les organisations syndicales qui risquaient de perdre une multitude de postes dans les organismes gestionnaires, comme, par exemple, les caisses d'allocations familiales. Rien n'aurait justifié, une fois qu'elles auraient été financées par l'impôt que siègent à leur conseil d'administration des représentants des organisations syndicales ouvrières et patronales. Ce sont 1632 administrateurs, 16 par caisses et il y en a 102 caisses, qui auraient pu à terme perdre leur poste. On comprend que le gouvernement se soit méfié.On a là, donc, une machine infernale. La faiblesse syndicale se nourrit d'elle-même pour le plus grand tort des salariés mais aussi de l'économie, de sa compétitivité. Oui, de la compétitivité, car l'on a découvert que les syndicats n'étaient pas, comme le croient trop volontiers les libéraux et les organisations patronales, un frein à la productivité. Bien au contraire, de bonnes relations sociales l'améliorent. C'est ce qui ressort en tout cas des travaux récents de Gilbert Cette, sur des données françaises, et de quelques autres sur des données américaines et allemandes (Labour relations quality and productivity: an empirical analysis on french firms.)Des syndicats puissants améliorent la qualité de l'information des entreprises Il ne s'agit évidemment pas d'être naïf et de penser qu'il suffirait de syndicats puissants pour améliorer la compétitivité d'une industrie. On a, bien évidemment, de nombreux exemples du contraire. Mais voyons ce qui se passe lorsqu'un syndicat s'étiole dans une entreprise. D'un coté, et ce peut être le bon coté pour les employeurs, les conflits sociaux s'espacent, les jours d'arrêt pour faits de grève diminuent, les réunions du comité d'entreprise se passent mieux, les tensions apparentes disparaissent. Mais de l'autre, l'entreprise perd une source d'information importante sur les problèmes qui peuvent surgir en son sein. Les syndicats, lorsqu'ils sont puissants, lorsqu'ils ont des contacts réguliers avec les directions font circuler des informations qui sont autrement bloquées par la structure hiérarchique. Tout cela peut paraître théorique, mais ne l'est pas. Je prendrai un exemple banal mais que j'ai vécu dans un établissement du groupe Alcatel il y a quelques années. C'était une usine dans la région parisienne construite à l'ancienne avec une toiture en shed, en dents de scie avec de grandes surfaces vitrées. L'une de celles-ci était cassée. En hiver, les ouvriers qui travaillaient en dessous avaient froid, recevaient de la pluie lorsqu'il en tombait, refusaient donc d'occuper les postes exposés, d'où des conflits quotidiens avec les chefs d'équipe. Le contremaître de l'atelier le savait et protestait régulièrement, mais il était incapable de se faire entendre de la direction de l'usine, le responsable de l'entretien qui avait un budget étriqué avait toujours affaire plus importante à traiter. Lorsque les ouvriers se sont plaints au syndicat, celui-ci a immédiatement fait remonter cette affaire au sommet en indiquant que si rien n'était fait l'atelier se mettrait en grève. Dans les jours qui ont suivi la décision a été prise de réparer le toit défaillant. Les tensions dans l'atelier ont disparu et sa production s'est améliorée.Ce n'est qu'un exemple mais on pourrait en trouver mille dans le quotidien des entreprises. Autre dimension souvent négligée de l'action syndicale : la gestion des tensions et des conflits. Est-ce parce qu'on en entend surtout parler à l'occasion de conflits graves qui conduisent à la grève, on a en général le sentiment que les syndicats mettent systématiquement de l'huile sur le feu. Leur rôle est en réalité bien plus subtil. Ils arbitrent entre tous les motifs de mécontentement qui remontent jusqu'à eux. Ils font le tri dans les conflits et ceci, en fonction des rapports de force avec la direction. Ils font avancer les dossiers qui leur paraissent suscceptibles d'aboutir ou de recueillir un fort assentiment des salariés. Ils calment le jeu pour tout le reste.Puissants, ils mettent en avant les conflits qui concernent un grand nombre de personne, qui leur permettent de mobiliser beaucoup de salariés pour atteindre un objectif grâce à l'action au sein de l'entreprise, tracts, prises de parole, manifestation, arrêts de travail… Lorsqu'ils sont faibles et qu'ils n'arrivent pas à mobiliser sur des problèmes collectifs, comme cette vitre brisée dont je parlasi à l'instant, ils mettent l'accent sur les conflits individuels qui se traitent à l'extérieur de l'entreprise, devant le juge. La montée en puissance des affaires liées au harcèlement moral est directement corrélée à la faiblesse de l'action syndicale. C'en est un subtitut. Moins les syndicats peuvent agir au sein même de l'entreprise avec les moyens traditionnels de la lutte ouvrière, plus ils s'adressent à la justice.Or, ce n'est une bonne chose pour personne. Ce n'en est pas une pour la victime qui se retrouve isolée dans son combat et souvent rejetée par ses collègues. Le plus douloureux dans les cas de harcèlement, c'est souvent l'indifférence ou l'hostilité des collègues, or ceux-ci sont très prompts à trouver que la victime exagère, qu'elle en fait trop. Ce n'en est pas une non plus pour celui que l'on accuse, à tort ou à raison, de harcèlement : bien loin de l'image d'Epinal de l'employeur occupé à défendre becs et ongles les cadres accusés, la réalité est qu'ils sont, le plus souvent, à leur tour ostracisés, condamnés par leurs pairs et mal vus de leur direction qui se serait passée de ce genre d'affaire. Il faut avoir vu un cadre accusé de harcèlement pour comprendre combien cela peut être douloureux, même s'il est effectivement coupable. J'ajouterai enfin que si les faits qui ont conduit à cette accusation de harcèlement sont liés à la structure, à l'organisation de l'entreprise, à sa culture, à la charge de travail… ce ne peut pas être traité au tribunal qui ne juge que des cas singuliers.La qualité des relations sociales améliore les performancesDes organisations syndicales puissantes, qui réunissent de nombreux salariés, sont donc utiles dans plusieurs cas de figure :elles évitent d'abord, l'intervention de l'Etat, ce qui peut être une bonne chose si cela permet de trouver des solutions mieux adaptées. Là où le salaire minimum est non pas imposé par la loi mais négocié avec les organisations syndicales il varie selon les secteurs et selon les régions. Ce qui n'est pas illogique. Le pouvoir d'achat d'un salaire n'est pas le même dans une grande ville et dans une zone rurale, les contraintes de la distribution ne sont pas celles du bâtiment ou de la métallurgie, elles permettent ensuite d'anticiper les problèmes. Lorsqu'une entreprise va mal, des organisations syndicales bien informées le savent et peuvent inciter les directions à prendre des mesures qui évitent que les difficultés se traduisent par des lienciements. On parle beaucoup de l'efficacité du temps partiel pour résister aux difficultés en Allemagne. Mais il n'a été efficace que parce qu'il a été très tôt négocié avec les partenaires sociaux  elles améliorent, enfin, la qualité des décisions puisqu'elles permettent d'intégrer dans la réflexion des données qui autrement échappent aux directions.Mais il ne suffit pas que les organisations syndicales soient puissantes, il faut encore qu'elles soient écoutées et convaincues de la pertinence des décisions prises par le management. Ce qui suppose des institutions adéquates. On parle souvent de la présence de représentants syndicaux dans les conseils d'administration des entreprises allemandes. C'est effectivement une bonne solution en ce qu'elle permet de nourrir en permanence la négociation sociale, de faire circuler l'information de bas en haut et de haut en bas. En ce qu'elle permet également aux directions de faire valoir leur point de vue, de l'argumenter et non plus seulement de l'imposer comme si elles avaient la science infuse et toujours raison. Un des facteurs qui expliquent le désenchantement de beaucoup de salariés, désenchantement que les enquêtes menées au sein des entreprises révèlent régulièrement vient de ce que les décisions qui tombent du ciel leur paraissent souvent contradictoires, incompréhensibles. « On ne sait où l'on va » est l'une des expressions les plus souvent entendues dans les entreprises. Et pour cause : les directions se contentent d'imposer leurs vues sans chercher à justifier les changements de cap, de stratégie, d'orientation. C'est comme cela et pas autrement. Inutile de dire que cette liberté qui leur est laissée d'agir comme ils l'entendent n'est pas toujours du meilleur effet. Là où ils existent, les contrôles, ceux du conseil d'administration d'un coté, ceux des organisations syndicales de l'autre contribuent à l'amélioration de la qualité des décisions.Pourquoi si peu de syndicalistes en France ?On peut imaginer que dans les mois qui viennent le gouvernement ou le Parlement vont proposer des mesures allant dans ce sens. Reste à savoir si elles permettront d'enrayer la chute des effectifs syndicaux et d'améliorer le dialogue social.Modifier les institutions qui organisent le dialogue social peut aider à atteindre ces objectifs, mais est-ce que ce serait suffisant ? pour que le dialogue social reprenne tournure, il faudrait agir sur les causes profondes de l'affaissement des organisations syndicales. Elles sont multiples.Il y a, ces dispositifs institutionnels qui entretiennent depuis des décennies la division syndicale, freinent voire interdisent l'émergence de nouveaux acteurs et favorisent la concentration des forces syndicales dans le secteur public, mais cela tient aussi à des phénomènes plus lourds sur lesquels il est plus difficile d'agir. J'ai déjà dit un mot du rôle de l'Etat qui en jouant de la loi faute d'accords négociés entre partenaires sociaux, gêne le développement des organsiations syndicales. Mais il n'y a pas que cela.  Il y a l'évolution de l'économie française. Les secteurs fortement syndicalisés dans l'industrie ont disparu. Les syndicats n'ont pas su s'imposer dans les secteurs nouveaux, la grande disribution, la restauration rapide, l'intérim… cela tient évidemment aux contrats de travail privilégiés dans ces établissements mais aussi, peut-être, au manque d'imagination des organisations syndicales qui, plutôt que de chercher des solutions nouvelles ont préféré concentrer leurs efforts sur le secteur public.Il y a, aussi, la structure de l'économie française, son coté dual, avec d'un coté quelques très grandes entreprises internationales et de l'autre beaucoup de petites entreprises. La présence d'organisations syndicales dans les grandes entreprises ne pose guère de problème. Elles ont les moyens d'employer des spécialistes en ressources humaines, rompus aux techniques du dialogue social, qui savent négocier. Même si leurs directions n'apprécient guère les syndicats, il leur est difficile de leur interdire d'agir et de travailler. Il en va tout autrement dans les entreprises plus petites. La négociation sociale est une charge supplémentaire pour les chefs d'entreprise qui peuvent difficilement la déléguer à des collaborateurs qui ne sont pas mieux formés qu'eux à cet exercice. Et ce qui vaut pour les chefs d'entreprise vaut également pour les salariés : même avec la meilleure volonté du monde on ne s'improvise pas leader syndical ou négociateur. Cela demande des compétences, notamment en matière de droit du travail, qui manquent à la plupart.La proximité avec les salariés rend, par ailleurs, beaucoup plus problématique tout conflit un peu tendu. Même protégé, le salarié peut craindre des rétorsions et l'employeur s'offusquer de ce que ses décisions sont mises en cause. Si le syndicalisme est si faible en France, c'est que beaucoup de patrons, surtout dans les PME qui représentent l'essentiel de l'emploi, s'y opposent avec la plus grande vigueur. Ils sont patrons chez eux et veulent le rester et n'acceptent pas de partager si peu que ce soit leur pouvoir.La compétitivité est aussi affaire de dialogue socialOn l'a compris, la compétitivité ne saurait se limiter à une action sur le coût du travail. C'est aussi l'affaire de l'innovation et, plus inattendu, peut-être, de la qualité du dialogue social. Là-dessus les entreprises françaises ont de gros progrès à réaliser et les pouvoirs publics de gros efforts à faire en matière d'imagination pour trouver le moyen de contourner ces obstacles que sont l'environnement institutionnel et la structure de l'économie française. Cela ne se fera sans doute pas d'un seul coup de baguette magique. La Présidence Sarkozy avait pris quelques mesures allant dans la bonne direction avec notamment la loi Larcher de 2007 qui impose une concertation préalable, voire une négociation, avant tout projet de loi social, avant de revenir en arrière. La Présidence Hollande devrait poursuivre dans cette direction.

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    Gallois : un rapport décevant

    Play Episode Listen Later Nov 11, 2012


    Pour l'écouterLe rapport Gallois est sorti. Le gouvernement a surpris en reprenant la plupart de ses préconisations. Ce qu'il a fait au risque d'aller un peu vite parce que ce rapport n'est pas aussi important qu'on l'a dit. Pour l'avoir lu, je dirai qu'il est plutôt décevant et que les analyses qu'il fait de la situation sont marquées par un extrême conformisme, on a l'impression de les avoir lues mille fois, et, ce qui est peut-être plus gênant, par ce que je qualifierai d'absence de curiosité. Tout cela peut s'expliquer par la rapidité avec laquelle ses auteurs ont du travailler, mais tout de même. Dans une libre-opinion publiée il y a quelques jours dans Libération, Philippe Askenazy disait qu'on croyait « lire un discours de Raymond Barre à la fin des années 70. » Il y a effectivement un peu de cela dans ce texte convenu. Mais il y a surtout un défaut d'analyse de la situation qui amène à s'interroger sur la pertinence des solutions proposées.Le rapport commence de manière classique par le décrochage dans la compétition internationale de notre économie :Tous les indicateurs le confirment : la compétitivité de l'industrie française régresse depuis10 ans et le mouvement semble s'accélérer. La diminution du poids de l'industrie dans le PIB français est plus rapide que dans presque tous les autres pays européens ; le déficit croissant du commerce extérieur marque nos difficultés à la fois vis-à-vis des meilleures industries européennes et face à la montée des émergents.Soit, mais pourquoi ? Dix ans de droite ?Il y a dans ces premières lignes du rapport trois mots qui auraient du inciter à Gallois et ses collègues à approfondir ce diagnostic : « depuis 10 ans », depuis, en somme, que la droite est au pouvoir. Est-ce que ce sont les mesures prises par les gouvernements de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy qui sont en cause ? Et si oui, lesquelles ? Est-ce, a contrario, l'absence de mesures ? Mais alors pourquoi n'ont-elles pas été prises ? qu'est-ce qui s'y opposait ? quels étaient les blocages que leurs successeurs pourraient aussi rencontrer ? Et si les décisions prises par ces gouvernements ne sont pas en cause, faut-il remonter plus loin, plus haut ? On pense naturellement aux 35 heures tant rebattues. Et si celles-ci n'y sont pour rien comme il est probable, faut-il chercher ailleurs ?Les hypothèses ne manquent pas. Je voudrais en signaler deux qu'on évoque rarement : la dualité de l'économie française et sa répartition géographique.On souligne souvent que la France manque de ces sociétés de taille intermédiaire, de ces grosses PME qui font le succès de l'Allemagne, mais c'est  que nous avons, d'un coté, beaucoup de très grosses entreprises de taille internationale, et de l'autre, une multitude de petites entreprises qui ne réussissent pas à se développer. Et lorsque l'on parle de compétitivité, il faudrait se demander si elle a reculé partout également. Danone, Michelin, Areva, EADS, pour ne citer que ces quelques noms de grandes entreprises, ont-ils perdu en compétitive ? Cela ne se lit pas ni leurs résultats ni dans leurs positions dans les grands classements internationaux. Ce qui amène à se poser une question : si ces entreprises n'ont rien perdu de leur compétitivité, la dégradation massive de notre commerce extérieur ces deux dernières années ne vient-elle pas de ce qu'elles exportent moins depuis la France et plus depuis leurs usines installées ailleurs dans le monde ? Ce qui pourrait relever de la marche normale des affaires.Prenons, pour être plus précis, le cas d'une entreprise qui exportait il y a dix ans en Asie. Ses ventes dans cette partie du monde ont fortement augmenté, ont tant augmenté qu'elle décide d'y construire une usine. Ses exportations vers cette région disparaîtront puisqu'elles se feront depuis la Chine, la Thaïlande ou la Malaisie. Les chiffres de notre commerce extérieur s'en ressentiront naturellement, mais on ne peut pas dire qu'elle ait perdu en compétitivité.Mesurer des effets de ce type aurait sans doute évité cette confusion entre perte de compétitivité et dégradation du commerce extérieur. Ce sont deux phénomènes différents, même s'il est vrai que beaucoup d'entreprises vendent moins à l'étranger parce qu'elles sont moins compétitives que leurs concurrentes étrangères.Deuxième phénomène qu'il aurait été intéressant d'étudier : la répartition géographique de l'industrie en France et son rôle dans nos difficultés.Il n'est pas rare lorsque l'actualité met en évidence une entreprise en grande difficulté de découvrir qu'elle est installée dans des villes dont on entend à peu près jamais parler. Ce n'est pas un hasard. L'industrie française s'est, depuis les années soixante, éparpillée sur tout le territoire. Les villes, un peu partout, ont voulu leur industrie, on offert aux industriels qui venaient s'installer chez elles des conditions avantageuses. Cela a créé des emplois et contribué à la modernisation de la France dans ses profondeurs, mais cela a aussi isolé les entreprises, rendu plus difficile leur croissance. Difficile de trouver dans ces petites villes les services dont les entreprises ont besoin, difficile également de trouver les compétences qui leur permettraient de se développer. Thouars, pour ne prendre que l'exemple de cette petite ville des Deux-Sèvres, a deux entreprises de plus de 250 personnes, Loeul et Piriot, un spécialiste de la viande de lapin, et la CEE, un spécialiste des sacs papier. Deux belles PME qui ont ou pourraient avoir des perspectives de croissance. Mais pour cela il leur faudrait des compétences qu'elles ne peuvent pas trouver sur place. Recruter un ingénieur pour améliorer le process industriel ? ce sera difficile. Des techniciens, des spécialistes marketing, des professionnels de la vente ? pareil. Lorsque l'on dit que les entreprises ont du mal à recruter malgré le chômage, lorsque l'on ajoute qu'elles ne se développent pas autant qu'elles pourraient, on oublie cette dimension. Quel ingénieur de qualité ira s'enterrer dans cette petite ville qui n'est pas sans charme mais qui n'offre à son épouse que peu de chance de trouver un emploi, qui n'a pas de maternité et dont les établissements scolaires ne préparent pas aux études supérieures qu'il peut souhaiter pour ses enfants. La disparition des services publics, leur dégradation contribue à la diminution de la compétitivité de beaucoup d'entreprises installées loin des grands centres urbains.Il ne suffit pas, comme fait le rapport, de regretter que les jeunes ingénieurs ne choisissent plus l'industrie, il faut aussi se demander pourquoi tant d'entreprises n'arrivent pas à recruter des professionnels.La compétitivité hors coûtCette réflexion sur la géographie aurait amené les rédacteurs de ce rapport à approfondir ce qui est son autre grande faiblesse : l'analyse de ce manque de compétitivité. Ils distinguent bien la compétitive par les prix et celle par la qualité. Mais ils ne vont pas au delà. Prenons la compétitivité par les prix. On a beaucoup parlé du coût du travail, mais il n'en qu'une des composantes. L'autre est la technologie, la qualité des processus de production. Si l'économie américaine est sortie de sa longue léthargie, c'est grâce à l'injection massive de technologie, d'informatique, d'électronique… dans ses processus de production.Le manque de compétitivité des PME françaises vient de ce qu'elles n'ont pas su profiter autant que leurs concurrents en Allemagne ou ailleurs, de ces technologies qui permettent de réduire les coûts. Les auteurs le signalent, ils donnent même des chiffres : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d'âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Mais ils ne vont pas au delà. Pourquoi les entreprises françaises sont-elles si peu équipées ?Est-ce parce qu'elles sont trop petites ? parce qu'elles n'en ont pas les moyens ? parce qu'elles manquent des compétences nécessaires pour investir dans des technologies qui demandent des savoir-faire pointus, rares, qu'on ne trouve évidemment dans aucune de ces petites villes dans lesquelles sont installées tant d'entreprises.  On aurait aimé qu'ils mettent l'accent sur ce phénomène, qu'ils s'interrogent et se demandent comment amener ces PME à s'équiper de matériels plus modernes. Mais non rien. Alors même que se poser ces questions, c'est presque y répondre. S'équiper de ces technologies, de ces robots demande des moyens financiers. Ces PME les trouveront peut-être demain auprès de la banque publique d'investissement. Cela suppose aussi des compétences, et à défaut de pouvoir les recruter directement, pour les raisons qu'on a vues, des services qui les apportent aux entreprises. Ils auraient pu insister sur la modernisation des centres techniques, des instituts Carnot, de ces institutions qui ont pour vocation d'aider les entreprises à accéder à ces technologies nouvelles mais qui ne le font manifestement pas de manière suffisante. Ils auraient pu proposer la réorganisation de ces réseaux, des financements, le développement de mécanismes qui favorisent le partage des inventions et permettent surtout à ces organismes de mettre à disposition des entreprises petites et moyennes des ressources, compétences, bases de données, contacts… qui les aident à moderniser leurs produits ou leurs processus de production. Qui mettent, pour ne prendre que cet exemple, les dirigeants d'une petite entreprise un peu perdue dans une petite ville en contact avec des gens au fait des dernières technologies.Des réflexions de ce type les auraient sans doute amenés à s'interroger sur la possibilité de créer ce que l'économiste Marshall appelait au début du 20ème siècle des districts industriels, ce que les économistes appellent aujourd'hui plutôt des clusters qui sont à l'origine des succès industriels de l'Asie. Il s'agit de regroupement dans une même ville, une même vallée, une même région d'entreprises qui font le même métier ou des métiers voisins et qui peuvent donc partager des services en commun, logistique, marketing, recherche, exportation… On en a en France plusieurs exemples, le décolletage en Haute-Savoie, qui a permis à la France d'être leader mondial dans ce domaine, le vêtement avec la concentration des ateliers textiles dans le Sentier…Ils auraient pu enfin parler autrement de formation. Ils en disent un mot, ils lui consacrent même un chapitre et soulignent les gaspillages de la formation professionnelle mais ils n'apportent de solution à un problème lié, pour l'essentiel, au détournement des budgets de cette formation par les organisations syndicales, ouvrières et patronales, comme l'avait montré le rapport Perruchot.Lorsque l'on aborde les questions de formation, on évoque en général le rapprochement de l'université et des entreprises. Les auteurs de ce rapport ne manquent pas à cette tradition. Peut-être aurait-il mieux valu qu'ils s'interrogent sur les échecs répétés des multiples tentatives faites ces trente dernières années et qu'ils proposent ce qui serait tout à la fois le plus simple et le plus efficace, tant pour les entreprises que pour l'université et pour l'emploi des jeunes diplômés : la mise en place de dispositifs qui donnent aux entreprises la possibilité de contribuer au financement de thèses d'étudiants en troisième cycle. Cela inciterait les étudiants à se tourner vers le monde de l'entreprise et cela donnerait à celles-ci la possibilité de nouer des liens avec de jeunes chercheurs susceptibles d'être recrutés. On se plaint beaucoup de ce que les entreprises pratiquent peu la recherche ou, plutôt, qu'il y a peu de recherche privée. Ce serait un moyen de la développer.Pourquoi ce rapport est-il si décevant ?On l'a compris, j'ai trouvé ce rapport très décevant, trop court dans ses analyses, trop conventionnel dans ses approches. Cela peut, pour une part, s'expliquer par le peu de temps laissé à ses auteurs. Mais cela tient aussi à la méthode retenue. Ses auteurs ont compilé les rapports existants, repris leurs analyses, leurs données. Pas étonnant que dans ces conditions ils tombent sur les mêmes propositions et les mêmes résultats.Cela tient encore, et peut-être surtout, à une erreur de casting. Louis Gallois est un grand industriel, il connait bien le monde des grandes entreprises internationales, il sait ce que peuvent être leurs problèmes de compétitivité et comment les résoudre. Il connaît beaucoup moins bien le tissu industriel français, les problèmes de ces PME dispersées sur tout le territoire qui n'arrivent pas à croître malgré leur potentiel. Il aurait pu pallier tout cela s'il avait eu le temps de mener de véritables analyses, s'il avait pu s'entourer de spécialistes de ces secteurs, s'il avait pu aller rencontrer ces dirigeants, réfléchir avec eux à leurs problèmes. Il n'en a, évidemment, pas eu le temps.Est-ce que tout cela condamne les propositions de ce rapport et les décisions que le gouvernement a prises à sa suite ? pas forcément. La réduction du coût du travail soulagera sans doute nombre d'entreprises dans la période de grande difficulté que nous traversons, cela leur permettra de mieux résister au choc de la concurrence extérieure et peut-être même pour certaines de reconquérir des parts de marché, cela atténuera les critiques du patronat à l'égard du gouvernement et aidera à la négociation d'accords avec les organisations syndicales sur le marché du travail, le gouvernement pouvant dire aux patrons, au Medef,  j'ai fait ma part, à vous, maintenant de faire des efforts, mais cela suggère que les ces mesures risquent de ne pas donner des résultats à la mesure des attentes. Et c'est dommage.

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    Les PME ont besoin de trouver de nouveaux modes de financement

    Play Episode Listen Later Jun 5, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur Aligre FM le 24/04/2012Trop de défaillances d'entreprisesEn avril, les grandes entreprises publient leurs résultats. Et pour beaucoup ils sont excellents, leur chiffre d’affaires progresse tout comme leur bénéfice. C’est, notamment, le cas pour LVMH, Plastic Omnium, Sodexho et bien d’autres. Et, en même temps, on apprend qu’il n’y a jamais eu autant de défaillances d’entreprises, de mise en redressement judiciaire ou de liquidation. En fait, prés de 60 000 entreprises ont fait faillite l’année dernière en France, autant qu’aux Etats-Unis. Ce paradoxe signale l’émergence d’une économie duale avec, d’un coté, de grandes entreprises  internationales qui se portent comme un charme, qui offrent d’excellents rendements et attirent donc vers elles les capitaux et, de l’autre, des entreprises plus petites, PME, entreprises de taille intermédiaire, ETI comme on dit aujourd’hui, qui se révèlent fragiles, très fragiles. Cet écart est, sans doute, pour beaucoup dans nos difficultés, qu’il s’agisse du chômage ou de la montée des inégalités.Chômage, parce que ces entreprises qui disparaissent détruisent des emplois tandis que les grandes entreprises n’en créent plus chez nous, elles vont en créer là où sont leurs nouveaux marchés, dans les pays émergents, inégalités parce que les entreprises internationales qui ont de bons résultats les partagent, pour partie au moins, avec leurs collaborateurs quand les salariés des groupes en difficulté doivent se serrer la ceinture, mais entrons dans le détail.C'est grave parce que ce sont ces grosses PME qui recrutent le plus facilement quand tout va bienSur les 3 premiers mois de l’année, 16 206 procédures de redressement judiciaire, de liquidation ou de sauvegarde ont été prononcés. Le chiffre est important, mais en ligne avec ce qu’il était les années précédentes, c’est lorsque l’on entre dans le détail que l’on mesure la gravité de la situation. Il y a toujours eu beaucoup de défaillances des très petites entreprises, mais cette fois-ci ce ne sont pas elles qui posent particulièrement problème, ce sont les entreprises de taille moyenne : ce sont les PME de plus de 50 salariés dont le taux de défaillance a augmenté de 27%. Or, c’est là que se trouvent les emplois. Ce sont ces entreprises de taille moyenne bien plus que les moins de cinquante personnes qui créent des emplois, qui sont, du moins, susceptibles de créer des emplois qualifiés bien rémunérés.Elles recrutent plus facilement parce qu’elles ont moins de barrières à la croissance que les entreprises plus petites qui ne veulent pas passer les seuils administratifs et légaux, celui des cinquante salariés, par exemple, au delà duquel il faut créer un comité d’entreprise, ce qui donne au dirigeant d’entreprise le sentiment qu’il n’est plus seul maitre à bord, qu’il doit négocier toutes ses décisions. Parce qu’elles n’ont pas cet obstacle, ces grosses PME recrutent lorsque leur activité est en hausse quand des entreprises plus petites préfèrent souvent demander à leurs clients des délais. Elles recrutent également plus facilement parce qu’elles bénéficient d’économies d’échelles dans de nombreux domaines, comme par exemple dans celui des services au personnel, qui en réduisent le coûts. Pour ne prendre qu’un exemple tout bête, le traitement d’une feuille de salaires coûte beaucoup moins cher dans une entreprise de 300 personnes que dans une entreprise de 25. La plus grosse peut avoir un matériel informatique plus performant, elle peut surtout avoir accès à des prestataires de service plus compétitifs. L’expert-comptable qui réalise les feuilles de paie des petites entreprises facture en moyenne ces bulletins 20€ pièce quand l’entreprise de 300 personnes peut s’adresser à des spécialistes qui les lui facturent 12 ou13€. Et ce qui est vrai du bulletin de paie l’est de bien d’autres facteurs de gestion.Elles recrutent également plus facilement parce plus elles sont grosses plus elles sont susceptibles d’exporter et de trouver des occasions de croissance sur d’autres marchés que leur marché local.Pour tous ces motifs, ces défaillances d’entreprises de taille intermédiaire sont inquiétantes. Elles sont pour beaucoup d’origine financière.Des PME qui peinent à se financerChacune de ces défaillances a sa propre histoire, mais on retrouve toujours les mêmes composants : des difficultés économiques, des ventes qui diminuent, une demande qui recule, des clients qui font défaut, des produits vieillis, un concurrent plus performant et… des difficultés à se procurer le crédit nécessaire pour passer le cap, relancer l’activité, investir dans de nouveaux marchés ou de nouveaux produits. Les banques ne prennent pas de risque avec les PME en difficulté. Elles demandent des garanties sur les biens personnels des dirigeants, ce qui les condamne à tout perdre si l’entreprise fait faillite. Elles le font d’autant plus volontiers que celles-ci sont plus endettées, soit vis-à-vis de leur banque soit vis à vis de leurs fournisseurs, ce qui est souvent le cas : le crédit interentreprise est dans les PME, en beaucoup plus élevé en France que chez beaucoup de nos voisins, il représente de 15 à 20% de leur passif, contre seulement 8% en Allemagne. C’est un signe de fragilité même si cela tient, pour beaucoup, à cette mauvaise habitude qui consiste à faire trainer les règlements des factures. Les délais de paiement des fournisseurs ont tendance à diminuer mais ils dépassent toujours les soixante jours.Par ailleurs, les banques demandent aux PME, qui n’ont que peu d’autres moyens de se financer, des taux d’intérêt beaucoup plus élevés qu’aux grands groupes. Parce qu’elles offrent moins de garanties, mais aussi parce qu’elles ont moins de possibilité de faire autrement que de s’adresser à leur banque. Les grands groupes peuvent se financer de plusieurs manières, ils peuvent, notamment, aller sur les marchés et émettre des obligations, ce qu’ils font régulièrement. Le groupe Galeries Lafayette qui est actuellement en conflit avec Casino pour le rachat de Monoprix vient ainsi de contracter un emprunt obligataire de 500 millions d’euros. Faire appel aux marchés financiers est beaucoup plus difficile pour des entreprises de taille moyenne. Les outils existants ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. 400 PME de 50 à 250 salariés sont actuellement cotées. Et les efforts faits pour en augmenter le nombre n’ont pas donné de résultats probants. Le cas d’Alternextest caractéristique. Depuis sa création, ce marché qui devait permettre aux PME de lever des capitaux sans passer par les marchés boursiers traditionnels, n’a levé que 1,8 milliards d’euros. Quant à vendre de la dette, comme font les grandes entreprises qui émettent des obligations, ce n’est, en général, pas à leur portée. Des investissements retardés : une compétitivité menacéeQuand elles sont mises en cause, les banques se défendent et disent qu’elles ont désséré les cordons du crédit. C’est vrai des banques françaises plus que des banques étrangères installées en France, mais il est vrai que les banques offrent aujourd’hui plus facilement du crédit qu’il y a quelques mois. Les entrepreneurs qu’interrogent régulièrement l’IFOP sur le sujet en témoignent : ils étaient 44% au premier trimestre 2010 à dire qu’ils avaient du retarder leurs investissements du fait des taux ou de la difficulté d’accès au crédit, ils n’étaient plus que 27% en mars dernier. Mais les banques n’ont pas desséré de la même manière tous les crédits. Si elles ont baissé les taux des prêts à court terme, elles n’ont pas baissé ceux des prêts à moyen et long terme que les entreprises, surtout celles qui sont spécialisées dans la production industrielle, utilisent pour financer leurs investissements. Et on a là, en fait, un des facteurs qui contribuent à expliquer la désinsdustrialisation. Les entreprises industrielles de taille moyenne perdent en compétitivité parce qu’elles ont du mal à moderniser et renouveler leurs équipements et ne peuvent le faire qu’à un coût élevé. Cette situation est d’autant plus gênante que ces mêmes entreprises ont freiné leurs investissements depuis 2008, faute d’accès au crédit mais aussi parce qu’elles n’avaient pas confiance dans l’avenir. Et ce défaut d’investissement se fait aujourd’hui sentir surtout si elles trouvent en face d’elles des concurrents français ou étrangers qui ont pu réaliser ces investissements à temps. On le voit, la solution n’est certainement pas dans la mise en place de barrières douanières, mais bien dans la mise au point de solutions pour mieux financer ces entreprises.Au delà des défaillances d’entreprise déjà soulignées, ces difficultés de financement contribuent au vieillissement des équipements industriels. Ce viellissement présente plusieurs inconvénients. Il s’accompagne de plus de pannes, c’est-à-dire d’arrêts de la production et donc de diminution des recettes : pendant qu’une entreprise répare ses machines, elle ne fabrique pas des produits qu’elle peut vendre. Le vieillissement peut encore avoir un impact sur l’environnement. Il n’est pas rare qu’il soit à l’origine des accidents industriels. Enfin, il réduit la compétitivité. Le plus performant est presque toujours celui qui a les équipements les plus récents.Ces difficultés de financement sont d’autant plus sensibles que les équipements industriels ont, tout comme les produits de grande consommation, des cycle de vie raccourcis et qu’il faudrait donc les changer plus souvent. Peu de financements alternatifsLes candidats à l’élection présidentielle ont proposé de mettre en place une banque d’investissements et de réduire le taux d’imposition pour celles qui investiraient. Ce sont de bonnes solutions. Est-ce que cela suffira ? ce n’est pas certain. Il faudrait également que les entreprises soient plus solides financièrement. Beaucoup tentent de résoudre cette difficulté en se regroupant. C’est une bonne solution : les groupes de PME trouvent plus facilement du crédit que les sociétés indépendantes. Elles peuvent plus facilement développer des compétences financières nouvelles : il en faut pour procéder à des achats, à des fusions, à des rapprochements d’entreprises. Ces compétences permettent d’accéder à de nouvelles sources de financement plus économiques. Ce qui transparait dans les statistiques : les groupes procèdent plus facilement à des émissions obligataires que les grosses PME indépendantes. Cela changera-t-il dans le futur ? On voit arriver sur le marché de nouveaux acteurs qui proposent aux entreprises de taille intermédiaire des produits mieux adaptés à leurs besoins. Il s’agit de produits qui permettent de mutualiser des dettes qu’on appelle Fonds Commun de Créance ou, plutôt, de Titrisation. Le mot titrisation peut faire un peu peur, il rappelle les subprimes et ces produits ne se développeront vraiment que lorsque les pouvoirs publics leur apporteront leur garantie, ce qui suppose un vote au Parlement qui ne pourrait, au mieux, avoir lieu avant septembre. (voir sur ce sujet, Agefi, PME : la solution obligataire). Mais cela ne concernerait que les plus grosses entreprises moyennes et ne réglerait pas le problème des plus petites, c’est-à-dire des plus nombreuses. Se lancer dans cette aventure a, en effet, un coût, ne serait-ce que parce qu’il faut faire appel à une agence de notation pour rassurer les marchés…  Les banques sont elles aussi prises dans un étauSi ces entreprises sont à la recherche de solutions nouvelles pour se financer, c’est qu’elles ne trouvent pas leur bonheur dans les banques.Le comportement de celles-ci est souvent très sévèrement critiqué, mais il obéit à des logiques auxquelles les banquiers peuvent difficilement échapper. Il y a, d’abord, la prudence naturelle de qui prête de l’argent face à des dossiers difficiles. On reproche aujourd’hui aux banquiers de ne pas prêter mais souvenons-nous, il n’y a pas si longtemps, on leur reprochait d’avoir prêté à des gens qui n’étaient pas solvables. Il y a, ensuite, l’obligation de faire face à une insuffisance de capital due à la mise en place à venir de nouvelles règles liées  ce qu’on appelle Bâle III. C’est plus technique mais contribue à expliquer la situation.On a beaucoup dit pendant la campagne électorale que les banques ne jouaient pas le jeu, qu’elles prenaient l’argent que leur prête la Banque Centrale Européenne à un taux très faible, de l’ordre de 1% , pour acheter des emprunts d’Etat qui leur assurent des revenus plus importants au lieu de l’investir dans l’économie. C’est exact, c’est proprement scandaleux et cela justifie que l’on demande, comme fait François Hollande, que la BCE prête directement aux états, mais c’est un mécanisme classique lorsque les établissements bancaires ont des réserves insuffisantes. C’est ce qui s’est passé au Japon dans les années 90. A l’époque, elles avaient des fonds propres insuffisants parce qu’elles avaient accumulé les pertes, emprunteurs défaillants… La situation en Europe est différente, elle tient à une évolution des réglementations, mais le résultat est le même. Pour renforcer le système financier, il a été décidé, dans le cadre de ce qu’on appelle Bâle III de demander aux banques de renforcer leurs fonds propres. Ce que l’on a fait en introduisant de nouveaux ratios de solvabilité. En clair, les volumes de liquidités que les banques vont devoir mobiliser, voire immobiliser pour être autorisées à accorder des crédits vont augmenter en 2015. Les banques s’y préparent et il leur faut, pour cela, d’une part, améliorer leurs rendements et, d’autre par, nettoyer leurs portefeuilles de tout ce qui ressemble à de mauvaises dettes. Ce qui explique qu’elles se montrent beaucoup plus exigeantes avec leurs emprunteurs. Et sans doute n’est-ce qu’un début. Dans une interviewaccordée tout récemment à la Tribune, des financiers expliquaient, je les cite, "il est clair qu'il y a un risque avec Bâle III de renchérir le coût de financement de l'économie", "tous les crédits seront pénalisés par Bâle III". Il est bien difficile de leur donner tort. Tout cela n’est évidemment pas de bon augure pour les entreprises de taille intermédiaire qui vont devoir ajuster leurs stratégies pour s’adapter à un contexte différent. Sans doute leur faudra-t-il diversifer leurs sources de financement, s’adresser, par exemple, à tous ces cadres dirigeants qui ont gagné beaucoup d’argent pour les inciter à investir, il leur faudra grossir pour convaincre les banques de continuer de leur prêter dans de bonnes conditions… De leur coté, les banques et les pouvoirs publics vont devoir imaginer d’autres produits financiers qui permettent d’orienter l’épargne abondante des Français vers ces entreprises moyenne mais à forte croissance. Mais rien de tout cela n’ira de soi. On peut craindre d’autres défaillances de la part d’entreprises qui n’ont pas les compétences nécessaires pour ajuster leur stratégie ou dont les patrons ne voudront pas céder un fragment de leur autonomie. Or, chercher de nouveaux actionnaires, séduire son banquier cela veut dire accepter de nouveaux contrôles.  La reprise de l’emploi passe aussi par là. 

    L’euro est plus populaire que l’Europe

    Play Episode Listen Later Jun 5, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée le 15 mai 2012 sur AligreFML’Euro est populaire en zone euro…On a beaucoup commenté les bons résultats de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle, on a plus rarement souligné le peu de popularité de l’un des points clefs de son programme : la sortie de l’euro. Les Français de gauche comme de droite, voire d’extrême droite n’en veulent pas. Ils aiment l’euro, ils veulent le conserver. Et ce qui est vrai des Français l’est des citoyens dans tous les autres pays de la zone euro.En février dernier, BVA a réalisé un sondage sur ce thème. Ses résultats sont très significatifs : 18% des Français souhaitent l’abandon de l’euro, contre 39% des Espagnols, 42% des Italiens, 45% des Allemands et 71% des Anglais. Ce sont les Anglais qui ne sont pas dans la zone euro qui y sont le plus hostiles. Ce sont également ceux qui pensent qu’elle est, toujours d’après ce sondage, le plus menacée : 16% des Français pronostiquent l’abandon de l’euro dans les prochaines années, contre 21% des Espagnols, 27% des Allemands, 33% des Italiens et 63% des Anglais.On retrouve cette popularité de l’euro en Grèce d’après un autre sondage, réalisé par MRB, un institut de sondage grec. Si les Grecs refusent massivement les mesures d’austérité que leur impose l’Europe comme l’ont montré les dernières élections, seuls 13% d’entre eux souhaitaient, en avril dernier, la sortie de la zone euro.Pourquoi cette popularité?Cette popularité inattendue tient à plusieurs facteurs. D’abord, à la prudence. Tous les consommateurs se souviennent de la manière dont les commerçants, boulangers, bouchers, cafetiers, enfin tous ceux qui nous permettent de mesurer au quotidien l’inflation avaient profité du passage à l’euro pour arrondir et augmenter leurs prix. On peut craindre que le retour aux monnaies nationales ne conduise aux mêmes comportements ou ne crée, pire encore, un sentiment d’explosion des prix. Imaginez que nous revenions au franc. La baguette qui vaut aujourd’hui 1,20€, vaudrait 7,87F. Il serait, d’abord, tentant d’arrondir à 7,90 puis à 8. Et quand on se souvient que la même baguette valait un peu plus de 3 F en 2000, on est pris de vertige. Les consommateurs peuvent donc tout à la fois reprocher à l’euro son effet inflationniste et souhaiter le conserver de crainte qu’un nouveau changement de monnaie ne produise le même effet.A cela il convient d’ajouter deux autres aspects. D’abord, la commodité. L’euro permet de voyager plus facilement sans avoir à changer de l’argent ou faire des calculs compliqués au moindre achat. Il est vrai que l’automatisation bancaire a considérablement simplifié les opérations de change, on peut avec une carte de crédit prendre de l’argent n’importe où dans le monde, reste qu’il est plus agréable de ne pas avoir à recalculer à chaque fois le prix de ce que l’on achète.Autre aspect à prendre en compte : l’érosion des frontières et l’émergence du sentiment européen. L’euro et Schengen qui nous permettent de traverser les frontières sans contrôle ont modifié profondément l’espace mental des Européens qui se déplacent beaucoup. 74 millions d’étrangers, la plupart européens, sont venus en France pour des motifs professionnels ou touristiques en 2009. L’Europe est la région du monde dans laquelle les citoyens traversent le plus facilement les frontières. L’euro est populaire parce que ce n’est pas seulement une monnaie, c’est aussi un marqueur d’identité, d’une citoyenneté en train de se construire lentement. Ce qui ne veut pas dire que tout aille pour le mieux dans le monde qu’il a construit. Tant s’en faut.Le scepticisme anglo-saxonCette popularité de l’euro en Europe tranche avec le scepticisme des anglo-saxons qui multiplient les attaques contre l’euro. Et ceci de toutes parts. De droite comme de gauche.De gauche, comme avec Paul Krugman qui régulièrement dans ses chroniques du New-York Times annonce les pires catastrophes. Il y a quelques jours seulement, il titrait une de ses chroniques Eurodämmerung et l’illustrait d’une scène du Crépuscule des Dieux de Richard Wagner. Il annonçait ainsi le Crépuscule de l’Euro.Sa note est courte et je vais vous la lire intégralement : « Nous en avons parlé ensemble et voilà à quoi va ressembler la fin du jeu :1)    la Grèce quitte la zone euro, probablement le mois prochain, 2)    retraits massifs des banques espagnoles et italiennes alors que les déposants tentent de placer leur argent en Allemagne,3)    les gouvernements mettrons peut-être, c’est une possibilité, en place des interdiction de transférer les fonds à l’étranger et des limites sur les retraits, à moins que, en même temps ou en alternative, la banque centrale européenne accorde des crédits importants aux banques pour leur éviter l’effondrement, 4)    l’Allemagne a le choix. Ou elle accepte d'énormes créances publiques indirectes sur l'Italie et l'Espagne, ainsi que d'une révision drastique de sa stratégie qui consisterait en gros à donner à l'Espagne en particulier, des garanties sur sa dette pour maintenir les coûts d'emprunt bas et une cible d'inflation plus élevée pour faciliter un ajustement des prix relatifs  ou c’est la fin de l’euro.Et, ajoute-t-il, nous parlons de mois, non d’années pour voir cela se décider. » Krugman est loin d’être le seul dans le monde anglo-saxon à imaginer ce type de scénario catastrophe. On n’en finirait pas de citer les économistes, journalistes et universitaires d’outre-Manche et d’outra-Atlantique, qui tiennent des propos similaires.On pourrait être tenté d’attribuer ce scepticisme radical à la volonté des milieux financiers anglo-saxons de se protéger contre l’émergence d’un nouveau concurrent. Beaucoup l’on fait. Il me semble qu’il est plus judicieux et raisonnable de l’attribuer à la distance. Parce qu’ils sont observateurs plus qu’acteurs, les anglo-saxons voient mieux les faiblesses de la construction de l’euro. Mais parce qu’ils ne sont qu’observateurs attachés exclusivement à la dimension économique et financière, ils négligent l’attachement des opinions européennes à l’euro et le coût politique extraordinaire que serait pour tous les Européens sa disparition. Ce serait la fin de soixante ans de construction européenne, l’Europe et les grands pays européens cesseraient d’être une puissance qui attire ses voisins. Ce serait un véritable drame économique et politique. Et l’on peut pense que nul en Europe n’est prêt à prendre ce risque. Pour que leurs prédictions se réalisent il faudrait que l’Europe cesse d’être un rempart contre les aventures politiques. Le risque n’est pas insignifiant comme on le voit en Hongrie ou aux Pays-Bas, mais il est encore faible.Ce qui ne veut pas dire que l’euro ne soit pas confronté à de lourdes difficultés tout à la fois structurelles et conjoncturelles.L’hétérogénéité des économiesLa première difficulté à laquelle se heurtent l’euro et ceux qui en ont la responsabilité est l’hétérogénéité de l’économie européenne. Tous les pays, toutes les économies ne sont pas également spécialisés, tous les pays n’ont pas la même stratégie. Tout n’ont donc pas besoin de la même politique monétaire. Un euro fort réduit le coût des importations et augmente celui des exportations sur les marchés extérieurs.Il pénalise donc les économies dont la production est tournée vers l’exportation à l’extérieur de la zone euro, sauf si les acheteurs de ces produits exportés sont peu sensibles au coût. Soit que ces produits ne souffrent d’aucune concurrence soit que leur qualité soit telle que l’écart de prix ne compte pas, soit encore, que ces produits exportés intègrent beaucoup de composants importés dont les prix ont, du fait de la monnaie forte, baissé. C’est exactement ce qui s’est passe en Allemagne et explique qu’elle soit favorable à un euro fort. Son économie s’est adaptée et depuis longtemps à une monnaie forte et elle en profite. Cette même monnaie forte ne gêne pas non plus les économies dont les exportations sont tournées vers la zone euro ou celles qui sont largement dominées par les services. Si un pays a un secteur de services non échangeables, comme disent les économistes, (services aux particuliers, construction, loisirs, distribution...) de grande taille et en croissance régulière, il est partiellement immunisé contre les fluctuations de l’euro. Cela a été le cas de l’Espagne jusqu’à ce qu’éclate la bulle immobilière. On peut d’ailleurs penser qu’un euro fort a favorisé le développement du secteur des services en Espagne et contribué indirectement au moins à la bulle immobilière : les investisseurs ne trouvant pas d’entreprises industrielles compétitives dans lesquelles placer leur argent, se sont tournés en masse vers le secteur immobilier jusqu’à son implosion.A contrario, une monnaie forte pose problème aux économies dont les produits sont en concurrence, sur les marchés étrangers avec des produits venus d’ailleurs. Elle fait également beaucoup de tort aux entreprises peu compétitives qui restent sur les marchés nationaux : si elles veulent résister à la concurrence étrangère, elles doivent réduire leurs marges, ce qui rend plus difficile les investissements en productivité. Et si elles veulent continuer de vendre à l’étranger, en dehors de la zone euro, elles doivent baisser leurs prix ou… délocaliser leur production.Des institutions inadaptéesCette difficulté pourrait être corrigée si les institutions européennes s’étaient adaptées à la monnaie unique. Or, ce n’est pas le cas. L’hétérogénéité des économies conduit au déficit chronique du commerce extérieur dans les pays dont les industries sont le moins bien adaptées à une monnaie forte. C’est le cas, notamment, de la Grèce. Et comme il n’y a pas de mécanisme de transfert pour compenser ces déficits commerciaux, on voit les dettes de ces pays se creuser, les taux d’intérêt auxquels ils peuvent accéder lorsqu’ils empruntent sur les marchés internationaux augmenter. S’ils veulent éviter la catastrophe ces mêmes pays doivent réduire leur demande intérieure, ce qui affecte les secteurs qui ne sont pas directement concernés par la monnaie.La situation serait naturellement toute différente s’il y avait, non pas autant d’emprunteurs souverains que de pays au sein de la zone euro, mais un seul : les prêteurs internationaux ne regarderaient plus les chiffres de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne, mais ceux de toute la zone. Et comme ils sont bons, les taux d’intérêt diminueraient et tous ont profiteraient ce qui permettrait aux pays aujourd’hui en plus grande difficulté de ne pas imposer à leur population des cures d’austérité insupportables dont les coûts politiques sont très élevés comme on le voit actuellement en Grèce. Cette inflexion aurait également un effet positif sur leurs voisins puis que l’une des conséquences de ces politiques d’austérité est de réduire les échanges avec le reste de l’Europe. Depuis 2009, nos exportations vers l’Espagne ont fortement diminué. Même chose pour l’Italie et la Grèce. C’est ce qui fait la différence entre l’Europe et, par exemple, les Etats-Unis dont les régions sont aussi très hétérogènes. Mais comme il s’agit d’une fédération, les difficultés d’un Etat sont compensées par les bons résultats d’autres Etats.Autre difficulté institutionnelle : l’absence de coordination dans les politiques budgétaires. A défaut de mutualisation des dettes, les plus endettés doivent consentir des efforts considérables sans que les mieux lotis viennent à leur secours. Il en irait tout autrement si ces politiques étaient coordonnées. Comme l’explique Patrick Artus, le patron de la recherche économique de Natixis, dans une de ses notesrécentes « S’il y avait coordination des politiques budgétaires entre les pays de la zone euro, compte tenu de la faiblesse de l’activité dans beaucoup de pays (Espagne, Italie, Portugal, même Pays-Bas), on aurait :  - un accord entre les pays pour que les pays à déficit élevé ne réduisent que progressivement et pas brutalement leur déficit public ; - le maintien d’une politique budgétaire raisonnablement stimulante dans les pays où la situation des finances publiques et le niveau des taux d’intérêt le permettent (Allemagne en particulier). »A ces difficultés institutionnelles s’ajoutent des problèmes d’ordre culturel sur lesquels il est certainement plus difficile d’agir : la main d’œuvre est beaucoup moins mobile en Europe qu’aux Etats-Unis. C’est sans doute en train de changer. On voit beaucoup de jeunes gens s’installer à l’étranger, à Londres, en Berlin, mais ce que j’ai appelé ici-même il y a quelques années des « europatriés » ne sont encore que des pionniers. Cette faible mobilité s’explique facilement : problèmes linguistiques, problèmes réglementaires, difficulté de mener une carrière internationale… mais elle contribue pour partie au moins au chômage. Si les populations européennes étaient plus mobiles, on verrait les travailleurs des régions à fort taux de chômage se déplacer vers celles qui sont en manque d’emplois. Des difficultés conjoncturelles A ces difficultés structurelles, il convient d’ajouter des difficultés conjoncturelles. Si la main d’œuvre est peu mobile, le capital l’est beaucoup plus. Et l’un des avantages d’une monnaie unique est de faciliter cette mobilité, de permettre au capital, à l’épargne de se placer là où elle risque de trouver le meilleur retour. Une bonne part de la croissance européenne de ces dernières années a été liée à cet afflux de capital venu d’ailleurs en Europe se porter sur les entreprises les plus prometteuses. Et ceci dans un peu tous les pays. Or, ce mouvement est en train de se renverser. Comme l’explique Patrick Artus dans une autre de ses notes, « On assiste depuis 2008 à une renationalisation des portefeuilles : les investisseurs de chaque pays de la zone euro ne veulent plus investir que dans les actifs de leur pays en raison du retour de risque de change ou du risque de défaut. Les pays ne trouvent plus alors de prêteurs non-résidents pour financer un déficit extérieur,  ce qui explique la hausse des taux d'intérêt à partir de 2008 dans les pays périphériques. » Ce biais en faveur des investissements domestiques, cet « home bias » comme disent les économistes avait fortement diminué depuis l’arrivée de l’euro, comme l’avaient montré deux universitaires néerlandais en 2008 (Schoenmaker, Bosch, Is the home bias in equities and bonds declining in Europe?). Son retour est inquiétant : il veut tout simplement dire que les financiers croient moins en l’euro, qu’ils se méfient des pays en difficulté. Qu’ils n’ont plus la même confiance dans les institutions.L’euro est aujourd’hui plus populaire que l’Europe, ses difficultés sont plus politiques qu’économiques. Tout cela le confirme: la solution de la crise économique que traverse l’Europe est d’abord politique. 

    Le défi majeur : l'emploi des jeunes

    Play Episode Listen Later May 17, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée le 8/05/2012 sur AligreFM, cliquer iciRépondre au défi majeur : l’emploiFrançois Hollande a donc été élu. Comme il l’a dit et répété, son élection a lancé un signal à l’Europe. L’austérité ne suffit pas, il faudra l’accompagner de croissance. Et l’on peut penser que le message a été entendu. Depuis quelques jours le mots « croissance » a fait sa réapparition dans le vocabulaire des dirigeants européens. Et comme le reste du monde, Américains en tête, n’attend que cela, on peut parier qu’il obtiendra assez facilement l’introduction d’un complément sur la croissance au pacte européen. Obtiendra-t-il autant qu’il devrait ? cela dépendra de sa capacité à réunir autour de lui les dirigeants européens qui souhaitent aller dans ce sens. La présence du premier ministre belge aux cotés de Martine Aubry à Lille est, de ce point de vue, de bon augure même s’il aura fort à faire avec le nouveau tandem germano-italien qui s’est dessiné ces dernières semaines lorsqu’il est apparu que Nicolas Sarkozy était menacé.Mais tout cela est l’actualité immédiate. François Hollande ne réussira son quinquennat que s’il répond aux multiples défis économiques de la société française : la dette, la dégradation des services publics et, bien sûr, le chômage et, d’abord, celui des jeunes que François Hollande a mis, à juste titre, en tête de ses préoccupations. Il a certainement fait un bon diagnostic : l’emploi des jeunes est l’une des questions centrales de nos sociétés. Et pas seulement en France, on retrouve le même phénomène un peu partout dans le monde développé et pour, semble-t-il, les mêmes raisons. Il a demandé à être jugé sur ses résultats dans ce domaine et il a bien fait. Mais s’est-il donné les moyens de le traiter ? Les solutions qu’il propose, ces contrats de génération, s’ils peuvent aider, ne sont certainement pas à la hauteur du problème, comme l’avait signalé, lors des primaires, Martine Aubry. Ils permettront sans doute à quelques dizaines de milliers de jeunes de trouver un emploi, mais il n’en créera pas vraiment d’emplois puisqu’il s’agit, in fine, de remplacer des seniors par de plus jeunes.La croissance par les réformes structurellesSi les jeunes n’ont pas d’emploi c’est parce que la croissance n’est pas au rendez-vous mais aussi parce que le monde du travail ne fait plus aujourd’hui de place aux jeunes sans diplômes ni qualifications.Commençons par la croissance. Si l’idée qu’il nous faut plus de croissance est acceptée d’à peu près tout le monde, on est loin de l’unanimité sur les solutions. Je dirais, pour simplifier, que deux thèses sont en présence. La première, soutenue par l’Allemagne, la BCE et, de manière plus générale, les conservateurs, insiste sur la nécessité des réformes structurelles, la seconde, portée par la gauche mais aussi par de nombreux économistes dans les pays en difficulté et en dehors de la zone euro parie sur le retour d’un peu d’inflation en Allemagne. L’argument des partisans des réformes structurelles est très simple : si l’on veut que les entreprises restent compétitives sur les marchés internationaux, il faut que le coût du travail diminue et qu’elles soient plus flexibles. On ne sortira de la crise, disent en substance ses avocats, qu’en cassant les rigidités de notre système, rigidités confondues avec, d’une part, la protection sociale et les cotisations sociales qu’on appelle charges sociales pour les dévaloriser et mieux souligner combien elles coûtent cher, et, d’autre part, le contrat de travail à durée indéterminée, le CDI.Pour réduire le coût du travail, deux hypothèses ont été évoquées explicitement à droite pendant la campagne électorale : la TVA sociale qui permettrait de transférer une partie des cotisations sociales vers les consommateurs, et une plus grande autonomie du dialogue qui permettrait aux entreprises de déroger, une fois obtenu l’accord des syndicats, au code du travail. On pourrait ajouter à cela un troisième dispositif déjà enclenché : le transfert aux consommateurs d’une partie des dépenses aujourd’hui prises en charge par la collectivité. C’est en cours dans le domaine de la santé, avec toutes ces mesures qui consistent à demander aux patients de contribuer au financement de ses soins. Ce l’est dans le domaine de l’éducation avec l’explosion des droits d’inscription dans l’enseignement supérieur. Et on peut imaginer que Nicolas Sarkozy élu, nous serions allé plus loin dans cette direction.Mais il n’y a pas que le coût du travail, il y aurait aussi ses rigidités assimilées au CDI et aux règles qui imposent des contraintes aux employeurs qui veulent licencier des salariés. Contrat et règles qu’il faudrait donc supprimer, ce que la droite envisageait de faire avec ses accords compétitivité-emploi qui auraient permis aux entreprises de déroger aux règles du code du travail et de baisser les salaires.  La croissance par le retour de l’inflation en AllemagneLa seconde approche que défend l’économiste américain Paul Krugman mais que l’on retrouve et retrouvera demain plus encore à gauche revient à dire que l’on peut avoir plus de croissance en Europe si l’Allemagne accepte plus d’inflation. Ce qui ne serait qu’un juste retour des choses. Si l’Allemagne a si bien réussi, ce n’est pas seulement, expliquePaul Krugman, grâce à ses performances en matière d’exportation, comme on le dit souvent, mais aussi grâce à une inflation un peu plus élevée chez ses voisins européen. Ce serait donc aujourd’hui à elle d’accepter un peu d’inflation pour relancer l’activité de ses voisins. Cela peut passer par des augmentations de salaires et l’on sait que les syndicats le réclament vivement, mais aussi une politique monétaire moins restrictive qui abandonne son objectif d’une inflation inférieure à 2%. Ce qui suppose une réorientation des missions et des objectifs de la banque centrale et une évolution profonde de la politique allemande. Cette seconde thèse est, bien sûr, bien plus raisonnable et satisfaisante, mais elle se heurte à l’opposition de l’Allemagne et de la Banque centrale. Et le risque est que, sous couvert de compléter le traité les Allemands et leurs alliés n’imposent à la France ces réformes structurelles dont nous parlions à l’instant au motif qu’elles ont été réalisées en Allemagne, engagées en Grèce, en Italie et en Espagne. C’est un scénarioqu’envisagent les marchés financiers comme en témoigne cette note de l’économiste en chef d’un des principaux brokers européens : « Quel qu'il soit, le prochain président aura donc à rationaliser les finances publiques et favoriser la croissance, grâce à d'ambitieuses réformes de la fiscalité et du marché du travail. Dans la mesure où la politique de croissance proposée par Hollande échouera à coup sûr, elle est probablement conçue comme une astuce pour éluder la question du marché du travail au cours de la campagne et servir d'édulcorant au-delà. »Le pire n’est évidemment pas sûr. François Hollande peut espérer le soutien, au moins implicite, des autres dirigeants européens et des syndicats allemands et avec eux d’une partie de l’opinion allemande qui ne portent pas le même regard que nous sur le miracle allemand. Car si miracle il y a eu, il n’est certainement pas partagé par tous, comme le suggérait un long et très détaillé article paru la semaine dernière dans le Spiegel, le grand magazine allemand dont le titre est tout un programme : le coût élevé du succès économique de l’Allemagne. Je n’en citerai que ce passage explicite : « Une minorité seulement profite du boom tandis que des salaires qui stagnent et la précarité de l’emploi rendent difficile pour la majorité de joindre les deux bouts. »  Une relance par l’inflation ne suffira pasOn ne sait si François Hollande réussira à convaincre les Allemands et la BCE, mais le réussirait-il même que cela ne suffirait pas. Encore faudrait-il que l’économie française profite de cette relance par l’inflation. Ce n’est pas évident.Les grands travaux auxquels il pense profiteront certainement aux grandes entreprises, mais ce ne sont pas elles qui créent de l’emploi. Si l’on veut que cette relance soit efficace, il faut que cette relance profite aux PME, aux entreprises de taille intermédiaire qui produisent en France et qui y créent des emplois. Or, cela suppose qu’elles aient les moyens de cette croissance, qu’elles aient les financements pour accroitre leur productivité et les compétences pour répondre à ces nouveaux marchés.  En ce sens, la banque d’investissements que propose Françis Hollande devrait être une bonne chose, surtout si elle est décentralisée et proche des acteurs. Encore faudra-t-il qu’elle se mette en route rapidement. Mais elle ne réglera pas l’autre grand problème de ces entreprises : celui des compétences. La croissance d’une entreprise est aussi affaire de compétences de son management. Une entreprise de 20 personnes et une entreprise de 500 ne demandent pas les mêmes. Une des grandes forces de l’industrie américaine est d’offrir aux entreprises moyennes la possibilité de recruter des collaborateurs formés dans les grandes entreprises où ils ont appris les techniques de management nécessaires qu’il s’agisse du marketing, de la production, des ressources humaines ou du commerce international. Nous n’avons pas cela en France.Or, cette question des compétences n’est abordée par personne. Peut-être parce que nos politiques ne connaissent que mal les entreprises moyennes et ne rencontrent que les dirigeants des très grands groupes qui n’ont pas ces soucis, mais le premier frein à la croissance des PME est là : plus une entreprise grandit, plus elle a besoin de maîtriser des savoir-faire dans les domaines les plus variés qui ne s’acquièrent, pour l’essentiel, que sur le terrain, au contact des réalités, je veux dire des régles, des procédures de toutes sortes qui encadrent le monde du travail.Pour tous ces motifs, une relance par la croissance ne suffira pas, ne permettra pas de résoudre le problème du chômage des jeunes.  Jeunes sans emploi : la faute à croissance et au manque de qualificationSi les jeunes n’ont pas d’emplois, c’est faute de croissance, faute d’entreprises qui leur donnent du travail, mais ce n’est pas seulement cela. C’est aussi que beaucoup, beaucoup trop n’ont pas de qualifications suffisantes. Je disais tout à l’heure que toutes les économies industrielles étaient confrontées à ce problème. L’une de leurs difficultés majeures vient de ce qu’elles ont du mal à créer des emplois pour les moins qualifiés, pour ceux qui sortent du système scolaire sans diplômes. En France, ailleurs aussi sans doute, ces jeunes sans qualifications se retrouvent, dés qu’ils cherchent un emploi en concurrence avec ceux qui en ont un.Pourquoi un employeur choisirait-il un candidat sans le baccalauréat quand il peut, pour le même prix, en avoir un avec ce diplôme ? On dira que le baccalauréat ne vaut pas grand chose, qu’il n’est pas forcément utile pour tenir les postes les moins qualifiés. C’est oublier que beaucoup de postes, notamment dans les services, demandent des compétences acquises à l’école, maîtrise de la langue écrite et parlée, d’un peu d’anglais… Bien rares sont aujourd’hui les métiers qui ne demandent aucune qualification. C’est surtout oublier qu’un diplôme ne donne pas seulement des informations sur les compétences acquises, il en donne aussi sur le comportement : on sait que celui qui a réussi son bac, pour rester sur cet exemple, a fait des efforts pour l’obtenir, a préféré à un moment de sa vie le futur (la réussite à l’examen et ce que cela peut apporter) aux satisfactions immédiates. L’absence de diplômes peut être assez facilement compensée par une expérience professionnelle. Encore faut-il acquérir celle-ci, ce qui ne va pas de soi quand tous les emplois auxquels pourraient prétendre ceux qui n’ont pas de diplômes sont pris par ceux qui en ont un. Et pris d’autant plus facilement que tout le système des stages d’étudiants dont sont si friands les entreprises et les professionnels de l’enseignement supérieur met en concurrence des candidats sans diplômes à la recherche d’un emploi durable et des diplômés à la recherche d’un emploi précaire. Difficile de faire concurrence plus inégale. L’une des meilleures manières de lutter contre le chômage sans qualification serait de lutter contre cette concurrence inégale. D’après l’INSEE, 19% des jeunes qui suivent des études supérieures, soit à peu près 400 000 personnes, cumulent emplois et études, la moitié seulement occupent un emploi, stage ou contrat en alternance qui a un rapport avec leurs études. Autant dire qu’il y a là un gisement important qui mériterait d’être exploité et qui permettrait, s’il l’était de réduire de manière significative le nombre de jeunes de moins de 25 ans aujourd’hui sans emplois. Il y en avait, en 2010, 640 000.Pour cela il faudrait donner aux étudiants qui ont besoin le moyen de financer leurs études autrement, avec, par exemple, des bourses. Ce qui limiterait l’échec dans l’enseignement supérieur, car quoi de pire que ces situations bâtardes où l’on travaille mal parce que l’on fait ses études et l’on étudie mal parce que l’on travaille.Une cible : l'échec scolaireUne autre difficulté tient au développement de la précarité qui ne favorise pas l’acquisition de compétences professionnelles sur le tas. Les jeunes qui vont de CDD en CDD ne développent pas de compétences utiles ou, plutôt, ils se retrouvent à la tête d’une multitude de savoir-faire que tout un chacun peut acquérir à tout moment. En ce sens, ils sont pleinement interchangeables et donc plus que d’autres victimes de la flexibilité : l’employeur qui s’en sépare sait qu’il pourra demain retrouver sur le marché du travail l’équivalent. A aucun moment il ne se dit : je vais le garder parce que j’aurais du mal à trouver quelqu’un qui fasse aussi bien. Cette absence de qualifications renvoie naturellement à l’échec scolaire puisque ce sont ceux qui sortent du système scolaire le plus tôt, sans qualification qui ont les taux de chômage  les plus élevés, de l’ordre de 30% à 50%.  L’échec scolaire est un phénomène complexe, mais on dispose d’indications qui donnent des pistes. On sait, par exemple, que la réussite au baccalauréat est sensiblement plus faible chez les enfants dont le père a connu une période de chômage de longue durée. L'écart de taux de réussite est de 20 points. Une partie de cet écart est, explique l’INSEE, due au fait que le chômage concerne surtout des pères peu diplômés, moins à même d'aider leurs enfants dans leur scolarité. Mais le chômage des parents a aussi un effet qui lui est propre : il diminue de 12 points la probabilité d'obtention du baccalauréat. Autrement dit : le chômage des parents favorise celui des enfants.Pour conclureFrançois Hollande a tout au long de cette campagne électorale mis en avant la jeunesse et il a souligné la gravité du chômage des jeunes. Il a bien fait, le diagnostic est bon, mais maintenant qu’il est à pied d’œuvre il va lui falloir trouver des solutions qui aillent au delà des contrats de génération qu’il a imaginés et de la croissance qu’il espère relancer en négociant avec l’Allemagne. Les causes de ce chômage massif des jeunes sont souvent plus profondes, je veux dire plus inscrites dans les plis de nos institutions. Des pistes existent cependant. Nous en avons vu trois :- éviter que les étudiants salariés ne prennent l’emploi des sans diplômes,- obtenir des entreprises qu’elles offrent à eurs jeunes salariés des contrats durables qui leur permettent de cumuler des compétences qui constituent un capital sur le marché du travail,- lutter, enfin, contre l’échec scolaire là où il est le plus destructeur : dans les milieux populaires.Tout cela demande malheureusement des investissements importants.

    Les marchés attaquent la France ?

    Play Episode Listen Later Apr 24, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée sur AligreFM le 17 avril 2012Les marchés fourbissent leurs armesDepuis quelques jours, la presse de gauche, Mediapart, le candidat du Front de gauche, mais aussi Nicolas Sarkozy agitent le risque d’une attaque des marchés contre la France en cas de victoire de François Hollande. Et pour conforter leur argument, ils avancent deux nouvelles passées à peu près inaperçues : - d’abord,la création par l’Eurex, une filiale de la bourse allemande, d’un produit financier permettant à presque tout le monde, enfin, à presque tous ceux qui ont un peu d’argent, de spéculer contre la dette française. - Et,ensuite, une décision de l’Autorité des Marchés Financiers qui a mis fin à l'interdiction des ventes à découvert sur les titres émis par 10 grandes banques et sociétés d'assurance côtées sur le marché parisien : AXA, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole…Réponse du berger à la bergère ? François Hollande voulait s’attaquer à la finance, il voulait la dompter, la refaire passer sous les fourches caudines du pouvoir politique et celle-ci se rebifferait, se préparerait à l’affrontement, s’équiperait des armes nécessaires pour mener l’assaut contre un pouvoir socialiste hostile ? c’est possible, mais tous les bruits de sabre ne font pas les guerres… et avant de se prononcer mieux vaut regarder dans le détail ce nouveau produit financier.Le 16 avrilDepuis hier, lundi 16 avril, quiconque le souhaite peut spéculer contre la dette française. C’est Marc Forentino, un chroniqueur financier de la Tribune que l’on voit de temps en temps à la télévision qui a lancé le premier cri d’alarme. Dans une de ses chroniques datée du 23 mars, il écrivait : « Le 16 Avril, soit, quelle coïncidence, une semaine avant le premier tour des élections Françaises, le marché des dérivés, L'Eurex va ouvrir un contrat à terme sur les emprunts d'Etat Français. Qu'est ce que cela veut dire? Très simplement. Jusqu'à présent, si vous vouliez spéculer contre la dette Française, vous n'aviez que deux moyens: acheter des CDS, ces fameux contrats d'assurance contre la faillite, ou vendre à découvert des emprunts d'état Français, deux moyens destinés aux grandes institutions financières et aux gros fonds spéculatifs et qui nécessitaient de gros moyens. Avec l'ouverture de ce contrat, ce sera plus facile. Tout le monde ou presque pourra acheter ou vendre à découvert des emprunts d'Etat Français. Facilement. Et en plus avec un effet de levier de 20. C'est-à-dire qu'avec 50,000 euros seulement vous pourrez vendre à découvert 1 million d'euros d'emprunts d'Etat Français. C'est l'arme idéale pour attaquer la France. (…) On va dire que c'est une simple coïncidence. Que c'est un hasard si quelques jours avant les élections présidentielles les spéculateurs du monde entier se dotent d'une arme fatale, bon marché, et à fort effet de levier pour s'attaquer à la dette Française. Il n'y a pas de complot. Rassurez-vous. Dormez tranquille. Il ne se passera rien…. »Il a été dans les jours qui suivent repris par d’autres journalistes financiers, mais c’est un article de Martine Orange dans Mediapart qui a véritablement mis le feu aux poudres et incité les politiques à y regarder de plus près. Mais de quoi s’agit-il exactement ?Un produit dérivé…Comme toujours avec les produits financiers, c’est un peu compliqué. Il s’agit de contrats à terme qui permettent d'acheter ou de vendre des titres à un prix fixé à l'avance pour un règlement effectif à une date ultérieure. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’obligations souveraines. Ces contrats à terme ont été à l’origine conçus pour permettre aux entreprises, aux investisseurs de se protéger contre les variations des valeurs de leurs actifs, pour se protéger du risque de change, par exemple. Mais ils se sont très vite transformés en outil de spéculation. C’était, d’ailleurs, inscrit dans leurs gènes. Si je me lance dans un contrat à terme pour me protéger d’un risque à venir, il faut bien que je trouve quelqu’un en face qui accepte de prendre ce risque et qui va demander en échange, dans l’hypothèse où tout se passe bien pour lui, une forte rémunération. Le produit que lance Eurex pourrait donc jouer contre la dette française. C’était déjà possible avec ce qu’on appelle les CDS, les Credit defaut swaps, un produit inventé au début des années 90, mais il était réservé aux institutions financières ayant de très gros moyens puisqu’il faut mobiliser des millions voire des dizaines de millions d’euros pour devenir un acteur sur leur marché.Le nouveau produit que propose Eurex baisse considérablement le prix d’entrée puisqu’il permet de spéculer avec une mise limitée : 100.000 euros. Ce n’est évidemment pas à la portée de toutes les bourses, mais c’est à la portée de beaucoup dans le monde. Et cela peut être d’autant plus tentant que l’effet de levier est estimé entre 10 et 20 fois la mise. « Les dégâts peuvent être rapides » comme l’explique Martine Orange dans son article de Mediapart, « les hedge funds et autres fonds spéculatifs vont donc pouvoir parier sur la chute de la dette française, sans mobiliser beaucoup de fonds. »Mais on peut naturellement se demander comment cela peut avoir un impact sur l’économie française.Comment est-ce que cela fonctionne ?Pour comprendre le mécanisme, il faut regarder ce qui se passe avec les CDS conçus pour protéger les porteurs de dettes souveraines contre un défaut d’un pays. Comme tous les contrats à terme, ces produits peuvent être comparés à un système d’assurances. Tout comme on prend une assurance lorsque l’on craint un sinistre, on se couvre en achetant ces produits financiers lorsque l’on s’inquiète. Le prix des CDS est fonction de l’inquiétude des investisseurs, des marchés. Leurs prix montent lorsque les marchés, les porteurs de dettes souveraines veulent se protéger d’un risque. En ce sens, ces CDS sont un indicateur de la perception que les marchés ont du risque. Et, assez naturellement, les financiers évaluent le risque pris sur les dettes souveraines en regardant les prix des CDS. Risque dont ils peuvent se couvrir de deux manières, en achetant ces CDS, s’ils ont dans leur portefeuille de la dette souveraine, et en demandant des taux d’intérêt plus élevés s’ils veulent en acheter. Et ainsi, la boucle est bouclée, les taux d’intérêt montent en même temps que les CDS. Les pays ont plus de mal à se financer, leurs difficultés se creusent. On est dans le cadre d’une prédiction auto-réalisatrice dont les premiers bénéficiaires sont les spéculateurs qui peuvent avoir intérêt à manipuler les marchés…Un moteur pour la spéculationOn l’a compris, il suffirait que les spéculateurs, les fameux hedge funds, fassent monter le prix de ces CDS pour que les porteurs de dettes souveraines s’inquiètent, se mettent à en acheter, déclenchant ainsi le mécanisme que je décrivais il y a deux secondes. Est-ce ce qui s’est produit ? Beaucoup d’observateurs en ont la conviction. Encore a-t-il fallu, pour ce que cela marche que les investisseurs aient bien le sentiment d’un risque, risque politique, par exemple. La montée du cours des CDS est alors simplement venu confirmer ce qu’ils craignaient par ailleurs. Ce mécanisme de spéculation aura été, dans le cas des CDS, favorisé parce qu’on appelle les ventes à nu, la possibilité d’acheter ces produits, ces assurances, sans avoir de dette souveraine dans son portefeuille. C’est un peu comme si l’on pouvait acheter une assurance automobile sans posséder de véhicule. Cela permettait à des opérateurs de se lancer sur ce marché avec des fonds relativement limités.Le nouveau produit d’Eurex pourrait aggraver la situation dans la mesure où il devrait favoriser cette spéculation. Il va être vendu sur d’autres réseaux de distribution comme un produit rapportant rapidement beaucoup, il va s’adresser à des gens qui n’investiront dedans que dans l’espoir de gagner beaucoup d’argent. Le nombre de ceux susceptibles de spéculer va augmenter, et ils seront d’autant plus nombreux qu’ils seront convaincus de faire une bonne affaire. On peut penser qu’ils regarderont le cours des CDS. L’augmentation de 135% en un an de ceux sur la dette française devrait les inciter à investir dans ce nouveau produit.Ce risque de spéculation devrait donc contribuer à l’offensive des marchés financiers contre la France, offensive qui pourrait être aggravée par la mesure prise par l’AMF, l’Autorité des Marchés Financiers, qui vient de mettre fin à l'interdiction des ventes à découvert sur les titres émis par 10 grandes banques et sociétés d'assurance côtées sur le marché parisien.  En clair, cela veut dire que l’on pourra plus facilement spéculer à la baisse sur les titres de ces entreprises. Et l’on pourrait donc se retrouver dans quelques semaines avec, d’un coté, une augmentation des taux d’intérêt sur la dette française et, de l’autre, un effondrement de la Bourse à Paris, une bourse qui dévisse déjà puisqu’elle a perdu depuis la mi-mars, 11%. La France est, dit Marc Fiorentino, clairement attaquée. Et ceci avant même que les Français aient voté.Pourquoi l’Eurex se lance-t-il dans cette bataille ?On peut naturellement se demander pourquoi Eurex, une filiale de la bourse allemande, s’est lancée dans cette aventure. Lorsqu’on les interroge, les dirigeants de cette entreprise répondent : « Parce que les clients le demandent. » Et s’ils le demandent, c’est qu’ils ont le sentiment de pouvoir gagner beaucoup d’argent avec ce nouveau produit. Des hedge funds confiaient récemment au Financial Times que les dettes européennes leur avaient rapporté en 2011 entre 11 et 13 % par an quand leurs autres investissements dépassaient rarement les 4-5 %. Cela avait été leur meilleure source de profits et l’on comprend bien que cela ait pu attirer l’attention d’autres acteurs. Pourquoi les hedge funds seraient-ils le seuls à profiter de cette manne ?Eurex est une société privée qui se comporte comme n’importe quelle société commerciale, elle développe les produits dont elle pense qu’ils rencontreront du succès. Que cela puisse se faire au dépens d’un pays, d’une économie ne concerne pas vraiment ses dirigeants dont la seule ambition est d’augmenter leur part de marché et leur chiffre d’affaires. Ce qui nous amène à cette autre question : que peut faire la France pour lutter contre ?François Hollande a dit qu’il interviendrait auprès des autorité allemandes pour leur demander d’interdire ce produit. Sans doute le fera-t-il s’il est élu, mais on peut imaginer que le gouvernement allemand lui répondra qu’Eurex est une société privée sur laquelle il n’a pas prise. Est-ce à dire que la France est sans ressources ? Pas forcément.Les armes de la FranceLes outils, les armes pour engager une bataille contre la France existent, mais les belligérants, je veux dire les marchés financiers les utiliseront-ils ? Il y aura sans doute des escarmouches, mais les hostilités ne prendront vilaine tournure que si les marchés s’inquiètent, s’ils pensent que le nouveau gouvernement va prendre des mesures qui aggravent la dette et augmentent l’incertitude. Et de ce point de vue, il n’est pas certain que François Hollande, s’il est élu, soit plus mal placé que Nicolas Sarkozy. On l’a peu remarqué, mais la presse économique et financière internationale n’a pas pris parti dans la campagne présidentielle. Elle a été également sévère avec tous les candidats, The Economist nous a reprochés de ne pas prendre la mesure des difficultés à venir, il n’a pas appelé à voter pour un candidat plutôt que pour un autre, ce qui veut probablement dire que les marchés, que représente bien cet hebdomadaire, seront demain plus dans l’expectative que dans l’offensive.Cela tient à la manière dont les deux principaux candidats ont mené leur affaire, de façon un peu paradoxale. Du candidat de gauche, on attendait des promesses, des dépenses à tout va. François Hollande a fait tout le contraire, il a mené une campagne modérée, a évité de faire des promesses inconsidérées, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être critiqué tant sur sa gauche que par les médias qui lui reprochent de ne pas avoir assez insisté sur les marqueurs de gauche. Il a bien déclaré que la finance était son adversaire, mais son programme ne devrait pas affoler les marchés financiers. Il pourrait même plutôt les rassurer. Il a, en effet, mis en avant la croissance. Il veut en négocier l’introduction dans le Traité européen, or les marchés se méfient de l’austérité, ils veulent eux aussi de la croissance et ne devraient en ce sens pas être inquiétés par les propositions de François Hollande. A l’inverse, Nicolas Sarkozy a mené une campagne anxiogène. On attendait du Président sortant qu’il calme le jeu, qu’il parie sur la durée, il a fait tout le contraire, il a proposé de revenir sur plusieurs des fondements de l’Europe, ce qui, s’il était élu et s’il s’engageait effectivement dans cette voie, créerait beaucoup d’incertitude en Europe. Et cela inquiète. Cela a inquiété Angela Merkel, mais aussi ceux qui dans les salles de marché suivent l’actualité française. Ils ne sont pas naïfs, ils savent bien que les campagnes électorales autorisent beaucoup de débordement, ils savent aussi que s’il est élu Nicolas Sarkozy oubliera vite ses promesses, mais, justement, ils ne savent pas ce qu’il fera…  ce qui n’est pas moins inquiétant.On ne peut donc pas parier sur une dégradation plus forte de la situation en cas d’élection de François Hollande. Mais, évidemment, cela pourrait ne pas suffire et le prochain gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, pourrait être amené à se battre. Il pourra demander aux autorités européennes de contrôler de manière plus étroite les marchés de tous ces produits dérivés, et c’est sans doute ce qu’il fera, mais il pourrait aussi leur demander d’intervenir sur ce marché qui menacent les dettes souveraines comme les banques centrales interviennent sur celui des changes.Le Fonds Européen de Stabilité Financière pourrait être le bras armé de cette bataille. S’il vendait à son tour des CDS sur les dettes souveraines, s’il en inondait le marché, il en ferait baisser les prix, il pincerait très fortement les spéculateurs, leur faisant perdre beaucoup d’argent, ce qui les calmerait pendant un temps. C’est la solution que proposait en novembre dernier dans un article publié dans les Echos, un ancien directeur de la banque de France, Michel Castel qui enseigne aujourd’hui l’économie à Nanterre. Les pouvoirs publics ne seront donc pas sans ressources, mais il va falloir aux nouveaux gouvernants quels qu’ils soient de l’énergie et de la compétence pour nous éviter les effets de cette offensive financière qui se dessine, une guerre d’autant plus pernicieuse que les marchés, s’ils ont des moyens considérables, n’ont pas un général à leur tête, dont on peut deviner la stratégie, mais une multitude d’acteurs dont il n’est pas toujours facile d’anticiper les réactions et les comportements.

    L'écologie est en crise

    Play Episode Listen Later Apr 17, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée le 10 avril 2010 sur AligreFM, cliquer iciLe paradoxe de l'écologieC’est l’évolution des rapports de forces à gauche dans cette campagne qui est à l’origine de cette chronique. Que le parti socialiste soit haut dans les sondages est une chose qui ne surprend guère, mais que, d’un coté, le front de gauche obtienne un tel succès alors que la candidate écologiste s’est effondrée surprend. Il surprend parce que l’on sait que le projet de Mélenchon ressemble trop, dans son esprit sinon dans le détail des mesures, au programme commun de 1981, pour ne pas être lourd, dans l’hypothèse où il serait appliqué, de déception. Et parce que l’on sait aussi que l’écologie, la protection de l’environnement, la lutte contre les excès de l’industrialisation, sont une des questions centrales de nos sociétés. Les rapports de force des uns et des autres dépendent peut-être des personnalités, de l’engagement de leur entourage, du positionnement du principal candidat de gauche qui a, probablement, siphonné les voix écologistes et favorisé, par son positionnement résolument modéré, la reconstitution d’une force importante à sa gauche. Et c’est moins, donc, sur cette dimension politique que je voudrais insister que sur ce paradoxe, dont l’effondrement dans les sondages d’Eva Joly n’est qu’un symptôme, qui voit le projet écologique prendre l’eau de toutes parts alors même que nous voyons sous nos yeux les effets du dérèglement climatique, de la prolifération des déchets, de tous ces risques que les écologistes ont été les premiers à mettre en avant.L’écologie prend l’eau de toutes parts En fait, l’effondrement d’Eva Joly s’inscrit dans une séquence très négative pour ceux qui s’intéressent aux questions d’écologie. Il y a quelques jours, on nous annonçait que les jugements sur la catastrophe de l’Erika pourraient être renversés, un peu plus tôt Nicolas Sarkozy s’en est pris aux règlements qui, sous couvert de protéger l’environnement, créeraient trop de contraintes pour l’agriculture, son gouvernement a annoncé son intention d’autoriser, sous prétexte de recherche scientifique, l’exploration des gaz de schiste dont chacun connaît les dangers pour les nappes phréatiques. Et ce phénomène n’est pas propre à la France. On le retrouve ailleurs. En Amérique du Nord, la Western Climate Initiative qui devait inciter des Etats américains et des provinces canadiennes à lutter ensemble contre le changement climatique est entré en sommeil, plusieurs Etats américains l’ayant abandonnée au profit d’une association moins exigeante. Et ceci probablement sous l’influence des républicains et des conservateurs qui nient le changement climatique. On peut être tenté d’expliquer cette évolution paradoxale par la crise économique qui modifie l’ordre des priorités. Lorsque plus rien ne va le futur proche passe devant le futur plus éloigné, les lobbies se déchaînent. Mais justement, la crise climatique ne relève plus du futur lointain, elle ne relève même plus du risque comme l’a longtemps été le nucléaire, c’est une réalité d’aujourd’hui. La multiplication des accidents climatiques, des ouragans et autres tornades paraît de plus en plus liée au réchauffement de la planète. Tout le monde le dit, y compris l’OCDE, dont le dernier rapport sur le sujet est sans appel. Alors pourquoi? La crise est certainement l’une des explications : il suffit aux lobbies de toutes sortes d’agiter la menace de licenciements massifs en cas d’application d’un règlement trop contraignant pour que les gouvernements cèdent. C’est ce que vient de faire Air France qui a invité le gouvernement à agir auprès de Bruxelles pour abandonner la taxe carbone. Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte : - Les erreurs stratégiques des écologistes, des partis verts, de tous ceux qui portent le drapeau de la lutte contre les pollutions,- et, l’efficacité réduite des solutions jusqu’ici mises en œuvre qui conduisent à une certaine déception.L’obsession nucléaire On peut reprocher aux écologistes de ne pas avoir hiérarchisé risques et problèmes. A les entendre, la question nucléaire est aussi importante que le dérèglement climatique. Que le nucléaire présente des inconvénients majeurs, c’est une évidence que Fukushima nous a douloureusement rappelé, mais c’est aussi de toutes les productions de masse d’énergie, celle qui produit le moins de CO2 , et de loin, et a donc le moins d’impact sur le climat. Toutes les études le montrent. Et lorsque les organisations écologiques veulent le contester, elles utilisent des arguments que l’on pourrait, avec euphémisme, qualifier de faibles. En voici quelques uns développés dans un rapport de Wise pour le WWF :- le nucléaire absorbe des investissements qui pourraient être mieux utilisés ailleurs,- il incite à développer des réseaux électriques massifs,- les pays utilisateurs de nucléaire sont aussi les plus gros émetteurs de CO2,- le nucléaire ne produit que de l’électricité alors que le plus gros de nos besoins énergétiques concernent la chaleur,- le nucléaire est une énergie qu’on ne maîtrise pas et qui pose, par ailleurs, les problèmes de déchets.Le dernier argument est tout à fait sérieux, mais les autres ne valent pas grand chose. Dire que les pays utilisateurs de nucléaire sont aussi de gros émetteurs de CO2 relève de la tautologie : ce sont les pays les plus développés qui utilisent le plus le nucléaire, mais ce sont aussi par définition ceux qui ont le plus de voitures, d’usines et qui, donc, produisent le plus de CO2.A mettre ainsi en avant la lutte contre le nucléaire, les écologistes en viennent à négliger ce qui devrait être les batailles majeures : la lutte contre le dérèglement climatique, celle contre la prolifération des déchets et celle, enfin, contre les pesticides, les OGM et tout ce qui dégrade notre environnement naturel.On l’a bien vu lors des négociations avec les socialistes : c’est sur le nucléaire qu’elles ont peiné, c’est sur ce sujet (et, bien sûr, celui des candidatures aux législatives, mais c’est une autre histoire) que les négociateurs se sont le plus accrochés, c’est celui qui a retenu toute l’attention, laissant dans l’ombre les mesures à prendre pour mieux lutter contre le dérèglement climatique et les catastrophes industrielles.Une confiance trop aveugle dans les énergies nouvelles  L’autre erreur stratégique concerne les énergies nouvelles. Les écologistes insistent beaucoup sur l’éolien ou le solaire, dont chacun sait bien qu’ils ne sont pas à ce jour très efficaces, alors même qu’ils suscitent déjà les protestations de tous ceux qui n’en veulent pas dans leur jardin. Parce que ces énergies sont aussi très polluantes. Qui a envie de vivre à coté de champs de capteurs solaires dont le développement supprimerait des milliers d’hectares de terres agricoles ? qui souhaite voir installée une éolienne dans son environnement ?Il aurait été beaucoup plus utile de mettre l’accent sur les économies d’énergie qui peuvent être réalisées dans les secteurs industriels. L’informatique est un bon exemple. Elle représente aujourd’hui, tous ordinateurs confondus, à peu près 4% de la consommation mondiale d’électricité. Google a donné il y a quelques mois des chiffres sur ses consommations d’électricité en 2010 : 2, 6 milliards de kWh, soit l’équivalent de la consommation de 200 000 foyers américains. L’essentiel de cette énergie est utilisée pour refroidir les centres informatiques. Or, il parait possible de les faire tourner sans les réfrigérer. C’est ce qu’expérimente actuellement Google en Belgique, ce qui ne pose, semble-t-il, guère de problème pour les machines, mais interdit aux employés d’y circuler tant la chaleur peut y être élevée en été, entre 68 et 72° en moyenne qui peut monter dans certaines journées très chaudes jusqu’à 95°, mais ceux-ci peuvent être remplacés par des automates.Mettre les économies d’énergie en avant permettrait de plus réfléchir à l’effet rebond et au moyen de l’éviter. On appelle ainsi ce phénomène qui fait que les progrès réalisés en matière d’économie ne conduisent pas forcément à des baisses globales de consommation. Les voitures modernes consomment moins d’essence au 100km, mais si, grâce à la réduction du budget carburant, on fait plus de kilomètres, on en consomme plus. Cet effet, connu depuis longtemps puisque c’est un économiste du 19ème siècle, Jevons, qui l’a, pour la première formulé, est massif et il est nécessaire d’en tenir compte.Les entreprises récupèrent et instrumentalisent la RSE Il y a donc les effets de la crise, ces erreurs stratégiques des écologistes mais aussi le manque d’efficacité des mesures jusqu’ici prises. Et je pense notamment à celles que l’on associe, dans le monde des entreprises, à la RSE, à la Responsabilité Sociale des Entreprises, un mouvement qui incite les entreprises à se préoccuper de leur impact social et environnemental et à mener des politiques en faveur du développement durable.Beaucoup de choses ont été faites dans le domaine. On a réglementé, toutes les grandes entreprises ont créé des départements spécialisés, les universités forment des professionnels, une norme, ISO 26000 a été éditée et toute une série d’outils et concepts sont aujourd’hui à la disposition des entreprises : rapport annuel, agences de notation spécialisées, investissement socialement responsable, éco-conception… Et pourtant, on a le sentiment que les accidents industriels sont toujours aussi nombreux et que l’industrie produit toujours plus de CO2. Qu’est-ce qui ne va pas ?On en a une première idée en lisant les rapports sur la RSE que produisent toutes les grandes entreprises. Lorsque l’on regarde dans le détail et, surtout lorsque l’on lit les études qui leur sont consacrées, comme celle réalisée il y a quelques mois par l’AMF, l’autorité des marchés financiers, sur ceux d’ une trentaine de sociétés cotées, on découvre qu’ils sont très hétérogènes. Si certains, très copieux, font jusqu’à 80 pages, d’autres n’en ont pas plus de 5. 27% n’affichent aucun objectif et 50% n’ont pas d’objectifs chiffrés. Plus grave, peut-être, il semble que les soucis majeurs des entreprises qui se lancent dans des politiques de développement durable sont d’éviter les risques financiers, risques liés, par exemple à la condamnation au versement de dommages et intérêts en cas de catastrophe, et de séduire leurs collaborateurs. C’est un thème qui revient régulièrement dans les rapports des sociétés analysés par l’AMF, mais que l’on trouve également dans les propos des dirigeants des multinationales qu’a interrogés  Carol Adams,  une universitaire britannique. Des travaux réalisés sur le même sujet sur des entreprises japonaises montrent qu’il s’agit pour elles, surtout, de satisfaire les attentes de leurs partenaires ou clients occidentaux. Ces rapports sont moins des photographies des risques et des efforts réalisés que des outils de communication. On peut craindre que les politiques menées dans les entreprises ne se situent dans la même logique. Elles ont bien conscience des risques, mais ne font pas grand chose pour lutter contre. Les trois quarts des répondants à une enquête de l’OCDE reconnaissent les risques liés au changement climatique, mais seulement deux cinquièmes indiquent qu’ils effectuent des évaluations.On fait, bien sûr, des choses, mais certainement pas autant qu’il conviendrait. Bien au contraire, dans nombre d’industries, les évolutions des processus de production vont à l’encontre de la lutte contre le CO2.Des processus de production plus gourmandsOn sait que de gros efforts ont été faits dans de nombreux pays, notamment en Europe, pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions de polluants. Mais en même temps, le processus de production paraît en avoir favorisé la production.La plupart des produits que nous utilisons aujourd’hui sont des assemblages de pièces qui viennent d’un peu partout dans le monde. Le téléphone portable en est un bon exemple. Cette fragmentation du processus de production augmente les consommations d’énergie comme on le découvre lorsque l’on analyse cette consommation sur tout le cycle de vie d’un produit. Nokia l’a fait avec l’un de ses téléphones portables et découvert qu’un peu plus de 10% de l’énergie consommée l’est par les transports. Transports des composants vers les usines de montage et transports de ces usines de montage vers les magasins qui les distribuent et les vendent. Ces transports se faisant pour l’essentiel par avion leur impact sur le réchauffement global est de l’ordre de 16% de l’impact potentiel global d’un portable.Autre facteur qui contribue à la production de polluants : l’obsolescence programmée. Dans son étude,  Nokia donne une durée de vie de 2,5 ans à ses téléphones. Ce qui correspond à peu près à l’expérience de chacun. Si les produits électroniques, téléphones, ordinateurs… duraient deux fois plus longtemps, leur impact écologique serait naturellement plus faible, tant en matière de consommation d’énergie ou de produits rares qu’en production de déchets souvent toxiques. (voir sur ce sujet : Robinson,  E-waste: An assessment of global production and environmental impacts).La miniaturisation, autre caractéristique des produits contemporains, va dans le même sens. Je ne prendrai qu’un exemple : ces semi-conducteurs, les puces que l’on trouve dans les ordinateurs. On pense souvent que la dématérisalisation de nos économies, le passage à une économie de service favorise la lutte contre les pollutions. Ce n’est pas si simple. Plus les semi-conducteurs sont performants plus il faut d’énergie et de matériaux de base pour les fabriquer. On estime qu’il faut de 1, 2 kilo à 2,3 kilos de combustible fossile pour produire un semi-conducteur de deux grammes, soit 600 fois son poids dans la meilleure des hypothèses (The 1,7 kilogram chip). A titre de comparaison, il faut de 1500 à 3000 kilos de combustible fossile pour construire une voiture, soit à peu près deux fois son poids. On estime, dans le même ordre d’esprit, qu’un écran de télévision plat produit trente fois son poids en déchets.Pourrait-on faire mieux ? bien sûr. Une modification de l’architecture de nos systèmes informatiques, ce que l’on appelle le « thin computing » qui consiste à déporter sur un serveur central disque dur et mémoire réduirait, de manière significative tous ces coûts. Et ce qui vaut pour l’informatique vaut, naturellement, pour bien d’autres secteurs de l’industrie qui gagneraient à appliquer ce qu’on appelle l’éco-conception.L’irresponsabilité organiséeLa structure des multinationales favorise, par ailleurs, leur irresponsabilité. A mesure qu’elles se sont développées, les grandes entreprises ont multiplié les filiales à l’étranger, ont signé des accords des joint-ventures avec des concurrents, ont fait appel à la sous-traitance. Ces structures sont nécessaires tant pour être présent sur les marchés étrangers que pour accéder aux fournisseurs qui offrent les meilleurs conditions, mais elles donnent aux entreprises bien d’autres souplesses. Elles leur permettent de pratiquer massivement l’évasion fiscale et d’échapper à leurs responsabilités en cas d’accident ou de catastrophe. Elles utilisent pour cela deux angles d’attaque : la compétence des tribunaux et la responsabilité limitée.Prenons le cas d’une entreprise qui a un accident industriel dans un pays pauvre. Les victimes cherchent à obtenir des dommages et intérêt. Si elles portent plainte dans leur pays, il y a fort à parier qu’elles n’obtiendront pas grand chose : le droit de la responsabilité n’y est pas très développé, les tribunaux n’accordent que peu de dommages et intérêts. Le feraient-ils même qu’ils buteraient sur les capacités de paiement de la filiale locale qui est en général peu capitalisée. La maison mère a de l’argent ? sans doute, mais elle est protégée par le principe de responsabilité limitée. On ne peut pas remonter jusqu’à elle.Pour échapper à cela, les avocats des victimes peuvent décider de porter plainte dans le pays de la maison mère. Mais ils risquent alors de buter sur des tribunaux qui se disent incompétents et invoque ce que l’on appelle, dans les pays anglo-saxons, le « forum non conveniens ». C’est ce qui est arrivé aux victimes de la catastrophe de Bhopal, à celles de Shell au Nigeria. C’est ce qui devrait arriver demain aux victimes de BP en Louisiane : seule la filiale américaine paiera des dommages et intérêts. Elle ne le fera qu’en fonction de ses ressources.Ce n’est pas qu’une affaire de juristes et d’avocats spécialisés dans les poursuites en dommages et intérêts. Les entreprises dont les activités peuvent être dangereuses prennent des assurances, font des provisions pour risques… qui ont un impact sur les résultats et qu’elles cherchent naturellement à réduire. Les quelques travaux sur le sujet montrent qu’il y a une utilisation stratégique de ces outils comptables (voir là dessus Maurice & Plot, Double diffusion des entreprises dans le rapport annuel). Les entreprises minimisent ces provisions lorsque l’accident n’est qu’un risque, elles les augmentent lorsqu’il y a eu une catastrophe pour réduire leurs bénéfices et éviter une sanction politique.Pour conclure L’écologie politique a eu l’immense mérite de porter sur le devant de la scène la question de l’environnement, elle a modifié profondément notre regard sur le monde industriel et fait évoluer nos valeurs. Si elle est aujourd’hui autant en difficulté, c’est sans doute qu’elle s’est arrêtée en chemin, qu’elle manque d’audace et n’a pas su proposer des réformes qui touchent à ce qui fait aujourd’hui défaut : - la transparence de l’information, - le processus de production, - la responsabilité des entreprises. C’est d’autant plus regrettable que sur chacun de ces sujets, il suffirait de piocher dans la littérature académique que les écologistes ont inspirée pour trouver des idées et des propositions.

    Sur la fiscalité des entreprises

    Play Episode Listen Later Apr 10, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée sur AligreFM, le 26/03/2012Et si l’on parlait également de l’imposition des sociétésDepuis le début de la campagne électorale on a beaucoup parlé des impôts, des impôts des particuliers, de la proposition de François Hollande de créer un taux marginal de 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros, mais on a peu parlé des impôts des sociétés, alors que ceux-ci représentent, en France, une part importante des recettes de l’Etat, à peu près 17%, et qu’un peu partout dans le monde ces impôts sur les sociétés sont engagés dans une course au moins disant. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, on entend très souvent dire qu’il faudrait les diminuer. Et nombreux sont ceux qui le font. Il y a quelques jours seulement, le ministre des finances britanniques, Osborne, a annoncé des mesures qui baisseront, d’une part, le taux d’imposition des plus riches et, d’autre part, diminueront les impôts que paient les entreprises, et d’abord les multinationales. Tout cela surprend un peu alors même que les Etats luttent contre des déficits croissants et mérite que l’on y regarde de plus près. Les impôts que paient les sociétésAvant d’aller plus loin peut-être faut-il dire un mot des impôts que paient les entreprises. Ils sont de deux types. Il y a l’impôt sur les sociétés, l’IS dont le taux est, en France, de 33, 3% et il y a les impôts locaux, la Contribution économique territoriale qui remplace la taxe professionnelle, auxquels il convient d’ajouter quelques taxes basées sur les salaires (taxe d’apprentissage, contribution à l’effort de construction…) qui représentent à peu près 1,5% de la masse salariale. Mais plus que ces chiffres et taux, c’est la tendance qu’il faut regarder. Et partout dans le monde, sauf, pour l’instant aux Etats-Unis, elle est à la baisse. En 10 ans, de 1999 à 2008, dernière année pour lesquelles nous avons des statistiques globales, le taux d’imposition des entreprises est passé, dans le monde, de 31,4%  à 25, 9% et l’Europe est la région dans laquelle cette baisse des impôts sur les sociétés a été la plus rapide et la plus forte puisqu’il est passé de 34,8% à 23, 2%.Cette baisse très significative est pour beaucoup liée à la concurrence fiscale qui s’est installée entre pays en Europe. On pense, notamment, à la politique menée par l’Irlande qui, pour attirer les entreprises internationales, notamment les grandes entreprises américaines, a pratiqué un véritable dumping fiscal. Dumping qui a naturellement incité les pays voisins à faire de même pour retenir leurs entreprises. Sans que cela soit le moins du monde efficace. Cela n’a pas empêché les délocalisations et, malgré sa politique l’Irlande n’a pas échappé à la crise. Bien au contraire, elle est de ceux qui ont été le plus durement touchés. D’autant plus durement touchés que les entreprises qu’elle avait attirés n’ont pas hésités à la quitter lorsqu’ils ont trouvé mieux ailleurs.Cette concurrence fiscale a pris de nombreuses formes. On a baissé les taux d’imposition des entreprises, on a aussi multiplié les niches fiscales et laissé se développer ce que les spécialistes appellent l’optimisation fiscale. Il s’agit de techniques comptables, fiscales qui permettent aux entreprises les mieux armées d’échapper à tout ou partie de l’impôt en jouant des niches fiscales mais aussi de leur internationalisation.L’impôt sur les sociétés, une assiette en voie de contraction ?Il faut ajouter que ces impôts sur les sociétés ne concernent pas toutes les entreprises. Un tiers seulement des entreprises françaises en relèvent. Et ce n’est pas une spécificité française. Moins de 20% des entreprises allemandes y sont soumises et la même chose vaut aux Etats-Unis ou pas plus de 50% des entreprises sont soumises à cet impôts sur les sociétés. Les autres  ont des statuts tels que leurs dirigeants sont imposés sur leurs revenus. C’est le cas des sociétés en nom collectifs, des auto-entrepreneurs…Cette question est rarement traitée, mais elle mériterait d’être approfondie. Il semble que dans de nombreux pays, le nombre d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés tende à diminuer alors même que le nombre d’entreprises ne fait que progresser. C’est le cas aux Etats-Unis. Il y avait, en 1978, 1,9 millions de sociétés soumises à l’impôt des sociétés sur un total de 15 millions d’entreprises. En 2008, le chiffre avait légèrement diminué, on était passé de 1,9 million à 1,8 mais le nombre total d’entreprises était passé de 15 à 33 millions. Dit autrement, on était passé de 12 à 5,4%. Tout simplement parce qu’à force de réduire les impôts sur le revenu des plus riches, il était devenu plus intéressant, pour les patrons de petites et moyennes entreprises, de passer sous le régime de l’impôt sur le revenu.De cela, il convient de retenir que l’on ne peut traiter séparément les questions liées à l’impôt sur le revenu et celles liées à l’impôt sur les sociétés. Lorsque les impôts sur les revenus les plus élevés, pour les tranches les plus hautes, sont supérieurs à l’impôt sur les sociétés, les propriétaires ont intérêt à laisser leur argent dans l’entreprise où il peut être réinvesti. Lorsque c’est le contraire, ils ont intérêt à changer le statut de leur entreprise, à rapatrier sur leur propre compte les bénéfices. Est-ce que cela a des conséquences sur l’activité des entreprises, sur leurs investissements ? on peut le supposer. Ce n’est pas la même chose de laisser de l’argent dans l’entreprise et de le verser à ses propriétaires. On ne peut exclure qu’une partie des difficultés des PME à croître vient de ce que leurs dirigeants s’approprient les bénéfices quand ils pourraient être affectés à des investissements. Ne serait-ce, d’ailleurs, que parce qu’une partie des aides publiques aux entreprises leur échappent, étant souvent réservées à celles qui sont soumises à l’impôt sur les sociétés.Si l’on peut observer des cas de transfert de l’impôt sur les sociétés sur l’impôt sur les revenus, lorsque le premier est plus faible que le second, on remarque aussi, le transfert d’une partie des bénéfices vers les salaires des dirigeants lorsque les impôts des plus fortunés sont réduits.  Mais laissons de coté ce phénomène qui mériterait d’être analysé plus à fond puisqu’il permet à des institutions qui ont tout, dans leur fonctionnement d’entreprises classiques, d’échapper à l’impôt sur les sociétés. L’optimisation fiscaleRevenons à l’impôt sur les sociétés. Comme tout contribuable, les entreprises tentent d’en payer le moins possible. Certaines fraudent, la plupart, les plus importantes au moins pratiquent l’optimisation fiscale, technique qui permet de réduire son imposition en respectant au plus près le texte de la loi. Le texte et pas forcément son esprit, mais tout cela obéit un principe que les juristes britanniques appellent du duc de Westminster, tout bêtement parce que dans les années trente un jugement dans un procès qui l’opposait à la Couronne a conclu qu’un contribuable était tout à fait dans son droit d’organiser ses affaires de manière à réduire autant que possible le montant de ses impôts. Et c’est bien ce principe que les entreprises appliquent au point que les plus habiles peuvent échapper complètement à l’impôt sur les sociétés. On a beaucoup dit que c’était le cas, en France, de Total, et de quelques autres sociétés du CAC 40. Il faut, si l’on veut être précis, distinguer plusieurs cas de figure.-       - il y a des entreprises internationales qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés en France parce qu’elles n’y font pas de bénéfices parce que leur activité y rencontre des difficultés. C’est le cas de Total qui a des pertes en France, n’y fait donc pas de bénéfices et n’y donc pas d’impôt sur les sociétés, mais qui fait des bénéfices ailleurs, dans les zones où elle produit du pétrole, en Norvège, par exemple, où elle paie des impôts qui peuvent être élevés. Ce qui permet au directeur financier de Total de dire que son entreprise a, au niveau global, un taux d’imposition élevé, de l’ordre de 56%. Cette notion d’imposition globale est sans doute celle que l’on devrait, d’ailleurs, retenir dans les analyses parce que s’il ne sert à rien de faire payer deux fois une entreprise il ne faut pas non plus que cet argument serve, comme c’est trop souvent le cas, à échapper à l’impôt ;-       - il y a les entreprises qui ne paient pas d’impôt en France parce qu’elles exploitent un mécanisme, le bénéfice mondial consolidé, qui leur permet de soustraire de leur impôt en France, les pertes réalisées dans les filiales étrangères, c’est un dispositif dont bénéficie notamment Vivendi ;-       - et puis il y a les entreprises qui jouent des taux d’imposition différents selon les pays pour transférer leurs bénéfices là où les impôts sont le plus faibles et leurs dépenses là où ils sont le plus élevés. C’est ce que fait, par exemple, Google qui ne paie vraiment d’impôt pour ses activités européennes qu’en Irlande, pays qui a, en Europe, le taux d’imposition le plus faible puisqu’il n’est que de 12,5%.C’est ce dernier cas qui est de loin le plus problématique…Des structures conçues pour échapper à l’impôt Quand on regarde dans le détail la structure des entreprises internationales, leur organisation, on découvre que trois facteurs prédominent :-       - le souci de la compétitivité : on installe les établissements industriels là où la main d’œuvre est tout à la fois la plus compétence et le meilleur marché,-       - le souci de la protection juridique : les entreprises qui ont des activités susceptibles d’entraîner des catastrophes se protègent des poursuites judiciaires en mettant dans des filiales ou chez des sous-traitants leurs activités les plus problématiques,-       - le souci de l’optimisation fiscale. On crée des filiales multiples qui permettent de jouer avec les pertes et les bénéfices, d’affecter les pertes aux sociétés installées dans les pays à forts taux d’imposition et les bénéfices aux sociétés installées dans des pays aux taux d’imposition faibles.Ces techniques d’optimisation fiscale ou de fiscalité agressive consistent à attribuer les bénéfices aux filiales opérant dans des pays à faible taux d’imposition grâce au jeu des prix pratiqués dans les transactions interentreprises, à imputer la dette ainsi que les frais d’intérêt aux filiales opérant dans des pays à taux d’imposition élevé (Hajkova, Nicoletti, Vartia et Yoo, 2006, p. 18). Cette pratique n’est pas nouvelle, comme le démontrent les travaux de plusieurs chercheurs dès le milieu des années 1990, mais elle s’est généralisée. Elle profite aujourd’hui pleinement des facilités qu’offrent aux grandes entreprises les paradis fiscaux dont le rôle dans l’économie mondiale n’a jamais été plus important. Un rapport publié par l’ONG internationale ActionAid, révélait que 98 des 100 plus grands groupes inscrits à la bourse de Londres les utilisent de manière systématique au point que 38% de leurs filiales étrangères y opèrent. Et pas en petit nombre puisque les auteurs de ce rapport ont compté 600 filiales à Jersey, 400 aux Iles Caïman et 300 au Luxembourg. C’est le secteur bancaire qui y a le plus recours. Les quatre grandes banques britanniques y cumulent 1 649 entreprises. Ce mécanisme permet de réduire les taux d’imposition des grandes entreprises. Une étude québécoise a montré que les banques canadiennes n’ont payé que 10,6 milliards de $ d’impôt entre 2007 et 2009 sur des profits de 46,1 milliards, ce qui est largement inférieur à leur taux d’imposition officiel. Pour ne prendre que cet exemple, la Banque de Montréal n’a payé que 6,2% d’impôts sur ses bénéfices alors qu’elle aurait du, si elle avait respecté le taux officiel, en payer 33,1%.  Certaines entreprises sont passées maitres dans cet exercice de l’optimisation fiscale. L’agence de presse Bloomberg a ainsi récemment révélé que Google a réussi à réduire son taux d’imposition à tout juste 2,4%, alors que les pays où elle opère appliquent un taux moyen de 20%. Le succès de Google en la matière est tel que le directeur financier de Facebook a indiqué dans une interview qu’il allait examiner de très près ses méthodes pour s’en inspirer. Et Google ne se contente pas de transférer ses bénéfices dans des zones à fiscalité faible, elle cherche également à profiter des formes juridiques qui lui permettent de mieux jeter un voile sur ses résultats. Je citais Google et Facebook mais Apple, fait de même au point de s’être constitué à l’étranger un véritable trésor de guerre.On remarquera pour la petite histoire qu’il s’agit d’entreprises qui jouissent d’une très bonne réputation et qui n’hésitent pas à mettre en avant leur sens civique. Des conséquences très négativesQuand ils ne mettent pas en avant la concurrence fiscale, tous ceux qui défendent les baisses d’impôts des entreprises mettent en avant le rôle de l’entreprise comme créatrice de richesses et d’emploi. Il serait, à leurs yeux, légitime de réduire ses impôts parce qu’elle crée des richesses. C’est oublier que l’entreprise n’existe et ne se développe que parce qu’existe tout autour d’elle un milieu, des infrastructures, routes, écoles, hôpitaux, services divers financés par la collectivité. Sans eux, elle ne pourrait pas travailler. Et à trop réduire les impôts des sociétés on risque surtout de dégrader ce milieu. Parce qu’il y a des limites au transfert du financement des infrastructures par les particuliers ou les consommateurs.Comme, par ailleurs, ces mêmes entreprises qui échappent à l’impôt ne refusent jamais les aides diverses que peuvent leur apporter les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités locales, on pourrait très bien parler pour certaines au moins, de comportements de prédateurs, qui accaparent pour leur seul profit des richesses produites par la collectivité.J’ajouterais que toutes les entreprises ne sont pas, dans ces affaires, sur un pied d’égalité. Les entreprises internationales, qui ont de nombreuses filiales à l’étranger peuvent assez facilement optimiser leurs impôts. C’est beaucoup plus difficile pour celles qui exercent leur activité uniquement sur le territoire national. Il y a là une forme de déséquilibre qui mérite d’être signalée.  Dans une période de déficits publics massifs, il serait légitime que les entreprises contribuent plus qu’elles ne font aujourd’hui à la réduction de celui-ci. Dans la mesure où elles se sont internationalisées et sont devenues habiles dans l’exploitation des différences entre législation, ce ne sera possible que si les Etats se mettent d’accord sur une harmonisation de leurs politiques fiscales. Il est complètement anormal, pour ne pas dire scandaleux que la France et l’Allemagne n’aient pas obtenu de l’Irlande qu’elle rapproche son taux d’imposition des sociétés du taux moyen européen alors qu’elle venait, en grande difficulté, frapper à la porte de l’Europe pour qu’on l’aide financièrement. Il est, de la même manière, absolument scandaleux qu’on laisse les grandes entreprises internationales continuer d’user et d’abuser des paradis fiscaux. Les Etats ne sont pas sans ressources. Ils devraient faire preuve de bien plus de fermeté en la matière. La grave crise que nous venons de traverser et dont nous ne sommes pas encore sortis aurait du, devrait faciliter ces évolutions. Il ne semble malheureusement pas que ce soit le cas.

    Trois débats sur la fiscalité

    Play Episode Listen Later Mar 26, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée sur AligreFM, le 20/03/2012Trois débats en coursNous avons les semaines dernières évoqué à plusieurs reprises la question de la fiscalité. En France, l’essentiel du débat a porté sur les propositions de François Hollande de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Mais d’autres débats sur la fiscalité se déroulent actuellement ailleurs, en Allemagne et dans le monde anglo-saxon qui abordent la question sous d’autres angles. Je ne dirai pas, comme font si volontiers les journalistes, que ce qui se passe ailleurs est tellement mieux que ce qui passe en France, c’est naturellement inexact, mais il est intéressant de voir comment cette même question est abordée dans d’autres pays, dans d’autres contextes.Je commencerai cette promenade dans les débats fiscaux par les Etats-Unis. Depuis quelques semaines, les pages éditoriales de la presse sérieuse, du Wall Street Journal et du New-York Times, celles des meilleurs blogs économiques sont occupées par une question toute simple : la fiscalité a-t-elle contribué à la montée des inégalités. C’est une thèse que je développais moi-même la semaine dernière dans une chronique où je mettais en relation les inégalités et la crise. Mais c’est une thèse qui est contestée vivement depuis la publication d’une étude comparative des inégalités dans plusieurs pays aux régimes fiscaux différents. Le débat fait donc rage.Les régimes fiscaux et les inégalitésC’est, je le disais à l’instant, une étude publiée en 2009 et récemment redécouverte de deux économistes suédois, Jesper Roine and Daniel Waldenstrom, qui a lancé cette polémique (Common Trends and Shocks to Top Incomes : A Structural Breaks Approach ). Ces deux chercheurs ont comparé les taux d’inégalités dans sept pays connus pour avoir des politiques fiscales très différentes. Certains ont fortement réduit les taux d’imposition des plus riches, d’autres les ont maintenus à des taux élevés. Et, d’après leurs travaux, les inégalités ont progressé de manière à peu près parallèle partout. Ils suggèrent même que la Suède, pays où les riches sont particulièrement imposés, est un pays plus inégalitaire que les Etats-Unis. Pain béni, naturellement, pour tous ceux qui pensent qu’il ne faut surtout pas augmenter les impôts des plus riches. Comme on l’imagine, ils se sont précipités sur les pages éditoriales des grands journaux pour expliquer tout le mal qu’ils pensent des hausses d’impôts des multimillionnaires. Leurs adversaires, je veux dire les libéraux, ont évidemment fait valoir que l’on pouvait tirer de ces résultats une toute autre conclusion : si l’augmentation des impôts ne réduit pas vraiment le poids des plus riches dans la richesse nationale, c’est bien qu’une fiscalité lourde ne les empêche pas de faire de continuer de s’enrichir. Mais le plus utile est de lire leur texte. On y apprend, d’abord, que leurs conclusions ne valent que si l’on prend en compte la fraude et l’évasion fiscale. Si on les laisse de coté, les 1% de Suédois les plus riches possèdent 20% de la richesse nationale tandis que les 1% des Américains les plus riches en possèdent 35%, un montant que l’on retrouve en Suède lorsque l’on intègre dans le capital des plus riches ce qu’ils réussissent à cacher au fisc. Ce qui fait penser que si la politique fiscale n’est pas plus efficace pour lutter contre les inégalités, c’est qu’elle ne s’attaque avec assez de fermeté à la fraude et à l’évasion.  Mais revenons au texte de nos deux économistes. Ce qui est vrai de la Suède, l’est, nous disent-ils, de tous les autres pays développés, y compris la France. Partout, les inégalités se sont creusées de la même manière ou à peu près ces trente dernières années. On trouve, d’ailleurs, dans leur papier, un graphe très suggestif qui le montre bien.Le mouvement vers plus d’inégalités est donc général. L’idée selon laquelle, s’opposeraient un modèle anglo-saxon, très favorable aux inégalités, et un modèle continental, plus égalitaire, ne tient donc pas la route même si l’on observe un décalage. Les pays anglo-saxons mènent la course, mais les autres le suivent de près. Il y a, cependant, une différence entre les pays qui ont, à l’image des Etats-Unis, fortement diminué les impôts des plus riches et ceux qui, à l’image de la Suède, ne l’ont pas fait qui a échappé aux conservateurs : la collecte de ces impôts a permis de financer toute une série de services publics qui donnent aux plus modestes une qualité de vie qu’ils n’ont pas ailleurs : ce n’est pas la même chose de vivre dans un pays dans lequel l’éducation publique est gratuite et de qualité et un pays dans lequel, cette éducation publique est très médiocre. Même chose pour la santé et pour bien d’autres prestations. Les inégalités ne sont pas seulement économiques et financières. Si l’on prenait en compte la capacité à s’éduquer, se soigner… elles seraient certainement bien plus élevées dans les pays qui ont réduit massivement les impôts des plus riches et ceux dans lesquels on a conservé des taux d’imposition relativement élevés. Mais venons-en au débat français…Le débat français : l’impôt et le système d’incitationLe débat a pris en France une toute autre tournure avec les propositions de François Hollande d’imposer à 75% la tranche des revenus supérieure à 1 million d’euros et de taxer de la même manière revenus du capital et revenus du travail. Très  vite, les spécialistes ont souligné que la première mesure rapporterait peu, 100 millions d’euros au maximum, ce que François Hollande n’a pas nié, mais il a insisté sur la dimension morale. Et lorsqu’on lui reproche d’avoir changé d’avis puisqu’il s’y était opposé il y a quelques mois dans un débat avec Thomas Piketty, il indique que ce sont les informations sur les hausses de 34% des revenus des patrons du CAC 40 qui l’ont convaincu qu’il fallait faire quelque chose. "Je fais primer la morale" a-t-il notamment expliqué, argument qui peut avoir une certaine efficacité politique mais qui n’a pas beaucoup de sens économique.Il faut, en fait, lire plus attentivement ce que dit François Hollande pour y voir une autre dimension infiniment plus intéressante. « Que vont faire les entreprises ?, s’est-il demandé. Elles n'augmenteront plus au-delà d'un million d'euros leurs principaux dirigeants et donc j'aurais atteint mon objectif. Ces patrons là ne pourront plus s'augmenter ou bien s'ils s'augmentent il y aura la fiscalisation. » Cette tranche nouvelle d’imposition a donc pour lui une valeur incitative. Elle devrait inciter les entreprises à limiter les hausses des rémunérations de leurs dirigeants.L’argument renvoie aux analyses de John Kenneth Galbraith qui soulignait combien des taux d’imposition élevés avaient amené ce qu’il appelait la technostructure à rechercher d’autres satisfactions. En ce sens, un impôt élevé sur les rémunérations les plus importantes, qu’elles se présentent comme des salaires ou comme du capital (stock-options, distribution gratuite d’actions…), peut inciter les intéressés à réviser leurs ambitions et leurs objectifs. La cupidité peut prendre différentes formes qui ne sont pas toutes monétaires.Sa deuxième proposition, taxer de la même manière revenus du capital et revenus du travail, devrait aller dans la même direction : l’une des méthodes les plus communément utilisées par les dirigeants pour échapper à l’impôt a été de substituer du capital, sous forme notamment d’actions, à des rémunérations classiques. Si les deux sont taxés de la même façon, cette échappatoire disparaîtra, ce qui sera certainement plus efficace qu’une promesse d’interdiction, comme cela a été évoqué par d’autres candidats. Cela dit, ces mesure ne seront que de peu d’effet si les pratiques d’optimisation fiscale des grandes entreprises ne sont pas mieux contrôlées au plan international. Parce que c’est là que se joue en définitive l’essentiel, comme l’a déjà suggéré le débat américain. L’évasion fiscale des plus riches n’est que l’exploitation par les dirigeants de techniques que les grands groupes utilisent pour échapper à l’impôt. On a souvent cité le cas de Total qui ne payait pas d’impôts en France, mais il est loin d’être isolé. Le fisc américain publie régulièrement des statistiques qui montrent que, selon les années, de 30 à 50% des grandes entreprises américaines et des filiales des groupes étrangers aux Etats-Unis échappent à l’impôt sur les sociétés. Et ce qui est vrai de Totalet de tant de grandes entreprises américaines l’est de bien d’autres originaires d’autres pays, notamment européennes. Je citais tout à l’heure deux économistes suédois. L’entreprise suédoise la plus populaire, Ikea, transférerait, d’après un reportagediffusé il y a quelques mois sur la télévision publique suédoise, 3% de son chiffre d’affaires à une fondation installée au Lichtenstein, paradis fiscal qui permet aux entreprises d’échapper à l’impôt. Interrogé sur ces pratiques, le fondateur de cette entreprise qui insiste toujours sur son souci de l’environnement et sur la responsabilité sociale de son entreprise, a répondu : « Une structure d'optimisation nous donne la possibilité et la flexibilité d’utiliser notre capital qui a déjà été imposé sur le marché, vers de nouveaux marchés en vue d'un développement de nos affaires sans avoir à subir le joug d'une double taxation. » Remarque qui témoigne de ce que certains auteurs appellent la culture de l’évasion fiscale (voir notamment Ordower, The culture of tax avoidance). Non seulement, on échappe à l’impôt mais on est convaincu de le faire pour de bonnes raisons.Le débat en Allemagne, impôt ou don ?Le débat français sur la taxation des plus riches a traversé le Rhin puisqu’il y a quelques jours, Oskar Lafontaine, le leader de la gauche radicale, un peu l’équivalent de Mélenchon en Allemagne a repris la même idée, mais sans susciter beaucoup d’inquiétude, il est vrai que son parti est en troisième position, loin derrière la CDU et le SPD. Lorsque l’on pense, en Allemagne, à un débat sur l’impôt on pense aujourd’hui plutôt à celui qui a opposé dans la presse, il y a quelques mois, plusieurs philosophes réputés.   C’est un auteur célèbre, un peu sulfureux, Peter Sloterdijk, qui l’a lancé dans une série d’articles récemment traduits en français sous un titre explicite : Repenser l’impôt. Dans la préface de ce livre qui regroupe plusieurs entretiens avec des journalistes, il attaque vivement l’impôt en en faisant l’héritier des pratiques de pillages. Les Etats, explique-t-il en substance, ont longtemps vécu de pillages de leurs voisins ou de leurs colonies, lorsque cela n’a plus été possible, ils se sont tournés vers leurs citoyens. Il ne nie pas la nécessité de l’impôt, il en faut pour financer la dépense publique, en ce sens, il n’a rien à voir avec les libertariens à la Hans Hope, un philosophe autrichien dont on a pu lire récemment une interviewdans Philosophie Magazine, rien non plus avec les partisans de l’Etat minimal, mais l’impôt devrait, nous dit-il, prendre, dans des sociétés démocratiques, la forme d’un don. Nos sociétés ne seront, ajoute-t-il, vraiment démocratiques que lorsque nous aurons transformé l’impôt en don volontaire.Chacun, nous explique-t-il, devrait être en mesure de payer ce qu’il souhaite. Ce qui, assure-t-il sans vraiment convaincre, ne conduirait pas forcément à une réduction des recettes de l’Etat. Quand on l’interroge sur ce point, il répond que le capitaliste est condamné à la philanthropie, « la richesse, explique-t-il, embarrasse, parce que d’un point de vue moral, il n’est pas possible de la classer dans une catégorie sans autre forme de procès. » Ce qui reste, naturellement, à vérifier.Cette pensée pourrait être simplement réactionnaire, une variante des révoltes contre l’impôt, c’est bien d’ailleurs ce que ses critiques lui ont reproché, mais ce n’est pas, je crois, lui faire pleinement justice. Dans ses analyses Peter Sloterdijk  met le doigt sur deux questions rarement traitées : celle, d’une part, des relations entre la démocratie et l’impôt et celle, d’autre part, de la participation citoyenne à la résolution des problèmes que rencontre la société. Dans les régimes démocratiques contemporains, l’impôt est voté par le Parlement, c’est-à-dire par des représentants du peuple et ventilé par les parlementaires en fonction des besoins des différentes fonctions de l’Etat. Mais le citoyen, surtout s’il paie beaucoup d’impôts, peut avoir le sentiment d’être laissé de coté et pas vraiment consulté sur l’usage fait de son argent. A l’inverse celui qui, riche ou pas, fait de plein gré un don à une organisation philanthropique choisit les causes qu’il souhaite défendre, et cette liberté de choisir est sans doute pour beaucoup dans le plaisir qu’il éprouve à donner. Il a le sentiment d’être utile à la société, de contribuer à résoudre un problème qui lui paraît déterminant. Il a le sentiment d’être un acteur, impression que partagent peu de contribuables. On lutterait sans doute plus facilement contre l’évasion fiscale des particuliers et des entreprises si l’on réussissait à rendre au contribuable ce sentiment d’être un acteur de ses choix, de ses dépenses lorsqu’il paie l’impôt. Aller jusqu’au don, comme le suggère Peter Sloterdijk, est certainement absurde mais l’on pourrait imaginer des systèmes fiscaux qui laissent au contribuable la possibilité d’affecter une partie de son impôt aux dépenses qui lui paraissent le plus utiles. On pourrait, par exemple, donner au contribuable qui paie 10 000€ d’impôts la possibilité de choisir l’affectation d’une partie de ceux-ci, mettons 10%, qu’il pourrait choisir de voir investie dans la réduction de la dette, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, la défense… Mieux qu’un sondage que l’on peut interpréter comme on souhaite et que l’on n’est pas forcé de suivre, on aurait une photographie en direct des attentes de ceux qui financent la collectivité et l’obligation de s’y plier. On me dira que ce ne serait pas juste puisque ceux qui ne paient pas d’impôts n’auraient pas leur mot à dire. Sans doute. Mais cet argument n’est jamais que le symétrique de celui selon lequel ceux qui ne paient pas ou peu d’impôts votent pour les partis qui promettent de faire payer les plus riches…Trois débats, trois approches, un souci nouveau…Trois débats, donc, trois approches très différentes d’une même question longtemps négligée tant elle paraît technique et complexe. Sans doute y a-t-il ailleurs d’autres débats sur le même sujet que je n’ai pas identifiés. Reste que l’on devine à travers ceux-ci, et à travers les personnalités qui l’engagent, économistes, politiques, philosophes, l’amorce d’une réflexion sur la contribution des citoyens aux dépenses collectives qui ne se limite pas seulement à la définition d’un montant. Bien au delà de la technique fiscale, se dessinent des questions de justice, de bien commun, de propriété… toutes questions hautement politiques.

    Les inégalités et la crise

    Play Episode Listen Later Mar 20, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée sur AligreFM, le 13/03/2012Le retour des inégalitésEmmanuel Saez, un économiste spécialiste des revenus, qui produit, en compagnie de Thomas Piketty et de quelques autres une très utile base de données internationale sur les revenus des plus riches vient de publier des chiffres qui montrent que les écarts entre les plus riches, les 1% de plus riches, et le reste de la population se creuse de nouveau aux Etats-Unis. Après avoir légèrement diminué en 2008, 2009 au cœur de la crise. Pour ce qui est de la France, nous n’avons pas encore de chiffres qui permettent de dire si on observe le même phénomène, mais il est vrai que les inégalités y sont moins bien moins importantes qu’outre-Atlantique.Si je parle, cependant ce matin de ce sujet qui a, on s’en souvient, nourri tout le mouvement des indignés, c’est que l’on peut s’interroger sur le rôle des inégalités, notamment dans la première puissance économique mondiale, sur la crise. Ont-elles contribué à cette crise ? l’ont-elles accéléré et approfondi ?La question fait aujourd’hui débat chez les économistes. Certains assurent que  c’est bien le cas, d’autres sont plus sceptiques. Reste que les écarts se creusent de nouveau, ce qui veut - dire :-        - que rien n’a été fait pour réduire les inégalités,-       - et que si ces inégalités ont effectivement joué un rôle dans le déclenchement de la crise, alors peut se reproduire.Des gains de productivité accaparés par les plus richesQue rien n’ait été fait pour réduire les inégalités, on le sait puisqu’il faudrait si on le voulait vraiment utiliser l’arme fiscale, ce qui n’a pas été fait aux Etats-Unis, l’utiliser pour donner des recettes à l’Etat mais aussi pour modifier profondément le partage des richesses au sein des entreprises.La montée des inégalités a, en effet, correspondu aux Etats-Unis à deux mouvements parallèles : la baisse des impôts qui a favorisé les plus riches et des gains massifs de productivité liés, pour une part à la révolution informatique et, pour l’autre, à la restructuration des grandes entreprises qui, confrontées à la concurrence asiatique, japonaise et chinoise, se sont recentrées sur leur métier de base. Ces gains de productivité ont contribué à faire exploser les profits des entreprises, des profits qui n’ont pas été partagés entre les différentes parties prenantes mais confisqués par les actionnaires et, surtout, les dirigeants. Traditionnellement, lorsqu’il y a des gains de productivité dans une entreprise ou un secteur, tout le monde en profite, actionnaires, dirigeants, salariés. Là, les salariés n’ont rien vu venir. Bien loin de profiter de ces gains de productivité, ils ont vu leurs revenus stagner, voire lorsqu’ils perdaient leur emploi, diminuer. La première cause de cette confiscation des gains de productivité par les dirigeants est à chercher du coté des facilités que leur offre la politique fiscale depuis une trentaine d’années. Lorsque le fisc vous confisque l’essentiel de vos revenus au delà d’un certain seuil, vous n’avez pas intérêt à gagner plus, cela ne sert à rien. Et vous allez donc chercher d’autres satisfactions, vous allez demander à l’entreprise de vous offrir des services, des bureaux aux murs tapissés de tableaux de maitres pour ne prendre que quelques exemples au hasard. Et du coup, ces sommes que vous ne vous appropriez pas peuvent être redistribuées aux autres salariés. Et comme vos revenus ne sont plus directement liés au cours de la bourse, vous pouvez arbitrer en faveur des investissements plutôt qu’en faveur des dividendes.Lorsqu’à l’inverse, on réduit les taux d’imposition, comme ont fait massivement les gouvernements américains depuis Reagan, vous avez intérêt, si vous êtes au sommet de la pyramide à demander et obtenir les augmentations les plus fortes et tant pis si cela se fait aux dépens de vos collaborateurs et de l’avenir de l’entreprise. De fait, vos revenus gonflent, alors même que ceux de vos salariés stagnent. La politique fiscale initiée par le gouvernement Reagan a favorisé le développement de la cupidité des dirigeants, une cupidité que les chercheurs commencent aujourd’hui à mesurer. (voir Paul K. Piff, Higher social class predicts increased unethical behavior)L’expansion du crédit pour compenser la stagnation des salairesLa mondée des inégalités aux Etats-Unis est donc le fruit de deux phénomènes : l’explosion des revenus des plus riches et la stagnation de ceux des salariés qui ont conservé leur emploi (ou la baisse pour ceux qui l’ont perdu, se sont retrouvés au chômage et ont du accepter des emplois moins bien rémunérés). Les deux vont de pair : la stagnation des revenus des salariés a augmenté les profits dont ont profité les actionnaires mais aussi les dirigeants dont les revenus sont indexés, au travers de divers mécanismes, sur les cours boursiers. Et l’on a là, un premier moteur de cette crise : le développement de l’endettement privé. Dès lors que les revenus des salariés n’augmentent plus, voire diminuent, l’économie ne peut se développer que si l’on trouve le moyen de les aider à financer leur consommation, l’achat de voiture, d’électro-ménager, d’immobilier. La stagnation des revenus des classes moyennes a été, aux Etats-Unis, masquée, compensée par le développement de l’endettement. On a prêté de plus en plus facilement. Y compris à des gens qui n’étaient pas solvables. Comme l’explique Rajuan Rajan, la réponse politique à la montée des inégalités a été l’expansion du crédit qui a permis aux travailleurs de continuer de consommer (Fault Lines). Jusqu’à ce que la machine explose lorsque trop d’emprunts ont été consentis à des ménages non solvables.Et lorsque cette crise de la dette privée a menacé, les institutions financières, les pouvoirs publics sont intervenus, transformant une crise de la dette privée en crise de la dette publique.La montée des inégalités a contribué à gonfler la sphère financièreLa montée des inégalités a, par ailleurs, contribué à gonfler la sphère financière. Les plus fortunés se sont retrouvés à la tête de sommes considérables qu’ils n’ont pas consommées, il y a des limites à leur capacité de dépenser pour leur usage privé, mais qu’ils ont investies dans des produits financiers, des produits qu’ils pouvaient se permettre de choisir risqués tant ils étaient riches. Et, de fait, on a vu se développer les comportements que l’on pourrait qualifier d’audacieux. L’aversion au risque des plus riches, pour parler comme les économistes, a diminué. Dit autrement, leur appétit pour le risque a progressé, un appétit que deux chercheurs de la banque d’Angleterre, Prasanna Gai and Nicholas Vause, ont tenté de mesurer. Et leurs calculs ont montré que cet appétit pour le risque s’est développé de manière continue tout au long des années 2000 alors même qu’il s’était réduit dans la deuxième partie des années 90. (Measuring Investor’s Risk Appetite)Cette réduction de l’aversion au risque a tenu à tenu à trois grands motifs :-      -  d’abord, et je l’indiquais à l’instant, au fait que l’on prend plus facilement des risques lorsque l’on est très riche,-      - mais aussi parce que cette accumulation de richesses chez quelques uns a favorisé la montée des cours de la bourse, réduisant ainsi le sentiment de risque. Un peu comme un acheteur de biens immobiliers acceptera de payer très cher un appartement dans Paris parce qu’il sait que depuis des années les prix montent et qu’il est convaincu qu’il en sera encore longtemps ainsi,-       - mais encore parce que le monde financier a inventé toute une série de produits conçus pour réduire le risque pris par chacun.Le recul de cette aversion au risque a un aspect positif : il favorise le développement de nouvelles activités, de start-up dont les risques d’échec sont importants. Si les fondateurs de Google n’avaient pas trouvé sur leur chemin des business angels capables de financer leurs premiers pas, ils n’auraient jamais pu créer leur entreprise.Mais il y a à cela un revers : le gaspillage de ressources. Pour quelques entreprises qui ont bien réussi combien d’échecs prévisibles ? et lorsque l’argent ne va pas dans les start-up, qu’il reste investi dans des titres boursiers, il contribue tout simplement à créer des bulles spéculatives qui font très mal lorsqu’elles explosent.Les inégalités sont donc doublement dangereuses : elles favorisent l’endettement des ménages au delà du raisonnable et donnent du combustible à la spéculation.  La montée en puissance chaotique du monde de la financeJe le disais en commençant, tous les économistes ne sont pas d’accord avec ces analyses ; beaucoup doutent du lien entre inégalités et crise. Ils font valoir, à juste titre, que les inégalités n’ont pas, historiquement, nourri les crises. C’est vrai, mais ce qu’il y a de nouveau, cette fois-ci, c’est l’articulation entre inégalités et industrie financière. Ce qui distingue cette phase des précédentes est la présence d’une industrie financière puissante qui a pleinement profité de cette montée des inégalités à laquelle elle a vivement contribué tant en inventant de nouveaux produits, qu’en donnant l’exemple en versants aux plus brillants de ses salariés des rémunérations extravagantes qui ont tiré vers le haut toutes celles des dirigeants des autres secteurs.Elle a été le chaudron où les inégalités ont d’abord été masquées avant de se transformer en bombes pour l’ensemble de l’économie. Bombes à multiples ressorts. Nous en avons vu les premiers effets avec l’explosion de la dette privée et sa transformation en dette publique, mais nous sommes loin d’avoir épuisé toutes les conséquences de la montée en puissance désordonnée, brouillonne, chaotique de cette industrie. Mais entrons dans ce chaudron. On a tendance, lorsque l’on parle de la finance de jeter le bébé avec l’eau du bain. A l’inverse de ce que l’on dit trop souvent, la finance est utile, j’irais même jusqu’à dire que la spéculation l’est lorsqu’elle étale les risques et donne aux plus audacieux la possibilité de réduire l’inquiétude des plus timides, mais ce que nous venons de vivre est d’une nature différente. C’est un phénomène que nous avons déjà vécu à plusieurs reprises dans l’histoire et que l’on peut résumer d’un mot : la dissonance organisationnelle. Je m’explique : nous avons assisté dans les années 90 et 2000 à la multiplication des innovations dans le monde de la finance. Innovations produites par des équipes d’ingénieurs, de mathématiciens de haut vol qui ont inventé des produits permettant, je le disais tout à l’heure, d’étaler le risque, de continuer de prêter à des gens auxquels on n’aurait pas prêté il y a quelques années. En ce sens, ils ont permis à la machine économique de continuer de tourner. C’est ce que l’on attendait d’eux, et ils l’ont plutôt bien fait. Mais les  banques qui employaient ces ingénieurs, ces petits génies de la finance, étaient, sont dirigées par des gens d’une autre génération, formés à d’autres techniques qui ne comprenaient pas les nouveautés qu’on leur proposait, qui se sont révélés incapables de les contrôler. Et lorsque la machine a trop chauffé, ils ne l’ont pas vu, ils ne l’ont pas compris. Ils auraient pu encadrer ces innovations, prévoir des freins et des amortisseurs. Ils l’ont laissé chauffer jusqu’à l’explosion par ignorance, incompétence. Nous en avons eu en France un bel exemple avec l’affaire Kerviel. La direction de la Société Générale a laissé faire parce qu’elle ne comprenait, en réalité, pas grand chose aux modèles et techniques utilisées dans ses salles de trading. Et c’est la même chose qui s’est produite ailleurs. Qui s’est produite d’autant plus facilement que pour attirer tous ces  petits génies de la finance, les banquiers leur ont consenti des ponts d’or, ont conçu des systèmes de rémunération qui les incitaient à aller toujours plus loin sans garde-fou, sans protection. Le monde de la finance a inventé les outils permettant à une économie de consommation, une économie de petits propriétaires de continuer de se développer malgré la montée des inégalités, mais il s’est révélé incapable de les maîtriser, de les contrôler, de les gérer. Et comme rien ne suggère qu’il ait pris la mesure de ses faiblesses, une nouvelle montée des inégalités est inquiétante.

    Evasion fiscale

    Play Episode Listen Later Mar 13, 2012


    Pour écouter cette chronique diffusée le 06/03/2012 sur AlgreFM La fiscalité en une…François Hollande a, cette semaine, pris la main avec sa proposition de porter à 75% le taux marginal d’imposition des revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros. La mesure a fait couler d’encre, elle a renvoyé la droite à ses préférences pour les plus riches et suscité beaucoup de scepticisme chez les experts qui insistent sur son rendement qui devrait être faible tant ceux qu’elle concernerait disposent de moyens d’y échapper. En fait, cette mesure se justifie pleinement d’un point de vue économique et sera, si elle est appliquée, beaucoup plus efficace qu’on ne dit. Elle devrait notamment contribuer à réduire les inégalités et inciter les entreprises à revoir le mode de rémunération de leurs dirigeants. Mais j’ai expliqué tout cela dans un billet publié sur mon blog auquel je renvoie ceux que cela intéresse. Je préférerais ce matin parler d’évasion fiscale.Parce que c’est un sujet en soi intéressant mais aussi parce que qu’on a assisté, dans l’offensive de la droite un glissement passé inaperçu et cependant majeur.Impôts, évasion fiscale, désir de ne pas travaillerTraditionnellement, les adversaires de l’impôt insistent sur son impact sur le désir de travailler. Trop d’impôts, nous disent-ils, tuent l’impôt tout simplement parce que ceux qu’ils incitent les plus productifs, ceux qui gagnent le plus d’argent à préférer les loisirs, les vacances au travail. C’est la thèse classique que l’on trouve dans toute la littérature économique et que reprennent très volontiers à leur compte tous ceux qui se plaignent de payer trop d’impôts. Pourquoi, disent-ils en gros, ferais-je des efforts si c’est pour que je n’en voie pas la couleur. L’argument est naturellement contestable. Et probablement largement inexact. Steve Jobs ne serait pas arrêté de travailler s’il avait du payer plus d’impôts. Il aurait, bien plus sûrement, essayer d’y échapper. Et c’est bien d’ailleurs ce que font les entreprises, ce que fait notamment Apple qui dispose d’une trésorerie considérable stockée à l’extérieur des Etats-Unis pour justement ne pas payer l’impôt sur les sociétés.Or, cette thèse classique n’a pas été reprise par l’opposition de droite qui a plutôt insisté sur les risques d’évasion fiscale. Cette mesure nous a-t-on dit va inciter les plus riches à s’expatrier pour échapper à l’impôt. L’argument n’est pas non plus tellement convaincant ne serait-ce que parce que je le disais à l’instant, les plus riches ont mille moyens d’échapper à l’impôt, mais il met justement en évidence ces pratiques d’évasion fiscale que l’opinion, surtout à droite, tolère et que les économistes ont longuement négligée alors même qu’elle s’affiche régulièrement devant le grand public. On se souvient encore des déclarations arrogantes de Florent Pagny, ce chanteur exilé en Argentine qui venait narguer sur tous les plateaux de télévision ceux qui paient des impôts, les imbéciles qui achetaient ses disques pour mieux faire la promotion d’une chanson dans laquelle il s’en prend justement à l’impôt. Cette évasion fiscale peut prendre plusieurs formes :- la fraude et la sous-déclaration,- la transformation des revenus du travail en capital (bonus, actions, dividendes…) moins taxés puisque non affectés par les différentes cotisations sociales (santé, vieillesse, chômage…), toutes techniques le plus souvent légales qui relèvent de ce que l’on appelle l’optimisation fiscale,- la délocalisation dans des pays aux fiscalités plus accommodantes voire dans des paradis fiscaux qui peut être légale, comme dans le cas des multinationales qui pratiquent l’optimisation fiscale ou illégale.Ces pratiques concernent aussi bien les entreprises que les particuliers. Les entreprises internationales pratiquent cette évasion fiscale de manière systématique tant pour leur propre compte que pour celui de leurs dirigeants. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, Google facture depuis l’Irlande, pays à la fiscalité légère, les prestations de publicité qu’il vend en Grande-Bretagne, faisant ainsi perdre au fisc britannique des sommes considérables.Une difficile mesure Cette évasion fiscale représente des sommes considérables qu’il est difficile d’évaluer. Beaucoup de chiffres circulent. Tous sont très importants. En voici quelques uns glanés au fil de mes lectures :- Valérie Pécresse parlait il y a quelques mois de 16 milliards d’euros de fraude décelée, mais il y a à coté, toute celle qui ne l’est pas et je le répète, ce n’est qu’un bout de l’évasion fiscale,- Le ministère de l’économie britannique estimait il y a quelques mois que l’évasion fiscale, calculée en comparant les recettes fiscales effectivement perçues à ce qu’elles auraient du être, a coûté à la Grande-Bretagne 42 milliards de £, soit un peu plus de 50 milliards d’€, soit 17,5% des taxes dues, un ratio que l’on retrouve probablement dans bien d’autres pays. Et on peut imaginer que dans certains, ces ratios sont largement dépassés. L’ONG Transparency International estime ainsi que l’évasion fiscale représente 30% du PIB de la Grèce.- 800 contribuables quitteraient la France chaque année d'après Bercy. 5000 étaient installés en 2008 en Suisse où ils bénéficient d’un statut fiscal très avantageux. L’un de ceux-ci, Paul Dubrule, fondateur du groupe Accor, expliquait à un journal suisse qu’il économisait chaque année plus de 2 millions d’impôts grâce à son installation en Suisse: son forfait fiscal lui coûte environ 300 000 francs suisses alors qu’il devrait payer douze fois plus en France.- 280 milliards d’€ d’origine grecque, soit 120% du PIB de ce pays terriblement endetté seraient cachés en Suisse, d’après le ministre du budget grec. Tous ces chiffres méritent naturellement d’être maniés avec précaution puisqu’il s’agit de compilations de données qui ne sont pas toujours très fiables, mais le phénomène est massif et a un impact direct sur l’économie que l’on néglige trop souvent.Un impact économique majeur L’impact économique de cette évasion fiscale est évidemment très important mais il n’est pas le même pour toutes ses formes. La fraude, le travail non déclaré n’ont pas les mêmes effets que l’expatriation ou l’optimisation fiscale.L’économie parallèle, la non-déclaration appauvrit l’Etat mais l’essentiel des sommes qui ne lui sont pas versées sont réinjectées rapidement dans l’économie. Le salarié qui travaille au noir ne paie pas d’impôts sur ses revenus non déclarés, et en ce sens, il contribue à gonfler la dette publique ou, du moins à rendre son remboursement plus difficile, mais il les utilise pour vivre et les dépense. Et dans les périodes de crise, ces revenus non déclarés allègent le poids de la précarité…Il en va tout autrement des sommes placées dans les paradis fiscaux. Sommes importantes. Un économiste de l’Ecole de Paris, Gabriel Zucman a évalué qu’elles représentaient 8% des revenus des ménages. Il a fait ce calcul en partant des données suisses, la banque nationale helvétique publie en effet régulièrement des statistiques sur les avoirs de non résidents.Ces sommes sont doublement détournées : non seulement, elles échappent à l’impôt mais elles ne sont pas réintroduites dans l’économie du pays qui les a générées. Lorsqu’un Français dépose de l’argent en Suisse, il y a de fortes chances que celui-ci soit réinvesti ailleurs qu’en France, aux Etats-Unis, par exemple…Pour ce qui est de l’optimisation fiscale que pratiquent les entreprises, elle appauvrit l’Etat mais elle peut, dans un certain nombre de cas se retrouver dans l’économie réelle sous forme d’investissement. Mais elle peut également détourner des sommes qui devraient revenir aux actionnaires sous forme, par exemple, de dividendes. Le cas d’Apple que je citais tout à l’heure est caractéristique. Grâce à sa politique d’optimisation fiscale, cette entreprise que tout le monde admire tant a un taux d’imposition de 24%, soit dix points de moins que les entreprises américaines ordinaires. Mais cette habileté fiscale a un revers : il l’oblige à conserver les deux tiers de sa trésorerie à l’étranger, en dehors des Etats-Unis, ce qui l’empêche, en pratique, d’en reverser un partie à ses actionnaires sous forme de dividendes, ce qui ne va pas sans susciter l’agacement de beaucoup. D’autant que cette trésorerie ne peut rester éternellement inactive et qu’elle peut demain amener Apple à investir dans des sociétés étrangères sans véritablement en avoir la nécessité.Une indulgence coupable Quelque forme qu’elle prenne, cette évasion fiscale est largement tolérée. Je faisais tout à l’heure allusion à la manière dont les télévisions faisaient la promotion des chansons de Florent Pagny. Personne, sur le service public n’a imaginé lui dire qu’après tout, il en faisait la promotion sur une chaine financée par ces impôts qu’il ne paie pas. Cette indulgence est d’autant plus surprenante que l’évasion fiscale a un coût pour tous ceux qui ne la pratiquent pas. Lorsqu’un artiste, un sportif, un industriel s’installe à l’étranger pour payer moins d’impôts, il ne réduit pas les besoins de routes, d’hôpitaux, d’écoles du pays qu’il quitte. Il ne paie plus ses impôts, mais les besoins de recettes fiscales ne diminuent pas d’autant. Ce qui veut tout simplement que ce qu’il ne paie pas, d’autres le paient, ceux qui ne trichent pas, ne fuient pas. Tous ces Français qui vont s’installer en Belgique, en Suisse ou ailleurs pour ne pas payer d’impôts chez nous s’enrichissent aux dépens de ceux qui restent et qui en paient. Ils prennent dans nos poches pout mettre dans les leurs. Cela s’appelle tout simplement du vol et ne mérite certainement aucune complaisance.Cette indulgence se devine partout : dans les propos du public. Le Parisien Libéré faisait hier sa une sur le sujet et interrogeait, comme il fait de manière systématique, quelques citoyens. Il en trouvé au moins deux qui trouvaient des excuses à ces Français qui s’exilent. « Si j’avais la moindre possibilité de partir pour profiter davantage de ce que je gagne, je le ferais volontiers, dit une musicienne de 35 ans que l’on ne devine pas très riche. Il y en a marre d’être toujours pris à la gorge. Le système d’imposition actuel est trop confiscatoire. Et les Français sont trop assistés. »On retrouve cette indulgence dans les propos de nos politiques. Quand a-t-on entendu Nicolas Sarkozy ou ses ministres s’en prendre à ceux qui partent à l’étranger ? Il est tellement plus facile et plus agréable de taper sur ceux qui n’ont rien, sur les chômeurs, les étrangers… On retrouve enfin et surtout cette indulgence dans les textes. Les sanctions pour évasion fiscale sont extrêmement faibles. Un compte ouvert à l’étranger sans être déclaré en France ne coûte, s’il est découvert, que 1500€, quelque soit le montant des sommes déposées dessus. Une misère ! Et les amendes sur les sommes non déclarées au fisc français restent modestes.Plus grave : pour lutter contre cette fraude fiscale, les pouvoirs publics cherchent moins à la poursuivre et à la punir qu’à la prévenir. C’était l’objet initial du bouclier fiscal. On sait qu’il n’a convaincu personne pour un motif qu’expliquait très bien, il y a quelques mois, un avocat spécialiste dans un journal suisse : pourquoi prendre le risque d’une amende, même modérée, et changer de banquier quand on est content du sien ? Et les banquiers suisses sont plutôt efficaces. Surtout dans une situation de crise où le pouvoir politique peut à tout moment changer son fusil d’épaule. C’est l’instabilité des politiques fiscales qui favorise l’exil des plus riches bien plus que le montant des impôts.Il faut lutter contre l’évasion fiscale L’évasion fiscale n’est pas une nouveauté, mais elle s’est développée avec la mondialisation, avec la concurrence fiscale que se livrent les grands pays qui donnent aux grandes entreprises la possibilité de pratiquer l’optimisation fiscale mais aussi avec les politiques conservatrices qui, depuis Reagan et Thatcher, dénigrent l’impôt. Cette évasion présente plusieurs inconvénients :- elle réduit les recettes des Etats, ce qui est particulièrement dommageable dans les périodes de crise économique et financière. Les crises de la dette souveraine qui épuisent aujourd’hui l’Europe du sud seraient certainement bien moins graves si l’évasion fiscale était maîtrisée, prise au sérieux et combattue : ce sont aujourd’hui les Grecs moyens, ordinaires qui paient les pots cassés par les armateurs et industriels qui déposent leur fortune en Suisse et ailleurs,- elle introduit une distorsion entre les multinationales qui peuvent échapper à l’impôt et les entreprises plus petites pour lesquelles c’est plus difficile, amenant à une situation où, en proportion, les PME paient plus que les grandes entreprises,- elle augmente l’impôt des classes moyennes qui ne peuvent y échapper,- elle rend illisibles les statistiques,- elle dégrade le sens civique des dirigeants et de ceux qui profitent de ces facilités. Comme l’ont montré les travaux récents de Paul Piff, plus on est riche, plus on est cupide et susceptible de tricher,- elle favorise la concentration des richesses dans quelques régions plus à l’abri, mieux protégées. Pour tous ces motifs il faut lutter contre de manière énergique. Non pas, comme font les gouvernements impuissants en augmentant les sanctions de ceux qui se font prendre, non pas non plus en baissant les impôts les plus riches comme a fait le gouvernement français, ce qui ne fait qu’augmenter les inégalités, mais en négociant des accords internationaux qui réduisent la concurrence fiscale, qui évitent, par exemple, que l’Irlande puisse attirer des entreprises internationales sur son territoire aux dépens de ses voisins européens, en supprimant les niches qui favorisent l’optimisation fiscale et en imposant la transparence aux paradis fiscaux de toutes sortes. Ce sont des opérations compliquées à mettre en œuvre, qui demandent du temps, de longues négociations et un consensus dans les pays victimes de ces pratiques mais qui donnent des résultats. J’indiquais tout à l’heure que la banque nationale suisse publie régulièrement des statistiques. Leur lecture montre qu’une action concertée comme celle menée depuis quelques mois par quelques Etats dont l’Allemagne et les Etats-Unis portent leurs fruits. En 2007, les avoirs étrangers en Suisse représentaient 3072 milliards de francs suisses, soit 2500 milliards d’€. En 2011, suite aux pressions de ces pays qui ont imposé aux Suisses un peu plus de transparence, ils ne représentaient plus que 2162 milliards de francs suisses, soit 1700 milliards d’€. En quatre ans, grâce à l’action internationale, les fonds étrangers déposés en Suisse ont donc fondu en moyenne de près de 30%. Et ceux détenus par des particuliers de près de 50%. Ces sommes ne sont pas rentrées dans leur pays d’origine, elles ont probablement transité vers d’autres paradis fiscaux, mais ce qui est possible avec la Suisse devrait l’être avec les Antilles, les Barbades, les Bermudes et toutes ces îles qui permettent aux plus riches de se protéger du fisc aux dépens des classes moyennes.Tout cela suppose une action concertée des pouvoirs publics, action qui ne prendra forme que lorsque les opinions seront convaincues que l’évasion fiscale nous coûte bien plus cher que les fraudes aux allocations familiales et aux allocations chômage dont on nous rebat en permanence les oreilles.

    Chômeurs, leur vécu,

    Play Episode Listen Later Feb 28, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFM le 21 février 2012 Une étrange proposition Parmi toutes les propositions qu’a faites Nicolas Sarkozy à l’occasion de son entrée en campagne, il en est une qui retient l’attention : celle qui consisterait à modifier, par voie de référendum, la formation des chômeurs. Drôle de manière d’aborder ce sujet mais qui me donne l’occasion de revenir sur le chômage, non pas sur son explosion, plus d’un million de chômeurs en un quinquennat, ni même sur ses causes, mais sur ses effets.Quel est l’impact du chômage sur la vie des uns et des autres ? en quoi est-ce qu’il modifie la société, notre environnement économique ? qu’est-ce que la vie des chômeurs ? toutes questions qu’on laisse en général de coté lorsque l’on aborde la question sous l’angle économique et qui sont cependant déterminantes. Peut-on suggérer que les chômeurs sont des assistés qui se complaisent dans leur situation, comme fait Nicolas Sarkozy, sans examiner de près ce que sont les conséquences du chômage sur la vie de chacun?Une idée bien ancrée chez les économistes L’idée que les chômeurs sont des assistés qui profitent de leurs allocations chômage pour ne rien faire, est une vieille idée réactionnaire qui a trouvé ses meilleurs défenseurs chez les économistes. Dès 1925, Jacques Rueff, l’économiste préféré du général de Gaulle défendait cette idée en s’appuyant sur des données britanniques. Il répéta cette analyse à de nombreuses reprises, notamment en 1931 dans un livre au titre explicite : L’assurance chômage, cause du chômage permanent, et il développa cette thèse jusqu’à la fin de ses jours. Il l’a notamment reprise dans des articles publiés dans le Monde en 1976, articles dans lesquels il expliquait : « Depuis 1911(…) il existait en Angleterre un système d'assurance-chômage, qui donnait aux ouvriers sans travail une indemnité connue sous le nom de "dole". La conséquence d'un pareil régime était d'établir un certain niveau minimal de salaire, à partir duquel l'ouvrier était incité à demander la "dole" plutôt qu'à travailler pour un salaire qui ne lui vaudrait qu'un excédent assez faible sur la somme qu'il recevait comme chômeur. » On l’a compris, l’ouvrier assuré de toucher cette « dole », préférerait ce revenu minimum préférerait à un travail salarié guère mieux payé. Jacques Rueff ajoutait que ce mécanisme interdisait les baisses de salaires en période de récession : les travailleurs qui chômaient protégeaient donc, à l’entendre, les revenus de leurs collègues qui travaillaient. D’où sa conclusion : ce sont des salaires qui ne baissent pas en période de récession qui créent le chômage. Le chômage disparaitrait si les salariés acceptaient des réductions de leurs revenus comme font les commerçants qui baissent leurs prix quand ils n’ont pas vendu à la fin du marché toutes leurs carottes ou toutes leurs tomates. C’est l’analyse économique classique, que l’on retrouve, sous des formes voisines, dans un très grand nombre de textes contemporains. Analyse séduisante sur le plan théorique mais dont il est difficile de trouver confirmation dans les travaux empiriques, surtout dans ceux des sociologues qui approchent les chômeurs autrement que dans des statistiques.Le chômage et la mort sociale Les sociologues qui vont sur le terrain à la rencontre des chômeurs, qui les interrogent sur leurs motivations, qui examinent leurs comportements ont une approche totalement différente du sujet. J’en voudrais pour première preuve cette remarque que Pierre Bourdieu fait dans la préface qu’il a donnée à la traduction française du premier livre de sociologie qui se soit intéressé de très près aux chômeurs : les chômeurs de Marienthal, de PaulLazarsfeld, un livre publié en 1931 et consacré à une enquête sur les travailleurs restés longtemps sans emploi dans cette petite ville de la banlieue viennoise. « À travers les biographies ou les témoignages, écrit Pierre Bourdieu, – je pense par exemple à ce chômeur qui, après avoir écrit cent trente lettres de demande d’emploi, toutes restées sans réponse, s’arrête, abandonnant sa recherche, comme vidé de toute énergie, de tout élan vers l’avenir –, à travers toutes les conduites que les enquêteurs décrivent comme « irrationnelles », qu’il s’agisse d’achats propres déséquilibrer durablement leur budget ou, dans un autre ordre, de l’abandon des journaux politiques et de la politique au profit des gazettes de faits divers (pourtant plus coûteuses) et du cinéma, ce qui se livre ou se trahit, c’est le sentiment de délaissement, de désespoir, voir d’absurdité, qui s’impose à l’ensemble de ces hommes soudain privés non seulement d’une activité et d’un salaire, mais d’une raison d’être sociale et ainsi renvoyés à la vérité nue de leur condition. Le retrait, la retraite, la résignation, l’indifférentisme politique (les Romains l’appelaient quies) ou la fuite dans l’imaginaire millénariste sont autant de manifestations, toutes aussi surprenantes pour l’attente du sursaut révolutionnaire, de ce terrible repos qui est celui de la mort sociale. »C’est cette mort sociale, « On ne lit plus les journaux, on n’écoute plus la radio ; s’installent l’indifférence, la résignation et le désespoir… », écrit Lazarsfeld, qui explique que les chômeurs de longue durée ne cherchent plus d’emplois. S’ils n’en cherchent plus, ce n’est pas, comme le disent les économistes parce qu’ils préfèrent le chômage au travail, mais parce qu’ils ont perdu l’espérance de trouver un emploi. Pourquoi continuer de chercher si chercher ne mène à rien ?Tous les chômeurs ne sont évidemment pas condamnés à cette mort sociale, tant s’en faut, mais elle est en arrière-fond, elle est ce que vivent ceux qui sont sans emploi depuis longtemps. Ce qui explique, d’ailleurs, que toutes les mesures prises pour réduire la durée des allocations, diminuer leur montant à mesure que le temps passe, comme celles que proposent le Medef et à sa suite le gouvernement, sont si inefficaces. Les chômeurs restés trop longtemps sans emploi n’attendent plus rien du marché de l’emploi.Chômage et économie parallèle Cela ne veut pas dire qu’ils restent forcément les bras croisés, inactifs. A défaut de trouver un emploi sur le marché du travail, beaucoup s’en créent un en dehors de celui-ci. D’où le développement parallèle, souvent signalé, du chômage et de l’économie souterraine. Le chômage favorise le développement du travail au noir. Les chômeurs qui ne sont pas sans capacités ni compétences acceptent, lorsqu’ils en ont l’opportunité, de travailler ainsi en dehors de toute légalité, sans cotisations ouvrières ou patronale, ce qui peut leur permettre de compenser leurs pertes de revenus et de conserver une certaine estime de soi : se trouver un job au noir, quand on est sans emploi, c’est se prouver à soi-même et aux autres qu’on est capable de rebondir, de se défendre, de s’adapter. Et c’est sans doute un des motifs pour lesquels le travail au noir est si bien accepté. C’est également, pour peu que l’on sache en trouver assez, s’assurer des compléments de revenus qui échappent aux cotisations sociales mais aussi à l’impôt. On ne gagne pas plus qu’avant mais on coûte moins cher à ses clients, les seuls victimes sont l’Etat et les comptes sociaux.A cause de la crise économique, l'économie souterraine aura augmenté en 2010 dans les pays développés, après une hausse en 2009», explique Friedrich Schneider, un économiste autrichien spécialiste de l'économie informelle. D’après ses calculs, la part de cette économie non officielle dans le produit intérieur brut (PIB) des pays de l'OCDE a grimpé de 13,3% en 2008 à 14% en 2010. En France, ce ratio a augmenté de 11,1% à 11,7%, mais c’est en Allemagne que cette hausse a été particulièrement significative, ce que l’on peut expliquer par la multiplication des midi jobs à 400€ et du temps partiel qui libèrent du temps pour ces activités. En France même, le phénomène a progressé massivement. Le Figaro citait, dans un article publié en 2010, des chiffres significatifs : Les délais accordés en 2009 aux entreprises en difficulté lors des redressements sur les années précédentes, d'habitude stable, a bondi de 58%. La même année, le nombre de procès verbaux dressés pour travail illégal a bondi de 27%. En 2010, le nombre de procès-verbaux de travail dissimulé établis a presque doublé, connaissant une augmentation de 94 %. Cette progression est pour partie liée à une modification des procédures mais elle montre bien l’impact du chômage sur l’économie souterraine. Cette montée du travail au noir a une quadruple conséquence :- elle rend les chiffres officiels de plus en plus fragiles,- elle allége l’impact de la récession puisque cette économie souterraine améliore les revenus de ceux qui la pratiquent,- elle nourrit le sentiment d’injustice chez les voisins, les proches qui ont du mal à s’en tirer et s’imaginent que ceux qui travaillent au noir s’enrichissent plus facilement,- elle favorise l’incivisme : c’est dans les pays dans lesquels l’économie souterraine est le plus développée que l’Etat a le plus de mal à collecter des impôts. Est-ce ce un hasard si l'économie souterraine représente, selon les estimations de Friedrich Schneider, 25% du PIB en Grèce et autour de 40% en Lettonie et en Estonie.Le retour au travail et les pertes de salairesMais revenons au vécu des chômeurs. S’il arrive que les manuels d’économie expliquent que les chômeurs ont choisi de ne pas travailler parce qu’il était plus avantageux de percevoir des allocations, toutes les études de bien-être montrent que le chômage se traduit par une augmentation du niveau d’anxiété et une dégradation de la satisfaction, du bonheur et du sentiment de valoir quelque chose. Tout cela devrait inciter à rechercher rapidement un travail. Et c’est ce que font en général les chômeurs. Mais il est vrai qu’ils déchantent vite. Non seulement il est difficile de retrouver un travail, mais lorsqu’ils en retrouvent un celui-ci est, en général, moins bien rémunéré que celui qu’ils ont perdu. La décote est en général de l’ordre de 10% à 15%, avec des variations selon les secteurs et les métiers, certains comme les métiers de service ou d’encadrement étant plus touchés que d’autres.Cette décote peut prendre de nombreuses formes : passage du temps plein au temps partiel, du CDI à d’autres contrats de travail, CDD, intérim, perte de l’ancienneté, retour à l’emploi dans des secteurs dans lesquels les compétences acquises sont moins valorisées, changement complet de métier, d’employée de bureau à caissière dans une grande surface… reste que dans tous les cas, c’est une perte de pouvoir d’achat d’autant plus mal ressentie qu’elle est jugée injuste. Et, parce que cette dégradation des revenus est jugée injuste, beaucoup de chômeurs refusent les premières propositions qui leur sont faites, une attitude que condamne Nicolas Sarkozy mais qu’il ferait mieux d’essayer de comprendre : ces chômeurs qui refusent des propositions trop médiocres, trop éloignées de leurs compétences, et on sait qu’elles sont nombreuses, se disant qu’ils valent mieux, qu’ils trouveront mieux. Ils ont d’autant plus tendance à attendre, qu’ils savent bien qu’il est très difficile de monter dans l’échelle des salaires quand on est parti bas. Ils se trouvent donc pris en tenaille entre deux exigences contradictoires :- celle de retrouver rapidement un emploi pour sortir du chômage, situation toujours inconfortable,- celle de retrouver un emploi correspondant à leurs qualifications, au salaire qu’ils avaient avant, pour poursuivre dans la voie engagée.Ils sont au fond amenés à choisir entre prendre le premier emploi qui se présente au risque de se déprécier et attendre un emploi correspondant à leur niveau sachant qu’il s’agit d’une véritable course poursuite puisque plus on attend plus on a de chance de rester sur le carreau avec des compétences qui se dégradent et perdent de leur valeur à mesure que le temps passe. Le cas des commerciaux qui vivent de leur carnet d’adresses est caractéristique : plus ils attendent, moins celui-ci a d’intérêt pour un quelconque employeur.J’ajouterai que ce dilemme se complique de ce que la démarche de recherche d’emploi conduit à surévaluer ses compétences, le poste qu’on occupait. Les conseillers que l’on rencontre vous invitent à mettre en valeur ce que l’on a fait, ses compétences, c’est tout l’art du CV, mais plus on met de soin à mettre en valeur son CV plus l’écart entre ses aspirations et ce qui vous est proposé se creuse.Les seniors et les jeunes Je citais tout à l’heure Bourdieu et Lazarsfeld qui s’interrogeaient sur l’impact du chômage sur le vécu, les comportement de ceux qui en souffrent. Cet impact n’est évidemment pas le même pour tous. On sait que le chômage touche en France surtout les seniors et les plus jeunes. Les seniors sont sans doute moins affectés que d’autres par le chômage. Ils savent qu’ils ont peu de chance de retrouver un emploi, ils calculent comment atteindre l’âge de la retraite sans trop d’encombre et s’accommodent au fond assez bien de ce qui peut passer pour une retraite anticipée. Les reproches sociaux sont faibles, tout le monde sait bien qu’ils ont peu de chance de retrouver un emploi et l’on se dit qu’après tout, faire partir un senior, c’est donner sa chance à un jeune travailleur. Sauf que c’est faux. Le senior que l’on met au chômage et auquel on continue d’attribuer des allocations parce qu’on sait bien qu’il a peu de chance de retrouver un emploi coûte cher : il faut financer ses allocations, sa retraite précoce, ce qui augmente le coût du travail, lequel coût incite les entreprises à freiner, limiter leurs recrutements. Le chômage des seniors est pour partie responsable du chômage des jeunes. A l’inverse de ce que pourrait suggérer une analyse des vases communicants, plus il y a chez chômage chez les seniors, plus il y en a chez les jeunes.Pour ce qui est des jeunes, les choses sont toutes autres. Leur expérience du chômage qui est, pour beaucoup, d’ailleurs, une expérience de la précarité, des stages à répétition, va impacter leur vision du monde pour une très longue période. Une étude britannique qui s’interrogeait sur le chômage des jeunes en Grande-Bretagne, chômage tout aussi important qu’en France, parlait de cicatrices qui ne s’effacent pas, des chercheurs français parlaient eux de stigmates. Plus on tarde à trouver une place stable sur le marché du travail, plus les salaires que l’on perçoit tout au long de sa carrière s’en ressentent, plus les chances de se retrouver au chômage dans le cours de celle-ci augmente. Un recul d’un an dans le démarrage de cette carrière se traduit une augmentation moyenne des périodes de chômage de dix mois. Qui commence sa carrière professionnelle par une longue période de galère risque d’en payer longtemps les conséquences tant en terme de risque de chômage que de salaire. Une autre étude britannique indique qu’un homme qui a connu plus de 6 mois de chômage à 23 ans, gagnera en moyenne et toutes choses égales par ailleurs 7% de moins à 42 ans.Ce qui est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, pour les jeunes qui en sont victimes mais aussi pour tous les autres puisque qui dit salaires plus faibles dit également cotisations et impôts plus faibles. On nous dit souvent qu’en nous endettant nous appauvrissons nos enfants qui devront rembourser nos dettes, mais en ne donnant pas de travail aux plus jeunes d’entre nous, on rendra beaucoup plus difficile le remboursement de nos dettes et le financement des prestations sociales, sanitaires, éducatives… Les industriels eux-mêmes devraient en être victimes puisque ce chômage des jeunes semble également annoncer un ralentissement de la productivité. Des salariés moins bien formés aux métiers réels de l’industrie sont moins efficaces.Mais, au delà de ces remarques on peut penser que, de manière plus générale, ces générations qui auront découvert le monde du travail avec le chômage, par le chômage auront une attitude différente à l’égard du travail. Qu’ils s’en détacheront plus facilement, qu’ils développeront un habitus de la précarité, qu’ils seront plus mobiles, ne serait-ce que parce qu’ils auront appris à se débrouiller dans un monde difficile.On peut assez facilement imaginer qu’ils adapteront leurs comportements personnels, notamment financiers à cette précarité, qu’ils se méfieront des investissements de longue durée et qu’ils privilégieront en la matière le court terme. Retour à la politiqueJ’ai commencé cette chronique en faisant état de la proposition de Nicolas Sarkozy de mettre en place un référendum sur l’emploi sans que l’on sache bien d’ailleurs ce qu’il mettait derrière, mais on devine que la question centrale est derrière tout cela celle du chômage qui agit comme un poison sur la société française, un poison aux effets lents qui menace non seulement notre présent mais aussi notre futur proche.On a longtemps cru qu’il suffisait du retour de la croissance pour assurer le plein emploi. Un économiste, Arthur Okun, avait même, dans les années soixante, calculé la corrélation entre taux de croissance et création d’emplois. Pour la France on ne pouvait espérer créer d’emploi à moins de 3% de croissance. Nous en sommes loin. Et il n’est même plus sûr que cela suffise tant les délocalisations d’un coté et les gains de productivité de l’autre permettent une croissance sans création d’emplois.On a longtemps pensé qu’en mettant à la retraite les plus âgés, on dégagerait des emplois pour les plus jeunes. On sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai.Nous avons essayé la réduction du temps de travail. Elle a créé des emplois, mais pas en nombre suffisant.Sans doute nous faudrait-il inventer une organisation de l’économie française qui développe des activités qui consomment plus de main d’œuvre et échappent tout à la fois aux risques de délocalisation et aux gains de productivité trop rapide. L’éducation, la santé, la culture correspondent bien à cette définition. Mais ils ne sont certainement pas les seuls.

    Emploi : le « miracle » allemand

    Play Episode Listen Later Feb 21, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFM le 16/02/2012 Le chômage n’a pas explosé, malgré la récession S’il est un miracle allemand, il est à chercher du coté de l’emploi. On sait que le chômage est aujourd’hui très faible de l’autre coté du Rhin. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il n’a pas explosé en 2008-2009 alors que l’Allemagne était frappée de plein fouet par la crise économique. Avec une économie très tournée vers l’exportation, 400 000 entreprises allemandes exportes contre seulement 117 000 entreprises françaises, elle a pris en pleine face la récession mondiale de 2009. Son PIB a, cette année là, reculé de 4,5%. Et la production industrielle, celle de ces entreprises qui font aujourd’hui la force de l’Allemagne, a reculé de 18%.Dans à peu près n’importe quel pays, cela se serait traduit par une explosion du chômage. Or, cela n’a pas été le cas en Allemagne. Le chômage y a bien progressé cette année là, mais modérément. Il est passé de 7,1% à 7,8%, loin des 11,7% atteint en 2005, dans une période plutôt favorable. Et, dés que l’activité économique a repris, il a chuté pour atteindre aujourd’hui un taux très bas de l’ordre de 6%.Les Allemands que l’on nous donne actuellement si volontiers en exemple ont réussi là quelque chose que les autres, les Français, mais aussi les Américains, les Britanniques, les Espagnols, n’ont pas su faire. Mais quoi ? qu’ont-ils su faire mieux que tous les autres ?Les mini jobs dans les servicesIl ont su introduire de la flexibilité dans leur économie, mais de manières différentes selon les secteurs, selon qu’il s’agit de l’industrie ou des services.Pour les services, on connaît la réponse, elle n’est pas très séduisante : les Allemands ont développé les midi ou mini jobs, ces emplois à temps partiel payés 400€ qui permettent aux entreprises de ne plus payer de charges sociales, d’avoir donc une main d’œuvre à un coût très faible, à un coût si faible qu’il leur est possible d’ajuster leurs effectifs au plus près de la demande, un problème que rencontrent en général les entreprises spécialisées dans les services, la restauration, l’hôtellerie, la santé, qui utilisent un personnel souvent peu qualifié. Ces entreprises ont donc souvent remplacé des salariés à temps plein mais avec des horaires classiques, par deux ou trois mini jobs que l’on peut faire venir quant on a besoin d’eux, aux heures de plus grande affluence. Ce mécanisme crée des travailleurs pauvres, mais réduit les chiffres du chômage.Ces mini-jobs ont également permis de réduire le travail au noir, cette économie illégale qui n’est pas moins importante en Allemagne qu’ailleurs. Des travailleurs qui étaient complètement sortis du système, qui vivaient de petits jobs et d’aide sociale, ont pu rentrer de nouveau dans les statistiques. Mais ces effets semblent avoir été maigres. Ils n’expliquent en tout cas pas que le chiffres du chômage n’aient pas explosé.Ce n’est pas du coté des services qu’il faut chercher ce que les économistes appellent volontiers le miracle allemand, mais bien du coté de cette industrie manufacturière qui exporte. Le secteur des services dont l’activité dépend, pour l’essentiel, du marché intérieur n’a, en effet, que peu souffert de la récession.Une flexibilité par la réduction du temps de travail Si l’industrie manufacturière allemande, celle qui exporte, a su éviter les licenciements massifs, c’est grâce à… une diminution massive du temps de travail passé entre 2008 et 2009 de 1350 heures annuelles à 1309, soit une diminution d’un peu plus de 3%. Et ceci non pas avec une loi applicable à tous, comme celle des 35 heures, mais par la mise en œuvre de toute un série de mécanismes :- le chômage partiel, d’abord, qui a touché un peu plus d’un million de salariés en 2009, alors qu’il n’en concernait l’année précédente à peine plus de 100 000 et a réduit cet horaire annuel d’un peu plus de 13 heures,- ensuite, la réduction temporaire de la durée du travail par convention collective, qui n’a pas touché tous les secteurs mais qui a réduit, en moyenne, d’un peu plus de 10 heures le temps annuel travaillé,- troisième élément : la suppression des heures supplémentaires, ce qui a fait à peu près 8 heures de moins, mesure qui fait sourire quand on sait qu’en France au même moment, on faisait tout pour en augmenter le nombre au nom du pouvoir d’achat et de la lutte contre le chômage,- enfin, dernier élément : la liquidation des passifs que les salariés avaient accumulé sur leur compte-épargne temps, ce dispositif qui permet de stocker des heures travaillées en plus pour partir plus tôt à la retraite ou allonger ses période de formation ou de vacances. Cette liquidation a permis de réduire cette durée de travail annuelle moyenne de 7 heures.Plutôt que de licencier leurs salariés, les entreprises industrielles allemandes ont donc cherché à réduire le coût du travail sans insulter l’avenir. Dès que l’activité internationale a repris, ils ont pu redémarrer sans avoir à recruter et à forer un personnel nouveau. Si le chômage n’a pas explosé en Allemagne en 2009, c’est que les employeurs avaient, malgré les difficultés de l’heure, assez confiance en la solidité de leur technologie, en la qualité de leurs produits, pour conserver des ressources suffisantes pour répondre à la demande dés que celle-ci réapparaîtrait.C’est aussi qu’ils sortaient d’une période dans laquelle ils avaient souffert du manque d’effectifs. Les industriels allemands se plaignent bien plus que leurs collègues français de problèmes pour recruter. Sachant cela, il était assez naturel, qu’ils évitent de se compliquer la tâche en cas de redémarrage de l’activité.On peut également penser que les syndicats de salariés appelés à négocier ces réductions de temps de travail accompagnées éventuellement de réduction de rémunération, ont accepté d’autant plus facilement de le faire qu’ils étaient eux aussi convaincus de la compétitivité sur le moyen terme de l’industrie allemande. A l’inverse de ce qui a pu se produire en France, il ne s’agissait pas, dans la plupart des cas, d’une manière de retarder la fermeture d’une usine dont la production est appelée à être délocalisée.Mais le plus remarquable dans cette affaire est la manière dont ces différents dispositifs s’articulent.Une réduction du temps de travail flexible C’est une loi applicable à toutes les entreprises, ou presque, qui a réduit le temps de travail en France. Ce sont en Allemagne différents dispositifs négociés à des niveaux différents qui ont donné aux entreprises et aux secteurs la possibilité de réagir à la crise.Certains des dispositifs dont je parlais à l’instant sont nationaux et s’appliquent à tous, c’est le cas du chômage partiel qui va avec une réduction du coût du travail puisque le salaire perdu par les travailleurs mis au chômage est pour partie compensé par l’Etat. D’autres sont négociés au niveau de la branche, comme la réduction temporaire de la durée du travail. Ce n’est pas l’Etat qui décide, ce ne sont pas non plus les entreprises, c’est la branche, le secteur, au terme de négociations avec les partenaires sociaux. L’avantage est que cela équilibre la concurrence et évite que certains fassent preuve d’opportunisme.D’autres encore, comme la liquidation d’actifs des compte-épargne temps sont décidés dans l’entreprise.C’est toute une architecture de négociations sociales qui a présidé à la mise en place de ces dispositifs. Lorsque des solutions ne pouvaient être trouvées au niveau local, employeurs et salariés pouvaient en chercher une au niveau de la branche…Tout cela a donné à l’ensemble une grande flexibilité. Chacun a pu trouver une solution adaptée à ses besoins propres au coût le plus faible, je veux dire sans réorganisation. En ce sens, cette réduction du temps de travail s’est faite tout autrement qu’en France où elle a du s’accompagner, dans beaucoup d’entreprises, de véritables efforts de réorganisation.Ces négociations n’ont été envisageables que parce que les organisations syndicales disposent, du fait de la cogestion, d’informations précises sur la situation réelle de l’entreprise et sur ses projets. On vante beaucoup en France la cogestion à l’allemande, son principal avantage est là : il réduit la méfiance des salariés à l’égard des patrons qui peuvent plus difficilement leur cacher leurs projets. Cette confiance est particulièrement précieuse lorsqu’il s’agit de demander aux salariés de faire des efforts qui leur coûtent. Des dispositifs qui existent ailleurs Les spécialistes des questions sociales l’auront remarqué : la plupart des dispositifs mis en œuvre en Allemagne existent ailleurs, notamment en France. Nous avons aussi du chômage partiel, des compte-épargne temps et cependant, ces dispositifs ne nous permettent pas de réduire le chômage.Sans doute faut-il faire la part de la conception de chacun. Le diable est, en ces matières dans les détails. Et on peut penser que les dispositifs allemands sont mieux conçus que le nôtres, qu’ils sont mieux adaptés à des crises qui peuvent durer plusieurs mois. Peut-être parce qu’ils sont plus anciens et que les entreprises les maîtrisent collectivement mieux. C’est dés le début des années 80 que les Allemands ont mis en place ces mécanismes de flexibilité interne par la variation du temps de travail. C’est arrivé chez nous beaucoup plus tard puisque les toutes premières mesures de ce type sont apparues dans les années 90 avec les mesures prises par Philippe Seguin dans le gouvernement Balladur.Un autre facteur a peut-être joué : la manière dont l’industrie allemande a perçu la crise. Quand on regarde les courbes de l’indice Ifo  qui mesure le climat des affaires en Allemagne, on s’aperçoit que les industriels allemands ont commencé de s’inquiéter des perspectives de croissance dés 2007, avant donc l’éclatement de la crise et qu’ils ont repris confiance très vite, dés la fin de 2008. Tout se passe donc comme s’ils avaient un coup d’avance, qu’ils avaient commencé de s’inquiéter très tôt, avant même que leurs carnets de commande ne souffrent et qu’ils avaient repris confiance alors même qu’on ne parlait encore que de la crise dans la presse économique.Cela tient sans doute à leur activité, à leurs contacts avec les marchés émergents qu’ils ont sans doute vu avant d’autres sortir du marasme. Mais cette double anticipation a sans doute aidé : quand on est inquiet mais que l’on continue d’avoir du travail, on ne se lance pas dans des plans de licenciement massifs, on recherche plutôt des solutions douces pour passer le cap difficile, on amorce des négociations avec les organisations syndicales, on les informe des difficultés que l’on sent venir. Et lorsque quelques mois plus tard, on voit les premiers signes d’une éclaircie, on évite de prendre des positions qui interdiraient de saisir le rebond. Au fond, le « miracle » allemand de l’emploi tient à trois facteurs : - à des mécanismes qui permettent d’ajuster rapidement, et sans trop faire souffrir, les effectifs et les horaires à l’activité,- à la confiance entre partenaires sociaux que la cogestion a permis d’établir,- et, enfin, à une économie qui, parce qu’elle est massivement tournée vers l’exportation sent mieux et plutôt que d’autres, les grandes tendances.Trois facteurs qui se sont révélés efficaces cette fois-ci. Mais peut-on les copier ? ou, du moins, s’en inspirer ?Peut-on s’en inspirer ?Doit-on copier à la lettre ces mesures ? cela paraît difficile. Nos économies sont trop différentes. L’économie allemande est beaucoup plus sensibles aux variations de l’économie mondiale que l’économie française. Elle a beaucoup plus souffert en 2008-2009 que nous et elle profite aujourd’hui beaucoup plus de la reprise de la demande mondiale. Les activités industrielles, manufacturières qui sont au cœur de son économie se prêtent beaucoup mieux que les activités de service à des fluctuations des horaires. Le chômage dont nous souffrons et celui dont a été menacé l’industrie allemande en 2008-2009 ne sont pas non plus de même nature. Ce n’est pas la même chose de perdre son emploi parce qu’une usine est délocalisée dans un pays lointain et le perdre parce que le carnet de commande de l’entreprise est vide. Dans le premier cas, il paraît difficile de revenir en arrière, dans le second, tout peut redémarrer rapidement.Il y a donc des limites à ce que l’on peut tirer de cet exemple, mais il est plusieurs points sur lesquels on pourrait s’en inspirer.Il serait, d’abord, utile, de regarder dans le détail les différents dispositifs mis en œuvre s’ils ressemblent à d’autres que nous avons, ils ne sont pas exactement similaires et peut-être peut-on trouver là des pistes d’amélioration.Il conviendrait, également, de revoir l’architecture de la négociation sociale trop tournée vers le dialogue au niveau national. Le gouvernement veut permettre une négociation de la réduction du temps de travail dans les entreprises. Il néglige le niveau de la branche qui est le plus pertinent lorsqu’il s’agit de mesures transitoires prises pour résister à une crise économique passagère. L’Allemagne peut être en la matière un exemple pour peu qu’on le regarde dans son ensemble, et que l’on ne se contente pas d’un copier-coller de quelques mesures prises au hasard auxquelles on attribue un effet qu’elles n’ont pas forcément.

    L’exemple allemand…

    Play Episode Listen Later Feb 7, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFM le 07/02/2012L’Allemagne comme modèleLa nouveauté de cette dernière semaine est certainement l’installation de l’Allemagne comme modèle économique pour la France. Certains s’en réjouissent, trouvant que c’est une excellente chose que l’Europe entre ainsi dans les faits, d’autres s’en offusquent, trouvant assez surprenant et, pour tout dire, un peu déplaisant de se voir ainsi comparé au bon élève si l’Allemagne est bien un bon élève, ce qui n’est pas le cas dans tous les domaines comme on nous l’a régulièrement rappelé. Mais cet exemple allemand a été surtout convoqué par le Président de la République pour vendre sa TVA sociale dont l’objectif avoué est de réduire le coût du travail. On a dit, à juste titre, qu’une hausse de 1,6% de la TVA n’effacerait pas l’écart entre les salaires français et ceux pratiqués dans les pays émergents. C’est l’évidence, mais ce n’est sans doute pas l’objectif. Cette mesure vise beaucoup plus les écarts de compétitivité entre l’industrie française et celle de nos voisins immédiats avec lesquels nous faisons l’essentiel de notre commerce. Est-ce que ce sera suffisant ? ce peut l’être marginalement pour des entreprises qui exportent en Europe des produits également fabriqués en Italie, en Espagne ou en Allemagne. Tous pays qui pourraient, éventuellement, réagir, en prenant à leur tout des mesures qui renchérissent nos produits. Mais revenons à l’Allemagne : son succès viendrait, si on a bien compris Nicolas Sarkozy, de ce qu’elle a su baisser les salaires, de ce qu’elle a, au fond, appliqué les recettes du Medef. C’est, bien sûr, inexact. Si l’industrie allemande est aujourd’hui si puissante c’est pour bien d’autres motifs.Entreprises exportatrices : des salaires plus élevés que la moyenneLes performances de l’industrie allemande à l’exportation sont, nous dit-on, la meilleure preuve de sa compétitivité. C’est exact. Mais il faut tordre le coût à une première idée : ce ne sont pas des salaires plus faibles qui en sont la cause. Non seulement, les salaires allemands, sont, malgré les mesures de Schröder, parmi les plus élevés au monde, mais ils sont plus élevés que la moyenne dans le secteur manufacturier et ils le sont plus encore dans les entreprises qui exportent (Schank, Schnabel, Wagner, Do exporters really pay higher wages? et Klein, Moser, Urban, The contribution of trade to wage inequality). Ce n’est pas propre à l’Allemagne. On retrouve le même phénomène un peu partout dans le monde, dans les pays industrialisés comme dans les pays émergents. Aux Etats-Unis, l’écart sont de l’ordre de 7 à 11%. Et ceci est particulièrement vrai pour les salariés les plus qualifiés. En Allemagne, cet écart entre les salaires pratiqués dans les entreprises qui exportent et celles qui ne travaillent que pour le marché domestique n’a fait que croître ces dernières années avec la libéralisation des marchés et l’augmentation du nombre d’entreprises allemandes qui exportent. On devine pourquoi : les entreprises qui exportent emploient des personnels plus qualifiés, la concurrence plus vive à laquelle elles sont confrontées les amènent à investir dans tout ce qui peut améliorer leur compétitivité. Et, enfin, comme elles sont en général plus importantes que la moyenne, elles bénéficient d’économies d’échelles. Ce ne sont pas les exportations qui augmentent les salaires, mais ce sont les plus performantes, celles qui emploient les personnels les plus qualifiés, celles donc qui paient les meilleurs salaires, qui exportent. S’il y a eu modération salariale en Allemagne, elle a surtout concerné les entreprises qui travaillent pour le marché domestique.  Ce n’est donc pas de ce coté là qu’il faut chercher la raison des meilleures performances de l’industrie allemande.Un tissu de PME exportatrices qui ont la confiance de leur banquierLa raison est plutôt à chercher du coté de la structure de l’industrie allemande. On sait qu’il y a plus de grosses PME en Allemagne qu’en France. Et que celles-ci, qu’on appelle les Mittelstand, jouent un rôle déterminant dans les succès de l’industrie allemande à l’étranger. Mais pourquoi ?On peut avancer plusieurs explications. La première est à chercher du coté du financement de ces entreprises le plus souvent familiales qui entretiennent des liens étroits avec leur banquier. Elles n’en ont souvent qu’un, l’Hausbank, qui les connaît parfaitement bien et est un spécialiste du crédit aux entreprises industrielles. Parce qu’il entretient avec eux des relations solides, il leur prête volontiers sur le long terme, ce qui favorise les investissements de productivité. Parce que c’est un spécialiste du crédit aux entreprises, il peut leur fournir des services multiples et variés : analyse économique du secteur, études de marché à l’étranger… A l’inverse, les entreprises françaises même petites ont en général plusieurs banquiers qui les connaissent moins bien, sont donc plus sensibles au risque pris et préfèrent, pour ce motif, leur prêter sur le court terme : les banques françaises consentent plus volontiers des avances de trésorerie à leurs clients que de quoi financer des équipements et des machines. Ce mode de financement favorise bien sûr le développement d’activités industrielles qui demandent plus de capitaux que les activités de service.Cette qualité des relations entre les entreprises et leur banque est particulièrement utile dans les périodes de crise. Lorsqu’en 2009, l’industrie allemande a connu de très graves difficultés, les banques sont venues au secours de ces entreprises familiales, les prêts aux entreprises ont augmenté alors que chez nous, on le voit aujourd’hui, nos grandes banques ont plutôt tendance à restreindre le crédit dans les périodes difficiles.Et lorsqu’elles prêtent, elles le font dans des conditions proches de celles consenties aux grandes entreprises, ce qui est bien moins le cas en France.  Cette différence tient, pour beaucoup, à la structure du secteur bancaire en Allemagne, bien moins concentré qu’en France, avec beaucoup de banques locales, municipales, de coopératives, de caisses d’épargne, les Sparkassen, spécialisées dans le financement de l’industrie, souvent contrôlées par le autorités municipales particulièrement attentives aux performances des entreprises et au marché de l’emploi. Beaucoup ont, d’ailleurs, dans leur raison sociale l’obligation d’être profitable mais aussi de soutenir les activités locales. Si l’on cherchait quelque chose de similaire en France, on pourrait le trouver du coté des caisses régionales du Crédit Agricole dont  le rôle dans le soutien l’agriculture française a longtemps été déterminant. De ce point de vue, le projet de François Hollande de créer une banque d’investissement avec des établissements délocalisés dans les régions, proches donc des entreprises, est une bonne idée qui pourrait corriger cette faiblesse notre économie.Une spécialisation qui protègeAutre différence : la spécialisation. Les PME allemandes qui exportent sont plus autonomes que les françaises. Elles ont cherché et trouvé des niches, des créneaux techniques sur lesquelles elles se sont développées à l’abri de la concurrence avec des produits qui ne souffrent pas trop d’un coût élevé, soit parce que le travail n’entre que pour peu dans leur coût final, soit parce qu’ils sont protégés par des brevets qui interdisent la copie, soit encore parce que leur fabrication demande de telles compétences que les écarts de salaires entre pays ne jouent plus de manière aussi significative. Les grosses PME françaises, qui sont souvent des filiales des grands groupes industriels, pratiquent plus volontiers la sous-traitance : si elles exportent, c’est à l’abri, sous le parapluie des grands groupes. Or, cela les fragilise : leur donneur d’ordre peut à tout moment leur préférer un concurrent mieux disant installé ailleurs dans le monde. Tout ce que l’on dit sur l’incitation des grands groupes à tirer les PME à l’exportation va donc plutôt dans le mauvais sens. Cette autonomie à l’exportation des PME allemandes n’est possible que parce que l’Allemagne a développé un formidable outil de mutualisation, de partage des efforts commerciaux. C’est le pays des grandes foires. Il faut être allé une fois à la Foire de Hanovre, qui regroupait l’année dernière 6500 entreprises venues de plus de 65 pays pour en mesurer la puissance. Les industriels du monde entier viennent faire leur marché en Allemagne. On ne peut pas dire qu’ils le fassent en France. Et ces foires allemandes sont accessibles à toutes les entreprises, même aux plus petites : le m2 de stand est vendu à la foire de Hanovre moins de 200€.Centrales nucléaires, TGV ou aéronautique, pour ne prendre que ces quelques exemples de spécialités industrielles françaises, font appel à de très hautes technologies et demandent des compétences et tout un environnement qui ne se copient pas du jour au lendemain. Il faudra des années avant que la Chine ou l’Inde fabriquent des avions capables de faire concurrence à Airbus ou à Boeing. Des années, sauf si… nous les aidons. Et on aperçoit là une autre différence majeure entre la France et l’Allemagne. Nos exportations sont très souvent tirées par de gros contrats négociés au plan politique. Nicolas Sarkozy est allé en Inde faire la promotion du Rafale, après l’avoir tenté sans succès au Brésil et en Lybie, et il espère bien en tirer un avantage politique. D’autres avant lui ont fait de même et c’est même une des traditions les mieux ancrées dans les couloirs du pouvoir que l’organisation de ces voyages politico-industriels où le Président emmène quelques dizaines de grands patrons pour signer des contrats. La presse d’opposition s’en moque en général, soulignant chaque fois que possible l’écart entre les déclarations d’intention et la réalité des contrats effectivement signés. Mais il arrive qu’ils aboutissent. Et c’est alors que la différence entre l’Allemagne et la France apparaît.Que peuvent en effet demander les autorités politiques des pays clients au Président de la République ? des remises de prix ? Ce n’est pas de leur compétence. Ils recherchent des avantages politiques, des investissements chez eux et des transferts de technologie. En achetant des Rafales, si elle les achète bien, l’Inde se procurera également des compétences, du savoir-faire qu’elle pourra demain nous opposer. Il en va évidemment tout autrement lorsqu’un industriel indien achète des roulements à bille, des moteurs ou des pièces mécaniques très sophistiquées à un producteur allemand : seuls comptent alors les caractéristiques, les performances et le rapport qualité-prix. Dit autrement, la spécialisation de l’Allemagne la protège mieux de la concurrence des pays émergents.Un hinterland industrielToutes ces caractéristiques que je viens de décrire sont anciennes, datent, pour certaines, du début de l’industrialisation en Allemagne, pour d’autres de l’immédiat après-guerre lorsqu’il a fallu créer des institutions financières pour distribuer les fonds du plan Marshall. Les mesures Schröder n’ont donc pas grand chose à voir avec cela. Les mini-jobs dont on parle tant, ces emplois qui permettent de gagner 400€ en travaillant à temps partiel exonéré de cotisations sociales et d’impôts qui ont tant fait pour améliorer les statistiques du chômage outre-Rhin et augmenter le nombre de travailleurs pauvres, sont surtout utilisés dans les activités de service : restauration rapide, services aux personnes, commerce de détail… On en trouve beaucoup moins dans les entreprises industrielles qui ont besoin d’un personnel qualifié.Ce qui est nouveau, et probablement décisif pour l’avenir de l’industrie allemande, est la création, ces dix dernières années d’un véritable hinterland, d’un arrière pays industriel dans les ex pays socialistes, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et, surtout, la Tchéquie. Les industriels allemands ont investi massivement dans ces pays, surtout l’industrie automobile qui voyait ses marges diminuer et qui souffrait d’un manque de flexibilité lié au développement d’une automatisation conçue pour réduire le coût du travail.On en parlait la semaine dernière, à propos de la Chine, l’automatisation a de nombreuses vertus, elle améliore la productivité mais elle rend plus difficile les changements rapides de gammes de production. En créant des usines dans les ex-pays de l’Est, les Allemands ont trouvé des pays avec des traditions et un environnement favorable, une population éduquée, une tradition industrielle, un enseignement professionnel de qualité que le communisme n’avait pas détruit. Et, bien sûr, une main d’œuvre bien meilleur marché et ceci à quelques heures de route de ses grands centres de production. Il ne faut pas plus de 5 heures de transport par la route pour aller de Prague au cœur de l’Allemagne. Ce n’est pas plus loin que Paris de Lyon.Les industriels qui se sont installés en nombre dans ces pays de l’Est, sont allés chercher des salaires plus faibles mais aussi une plus grande flexibilité. Flexibilité dans la production comme je le disais à l’instant avec des usines moins automatisées, mais aussi flexibilité salariale. Il est bien plus facile de faire varier, à la hausse ou à la baisse, le coût du travail dans ces pays qu’en Allemagne ou en France. Parce qu’il est plus facile de licencier le personnel quand la charge de travail diminue, mais aussi parce que la structure des salaires s’y prête qui associe un fixe et des primes ou des bonus dont le montant varie en fonction de l’activité. Si celle-ci diminue, la masse salariale suit…Ces investissements dans les ex pays socialistes sont en train de modifier profondément la géographie économique de l’Europe. Il ne s’agit pas en effet de délocalisations éphémères comme celles que pratiquent les industriels à la recherche de coûts salariaux toujours plus faibles, comme Nike qui quitte un pays lorsqu’il trouve mieux ailleurs, il ne s’agit pas non plus de délocalisations pour conquérir un marché, comme lorsque Carrefour s’installe en Chine pour vendre aux consommateurs chinois, il s’agit vraiment de la constitution d’une immense zone industrielle à l’est de l’Europe. Les Allemands sont là pour rester. En témoignent leurs investissements en R&D dans ces pays qui vont leur apporter dans la durée ce qui risque de rapidement leur manquer en Allemagne : une main d’œuvre abondante et motivée (Kampik, Dachs, The Innovative Performance of German Multinationals Abroad).  Un modèle allemand ?On connaît les problèmes démographiques de l’Allemagne. Ce n’est pas la seule difficulté qui menace à moyen terme l’économie allemande. Il en est une autre directement liée à ces mesures prises par Gerhard Schröder dont on nous vante aujourd’hui les mérites de ce coté ci du Rhin : le désengagement des salariés allemands. Un récent sondage de Gallup, l’institut américain, révélait que 13% seulement des Allemands étaient engagés dans leur travail. 20% de la population est activement désengagée et le reste n’est ni l’un ni l’autre. Cela se traduit par un absentéisme élevé que Gallup a évalué à 247€ par salarié, et probablement par une diminution de la productivité et une dégradation de la qualité. D’autres études soulignent les effets pervers des mii-jobs introduits par Schröder qui éloignent du marché du travail des gens qui se contentent de ce salaire d’appoint plutôt que de chercher un emploi.S’il convient de regarder ce qui se passe en Allemagne, s’il est pertinent de s’en inspirer ce n’est pas forcément en allant chercher du coté de mesures dont la principale vertu aux yeux de ceux qui nous les proposent est d’apporter de l’eau au moulin du Medef. Le montant des salaires et des cotisations sociales sont une réalité incontournables. Et si l’Allemagne nous donne un exemple, c’est bien lorsqu’elle nous montre que l’on peut rester compétitif avec un coût du travail élevé pour peu que l’on construise une économie et une offre industrielle adaptées. C’est ce à quoi devraient s’attacher nos prochains gouvernements.

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    Industrie : l'exemple chinois

    Play Episode Listen Later Jan 31, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFMApple et les ouvriers chinoisSteve Jobs est mort il y a tout juste quatre mois entouré de l’admiration générale. Le cours d’Apple, l’entreprise qu’il a fondée, a depuis sa mort, explosé, passant de 410€ à  450$, ses bénéfices n’ont jamais été aussi élevés, 13 milliards de $ pour le seul quatrième trimestre de 20011, soit deux fois plus que pour la même période de 2010, et ses réserves de trésorerie sont considérables. Inutile de donner un chiffre qui à ces niveaux ne veut plus dire grand chose. Il suffit pour donner leur mesure d’indiquer qu’elles sont plus importantes que celles du gouvernement américain. Apple a plus de liquidités que le gouvernement de la plus grande puissance mondiale. Tout cela grâce à ces iphones, ipods et ipads, tout cela grâce à nous en somme.Tout devrait donc aller pour le mieux à Cupertino, au siège social d’Apple et tout irait effectivement pour le mieux si quelques journalistes du New-York-Times n’étaient allés enquêter sur les conditions de travail des ouvriers chinois qui fabriquent ses produits. Car, bien sur, tout est fabriqué en Asie, en Chine. Et le résultat de leur enquête jette une ombre très vilaine sur l’entreprise préférée de tous les amateurs de technologie.On savait depuis longtemps que les conditions de travail sont dans les usines chinoises particulièrement pénibles, mais cette enquête en donne de nouvelles illustrations. Ouvriers qui travaillent de très longues heures, que l’on réveille en pleine nuit pour satisfaire les exigences du client, qui opèrent dans des milieux dangereux… On est plus du coté du servage que des relations industrielles acceptées dans les pays démocratiques.Véritable réquisitoire, cette série d’articles met en évidence la responsabilité d’Apple alors même que ses responsables disent tout faire pour assurer des conditions de travail satisfaisantes aux ouvriers de ses sous-traitants (voir, notamment, ici). Et il est vrai qu’il fait signer des chartes et envoie des inspecteurs mais ses exigences sont si grandes que les entreprises sont amenées à « tourner les coins ronds » pour les satisfaire.Mais tout cela est déjà connu et j’ai évoqué ici même, il y a deux ans, la répression brutale de manifestations d’ouvriers de Wintec, un des sous-traitants chinois d’Apple et de Nokia dont on ne payait pas les heures supplémentaires. Et si je vous parle ce matin de cette enquête, c’est qu’elle nous donne, au delà de ces informations sur les conditions de travail, un éclairage très intéressant sur les méthodes de l’industrie chinoise et sur ce qui fait aujourd’hui son succès. Méthodes qu’il est intéressant de connaître alors que l’on s’interroge sur le meilleur moyen de réindustrialiser la France.Au delà des salairesLorsque l’on parle de la concurrence des pays émergents et, notamment, de la Chine, on pense au coût du travail et on explique leur succès par ce seul avantage. Il existe, naturellement, mais il n’y a pas que lui. Le premier article de cette série donne un exemple éclairant de ces autres avantages. En 2007, à quelques mois de la sortie de l’iphone, Steve Jobs découvre que le revêtement de plexiglass prévu par les ingénieurs d’Apple pour l’écran se raie facilement. Il demande qu’on le remplace par du verre, ce qui est techniquement compliqué. Apple lance un appel d’offre. Une entreprise chinoise répond. Lorsque les ingénieurs du constructeur informatique se rendent sur place, l’entreprise a déjà acheté du verre pour faire des essais de coupe et mis à la disposition de son client potentiel des ingénieurs pour faire presque gratuitement les essais. Un mois plus tard, la solution est trouvée, la production peut commencer, mais les milliers de salariés nécessaires pour  la réaliser ont été recrutés, les dortoirs dans lequel ils vont dormir construits. Incapable de tenir ce rythme l’entreprise américaine qui avait été initialement retenue a perdu le marché.Première caractéristique donc de l’industrie chinoise : son aptitude à anticiper les demandes et à faire gagner à son client quelques semaines, voire quelques mois. C’est au moins aussi important pour Apple qui avait mis en place toute sa politique commerciale que des salaires faibles. Et cela n’est possible que parce que ces entreprises, qui veulent avoir le marché d’Apple, sont disposées à investir massivement pour l’obtenir.Seconde caractéristique : sa capacité à lancer rapidement des productions de masse. Le marché des produits électroniques grand public est mondial. Dès la première année de la commercialisation de son Iphone, Apple en a vendu près d’1,4 millions, l’année suivante, il en a vendu plus de 11 millions et 40 millions en 2010. Les démarrages des produits qui ont du succès sont foudroyants. Et ils ne sont possibles que parce que les industriels chargés de les fabriquer peuvent  quasi instantanément ou, du moins, très rapidement, mobiliser des capacités de production considérables. Et ceci grâce aux conditions de travail de ses salariés, serviables et corvéables à merci, mais aussi grâce à un marché du travail très profond qui lui permet de recruter rapidement , lorsque nécessaire, des milliers d’ouvriers, de techniciens ou d’ingénieurs et de les mettre immédiatement au travail.Lorsque l’on demande aux responsables d’Apple pourquoi ils ne fabriquent plus leurs produits aux Etats-Unis, ils répondent, toujours d’après l’article du New-York-Times : « parce qu’il n’y a tout simplement plus assez d’ouvriers avec les compétences nécessaires aux Etats-Unis, plus assez d’usines avec la réactivité et la flexibilité nécessaire. »Les vertus de l’agglomérationL’article met en avant un autre aspect capital qui explique le succès de l’industrie chinoise : les vertus de l’agglomération. Car, faut-il le rappeler ? les salaires chinois sont depuis longtemps très faibles et ce n’est que depuis quelques années que ce pays est devenu l’usine du monde.L’entreprise américaine qui avait perdu l’appel d’offres d’Apple sur l’écran de verre, Corning Glass, n’a pas abandonné la partie. Bien au contraire, elle a continué de proposer son offre aux concurrents d’Apple, la plupart installés en Asie. Et elle a construit des usines dans cette partie du monde. L’article donne deux chiffres qui expliquent : pour transporter les écrans de l’usine qui les fabrique en Chine à celles qui montent l’iphone, il faut 8 heures de transport. Pour les transporter des Etats-Unis en bateau, il aurait fallu 35 jours. Avec l’avion cela aurait été plus rapide, mais à des coûts extravagants. La puissance industrielle de la Chine tient à sa géographie industrielle. Plutôt que de disperser ses activités industrielles sur tout le territoire elle a su créer des agglomérations industrielles qui mettent au service de ses clients tout ce dont ils ont besoin. Un des responsables d’Apple interrogé par les journalistes du NYT l’explique ainsi : « toute la chaine de production est aujourd’hui en Chine. Vous avez besoin de joints en caoutchouc ? Vous les trouverez dans l’usine à coté ? Vous avez besoin d’un millions de vis ? L’usine est en face. Vous avez besoin d’un tournevis un peu différent ? cela prendra trois heures pour le trouver. »Ce n’est pas une nouveauté. En 2009, Paul Krugman, économiste célèbre qui se trouve être aussi un spécialiste de la géographie économique, publiait un article (Increasing Returns in a Comparative Advantage World) dans lequel il mettait en évidence le rôle de ces effets d’agglomération.Cet effet d’agglomération tient à la géographie, on trouve tout à proximité, ce qui réduit les coûts logistiques, mais aussi à la structure de l’économie chinoise. A l’inverse de la notre, dominée par quelques grands groupes, elle comprend des milliers d’entreprises spécialisées sur un créneau étroit, les vis par exemple, qui sont en concurrence, qui sont à proximité et qui offrent donc à l’industriel à la recherche d’un produit particulier toutes chances de trouver rapidement ce qu’il souhaite et dans les meilleures conditions puisque, concurrence aidant, toutes sont intéressées à répondre au plus vite à la demande. Si j’osais une image et pour en rester aux vis, l’économie chinoise ressemble au sous-sol du BHV où l’on trouve à peu près tout, en matière de vis, sous la main, alors que nos économies ressemblent beaucoup plus à ces grandes surfaces qui n’offrent à leurs clients qu’un nombre limité de références et imposent à celui qui cherche un modèle de vis particulier une longue recherche. On comprend que des industriels soient séduits par ce modèle qui allège considérablement les coûts de développement d’un produit. Une grande flexibilitéL’autre grande caractéristique est la flexibilité. Ces usines savent répondre très rapidement à la demande, elles savent s’adapter à ce que souhaitent leurs clients. Et ceci parce qu’elles utilisent beaucoup de main d’œuvre. Nos industries ont mis l’accent sur l’automatisation pour réduire les coûts du travail humain. Les Chinois ont aussi des usines très automatisées, mais ils en ont d’autres qui utilisent beaucoup de main d’œuvre, tout simplement parce que celle-ci est bon marché. De manière générale, il semble, d’ailleurs, que les Chinois utilisent infiniment plus de main d’œuvre ouvrière que nous dans leurs usines. L’avantage est qu’il est plus facile de reprogrammer une fabrication avec des hommes auxquels on peut demander de modifier quasi instantanément leur production, qu’à des machines dont la programmation est toujours longue et difficile. On peut confier à des hommes des tâches qu’il est très difficile d’automatiser ou qui demanderaient, pour pouvoir l’être de très longs développements que les les fabricants de machines-outils ne pourraient engager que s’ils étaient assurés d’avoir un débouché important. Les clients n’ont évidemment pas le temps d’attendre.Résumons donc : la Chine a un coût du travail bien plus faible que le notre, elle offre à ses salariés des conditions de travail souvent inadmissibles, mais son succès ne tient pas seulement à cela. Il tient aussi, et peut-être surtout pour l’avenir, à sa réactivité, à sa flexibilité, à sa structure et à son organisation géographique qui lui donnent les moyens de mobiliser rapidement les ressources considérables dont ont besoin les industriels aujourd’hui. Et dont ils auront plus encore besoin demain.La concentration des industries capables de travailler ensemble dans la même région est sans doute le trait le plus remarquable de cette organisation industrielle. Je disais tout à l’heure que Paul Krugman en avait fait la théorie dans un article en 2009. Un autre économiste, Richard Baldwin est rentré plus dans le détail (Trade and industrialisation after globalisation’s 2’nd unbundling). Il montre que la fragmentation de la chaine de production, caractéristique de l’industrie moderne, est allée avec une concentration de cette industrie dans des régions géographiques étroites. Les coûts du transport n’ont pas disparu. Je parle aujourd’hui de la Chine, mais ne même phénomène explique sans doute le succès de l’Allemagne dont les industriels ont su nouer des liens étroits avec les industries des ex-pays socialistes qui sont à ses frontières et dont les coûts de main d’œuvre sont plus faibles.Un modèle industriel adaptée à la demande…Au delà des critiques sur la gestion des hommes qui confine, je l’ai dit, à un quasi-servage, c’est la modernité et l’efficacité de l’appareil chinois qui frappe. Il s’est adapté à la demande des industriels occidentaux. Non pas en jouant exclusivement sur le coût du travail comme d’autres pays en voie de développement mais en construisant une économie qui répond exactement aux attentes de l’économie contemporaine. Sa capacité à mobiliser rapidement ressources humaines et techniques lui permet de répondre aux attentes de ces entreprises qui travaillent pour un marché mondial. J’ai donné l’exemple d’Apple et de son iphone, mais plein d’autres industriels sont dans la même logique. Une logique qui suppose que l’on puisse rapidement produire en quantités considérables pour fournir simultanément des clients aux quatre coins du monde mais qui suppose aussi une grande flexibilité : ces produits se renouvellent très vite. Nous en sommes déjà à la troisième ou quatrième génération d’iphone.Sa flexibilité lui permet également de répondre aux exigences du commerce électronique, sur internet, qui demande que l’on se rapproche de la fabrication à la demande. On ne peut pas dans l’univers du commerce sur internet stocker tous les produits que l’on vend, puisque l’on ne sait pas combien on en vendra dans quelques semaines ou quelques mois. Il faut donc trouver une solution industrielle qui permette de les fabriquer pratiquement à la demande. Ce modèle existe, c’est celui qu’avait imaginé le constructeur informatique Dell. L’industrie chinoise, avec son coté BHV dont je parlais tout à l’heure s’y prête particulièrement bien. Le sous-traitant stocke les composants des différents modèles d’un même produit, un téléphone, une tablette électronique… et les assemble à la demande. Et en quelques heures, le produit peut être expédié au client qui l’a commandé. Ce modèle ne peut évidemment fonctionner de manière satisfaisante que si le marché est très vaste, c’est-à-dire global.Cette modernité profonde du modèle chinois de production industrielle est trop rarement soulignée. Or, elle est capitale. Elle veut tout simplement dire que l’industrie chinoise pourra résister à une hausse du coût du travail à laquelle elle ne saurait échapper. Ces salariés que l’on traite si mal vont se rebeller, ils ont commencé de le faire et les pays occidentaux qui voient leurs emplois ouvriers disparaître vont exercer une pression forte sur la Chine pour qu’elle respecte mieux les règles sociales. Mais ces hausses du coût du travail que l’on peut anticiper ne ramèneront pas du travail chez nous. Et les emplois ?Pour se défendre, Apple indique que l’essentiel de la valeur ajoutée de ses produits est restée aux Etats-Unis. Dans un article publié dans le New-York Times en 2007, son économiste en chef, Hal Varian, indiquait, en s’appuyant sur les travaux de jeunes chercheurs, que plus de 54% de la valeur ajoutée d’un ipod fabriqué en Chine restait aux Etats-Unis, dont 46% pour la distribution et près de 50% pour Apple, ses ingénieurs… C’était en 2007, mais on peut penser que les chiffres pour l’iphone sont à peu près du même ordre. Cette ligne de défense n’est évidemment pas complètement satisfaisante : la valeur ajoutée et les emplois sont deux choses différentes. Si plus de la moitié de la valeur ajoutée reste aux Etats-Unis, le plus gros des emplois est en Chine, ce qui ne convient pas évidemment pas aux salariés américains au chômage. Voici, pour finir, quelques chiffres que je tire de cette série d’articles qui a servi de support à cette chronique. Apple emploie 40 000 personnes aux Etats-Unis et 20 000 ailleurs dans le monde tandis que 700 000, oui 700 000, personnes fabriquent et assemblent ses produits en Chine et ailleurs en Asie. Apple crée donc bien des emplois, mais pas là où on les imagine…Face à ces évolutions, on peut être tenté par le protectionnisme, il serait plus sage d’approfondir ce modèle chinois et de voir s’il ne serait pas possible de s’en inspirer.Le 31/01/2012

    Ce n'est pas le coût du travail

    Play Episode Listen Later Jan 31, 2012


    Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFMTVA sociale, coût du travail, AllemagneDepuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy tente de relancer sa machine électorale en promettant des emplois industriels grâce à une baisse du coût du travail. C’est le sens même de son projet d’instaurer une TVA sociale, c’est le fond des propos de tous ses ministres qui insistent, chaque fois que possible, sur l’écart supposé entre nos coûts et ceux de l’Allemagne. Tout cela sur fond d’applaudissements du MEDEF et de la presse économique qui insiste et insiste sur ce thème…Mais qu’en est-il vraiment ? Le coût du travail est-il effectivement plus élevé en France qu’ailleurs ? ce coût menace-t-il vraiment notre compétitivité ? et n’y a-t-il d’autre solution que de réduire les cotisations sociales ?Ce sont les trois questions auxquelles je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse ce matin.Le coût du travail, la France l’Allemagne et les autresLe coût du travail est, dit-on, plus élevé en France qu’en Allemagne. Ce n’est pas tout à fait exact. D’après les derniers chiffres de l’INSEE, le coût horaire du travail est légèrement plus élevé en Allemagne qu’en France. Il était de 33, 37€ en 2008 en Allemagne et de 33,16€ en France. Mais il est vrai que le coût a plus rapidement augmenté en France ces dernières années qu’en Allemagne et qu’il reste largement supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays, tant en Europe que dans les pays émergents. Ceci dit, reste à savoir ce que veulent dire ces chiffres, comment ils sont fabriqués et à quoi ils correspondent. Le coût horaire est calculé en rapportant au volume horaire de travail, la somme de la masse salariale, des cotisations sociales patronales et ouvrières après prise en compte des exonérations de charges. Cette notion ne va cependant pas de soit et son utilisation dans les comparaisons internationales pose problème.On peut d’abord s’interroger sur la notion de masse horaire. On sait que les cadres travaillent officiellement 35 heures mais en font souvent en réalité beaucoup plus. Ces heures supplémentaires ne sont pas comptabilisées, comment pourraient-elles d’ailleurs l’être ? Mais, si elles l’étaient, elles feraient descendre le coût horaire, ce qui serait moins le cas en Allemagne où la durée légale du travail est plus longue. De la même manière, on ne tient pas compte des jours de RTT qui ne sont pas pris et sont, par exemple, stockés dans des compte épargne temps. Ce qui est vrai des cadres l’est également de tous ces salariés dont les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, ce qui est fréquent dans les PME dans lesquelles existent des systèmes implicites de troc : « je ne te paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai ton après-midi le jour du mariage de ta fille », ou bien : « je ne paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai une prime à la fin du chantier ». On peut également s’inquiéter de l’utilisation d’une moyenne. 33€ de l’heure, ce peut être beaucoup dans certains secteurs et très peu dans d’autres. C’est beaucoup là où le coût de la main d’œuvre pèse lourd dans le coût final du produit, c’est peu là où ce n’est pas le cas. Or, la structure économique, industrielle de tous les pays n’est pas la même.On peut, enfin et surtout, s’interroger sur le sens économique de cette notion.Coût horaire ou coût globalLe coût horaire qui regroupe salaire net et cotisations sociales que l’entreprise verse aux Caisses de retraite, à l’URSAAF… n’est qu’une partie des coûts salariaux. Et si l’on veut examiner ceux-ci d’un point de vue économique, il faut les regarder de manière plus globale.Le salarié a un bureau, un poste de travail dont le coût varie selon la localisation. Le prix du m2 n’est pas le même à Neuilly et dans la lointaine banlieue. Les entreprises qui déménagent le savent très bien. Et tous les salariés n’utilisent pas le même nombre m2. C’est ce que l’on appelle le coût immobilier. Or, il peut varier de manière significative selon l’emplacement mais aussi selon l’organisation des postes de travail.La BNP Paribas et l’Essec ont créé un indicateur du coût immobilier qui intègre le prix de location, les impôts locaux, les services attachés à l’immeuble. Il met en évidence ces écarts. Pour ne citer qu’un chiffre,  le salarié d’une entreprise dans le secteur du conseil coûtait en moyenne 6.600 euros par an en 2008 alors qu’un salarié dans le même type d’immeuble, mais travaillant dans la banque, les assurances ou la gestion financière coûtait en moyenne 14.000 euros en 2008, soit plus du double, ce qui s’explique tout simplement : il utilise deux fois plus de surface, de 9 à 10 m2 en moyenne pour les consultants qui travaillent souvent en clientèle et peuvent donc partager les espaces, de 18 à 21m2 dans les banques ou assurances. Cela doit naturellement entrer en compte dans le calcul du coût salarial.De la même manière, on doit tenir compte dans ce calcul des coûts d’organisation. Les entreprises doivent gérer leurs salariés, préparer leur paie, par exemple. On a calculé qu’un bulletin de paie revenait entre 17 et 21€, soit de 200 à 250€ par an et par salarié (La profession comptable), mais les écarts peuvent être significatifs. Pour ne prendre qu’un exemple, les prix pratiqués par les experts-comptables pour effectuer ce travail pour le compte des PME peuvent varier de 12 à plus de 20€.Ce qui vaut pour le bulletin de salaire vaut naturellement pour tout ce que l’on pourrait appeler les fonctions support. On me dira que c’est la même chose partout, que les Allemands doivent gérer la formation de leurs salariés, fabriquer des bulletins de paie, payer du personnel de gardiennage comme nous. C’est vrai, mais les quelques chiffres que j’ai donnés l’indiquent bien : on peut faire évoluer le coût du travail autrement qu’en jouant sur les seules cotisations sociales.L’utilisation de la main d’œuvre Le coût global des salariés ne se limite pas aux salaires, cotisations sociales et dépenses attachées aux salariés, il comprend également des coûts liés à leur gestion qui sont de la seule responsabilité des entreprises et de leurs gestionnaires.Je pense à l’absentéisme. C’est un phénomène complexe mais massif : en 2005, 246 millions de journées ont été indemnisées pour des arrêts de travail, un peu plus de 20 % de la population active a alors bénéficié d'un arrêt de travail, somme à laquelle il convient d’ajouter les absences courtes qui ne sont pas indemnisées par le régime général. Ces absences augmentent le coût salarial de l’entreprise : il faut remplacer les salariés absents avec des heures supplémentaires, de l’intérim, on peut prendre des retards… on estime en général qu’à 1% d’absentéisme correspond une augmentation du coût salarial du même montant. Une entreprise qui a un taux d’absentéisme de 6% quand la moyenne est plutôt autour de 4% a un coût salarial supérieur de 2% à celui de ses concurrents mieux gérés. C’est donc un poste important et, pourtant, les entreprises s’en préoccupent peu. En 2003, d’après une enquête de l’ANDCP, les ¾ des entreprises interrogées n’avaient rien mis en place pour le réduire. Or, l’absentéisme est, pour beaucoup lié, à des problèmes d’organisation des postes de travail, comme les troubles musculo-squelettiques dont souffrent les caissières des grandes surfaces en sont une bonne illustration, et de management : pour les DRH qu’a interrogés une société de conseil, les premiers facteurs de l’absentéisme sont la démotivation des salariés, les problèmes relationnels avec la hiérarchie et les collègues et le manque d’attention de l’encadrement aux problématiques RH, toutes choses qui relèvent directement de la responsabilité de l’entreprise et de son management.  Autre facteur qui contribue à l’augmentation des coûts salariaux : les dépenses de formation. Elles sont importantes et significatives, 37% des salariés avaient reçu en 2011, une formation dans les douze mois qui avaient précédé, 67% dans les cinq dernières années. Elles représentent de l’ordre de 2% de la masse salariale avec des écarts significatifs entre les petites entreprises qui se contentent du minimum légal et celles qui dépensent l’équivalent de  6 à 7% de leur masse salariale en formation. Ces dépenses sont pourtant le plus souvent engagées sans souci d’efficacité ou de performance. Dans la plupart des cas, nul ne vérifie la qualité de celle-ci et, surtout, ses résultats : les stagiaires on-ils retenu quelque chose de leur stage ? a-t-il amélioré leurs compétences ? On n’en sait rien.  L’indifférence du managementL’absentéisme et la formation coûtent cher aux entreprises et contribuent de manière significative à l’augmentation de leurs coûts salariaux, de 4 à 8% en moyenne dans les entreprises d’une certaine taille, et, cependant, ces mêmes dirigeants qui pestent contre les cotisations sociales ne s’en préoccupent guère. C’est un peu paradoxal et on peut avancer plusieurs raisons comme la complexité du contrôle de l’absentéisme ou de la qualité de la formation, mais cela invite aussi à relativiser tous les discours sur le coût du travail. S’il était vraiment aussi insupportable, les entreprises agiraient sur ces deux leviers de manière beaucoup plus énergique.Il est un autre facteur qui invite à rester prudent quant à l’impact du coût du travail sur notre compétitivité internationale : c’est la distribution des salaires. Si le coût du travail était le principal obstacle à l’exportation, le principal frein à notre capacité à résister à la concurrence, on pourrait s’attendre à ce que l’on retrouve beaucoup de salariés payés au SMIC dans des entreprises industrielles confrontées à la concurrence de la Chine, de la Tunisie ou de la Roumanie. Or, ce n’est pas le cas. On sait qu’il y a à peu près en France 1,6 millions de salariés qui, hors secteur agricole, perçoivent le salaire minimum ou sont affectés par ses évolutions. La grande majorité, près de 80%, est employée dans des secteurs qui échappent à cette concurrence : 37% des salariés de la restauration et l’hébergement, activité qui ne souffre guère de la concurrence des Chinois, sont dans ce cas, 20% de ceux qui travaillent dans les services, un peu plus de 13% de ceux de la santé et l’action sociale, autant dans le commerce, plus de 11% dans ce qu’on appelle les activité immobilières, gardiens d’immeubles… et près de 10% dans les arts et les spectacles. A contrario, seuls 5,5% des salariés du secteur manufacturier sont payés au Smic. (voir pour ces chiffres ce documentde l’INSEE et celui-ci de la Dares).On trouve d’ailleurs confirmation de cette impression dans une autre série statistique, dans celles sur les CDD. Ce type de contrat est une manière d’assurer la flexibilité et de réduire les coûts du travail en n’employant des salariés que lorsque l’on en a besoin. Or, c’est dans les mêmes secteurs protégés de la concurrence internationale que l’on trouve le plus de CDD courts, de moins d’un mois. C’est également dans ces mêmes secteurs que le salaire de base a, sauf exception, le moins progresséces dernières années.Si les entreprises les plus affectées par les hausses du Smic sont si souvent dans des secteurs qui échappent à la concurrence internationale, c’est que les entreprises manufacturières les plus menacées par les salaires faibles ont déjà délocalisé leurs activités quand elles n’ont pas tout simplement disparu. C’est ce qui s’est produit dans les secteurs du textile, de l’habillement et du cuir, comme l’illustre aujourd’hui même le cas Lejaby. On le voit bien d’ailleurs dans les statistiques. Si le nombre de salariés affectés par les évolutions du Smic a diminué de manière significative ces dernières années et, notamment, en 2009, on le doit à la destruction de dizaines de milliers d’emplois industriels peu qualifiés. Emplois qui ne reviendront pas chez nous tant les écarts entre les salaires pratiqués en France et, par exemple, en Tunisie, sont importants. Un salarié payé au Smic gagne 130€/mois pour 48 heures en Tunisie, il gagne en France 1365€ pour 35 heures. Même en supprimant toutes les cotisations sociales, on n’y arrivera pas.Ce n’est pas en réduisant le coût du travail que l’on rendra l’industrie française plus compétitive, c’est en la spécialisant dans des activités où elle rencontre peu de concurrence.  Prendre exemple sur l’Allemagne ? oui, mais autrement…Mais s’il est vrai, comme je le disais à l’instant, que les secteurs les plus affectés par les hausses du Smic échappent à la concurrence internationale, la comparaison avec l’Allemagne prend une toute autre tournure. Si l’industrie allemande a mieux résisté, ce n’est pas qu’elle a su réduire le coût de son travail, c’est qu’elle s’est spécialisée depuis longtemps dans des secteurs qui échappent à la concurrence. Et elle l’a fait en multipliant les barrières à la concurrence. Non pas les barrières douanières, qui ne servent qu’à reculer pour mieux sauter, mais ces barrières immatérielles que sont la protection industrielle, les marques, le savoir-faire des salariés… Les discours sur le coût du travail sont aujourd’hui très à la mode, mais ils ne servent trop souvent qu’à masquer les erreurs de politique industrielle et de management. Le cas de la lingerie est caractéristique. Si Lejaby a du fermer sa dernière usine française, d’autres spécialistes résistent et continuent de produire en France : ce n’est pas qu’ils paient moins leurs salariés, mais ils ont su trouver des niches, des créneaux où le coût du travail, il représente à peu près 70% du coût d’un soutien-gorge, est compensé par des politiques commerciale et de marque adaptées. C’est le cas de Simone Pérèle qui vend à l’étranger ses soutien-gorge sophistiqués 60€. Quand on les interroge sur le cas de Lejaby, comme a fait hier un journaliste de la Tribune, ils insistent surtout, je les cite, sur « l’inaction de ses actionnaires et de leur manque d’anticipation. »  Mettre l’accent sur la baisse du coût du travail ne permettra pas de récupérer des emplois industriels perdus. Cela ne fera que favoriser le développement d’un secteur des services qui échappe à la concurrence internationale, qui verse déjà des salaires très faibles et s’est organisé pour profiter de tout ce qui lui permet de réduire un peu plus encore le coût du travail.La comparaison avec l’Allemagne n’est pas absurde. Encore faut-il la faire de manière pertinente. Le 24/01/2012

    La tentation protectionniste

    Play Episode Listen Later Jan 17, 2012


    Le 17/01/2012Pour écouter cette chronique                                                          Le protectionnisme devient politiquement correctEn quelques mois, le protectionnisme qui paraissait réservé aux extrêmes, au Front National et au Front de gauche, est devenu respectable. D’abord repris par des francs-tireurs des grands partis, comme Arnaud Montebourg, il est devenu mainstream avec Laurent Waucquiez au point de nourrir les projets du gouvernement. Telle qu’il en fait la promotion, la TVA sociale que nous propose Nicolas Sarkozy ne serait qu’une manière de pénaliser les produits fabriqués à l’étranger, ce qui fait sourire tous ceux qui savent combien une hausse de la TVA affecte ceux qui consacrent l’essentiel de leurs revenus à la consommation. Cet enthousiasme pour le protectionnisme est d’autant plus surprenant que les économistes lui sont, on le sait, en général très hostiles et qu’ils ne manquent pas une occasion de rappeler combien il a pu, là où il a été appliqué, ralentir ou retarder le développement économique. Ce qui n’a évidemment pas empêché les Etats de le pratiquer sous une forme ou sous une autre. Si le protectionnisme affiché a longtemps eu mauvaise presse, tous les gouvernements ont développé des techniques pour protéger leurs industries. On connaît les conflits récurrents entre Boeing et Airbus. Les deux compagnies s’accusent mutuellement d’être subventionnées qui par le ministère de la défense américain, qui par la Commission européenne. On sait également que nombreux sont ceux qui militent pour un commerce équitable, c’est-à-dire pour des sanctions contre les pays qui ne respectent pas les droits des travailleurs, qui interdisent les syndicats, emploient des enfants ou des prisonniers. Mais les nouveaux avocats du protectionnisme ne se contentent pas de ces demi-mesures, ils veulent revenir tout simplement à l’instauration de taxes douanières, aux frontières de la France pour le Front National, ce qui nous amènerait à renier traités et accords, aux frontières de l’Europe pour les autres.Idée folle ? sans doute, mais pour en avoir le cœur net, pour savoir si cela pouvait être efficace, j’ai voulu revenir aux auteurs qui ont défendu le protectionnisme. Dans la période contemporaine, ils sont relativement peu nombreux, mais on peut citer Barbara Spencer et James Brander, deux économistes canadiens, qui ont développé au début des années quatre-vingt, un modèle dans lequel un Etat peut, au contraire de ce qu’avance la théorie, subventionner une industrie locale sans pour autant réduire le bien-être de l’ensemble de la population. Le cas d’Airbus en est une bonne illustration. Une trentaine d’années plus tôt, au début des années cinquante, un autre canadien qui enseignait à la London School of Economics, Harry Johnson, avait, lui, montré que dans certains cas au moins l’instauration de droits de douane pouvait bénéficier à l’Etat qui les amorçait même si ses concurrents faisaient de même.Mais ces quelques économistes, on pourrait sans doute citer d’autres noms, sont des exceptions et leur défense du protectionnisme reste mesurée. Si l’on cherche un économiste qui s’en est vraiment fait l’avocat, il faut remonter beaucoup plus loin, au 19ème siècle, et regarder du coté de l’un des pionniers du nationalisme allemand, Friedrich List.Friedrich ListFriedrich List est aujourd’hui bien oublié. C’est, cependant, un personnage passionnant. Allemand né en 1789, mort en 1846, ayant vécu en France et aux Etats-Unis, il fut l’un des plus ardents défenseurs de l’unité allemande, l’un des pères du Zollverein, cette union douanière qui a donné naissance au 19ème siècle à l’Allemagne telle que nous la connaissons aujourd’hui en lieu et place de cette réunion de principaux, baronnies, petits royaumes qui passaient leur temps à se disputer.Ces éléments biographiques éclairent ce qui est sans doute le cœur de son principal livre, celui dans lequel il défend justement ses thèses protectionnistes : le Système National d’économie politique, livre publié en 1841, traduit en français dés 1851 et réédité il y a une dizaine d’années avec une préface d’Emmanuel Todd qui est, on le sait, un des premiers à avoir prôné le retour au protectionnisme.Friedrich List écrit son livre contre Adam Smith et Jean-Baptiste Say, les deux grands théoriciens classiques du libre-échange. Il leur reproche de traiter de l’économie comme si nous vivions dans un monde complètement ouvert où les agents économiques, les individus, les entreprises pourraient librement échanger. Or, dit-il, ce n’est pas le cas : il y a des nations. Et l’on ne peut, ajoute-t-il, en faire l’économie.Nationalisme et protectionnisme ont donc dés l’origine eu partie liée. Mais le nationalisme dont parle Friedrich List n’a pas grand chose à voir avec celui de Martine Le Pen. En témoigne l’intérêt qu’il porte aux migrations. Bien loin des  imprécations contre les immigrés chères au Front National et à ses émules à la Guéant, il reconnaît les Etats puissants et les économies solides à ce qu’ils savent attirer les étrangers. Bien loin de recommander une endogamie généralisée, il explique que rien ne vaut la mixité et la diversité dans un passage qui a du faire se lever quelques sourcils chez ses premiers lecteurs et qui ferait tiquer bien des électeurs du Front National : « on ne peut nier, écrit-il, que du mélange de deux races diverses, il résulte à peu près sans exception, une postérité robuste et belle. » Une vision industrialisteList s’intéresse surtout à l’industrie. Il est un fervent industrialiste et s’il est favorable au protectionnisme, aux barrières douanières, c’est seulement dans la mesure où elles peuvent favoriser le développement d’une base industrielle dans les pays qui ont pris du retard. Si ces pays ne veulent pas que leurs industries disparaissent sous les coups de la concurrence des pays plus avancés, il s’agissait à son époque, de la Grande-Bretagne, il faut les protéger, éviter que les produits d’une industrie plus efficace, plus avancée ne leur interdise toute croissance. Il ne propose la mise en place de mesures protectionnistes que pour protéger l’industrie dans les pays qui tentent de rattraper leur retard. Il ne préconise surtout pas l’instauration de ces taxes pour l’agriculture ou les matières premières, domaines dans lesquels la loi de l’avantage comparatif peut jouer, ce qui n’est pas le cas de l’industrie pour laquelle tous les peuples ont la même vocation « pourvu, je le cite, qu’ils possèdent les conditions matérielles, intellectuelles, politiques et sociales requises à cet effet. » Les barrières douanières n’ont d’intérêt que parce qu’elles donnent aux pays à la traîne le temps de développer ces conditions. Une fois ces conditions atteintes, elles doivent disparaître.Cette thèse qui veut que la meilleure politique ait été de laisser libre le commerce de produits agricole et d’introduire des taxes sur les produits industriels semble avoir été politiquement juste si l’on en juge par les travaux récents d’historiens de l’économie qui se sont intéressés au développement au 19èmesiècle (Lehman, O’Rourk, The structure of protection and growth in the late 19th century). Sans doute pourrait-on aujourd’hui dire la même chose des pays émergents.En fait, List paraît avoir été un des pionniers de l’économie du développement et l’inspirateur, au moins indirect, des grands nationalistes du lendemain de la seconde guerre mondiale, de Nehru et de tous ceux qui ont alors guidé les Etats nouveaux dans leurs premiers pas vers l’industrialisation.  On est évidemment très loin des préoccupations contemporaines des pays industrialisés. Il ne s’agit pas de défendre des industries vieillissantes, comme c’est le cas chez nous, mais au contraire, de protéger des industries naissantes qui n’ont pas encore eu le temps d’acquérir toutes les compétences et savoir-faire nécessaires pour être compétitif. A aucun moment dans un livre de près de 600 pages, il ne met en avant les différences de salaires. Bien au contraire, il souligne que des salaires élevés vont avec une plus grande productivité. S’il convient, nous dit-il, de protéger les industries naissantes, c’est qu’il leur faut du temps pour développer les capacités intellectuelles, on dirait aujourd’hui le capital humain, sans lequel on ne peut résister à la concurrence.Le premier hétérodoxeJe le disais à l’instant, les motifs que List avance pour justifier le protectionnisme paraissent bien loin de nos préoccupations de pays développés et, à l’inverse d’Emanuel Todd, je doute qu’un de nos néo-protectionnistes puisse y trouver inspiration. Sa pensée mérite cependant qu’on s’y attarde, ne serait-ce que parce qu’il est probablement le premier économiste hétérodoxe. Le premier à s’en prendre de manière systématique et frontale à la pensée libérale classique, ce qui lui vaudra d’ailleurs une véritable racléede la part de Karl Marx qui admirait plus que tout autre les classiques. La première cible de List est donc, dans son livre, ce qu’il appelle l’Ecole, Adam Smith et Jean-Baptiste Say. Il leur reproche de négliger l’histoire, de concevoir l’économie comme un jeu entre individus détachés de toutes contraintes sociales, de négliger l’Etat et sa capacité à intervenir dans le monde économique. Plusieurs passages de son livre semblent comme une anticipation des politiques industrielles. Il est également sans doute le premier à souligner combien la pensée libérale classique, celle d’Adam Smith, peut être utilisée à des fins politiques, un thème qu’Attac et bien d’autres ont mille fois exploité. Il est également l’un des premiers à penser l’articulation entre l’union douanière et la création d’un Etat, d’une nation, ce qu’il fait à propos de l’Allemagne. Sa lecture nous aide, d’ailleurs, à mieux comprendre certaines réactions récentes des Allemands qui se trouvent aujourd’hui dans la situation de la Grande-Bretagne du 19ème siècle. Economie dominante dont les entreprises sont particulièrement performantes, l’Allemagne n’a aucun intérêt au protectionnisme, ce qui rend dérisoire les projets de tous ceux qui souhaitent établir des barrières douanières aux frontières de l’Europe. Cela ne pourrait se faire sans l’accord des Allemands et ceux-ci le refuseront aussi longtemps que leur commerce extérieur sera excédentaire.  L’illusion protectionniste : l’exemple de l’industrie automobile américaineS’il est un enseignement à tirer de la lecture de List, c’est bien de ne pas se fier seulement à la théorie, mais de retourner au réel et d’analyser des situations historiques concrètes. Or, celles-ci n’incitent pas à pencher pour le protectionnisme. L’industrie automobile américaine en offre un bel exemple. On sait qu’elle s’est trouvée confrontée, au début des années 80, à la concurrence très vive des constructeurs japonais. Profitant des tentations protectionnistes du congrès américain – la part des produits importés soumis à tarifs douaniers est passée de 8% en 1975 à 21% en 1984 -, l’industrie automobile a obtenu la mise en place de quotas à l’importation de véhicules japonais. La mesure a immédiatement profité à Detroit, grand centre de l’industrie automobile américaine. Libérés de la concurrence des Toyota et autres Honda, GM , Ford, Chrysler ont créé des dizaines de milliers d’emplois, leurs bénéfices ont explosé, ils ont d’autant plus explosé que profitant de la hausse des prix des automobiles japonaises, ils ont pu augmenter ceux de leurs véhicules de manière significative (Alan Blinder, Hard heads, tough heads, 1998). Des résultats positifs, donc, mais… très éphémères. Les Japonais ont immédiatement réagi en construisant des usines en Amérique du Nord, d’abord au Canada puis dans les Etats du Sud à la main d’œuvre meilleur marché. Ils sont venus avec leurs méthodes de travail plus efficaces, leurs modèles plus performants et ont rapidement écrasé de leur supériorité des constructeurs que la protection artificielle des quotas avait anesthésiés. On sait dans quelle situation sont aujourd’hui General Motors, Ford ou Chrysler. Les emplois perdus à Detroit n’ont jamais été retrouvés. Flint, la ville où est née la General Motors, cette ville que Michael Moore a rendu célèbre avec son film Roger et moi, a toujours un taux de chômage qui frôle les 9%. Buick City, l’énorme complexe industriel au nord-ouest de la ville peut aujourd’hui se vanter d’être la plus grande friche industrielle des Etats-Unis.On peut imaginer, sans beaucoup d’efforts, que si demain l’Europe mettait des barrières douanières à ses frontières, les entreprises chinoises ou celles qui fabriquent en Chine trouveraient vite le chemin de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Slovaquie, de tous ces pays d’Europe dont les salaires sont faibles. Qu’y aurions nous gagné ? Peut-être une rémission de quelques mois pour les entreprises les plus menacées. Guère plus. On pourrait même y perdre. On a calculé que les mesures prises pour lutter contre les constructeurs automobiles japonais ont rapporté 8 milliards de dollars aux entreprises américaines et coûté aux Etats-Unis 13 milliards. Solde négatif : 5 milliards. Et encore n’est-ce que peu de chose comparé aux 750 000$ qu’ont coûté chaque emploi sauvé dans la sidérurgie américaine grâce aux mesures protectionnistes prises à la fin des années 70. (Robert Crandall, The effects of  US trade protection for autos and steel).Le protectionnisme est un peu comme cette piqure de vitamines qu'un médecin pourrait faire à un malade atteint d'un cancer. Cela le soulagerait pendant quelques instants mais ne le soignerait certainement pas.Un contexte politique peu favorable au protectionnismeLe protectionnisme n’est donc pas la solution. Risque-t-il malgré tout de s’imposer comme dans les années trente ? c’est peu probable. Le contexte, les rapports de force ont changé. Pour que le protectionnisme s’impose, il faut que ceux qui y ont intérêt, salariés menacés de perdre leur emploi, entreprises en difficulté aient la capacité d’imposer leurs vues. C’était le cas de l’industrie automobile, de la sidérurgie aux Etats-Unis au début des années quatre-vingt. Aucun secteur n’a aujourd’hui en France ce pouvoir. Ou, plutôt, aucun n’est assez puissant pour s’imposer face à tous ceux qui ont tout à craindre du protectionnisme. Car, s’il est vrai, que beaucoup sont menacés par la concurrence des pays émergents, au moins autant seraient pénalisés par des politiques protectionnistes qui rendraient plus difficile la vente des produits qu’ils fabriquent. Les entreprises dont une partie importante du chiffre d’affaires se fait à l’exportation, celles qui intègrent des produits importés dans leurs fabrications, leurs patrons et leurs salariés seraient les premiers à s’opposer à des mesures qui, sous couvert de protéger des gens en difficulté, gêneraient les secteurs les plus compétitifs.La tentation protectionniste existe donc bien, elle nourrit les discours des politiques, mais elle ne restera que cela tant que les règles européennes, les intérêts de l’Allemagne, ceux de tous ceux qui travaillent dans des industries qui vivent de l’exportation ou, ce qui revient au même, de la vente de produits qui intègrent des composants fabriqués à l’étranger, s’y opposent.Ce n’est pas la théorie qui s’oppose au protectionnisme mais, plus simple, le principe de réalité.

    Une grève moderne à propos de la grève des agents de sûreté aéroportuaire

    Play Episode Listen Later Dec 27, 2011


    Bernard GirardUne grève moderneLe 26/12/2011Pour l’écouterLa grève dans les aéroportsDepuis une dizaine de jours, aucun journal radio ou télé ne s’ouvre qui ne nous donne des informations sur la grève des personnels de sûreté des aéroports. On a vu le gouvernement prendre fait et cause pour les usagers obligés de faire de longues queues jusqu’à envoyer des policiers et des gendarmes les remplacer, geste extrême qui amènerait, dans une entreprise privée, le patron qui oserait cela devant les tribunaux.On comprend les intentions du gouvernement : jouer de l’agacement que suscite ce genre de grève à la veille de Noël, faire preuve de fermeté à la veille d’une échéance électorale et mettre en difficulté son adversaire socialiste partagé entre le soutien aux grévistes et le souci des usagers. Commet-il une erreur ? ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas certain. La recette a été suffisamment souvent éprouvée pour qu’on ne puisse exclure qu’elle marche une nouvelle fois, tant il est vrai qu’il est pénible de faire la queue dans un aéroport dans l’attente d’une inspection de bagages qui s’éternise…Cette grève qui s’achève avec des accords qui ne donnent pas vraiment satisfaction aux grévistes aura, cependant, été l’occasion de jeter un œil sur une profession que l’on connaît sans la connaître, une profession assez caractéristique des évolutions de ce qu’on appelait hier la classe ouvrière.Des effectifs largement issus de la diversitéUne première remarque frappe quiconque a jeté un regard sur les personnels qui assurent la sécurité dans les aéroports : beaucoup, sinon la majorité des personnels employés dans ces activités de contrôle sont issus de ce qu’on appelle aujourd’hui la diversité. Ils sont une bonne illustration de ces nouvelles couches populaires qui occupent les emplois de service, mais aussi les emplois ouvriers. Issus de familles immigrées ou eux-mêmes immigrés, souvent de sexe féminin, plus de 45% de ces agents sont des femmes, ce qui est exceptionnel dans les métiers de la sécurité, ils ont fait des études qui leur ont permis d’acquérir quelques compétences. Mais l’absence de diplômes ou lorsqu’ils en possèdent, ce qui est le cas d’un certain nombre, la possibilité de le faire valoir, et le chômage les ont condamnés à travailler dans ces nouveaux métiers des services qui demandent des compétences, comme on verra, mais qui sont mal considérés, mal payés et soumis à des contrats précaires.Toutes caractéristiques qui pourraient donner mille occasions de faire grève et que l’on retrouve d’ailleurs dans les revendications des grévistes qui réclament une augmentation de 200€ par mois.Cette grève a donc plusieurs dimensions, même si c’est d’abord une grève pour les salaires. Il est vrai qu’ils sont faibles. De l’ordre de 1500€ brut par mois, ce qui représente à peu près 1300€ net pour qui a un emploi à plein temps. Des salaires plus faibles encore, donc, pour ceux qui travaillent à temps partiel, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent. Des salaires d’autant plus faible qu’il ne s’agit pas d’emplois de bureau, mais d’emplois postés avec des horaires décalés, du travail de nuit, le samedi et le dimanche. Le contrôle des bagages et des passagers se fait sept jours sur sept, de très tôt le matin à très tard le soir.On dira que ces salaires correspondent à ceux d’emplois sans qualification. Mais est-ce vraiment le cas ?Des métiers qui demandent des compétencesCe sont des métiers qui paraissent demander peu de qualifications, mais comme souvent dans les services, c’est bien plus compliqué que cela. Ces métiers demandent en réalité des qualifications. Elles sont décrites dans la littérature professionnelle, dans les conventions collectives. Il faut, pour ne prendre que cet exemple, un niveau minimal d'anglais permettant de procéder à une réconciliation bagage/passager. Il faut maîtriser l’agacement des passagers, savoir calmer le jeu, maîtriser les outils mis à leur disposition, savoir pratiquer une fouille… De fait, on ne peut exercer ces métiers sans une formation et sans un certificat de qualification professionnelle (CQP) délivré par un centre de formation conventionné par la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mais aussi, ce qui est plus rare, un double agrément du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice.Ces métiers demandent donc des qualifications réelles et diversifiées puisqu’il y a plusieurs métiers, opérateurs, profileur, chef d’équipe… ce qui explique qu’on ne puisse remplacer au pied levé les grévistes. Les policiers et gendarmes que le ministère de l’intérieur a mobilisés en masse n’ont en rien diminué la longueur des queues : ils ne savent tout simplement pas faire, ils n’ont pas été formés pour.Mais, comme souvent dans le monde des services, il s’agit de qualifications banales, beaucoup de gens savent un peu d’anglais, et les formations techniques, plus rares, sont courtes au plus quelques semaines. Ce qui explique que le turn-over y soit élevé et les rémunérations faibles : des compétences banales ne favorisent pas les salaires élevés.Une structure qui favorise la concurrence et donc les salaires faiblesCe n’est pas la seule raison qui explique des salaires faibles. Il est d’autres salariés aux compétences tout aussi banales qui réussissent à obtenir des salaires plus élevés. Si les salaires sont ici si faibles, c’est que la structure et l’organisation du secteur s’y prêtent. Cette activité qui était autrefois prise en charge par des policiers a été privatisée en 1996 et confiée à des sociétés privées qui se font concurrence, une concurrence d’autant plus vive qu’elles sont nombreuses, une douzaine se partagent le marché des aéroports parisiens, et que leur contrat est remis en cause tous les trois ans. Cette concurrence permanente favorise naturellement le maintien de salaires faibles dans des activités qui sont essentiellement de main d’œuvre. A chaque renouvellement de contrat, un concurrent peur venir avec une solution plus économique. Dans d’autres métiers, cela passerait probablement par des gains de productivité qui réduisent les effectifs mais maintiennent les salaires quand ils ne les augmentent pas. Dans des métiers de main d’œuvre comme ceux de la sécurité, les entreprises qui veulent réduire leurs coûts doivent agir sur la masse salariale.  Elle sont d’autant plus incitées à le faire que ce n’est plus une activité en croissance. Le chiffre d’affaires des sociétés spécialisées a diminué de manière significative ces dernières années. Cette diminution est pour une part liée à la baisse du trafic passager. Elle s’est accompagnée d’une diminution des effectifs. Or, l’on sait que ce n’est pas lorsqu’elles licencient que les entreprises sont le plus incitées à accorder des augmentations de salaires. Entre 2003 et 2009, les entreprises spécialisées ont perdu un millier d’emplois. Mais comme cela ne suffisait pas, certaines entreprises ont réduit les rémunérations de leurs personnels. Plusieurs salariés interrogés dans la presse à l’occasion de cette grève ont indiqué que les leurs avaient diminué lorsque la Brinks, l’un des principaux opérateurs, avait repris le contrat d’un précédent prestataire. Voyons comment. Et pour cela il nous faut raconter la manière dont cette grève a commencé à Lyon Satolas.Un métier sous contrôle permanentLa grève a donc commencé le 16 décembre à Lyon, elle s’est rapidement étendue à d’autres aéroports de province et de la région parisienne, à Orly, puis à Roissy.Cette contagion rapide, pas si fréquente dans une profession éclatée entre près de 150 sites (il y a en France 145 aéroports qui reçoivent des passagers) est l’indice du profond mécontentement des personnels qui exercent ce travail. Un mécontentement que l’on peut mesurer à un taux de turn-over très élevé. Cette profession employait en 2009 9800 personnes. La même année, 4350 personnes ont quitté ce métier et 3700 ont été recrutées. Taux de départ : 44%, taux de recrutement : 38%. Peu de professions ont un taux de turn-over aussi élevé. Mais si jusqu’à présent les salariés mécontents se contentaient de donner leur démission, en un mot de voter avec leur pied, ils ont cette fois-ci décidé de se mettre en grève. Pour comprendre pourquoi, il faut revenir au mois de novembre, quelques semaines avant que n’éclate la grève, à l’aéroport de Satolas, dans la banlieue de Lyon.Pendant des années, le contrat de surveillance des passagers était, dans cet aéroport, assuré par Securitas. Puis, en novembre dernier, la Brinks a repris ce contrat. Dans ces cas là, l’entreprise qui emporte le contrat reprend les salariés déjà en place en application de l’article L122-12 du code du travail qui indique que « s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. » Cet article est appliqué dans de nombreux métiers de service, l’informatique, le transport, la gestion des eaux, des ordures… il l’est chaque fois qu’il y a des activités de sous-traitance. Il protège les salariés mais aussi les donneurs d’ordre qui peuvent plus facilement se défaire d’un prestataire qui ne leur convient plus si celui-ci peut se dégager du contrat sans devoir licencier tout son personnel.La Brinks a donc repris les salariés de Securitas, mais elle ne s’est pas contentée de reprendre l’activité, elle l’a réorganisée de manière à en réduire le coût : elle a diminué le nombre d’heures de nuit et demandé aux opérateurs chargés du contrôle d’effectuer également l’accueil, deux mesures qui lui permettaient de réduire la masse salariale et donc de faire une proposition plus avantageuse que celle de Securitas, c’était l’objectif et c’est ce qui lui a permis de gagner la compétition, mais elle l’a fait aux dépens des salariés qui ont du, dés novembre, travailler plus pour gagner moins du fait de la réduction des heures de nuit qui sont, comme on sait, majorées.Lorsque l’on parle de privatisation, on pense en général au transfert de la valeur ajoutée vers les actionnaires, mais il faut, dans ces activités de sous-traitance, aussi, et peut-être surtout, compter avec cette mise en concurrence qui incite les entreprises à réduire leurs coûts, et donc leurs coûts salariaux, pour obtenir les contrats. Au delà des salaires, un contrôle éprouvant…Ces réductions de salaire et augmentation de la charge de travail étaient en soi un motif de mécontentement. Elles se sont compliquées, dans ce métier très particulier qu’est la sûreté dans les aéroports, d’une pression très forte de la hiérarchie, d’une hiérarchie qui a changé avec le renouvellement du contrat : il ne s’agit pas que les salariés relâchent leur attention au risque de laisser passer un terroriste ou quelqu’un qui y ressemble. Les personnels sont en permanence contrôlés, surveillés, comme peu le sont. C’est une autre caractéristique de plusieurs de ces métiers de service que l’on rencontre plus rarement dans l’industrie où les contrôles portent en général plus sur les produits, sur la qualité, que sur les individus.Ce contrôle permanent est éprouvant. Il l’est plus encore lorsque l’on est mécontent et que l’on est tenté de protester contre son employeur en réduisant ses cadences, en pratiquant des formes plus ou moins sauvages de grève perlée.Des salariés mécontents, dont les rémunérations réelles diminuent, dans l’impossibilité de quitter leur emploi vue la montée du chômage, dans l’impossibilité de manifester leur mécontentement en limitant leurs cadences, en permanence soumis au contrôle de leur hiérarchie… il n’en faut pas beaucoup plus pour que la grève, qui n’est pas dans leur tradition de métiers peu syndiqués, paraisse comme la seule solutionEt comme chaque fois qu’il y a grève, les frustrations, les humiliations remontent. Et elles sont nombreuses pour ces salariés qui, travaillant pour des prestataires extérieurs, n’ont pas droit aux services que les aéroports et notamment ADP, Aéroports de Paris, offrent à leur personnel, en matière de restauration, de comité d’entreprise. Autant de détails qui ajoutent au sentiment d’être maltraité et considéré comme des travailleurs de seconde zone.Au delà des salaires, c’est tout un système que ces personnels de sûreté contestent donc. Et si ce mouvement a pris tant d’ampleur, s’il s’est étendu à tant d’aéroports c’est que cette situation est vécue par tous de la même manière. Des usagers pris en otageLe grand argument pour casser cette grève et envoyer des policiers remplacer des grévistes est qu’elle prend en otage les usagers, les passagers qui partent en vacances. C’est bien le cas et c’est l’une des caractéristiques des grèves dans les transports d’affecter directement les usagers qui peuvent, à juste titre, se sentir les otages d’un conflit qui ne les concerne en rien, au moins au premier abord. En réalité, ils sont tout à fait concernés puisqu’ils bénéficient de ce système, la pression sur les prestataires se retrouvant dans les prix des billets. Les taxes que les compagnies aériennes paient aux aéroports pour les dépenses de sécurité et de sûreté varient de 8 à 13€, ce qui n’est pas négligeable sur des billets dont les prix ont, on le sait, beaucoup diminué. Elles seraient sans doute plus élevées de quelques dizaines de centimes si les salaires des personnels chargés de la sûreté étaient plus élevés.Mais revenons aux usagers. Lorsqu’un constructeur automobile fait grève, ses clients peuvent se tourner vers la concurrence. Dans le cas des aéroports, des compagnies de transport public c’est beaucoup plus difficile. Tout simplement parce qu’elles disposent d’une espèce de monopole sur leur activité. Ce qui donne à des salariés qui n’en ont guère d’autre un moyen de pression sur leur employeur mais aussi sur le donneur d’ordre, en l’espèce les aéroports. On a parfois parlé d’égoïsme, on a reproché à ces salariés de ne pas se préoccuper du confort des voyageurs qui partaient en vacances. A-t-on oublié combien ces mêmes passagers peuvent être, à l’occasion, déplaisants avec ces personnels chargés de la sûreté ? mais ce n’est qu’un détail. Revenons aux aéroports.On aura remarqué combien ils sont jusqu’à présent restés discrets. Alors même que ce sont eux qui tiennent la solution. Il leur suffirait de renégocier le contrat de manière à autoriser ces entreprises à augmenter leurs salariés pour qu’elles cèdent. C’est ce qu’ils feraient si l’Etat et les compagnies aériennes les y incitaient. Mais c’est manifestement tout le contraire. Bien loin de pousser les entreprises et les aéroports à négocier, le gouvernement menace les syndicats, casse la grève, envoie des policiers et des gendarmes remplacer les grévistes. Sous couvert de prendre le parti des usagers, il prend en fait celui des aéroports et de ces sociétés de service.Cette attitude pourrait surprendre de la part d’un gouvernement qui n’a de cesse de parler de la classe ouvrière, de chercher à la séduire par tous les moyens. Mais il est vrai qu’il aime une classe ouvrière docile qui travaille plus pour gagner plus sans protester, qui ne se met pas en grève, qui achète français et vote comme il faut, c’est-à-dire à droite… Ce n’est pas vraiment une surprise, c’est juste le rappel d’une évidence : la droite n’a jamais aimé les combats ouvriers et s’est toujours trouvée, dans les luttes sociales, du coté du patronat. Est-ce que ce rappel aura un effet sur la campagne ? est-ce que cela empêchera Nicolas Sarkozy de vanter les valeurs ouvrières le temps d’un discours ? ce n’est même pas certain tant la gauche s’est montrée discrète. Sans doute François Hollande a-t-il critiqué la gestion « à coups de menton » de la grève et l’envoi de policiers dans les aéroports, mais on aurait aimé qu’il profite de cette crise pour nous dire s’il envisage de revoir une organisation des services dans les aéroports qui est, disons pour rester mesuré, perfectible.Il ne l’a pas fait. C’est dommage. Ce l’est d’autant plus que l’on peut deviner au travers de ce conflit ce qui frappe et fruste beaucoup de salarié : l’augmentation des contrôles sur leur travail, la pression sur les effectifs et les salaires, l’instabilité de la hiérarchie, des procédures, des stratégies.Si la gauche voulait vraiment susciter un désir chez les électeurs il faudrait qu’elle leur donne le sentiment qu’avec elle les choses peuvent vraiment changer de manière concrète. Les employés des société de sûreté ne demandent pas autre chose : quelques dizaines d’euros de plus par mois, de la considération et des motifs de conserver des emplois qu’ils fuient lorsqu’ils ne font pas grève.

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    Le retour des années trente

    Play Episode Listen Later Dec 27, 2011


    Christine Lagarde, The Economist nous disent craindre le retour des années trente. Il y a bien des similitudes, retour du protectionnisme, crispations nationales, montée d'un mouvement fasciste (transformation du FN de parti de nostalgiques de toutes les causes perdues de l'extrême-droite en parti moderne, nationaliste, protectionniste et ouvriériste), mais nous avons aussi développé depuis soixante ans des amortisseurs. Il ne nous empêcheront cependant pas de souffrir d'une récession qui s'annonce d'autant plus dure que les banques ont commencé de resserrer le crédit ce qui va faire souffrir les PME et TPE qui emploient 53% des salariés français.Pour lire cette chronique, cliquer ici, pour l'entendre sur votre ipod, cliquer là

    Désindustrialisation

    Play Episode Listen Later Dec 13, 2011


    Tous les candidats ou presque parlent de la désindustralisation, vont visiter des usines, se passionnent pour le "made in France". Mais qu'en est-il vraiment? D'où vient l'érosion des effectifs ouvriers et sommes nous les seuls à voir se réduire comme peau de chagrin le prolétariat? Non, bien sûr. Bien loin de l'accent mis sur la globalisation, le premier responsable de ce phénomène sont les gains de productivité. Mais gare aux effets politiques. La carte des emplois menacés en France peut contribuer à expliquer les bons résultats de Marine Le Pen dans les sondages.Pour lire cette chronique, cliquer ici, pour l'écouter sur votre ipod, cliquer là

    Lettre de Londres

    Play Episode Listen Later Dec 6, 2011


    Mais de quoi parle-t-on actuellement à Londres? De l'euro et de l'Europe, bien sûr, mais pas seulement, on y parle aussi be binge drinking, de cocaïne et du bonheur puisque l'Office national britanniques des statistiques vient de publier son indice du bien-être qui a de quoi rassurer David Cameron qui l'a voulu : les britanniques sont heureux. Mais le sont-ils tant que cela? Que vaut cet indice ou d'autres du même type? C'est ce que l'on regarde dans cette chronique.Pour la lire, cliquer ici, pour l'écouter sur votre ipod cliquer là

    Claim Les chroniques économiques de Bernard Girard

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