Retrouvez tous les podcasts de "La Story" présentés par Brice Depasse
Paris, 1966. Le rideau tombe sur la scène de l'Olympia, où Jacques Brel vient de livrer une fois de plus, un récital bouleversant. Le public, encore sous le choc, applaudit à tout rompre. Brel, épuisé mais exalté, quitte les coulisses sans un mot, son regard déjà tourné vers la nuit qui s'ouvre. Il retrouve ses amis dans un bistrot discret de Montmartre, un lieu qu'il affectionne pour son ambiance chaleureuse et son absence de prétention. Autour d'une table de bois usée, les verres se remplissent et la conversation s'anime. Brel, toujours en quête d'authenticité, écoute autant qu'il ne parle, car il ne peut s'empêcher d'observer les visages et de capturer les émotions. On ferme ! Oh non ! Brel insiste pour avoir le petit dernier en forçant un accent brusseleir mais ça ne marche pas, alors rentré dans son immeuble, il va réveiller Georges Brassens, son nouveau voisin de palier. Les deux artistes et amis de longue date échangent des histoires, des nouvelles et des rires. La nuit avance, la bouteille se vide, mais l'énergie ne faiblit pas.Cette fois, il n'est plus d'heure, Brel suggère de continuer la soirée chez lui, où quelques bouteilles de Chartreuse les attendent. Brassens refuse mais Brel insiste. Chez Brel, la musique reprend, les discussions s'intensifient, Jacques en est à la philosophie, aux grands sermons, il s'emporte, refait le monde, il est vrai qu'il n'a pas besoin d'aller jusqu'au bout de la nuit pour livrer sa version définitive du sens de la vie. Ce n'est pas que l'homme soit méchant, en définitive, mais il est toujours perdant à vivre avec les autres, non ce qu'il faut c'est être libre … Mais à l'aube, il est seul, Brassens, épuisé, s'est endormi sur le canapé. Brel le raccompagne à son appartement, non sans difficulté, et alors qu'il le couche, Brassens ouvre un œil et murmure : Je prendrais bien un petit dernier ! Le lendemain soir, Jacques se rend dans son restaurant favori. Il est rentré à Bruxelles dans la journée. Assis à sa table favorite, il déguste des croquettes de crevettes, son plat préféré, tout en prenant des notes dans un carnet. Il note des idées, … Une nouvelle chanson ? Il ne sait pas encore. Il observe les clients, le personnel, en écoutant les conversations autour de lui. C'est dans ces moments de solitude et de réflexion que naissent ses plus belles histoires. Ainsi vous avez assisté à une soirée classique avec Jacques Brel : entre passion, amitié, musique et recherche incessante de vérité. Un homme loin d'être parfait mais qu'il ne revendique pas, non, il est profondément humain, toujours en mouvement, toujours en recherche, laissant derrière lui des femmes tristes mais des souvenirs impérissables.
Nous sommes à la fin des années 80 dans les rues de San Francisco. Le quartier animé du Castro, où une jeune artiste venue du Massachusetts, vit dans une petite chambre sans fenêtre. Qu'est-elle venue faire loin de sa côte est et de New York ? Elle est artiste, d'accord, mais alors pourquoi pas Los Angeles, là où tout se passe. Et en effet, le jour, elle travaille comme serveuse pour le soir, arpenter les rues avec sa guitare, jouant ses compositions originales aux passants qui sont, il faut bien le dire, beaucoup plus réceptifs aux artistes et à la musique folk dans cette ville où est né, 25 ans plus tôt, le mouvement hippie. Ce soir-là, elle se produit au Nightbreak, un club de Haight Street aujourd'hui disparu mais à l'époque réputé pour sa scène alternative, et aussi son vin californien, ses bières mexicaines et jamaïcaines, je peux en témoigner, j'y ai traîné au même moment. Elle m'a peut-être servi, cette demoiselle dont vous devinez qu'elle n'y est pas restée, dans ce bar. La salle est modeste, mais l'ambiance électrique, c'est pour ça qu'on y vient ou que d'autres nous y emmènent. Linda, j'ai oublié de vous dire que la jeune fille se prénomme Linda, monte sur scène, coiffée d'un chapeau particulier dans le Massachusetts mais ici c'est ok. Et elle entame une chanson qu'elle a écrite dans sa chambre, vous savez la petite chambre sans fenêtre dont je viens de vous parler. Dans le public, un gars qui rame assez bien pour le moment. Il s'appelle Stephan Jenkins, et il est dans le désordre le futur leader de Third Eye Blind, un groupe pré grunge qui va vendre des millions d'albums, et qui sera par après le compagnon de Charlize Theron et de Vanessa Carlton. Mais pour le moment, il est juste rien, enfin il est lui, ce qui est déjà pas mal avec ce que je viens de vous dire et il est captivé, le gars. À la fin de la prestation, il l'aborde, et les voilà à discuter de leur vie qui commençait, comme disait la chanson de Michel Fugain. Elle lui rejoue son What's Up?, car vous avez deviné qu'il s'agit de Linda Perry des 4 Non Blondes, et lui son Semi-Charmed Life. Ils ignorent évidemment que ces chansons deviendront immortelles, ce qui ne rend l'instant présent que plus beau.Après ça, Linda et quelques amis se dirigent vers le Paradise Lounge, un autre endroit emblématique de la scène musicale de San Francisco. Là, elle improvise un mini-set acoustique, captivant l'audience évidemment, avec sa voix et puis ses textes. La nuit se termine dans un café du Mission District, où artistes et musiciens se rassemblent pour discuter, partager des idées et rêver de succès. Linda, bien que fatiguée, est inspirée. Elle griffonne des paroles sur une serviette en papier, peut-être les prémices d'une future chanson à succès.
Il fut un temps où, si vous vouliez passer une soirée avec Coluche, c'était possible, et sans payer votre ticket de théâtre, quand il était à l'affiche. Si vous étiez copain avec lui, ou le copain d'un copain, il suffisait de sonner à la porte de sa maison, à Paris. Ah ils sont très nombreux à connaître la façade carrée de briques rouges du numéro 11 de la rue Gazan, avec la cour jardin sur le côté gauche, derrière une grille où on gare les motos et mobylettes.Oui, il a beau être devenu une star, Coluche a gardé le plaisir, l'instinct de vivre en meute. Il est d'ailleurs interdit de prendre rendez-vous, de demander l'autorisation de passer et obligatoire de s'asseoir, boire un coup et accepter la bouffe qu'on va vous servir. L'installation parle d'elle-même : la juxtaposition des divans devant la télé, la série de chaises de bistrot et de chaises longues vous appelle quand vous entrez dans la salle de séjour, très éclairée. Il y a beaucoup de chance que ce soit Gérard Lanvin qui soit venu ouvrir la porte. Oui, le comédien qu'on a tous vu dans le terrible film, Tir groupé, et qui nous a fait rire dans Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine. Gérard habite là. Car c'est Coluche qui l'a emmené dans le métier, l'a tiré des puces de St Ouen où il vendait un tas de trucs. Au début Gérard conduisait la voiture, la camionnette, décrochait le téléphone, faisait un peu tout. Puis il a construit un café théâtre avec d'autres potes, Le Point Virgule, c'est lui qui y a fait entrer tout le bois des banquettes et du balcon. Puis Gérard a fourni des vannes à Coluche, pour le spectacle mais aussi les émissions de radio. Et même quand Véro est partie, Gérard est resté, enfin, un temps, on ne va pas s'attarder. Mais suivons-le, entrons … Le coude sur la table, une cigarette à la main et un verre de whisky devant lui, c'est Eddy Mitchell, bien sûr, le grand pote, avec Renaud, pas loin, avec un demi ou un pastagard. C'est le cercle rapproché des chanteurs, car la musique, ça le botte, Coluche, il aurait tant voulu être chanteur. Il a même monté un studio d'enregistrement dans la maison. Pour lui, oui, et que les copains utilisent pour enregistrer leurs trucs, ah ils se démerdent entre eux, dit Coluche, j'loue pas, j'suis pas dans l'commerce, moi. On ne peut pas s'empêcher de s'attarder un instant sur les casques de motos sur l'appui de fenêtre. Pourquoi il y en a tant ? Un pour chaque moto ? Non, un pour chaque usage. Enfin bref, passons, le présentoir à lunettes est beaucoup plus fun. Ça a commencé bêtement parce qu'il les paumait, ses lunettes, alors il en avait toujours plusieurs paires. Et pour rigoler, un copain lui a un jour offert un présentoir qu'il s'est mis en peine de garnir complètement. Ah oui, tous ses potes lui apportent un tas de trucs quand ils viennent. Alors, il ne les jette pas, du moins tant qu'y viennent, comme il dit. Et comme il faut les distraire, tous ces camarades, il y a deux flippers sur lesquels Mick Jagger et même Jack Nicholson ont joué, oui monsieur, et puis la table de ping pong qui remplace la piscine dans laquelle on s'est bien marrés mais au bout d'un temps, on a fini par ne plus y aller. C'est comme tout, hein, on se lasse.Oui, ce soir, chez Coluche, on va encore parler, rigoler jusque tard dans la nuit. Demain n'existe pas quand on est une bande de jeunes et qu'on se fend la gueule …
Munich, début des années 80. Freddie Mercury y séjourne régulièrement dans un petit appartement meublé que lui a dégoté son amie Barbara Valentin, star allemande du cinéma, égérie du réalisateur Rainer Fassbinder. Barbara adore faire la fête, comme Freddie qui adore Munich. Il aurait pu, comme David Bowie, aller à Berlin où on connaît le chemin qui mène au bout de la nuit mais voilà, Freddie a atterri dans la capitale bavaroise pour des raisons professionnelles : pour travailler avec le producteur Reinhold Mack qui s'est notamment illustré sur tous les albums à succès d'Electric Light Orchestra. Et donc c'est en découvrant le studio de cet ingénieur du son qui va renouveler le son de Queen en 1980 que Freddie constate à sa grande satisfaction qu'en plus des soirées sans fin, on le laisse tranquille quand il marche dans la rue, s'assoit dans un café. Pas de chasseurs d'autographes comme à Londres, et surtout, pas de photographes d'impitoyables tabloïds britanniques.Et donc ce soir, tout commence dans un grand restaurant. Ambiance chic, couverts en argent, Freddie est invité par des gens qui veulent lui parler affaires. Freddie s'ennuie rapidement. Il soupire. Et quand l'un des convives ose faire une blague sur son look, Freddie se lève, balance sa serviette et sort. Rideau. Le voilà dans la rue sous les lampadaires, habillé en rock star, perfecto noir, lunettes fumées et bottes de cuir, quand au coin de la rue, il entend de la musique. Des rires. C'est une fête, étudiante, on dirait. Freddie sonne à la porte. On ouvre. Le reconnaît-on ? Il n'en sait rien. Son nouveau look cheveux courts et surtout moustache n'est pas encore vraiment connu de tous. Et puis des moustaches comme la sienne, en Allemagne, à cette époque, il y en a à tous les coins de rue. Alors Freddie entre, prend une bière, s'assoit avec les autres, discute, rigole. Puis, il entend quelqu'un jouer sur un piano droit, s'approche, demande si il peut, s'installe et joue Bohemian Rhapsody. La salle se fige, murmure. Puis explose. Tout le monde chante. Freddie monte sur une table, improvisant un récital improbable devant une trentaine de jeunes gens ébahis. Et vers quatre heures du matin, c'est lui qui sert les bières derrière le bar, blaguant, hilare, avant de filer au petit matin en lançant un : Thanks for the party, darlings! C'est ça, Freddie Mercury. Chanter devant dix mille spectateurs ou trente convives, ça reste le même plaisir. Et si cette histoire qui circule et que j'ai enjolivée n'est pas tout-à-fait exacte, quelle importance. Elle a forcément eu lieu. J'ai assez assisté à des scènes de ce genre pour savoir que c'est arrivé et que ça se produit encore, enfin peut-être plus parce qu'aujourd'hui des gens sortent aussitôt leur portable pour filmer. Freddie n'aurait pas aimé car ce qu'il appréciait par-dessus tout, c'était de vivre, faire la fête, pas la regarder. La vraie vie, quoi.
Quand on milieu des années 90, une chanson intitulée One of Us, se met à tourner en radio et qu'on découvre la jeune femme qui l'interprète dans un clip, on se dit qu'on va faire connaissance avec l'artiste, que ce n'est que le début de son histoire avec nous. Et pourtant ce n'est pas ce qui va se passer car, vous le savez, que sait-on de Joan Osborne dont on n'a retenu, finalement, que cette chanson. Et bien déjà, sachez qu'elle n'aurait jamais dû être une star de la musique. Car quand à la fin des années 80, Joan quitte son Kentucky natal pour étudier le cinéma à New York, rien, absolument rien, ne la prédestine à se retrouver un jour au sommet des charts, aux côtés de Madonna et Michael Jackson.Mais voilà, un soir, dans un club de Manhattan, ses amis la poussent à prendre le micro. La voix sort. Râpeuse, chaude, habitée. Le public est scotché. Joan vient de trouver sa voie et sa voix. Et là, c'est le coup de théâtre. Un musicien de Philadelphie, Eric Bazilian, écrit une petite chanson, presque pour rire, pour séduire une fille. Il n'y croit pas une seconde. Mais son producteur, Rick Chertoff, entend le truc et se dit : Et si Joan la chantait ?La suite est fulgurante. En 1995. L'Amérique, puis nous, découvrons son One of Us. Une guitare qui traîne, une voix pleine de spleen, avec cette question insolite : Et si Dieu était l'un de nous ? Juste un paumé comme nous… Dans un monde qui court après le progrès, Joan Osborne lâche une bombe douce : un morceau spirituel, presque naïf, qui fait le tour du monde, plantant le doute dans la tête des croyants comme des sceptiques. Le clip passe sur MTV, on l'entend dans les cafés, les pubs, les voitures. Joan est partout. Elle est tout en haut de l'échelle de Jacob. Mais jamais elle ne fera mieux.Et c'est peut-être ça, le plus beau. Joan Osborne n'a jamais couru après le tube suivant. Elle a préféré suivre sa route : jouer du blues, reprendre du Dylan, chanter du gospel, être sur scène. Une carrière à contre-courant, à hauteur d'âme. One hit wonder ? Comme disent les Américains. Peut-être. One of a kind ? Comme disent les Anglais. Sans aucun doute.
On a peu d'images des shows de Claude François, ce qui est bien dommage entre parenthèses car il est de loin, la plus grande bête de scène que le métier français ait connu. Mais, vous le savez sans doute, la tension était les jours de concert aussi élevée que le niveau d'énergie dépensé, alors cette image de Claude François sermonnant rudement son éclairagiste n'est pas passée inaperçue depuis cette année 1977 où elle a été captée par une équipe de télé. Et bien, figurez-vous que cet éclairagiste qu'on ne voit pas à l'image, se nomme Philippe Timsit. Et que, quelques mois plus tard, ce jour fatal du 11 mars 1978, il se retrouve sans boulot car il tournait énormément avec Cloclo. Alors, puisque dans le domaine de la variété, on a déjà tout vu en France, comme un laveur de voitures qui devient vedette de la chanson, alors pourquoi pas lui ? Philippe en parle à Paul Lederman, l'agent de Claude François qui lui dit, OK ! C'est vrai, il écrit de chouettes chansons, Timsit, voyons ce que ça va donner. C'est ainsi que paraît en 1979 le premier 45 Tours de Philippe Timsit qui n'a aucun succès, tout comme le suivant. Il faut dire que les textes sont un peu légers, c'est du déjà entendu. Mais le chanteur a un style et une voix différente. Il vend bien son texte. Faut juste qu'il ponde celui qui va vraiment émouvoir. Et puis il a un son, aussi. Grand bien lui prend, à son producteur, de persévérer car en 1981, c'est la bonne pioche avec cette chanson mélancolique qui parle d'un temps révolu, celui des yéyés au Golfe Drouot où beaucoup de stars sont nées mais où d'autres musiciens n'ont pas réussi à trouver la lumière, ou la garder sur eux. Et c'est le cas d'Henri, qui habitait Porte des Lilas et qui se rappelle au bon souvenir de quelqu'un, à vous de l'imaginer, de cette époque lointaine où il a été sous les feux de la rampe et dont les souvenirs se sont figés. C'est la même inspiration musicale, la même façon de chanter mais cette fois, le disque interpelle, accroche dès la première écoute et paradoxalement, cette histoire de loser vaut un immense succès à Philippe Timsit.Un succès sans lendemain, les disques suivants ne fonctionnent pas, alors, comme il connaît très bien ce métier de l'intérieur, Philippe retourne à son métier de régisseur pour les plus grands, de Michel Sardou à Claude Nougaro en passant par Michel Fugain. Combien de fois s'est-il repassé cette histoire dans sa tête à l'ombre de ceux à qui il donnait la lumière ? On ne le saura jamais, mais il nous a laissé un sacré testament avec cette histoire que combien d'artistes ont vécu avant de disparaître du showbiz.
Si je vous dis, Spin Doctors, vous allez probablement répondre Quoi ? Mais si je vous mets le disque … j'entends déjà les ah oui, ça ! Quel énorme tube au début des années 90 pour ce groupe sorti de nulle part, et pour cause, il fait partie du mouvement qu'on a appelé le rock alternatif. Peu importe finalement le nom qu'on lui donne, ce qui compte, au début des années 90, c'est le succès fulgurant des groupes Nirvana et Pearl Jam, tous deux sortis de la même ville du fin fond des Etats-Unis qui réveille subitement les géants de l'industrie du disque. Et oui, elles n'en avaient plus que pour le Hip hop et le Rap, d'un côté, et le métal de l'autre. Et au milieu ? Et ben, il y a une foule de groupes rock qui se font éditer par des labels indépendants, locaux, à cause de leur manque d'intérêt. C'est d'ailleurs de là que sort Nirvana.Alors quoi ? Qu'est-ce que vous attendez ? disent les boss des grandes boîtes à leurs chercheurs de talents qui déjà découvrent qu'ils ont plein de groupes dans leurs écuries et que ça serait bien de mettre des sous sur leur nouvel album, genre Faith No More … et bien sûr ils signent tout ce qui bouge, ou presque.Dans le cas des Spin Doctors, ils n'ont pas dû aller bien loin, ils sont de New York. Et leur musique est un mélange de musique rock, funk, punk, on ne sait pas bien mais c'est ce qui est à la mode, la fusion, alors, on les pousse ? Et voilà que leur album sorti l'année précédente décolle au son d'un single qui, il faut bien ce qui est, est d'une efficacité redoutable. Mais si vous ne faites rien pour le faire entendre, évidemment, il ne se passera rien pour eux ou pas grand chose. Y a pas encore internet en 1992.Et ainsi du jour au lendemain, on voit les Spin Doctors, notamment sur MTV qui est en demande de clips depuis que tous les mômes sont en pâmoison devant les vidéos de Nirvana et Pearl Jam. On glisse le titre sur les compiles aussi, même si c'est une compile grunge, hein, allons-y, ils ne verront pas la différence. Ben si, justement, il y a une différence, les Spin Doctors, c'est un groupe rock tranquille comme les Soul Asylum et les Counting Crows, tiens, qui vont être poussés de la même façon. Ca vous dit quelque chose ? Je vous fais entendre … Et c'est vrai qu'on les entendus partout et qu'on n'a pas fait l'effort promo avec l'album suivant évidemment, on avait fait entrer trop de monde dans la maison pour les pouponner tous, ces bébés. Alors on n'a plus entendu parler des Spin Doctors, Chris Barron, le chanteur, a aussi eu un problème aux cordes vocales, ce qui n'a pas aidé. On aura eu le temps de les voir à Werchter, sur la grande scène bien sûr, et de pogoter comme des malades sur leur titre, Two Princes. Je dois rappeler des souvenirs à certains, on était quand même nombreux cet été-là, y avait Rage Against the Machin, Peter Gabriel et Aerosmith qui jouaient juste après. Alors on se le refait ce Two princes des Spin Doctors ? Ça veut dire quoi ? C'est des gars qu'on appelle au secours quand il faut rectifier la mauvaise posture d'un homme politique, façon de dire que ces gars font de la musique comme un discours.
Avec sa voix et ses intonations soul retro qu'on dirait tout droit sorties d'un enregistrement de la Motown des sixties, Duffy a illuminé la fin des années 2000. Vrai, d'où sortait cette fille pour se hisser à la hauteur de l'inimitable Amy Winehouse ? Quels débuts fracassants avec cet album vendu à plus de six millions de copies et je ne vous parle pas de son propre pays où elle est un véritable phénomène avec son premier single écoulé à 500.000 exemplaires. Un demi-million de CD singles en 2008, vous vous rendez compte ?Duffy, c'est son vrai nom, son nom de famille, se prénomme Aimée. Un patronyme bien français mais on ne s'en étonne au Royaume-Uni, même au Pays de Galles, une région en retrait mais qui a quand même donné son lot de stars. Si je vous dis Tom Jones, les Stereophonics ou Bonnie Tyler, on y est. Et finalement, n'est-ce pas de ces embruns venus de l'Atlantique et des hautes plaines du pays gallois que vient ce grain dans la voix et ce souffle particuliers qu'ont ses habitants quand ils chantent. Et qui vous fait dresser les poils, venir la larme à l'oeil quand ils poussent en plein refrain. Duffy est de cette race d'interprètes. Comme beaucoup de Britanniques, elle a grandi avec une maman dingue de soul américaine. Vous n'imaginez pas à quel point cette musique est populaire en Grande-Bretagne, c'est comme la génération yéyé en France, c'est pareil. Et puis brusquement, un traumatisme pas banal à l'adolescence. Comment, à 14 ans, gérer son stress, le sentiment d'insécurité particulièrement quand la police vous exfiltre de chez vous pour vous cacher car elle a découvert que l'ex-femme de votre beau-père a engagé un tueur à gage pour l'assassiner ? Duffy part vivre chez son père, sa mère et ses soeurs coupent les ponts avec elle, elle devient une adolescente rebelle qui s'adonne au binge drinking comme beaucoup de filles de son âge d'ailleurs, un fléau qui s'abat sur les îles britanniques au début du siècle et que le pays va avoir du mal à gérer. Heureusement qu'il y a la musique, qu'elle a dans le sang, et qui la suit durant toutes ses années d'études. C'est ainsi que revenue dans son Pays de Galles après des années d'études supérieures, Duffy participe à une émission de télé locale à la recherche de nouveaux talents. Aimée Duffy termine deuxième et sort un EP qui lui sert de carte de visite.C'est ainsi que naît le fameux album Rockferry. Bye Bye le job de serveuse et d'employée dans une poissonnerie, la voilà propulsée révélation mondiale, multipliant les singles et établissant son nom. Un feu de paille malheureusement. Que se passe-t-il ? L'album suivant ne tient pas les promesses du premier. Suivi par un début de carrière au cinéma et puis plus rien. Duffy disparaît. Elle dira bien plus tard avoir été séquestrée dans un pays à l'étranger, on n'en sait pas plus mais toujours est-il qu'il n'y a pas eu de suite à ce début de carrière éblouissant. On attendait d'elle de prendre la place d'une Amy Winehouse dont le parcours dramatique ne lui a pas non plus permis de dépasser le cap du deuxième album. Reste ce tube gigantesque et tous les autres de l'album Rockferry, indispensable, et cette merveilleuse chanteuse au look de Brigitte Bardot des années 60. Elle s'appelait Duffy, elle avait un talent fou.
L'autre jour, je fouillais dans les 45 tours que j'ai achetés dans les années 80 et dont une bonne partie tourne sur Nostalgie depuis 25 ans et je me disais qu'on sait finalement peu de choses, sinon rien, sur la majorité des artistes dont les chansons, du moins certains, sont devenues des classiques. Regardez Elegance, le groupe dont le tube ressort inévitablement chaque été avec le même bonheur. Parce que c'est clair qu'on s'y voit ou qu'on s'y revoit sur le chemin des vacances dès le premier couplet. C'est d'ailleurs une des forces imparables de ce titre qui fait partie de la légende des années 80. Mais finalement qui est-ce ? Vous pourriez ne fut-ce que dire combien ils étaient ces gars-là ? Je vous raconte.En 1981, grâce à Chagrin d'amour, la preuve est faite qu'on peut faire du funk et même du rap en français avec bonheur. Est-ce cela qui motive trois jeunes gens qui oeuvrent dans la musique à se mettre ensemble pour tenter de faire le même coup ? Allez savoir. Toujours est-il que Marc Ricci, Pierre Zito et Patrick Bourges décident de former Elegance pour nous emmener dans un univers nettement moins borderline. Ils ont respectivement 22, 26 et 18 ans et chacun apporte son expérience. Marc est DJ au Palace à Paris et au Papagayo à St Tropez, c'est la grande époque des platines, du funk et du hip hop mais aussi les remarquables débuts des rythmes automatiques de la new wave. Marc a tout entendu de Prince, Earth Wind & Fire et Orchestral Manoeuvres, alors pourquoi ne pas marier les deux en faisant un truc très groovy avec des synthés ? Pierre est musicien, claviériste, c'est sur lui que va reposer la composition des mélodies. Patrick, lui, est chanteur, il va assurer les refrains car les couplets vont être slammés par le DJ, Marc, qui connaît la musique, c'est le cas de le dire. Inutile de vous dire que le mariage de ces trois talents fait de cette chanson sans prétention, hein, un truc définitif, tellement qu'aucun d'eux n'imagine alors qu'elle fera encore du bien à tout le monde, plus de 40 ans après.Et en parlant d'après, je sais ce que vous pensez, ils n'ont plus rien fait. Ben si, justement, pas mal de 45 Tours avec Élégance, déjà. Au moins un par an. Mais aucun ne rentre dans le Top 50. Est-ce le manque d'envie, d'inspiration, du vite fait, de la paresse, on n'en sait rien mais force est de constater si tous sont bien réalisés et balancés, ça ne fonctionne pas, du moins pas de la même façon que ces vacances qui leur ont valu de vendre un million de singles en 1982. Oui, je sais, j'en entends certains qui disent : il va oublier de dire que la chanson a été arrangée par François Feldman qui était alors inconnu. C'est vrai mais il a aussi travaillé sur d'autres titres d'Élégance, donc. Marc est retourné à ses platines, et avec quel succès car quand l'ère des DJ est venue, ben, il a cartonné avec les fameux Hotel Costes et les compiles du même nom, et puis des chansons pour beaucoup d'interprètes de Marc Lavoine à Yannick Noah en passant par Alain Chamfort et Chimène Badi. Quant à Patrick, il a aussi écrit, avec Pierre, pour d'autres, comme le fameux Un enfant de toi de Phil Barney. Élégance s'est séparé en 1986 mais on ne les a pas oubliés, en tout cas pas le nom de leur groupe.
Pourquoi aller au Festival de Cannes quand on est artiste mais qu'on n'a rien à y vendre ? C'est ce que doit se dire Serge Gainsbourg en ce mois de mai 1974 où malgré vingt années de métier et un unique immense tube international en 1969, il n'est toujours pas une star. Ses récents albums Histoire de Melody Nelson et Vu de l'extérieur n'ont pas marché du tout et ça lui a fait mal. Il était pourtant sûr d'avoir fait œuvre de nouveauté, de culot. On a beaucoup entendu Je venu te dire que je m'en vais à la radio, mais c'est tout. Aucune reconnaissance du public si ce n'est ceux qui élèvent la voix pour dire qu'ils n'aiment pas Gainsbourg, ce gros dégueulasse. Par contre, pour Jane, tout va bien. C'est un peu elle qui fait bouillir la marmite à leur domicile, rue de Verneuil. Les disques qu'il lui écrit marchent bien et surtout, Jane est devenue une star du cinéma : trois films l'an dernier et cinq cette année dont un actuellement en tournage, pas loin de Cannes, avec Pierre Richard (et qui entre parenthèses va connaître un succès considérable). Alors Cannes, c'est plutôt une évidence pour Monsieur Birkin, comme certains commencent à dire pour se moquer de lui. En ce mois de mai, un petit tour lui fera du bien pour se regonfler le moral. Il faut dire que l'émission de télé que les Carpentier lui ont, enfin, proposée a été un fiasco d'audience. Ce soir du Top à Serge Gainsbourg, il avait beau avoir convié Françoise Hardy et Jacques Dutronc, et puis Jane aussi, les gens ont regardé l'autre chaîne. Et pour cette majorité qui n'a pas regardé, la presse donne le coup de grâce : Pourquoi invite-t-on Serge Gainsbourg ? Il n'a aucun talent, il est sale et mal rasé.Et donc, ce photographe qui reconnaît le couple Gainsbourg Birkin et lui demande de poser devant le Carlton aux couleurs du nouveau James Bond avec Roger Moore, ça lui fait du bien, à Serge. Son sourire radieux et spontané fait plaisir à voir. Et qu'est-ce qu'elle est belle, Jane, comme ça, nature, avec son jean et son panier de courses en osier qu'elle vient de rendre à la mode. Et si on faisait d'autres photos sur la plage ?Gainsbourg ne se fait pas prier. D'autres photographes se joignent à la séance improvisée, des vacanciers s'attroupent autour d'eux, tu as vu, c'est Jane Birkin, c'est Gainsbourg. Serge s'en trouve un peu requinqué, et ça tombe bien, en buvant un café dix minutes plus tôt, il est tombé sur un article de Nice-Matin qui disait : Personne de sensé n'aime Serge Gainsbourg. Il est dépravé, méprisant et chante comme un drogué, régurgitant des chansons que personne ne comprend.Alors, invité à un déjeuner au restaurant, Gainsbourg a enfilé son fameux veston sombre à fines lignes. Assis en bout de table avec devant lui un pot de langues de belles-mères, ces fameuses plantes à la mode en forme de couteau dressé vers le ciel, un producteur vient s'asseoir à côté de lui : Dites, j'ai vu votre émission. J'ai senti que la réalisation venait de vous. Le jour où vous voulez réaliser un film, venez me voir. Gainsbourg remercie dans un souffle, en écrasant sa Gitane, il sait ce que vaut une promesse de festival. Mais bon, Jane va repartir tourner ce fameux film La moutarde me monte au nez, alors, pourquoi pas, écrire et réaliser un film. Ainsi va le Festival de Cannes …
Mai 1971, le Festival de Cannes s'apprête à vivre ce qui est, rétrospectivement, un événement de taille, et pourtant, sur le coup, on dirait que tout le monde passe à côté. Oui si vous aviez cette année-là arpenté la Croisette, où la foule ne se pressait pas encore en masse comme aujourd'hui, vous auriez croisé John Lennon. Nous sommes juste un an après l'annonce officielle de la fin des Beatles, l'histoire est encore du présent, tout le monde pense qu'ils vont se remettre ensemble et John Lennon est là, tranquille, sans se faire harceler par des fans des Beatles qui soit, ne sont pas au courant de sa présence, soit sont passés à autre chose. Il faut dire que depuis quelques années, Lennon a tout fait pour casser le mythe de l'idole : des albums solos expérimentaux pour ne pas dire ridicules, des appels à la fin de la guerre rendus inaudibles, eux aussi, par une faune dont il s'entoure ou qui profite de lui, et bien sûr ses errements dans des événements artistiques d'avant-garde comme les deux films qu'il a réalisés avec sa femme Yoko et qui vont être projetés au cours du festival.N'empêche, quel moment privilégié, loin de la folie des années écoulées et quelle occasion que ce Festival de Cannes où on le voit répondre à des interviews de journalistes avec le même humour et le même décalage qu'à l'époque de la Beatlemania. Il n'a en fait pas changé. Il a en vérité, toujours été le même, malgré la pression, malgré la fureur hystérique qui régnait autour de lui. Ça lui faisait plaisir, ce succès, mais jamais cela ne lui est pas monté à la tête. Alors on le voit ce soir, à table avec des amis dont Louis Malle et Jeanne Moreau, John est allé assister avec eux à la projection de leur film. On fait peu de photos à l'époque, qui a un appareil sur lui, mais on est à Cannes et les photographes accrédités sont déjà nombreux, à la pêche aux clichés à vendre à des rédactions.Mais John Lennon avec ses lunettes rondes fumées et sa veste en jeans ne vaut plus les colonnes à la Une désormais réservées aux Rolling Stones, Led Zeppelin et les Doors. C'est à peine si on entendra parler du public de la salle qui a hué la projection de son film, il faut dire qu'on y voit une mouche se promener durant 25 minutes sur le corps nu d'une actrice. Ah il n'y avait pas que ça, ils ont aussi projeté un autre de ses films nommé Apotheosis, une grosse production, là, puisqu'il s'agit d'un ballon dont il a filmé avec Yoko l'ascension jusqu'aux nuages durant 17 minutes.Comme quoi, si vous pensiez qu'on a tout vu à Cannes, c'était déjà plié en 1971 dont on ne doit retenir que la présence de l'ex-Beatle, charmant, tranquille et plein d'humour. Mais avec les idées bien en place quand on lui parle musique. Tenez, comme à ce journaliste de la télévision norvégienne, à qui il explique qu'il n'est pas heureux quand on le réduit aux Beatles. La musique des Beatles, c'est l'œuvre d'un groupe ; lui, en tant qu'artiste, ce qu'il veut à présent, c'est savoir ce qu'on pense de la musique qu'il fait seul, aujourd'hui, car c'est de lui qu'il parle, ce qu'il ressent. Et cette musique en 1971, c'est par exemple cette chanson …
Autant on parle des années 80 aujourd'hui, autant dans les années 80 on rêvait des années 60. Ah c'est vrai que c'était pas du pipeau, non plus, les sixties. Tenez imaginez-vous en ce mois de mai 1962, sous le soleil du Festival de Cannes, car c'est encore une de ces éditions qui bénéficie d'une météo splendide. Vous la voyez cette affiche de film devant l'hôtel Carlton ? On ne peut pas la louper avec Alain Delon en grand, aux côtés de Monica Vitti. Le film se nomme L'éclipse, signé Michelangelo Antonioni, un film oublié aujourd'hui mais il va remporter le prix spécial du jury et c'est mérité. Une Jaguar cabriolet décapotée passe sous l'affiche, pas de quoi étonner les passants à Cannes, sauf qu'au volant, c'est Johnny Hallyday tout juste débarqué d'avion pour un passage éclair. Mais que fait-il là ? On ne va pas tarder à le savoir, y a sûrement de la promo dans l'air pour le jeune sauvage de la chanson française qu'on va cette année surnommer Yéyé et qui est aussi désormais acteur.Et de fait, il rejoint sur la plage, à deux pas du Carlton, l'actrice allemande Elke Sommer, l'héroïne du film De quoi tu te mêles Daniela, qu'on a vu l'an dernier et pour lequel son ami Eddy Mitchell et ses Chaussettes noires ont interprété une chanson signée Charles Aznavour … La pose des deux jeunes gens devant les caméras et les objectifs n'est pas innocente, on annonce en effet que Johnny et Elke joueront bientôt ensemble. Et le voilà assis sur le porte bagage d'un vélomoteur conduit par celle qui partage sa vie, Patricia Viterbo, et qui n'est pas encore actrice. Ils vont prendre un bateau pour voir Cannes depuis le large, puis il y aura une partie de pétanque, c'est un vrai Français, notre Johnny. Allez, on ne pointe pas sans boire un ballon de blanc sorti d'un pichet bien frais.Mais le Festival reprend déjà le dessus, Johnny est à présent attablé avec des professionnels du cinéma, on le retrouve assis à une terrasse aux côtés de Ludmila Tcherina, une des rares danseuses étoiles à avoir réussi une carrière d'actrice. On lui demande un autographe, Johnny s'exécute aimablement, il va déjà repartir, ce garçon a décidément un V8 sous la chemise. Il faut dire que le Twist l'appelle, cette danse rock venue d'Amérique dont il a ravi la vedette à Richard Anthony et qui lui vaut une mauvaise réputation auprès d'une bonne partie de la belle société, horrifiée de le voir “remuer comme un singe et se traîner par terre”, disent-ils. Mais ce n'est pas à cela que nous assistons, un orchestre mexicain, en tout cas en tenue mariachi, joue un twist exécuté par des enfants habillés aussi en tenue mexicaine, Johnny se joint au groupe pour son fameux pas de danse, il est tout sourire, aimable, loin de la mauvaise réputation qu'on lui fait.Ce soir, Johnny enfilera un smoking qui convient si bien à cette époque dont nous n'avons gardé le souvenir qu'en noir et blanc, il montera et descendra les marches de l'escalier de l'ancien Palais Croisette, il va soutenir Claude Chabrol, un des rois de la Nouvelle Vague, et puis, il finira la nuit au Whisky à Gogo, évidemment, en dansant et chantant. Le lendemain, Johnny s'envolera pour New York, un peu à la manière de ces acteurs américains venus se montrer au monde entier, comme chaque printemps, sur cette Côte d'Azur où il se passe tant de choses. Tenez, un peu plus loin vers Marseille, à St Tropez, un gars nommé Claude François donne des cours de danse.
Je vous l'ai dit, et vous le devinez sans peine, il vaut mieux voir le Festival de Cannes à la télé que sur place. Sur place, on ne voit rien, et quand il se passe quelque chose, c'est la cohue, ça dure deux secondes et c'est terminé. Ou alors il faut avoir un rendez-vous et ça, c'est autre chose. Et puis, il y a des jours plus calmes que d'autres, ça dépend en fait de qui va monter les marches le soir, car à un moment où l'autre, ce “qui” va se déplacer en ville, se pointer dans un restau ou une fête au milieu de la nuit. Ainsi de ce 8 mai 1997, où l'hôtel Carlton est en ébullition. Oh on a l'habitude de voir des stars au Carlton, 14 ans plus tôt Elton John y a même tourné un clip mythique … les murs de sa suite se souviennent encore de la fiesta qu'il y a faite avec les musiciens de Duran Duran. Mais revenons à ce 8 mai 1997 où il n'y a non seulement pas moyen de passer sur le trottoir devant, ni de déambuler dans le hall car Michael Jackson arrive. Que vient-il y faire ? Et bien, présenter en avant-première son film Ghosts ? Un moyen métrage d'une demi-heure, il refait le coup du clip grand format de Thriller en 1983. Mais ici, c'est plus grand, plus long, plus fort. La projection a lieu à minuit, évidemment, il fallait y penser. C'est donc sur une Croisette nocturne que sa limousine s'engage après qu'il ait, tout sourire, réussi à s'extirper non pas de la foule mais de la cohue des cameramen et photographes qui l'attendent dans le hall. Ah oui, plus de 200 chaînes de télé et titres de presse de 70 pays sont accrédités pour cette soirée.Sur le trajet, relativement court, entre l'hôtel et le palais des festivals, quelques jeunes fans courent à côté de la voiture, l'ambiance est bon enfant, sans stress, m'enfin, on est un peu étonnés d'en voir une courir très vite en tenant ses béquilles dans la main gauche. A l'arrivée, pas moyen de sortir, trop de monde, la foule déborde, il y a même des gens perchés dans les palmiers, le chauffeur s'arrête donc avant l'espace du photocall pour permettre au service d'ordre et aux gardes du corps persos de se frayer un chemin. Grosses bousculades dans le public, des photographes râlent car ils n'ont rien obtenu de valable, Michael est passé trop vite, mais finalement, ça s'est bien passé, on attaque le tapis rouge. Michael se retourne vers le public pour un salut souriant mais trop vite à nouveau pour les photographes qui pestent à nouveau. Les fans, eux, sont heureux de ces quelques secondes où ils ont vu leur idole en vrai. Ça valait bien les deux heures d'attente et les centaines de kilomètres parcourus. Et puis les plus organisés d'entre eux qui ont fait le pied de grue la veille sous le soleil de la croisette, l'ont vu sortir sur le balcon de sa suite au Carlton. Ils ont crié après lui, Michael s'est penché au balcon et a répondu en faisant signe de la main. Il était bien plus cool que ce soir où malgré les sourires, on voit bien que les apparitions mondaines, ce n'est pas son truc.Ce n'est pas la première fois qu'un chanteur fait une apparition remarquée à Cannes pour une raison autre que le cinéma, John Lennon l'avait déjà précédé, George Harrison aussi, et encore, du temps des Beatles, il s'agit ce soir d'un vidéoclip mais la télé n'est-elle pas, après tout, la fiancée du Festival de Cannes. En tout cas le film Ghosts, ben, il tient ses promesses. Michael y joue plusieurs rôles dont certains sont inattendus, c'est un clip qu'il faut voir au moins une fois dans sa vie, surtout qu'un budget pareil, vu l'état du marché aujourd'hui, on n'est plus près d'en voir un.
On en a beaucoup parlé les jours qui ont suivi, les images resteront sans doute dans l'histoire du cinéma, Robert de Niro recevant de Leonardo Dicaprio une palme d'or d'honneur en ouverture du 78ème festival de Cannes, c'est historique. Et tous les journalistes de mentionner sa toute première célébration à Cannes en 1976 qui avait lancé sa carrière et imprimé son nom dans le monde entier. On la voit encore cette affiche où De Niro se tient debout devant son taxi jaune. Près de 50 ans plus tard, Taxi Driver reste un film fascinant, qui nous montre un personnage que sa solitude a rendu inquiétant et qui, pourtant, est convaincu d'être du bon côté. Mais c'est là qu'il faut sortir des sentiers battus, des raccourcis : l'image que nous offrent les médias et surtout la télévision, car finalement c'est surtout ça, le festival de Cannes, une émission de télévision qui nous vend du rêve avec ces grands acteurs et réalisateurs, américains surtout, dans le cadre idyllique de la Côte d'azur. Car quand on s'y trouve, dans cette ville qui finalement n'est pas bien grande, au milieu de la foule agitée de gens de cinéma, de médias, de Cannois, de touristes, d'invités, c'est pas du tout la même chose. On est soit perdu, on ne sait pas où ça se passe, même si on a le badge, hein, tellement il y a des accrédités qui courent partout, soit on ne voit rien, à part la foule. Ah ben oui, je me suis une nuit, retrouvé obligé à quatre heures du matin de rentrer d'une soirée à pied, des kilomètres, car toute la croisette était à l'arrêt, coincée à mort.Alors imaginez-le, Robert de Niro, en 1976. Déjà il a pas du tout la même image que celle qui s'imprime dans votre tête actuellement. Son compère Martin Scorsese non plus, mince avec sa barbe noire, d'ailleurs essayez de le reconnaître dans le film, en client cocu dans le taxi, et fou furieux. Et bien, ils n'en mènent pas large, ces deux jeunes cinéastes. Oh Cannes, ils connaissent, enfin un peu, car ils y sont venus deux ans plus tôt, totalement inconnus, pour présenter un premier film à la Quinzaine des réalisateurs, ça s'appelait Mean streets, et leur avait valu de se faire un peu remarquer.Mais depuis, De Niro a joué Vito Corleone jeune dans Le Parrain 2, sa cote a monté et pourtant, il a refusé un blockbuster pour un tout petit cachet sur un second film avec Scorsese, Taxi Driver. Il y croit. Mais à la projection en compétition, ça ne se passe pas bien. En fait, le public, comme le jury, est terriblement divisé. Trop violent. Mais New York est comme ça ! D'accord mais vous justifiez la violence du héros ! Bref, quand il apprend que le grand Tennessee Williams, membre du jury, a détesté le film, Scorsese repart pour New York sans attendre le verdict, bientôt suivi par De Niro. Mais le jour de la délibération, deux autres membres du jury nommés Ennio Morricone et Costa Gavras bataillent ferme, alors, c'est à la surprise générale qu'on annonce que la Palme d'or va à Taxi Driver. Il n'y a plus que le producteur pour recevoir le prix, avec la moitié de la salle debout et une partie de l'autre qui siffle en guise de protestation. La carrière de Taxi Driver est lancée, on va courir dans les salles comme rarement après une Palme, et souvent on ne sera pas d'accord, après, au bistro. Robert De Niro deviendra la légende du cinéma américain qu'on connaît et du cinéma tout court, d'ailleurs. Et c'est à Cannes que ça a commencé.
1984, c'est non seulement une grande année musicalement parlant mais aussi le titre d'un album de Van Halen qui est alors l'incarnation du groupe de heavy metal. Oui, Van Halen, c'est un son … Un son à part dans la musique rock des années 70 qu'ils imposent grâce à un hit mondial, une reprise étonnante des années 60. Et c'est vrai qu'en 1984, beaucoup de ces messieurs mais aussi demoiselles croient que ce fameux Van Halen est logiquement le chanteur mais en fait il n'en est rien, Van Halen, c'est le nom de famille d'Eddie, le guitariste, et Alex, le batteur. Tous autant que nous sommes ignorons qu'ils ne sont pas Américains mais sont nés pas loin de chez nous , à Amsterdam, en Hollande. Ce n'est que 7 ans plus tard qu'ils émigrent avec leurs parents vers les Etats-Unis et s'établissent dans la ville de Pasadena. C'est là que plus tard, les frères Alex et Edward, devenu Eddie, forment leur premier groupe qu'ils baptisent Mammoth. Pourquoi ? Vous avez deviné.Entretemps, Papa Jan Van Halen, excellent clarinettiste et saxophoniste, a mis ses deux rejetons au cours de piano classique. Mais bon, au début des années septante, tous les jeunes gars ont plus envie de jouer le répertoire de Led Zeppelin et des Stones que celui de Chopin et Schubert. Eddie se met donc à la batterie et Alex à la guitare. Vous vous rendez compte à côté de quoi on a failli passer ? Pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, le solo de guitare de Beat it n'aurait jamais été aussi génial. Car c'est en constatant qu'Alex est bien meilleur que lui à la batterie, que Eddie abandonne les tambours au profit des cordes de guitare. Son jeu devient rapidement révolutionnaire ; les guitaristes rock ayant une formation de pianiste classique sont en effet très rares. Et après avoir maîtrisé son instrument, Eddie comprend qu'il peut comme sur un piano jouer des notes différentes avec chaque main sur sa guitare. Personne n'y avait jamais pensé avant lui et pourtant le résultat est hallucinant et inédit. Conscient de sa trouvaille, Eddie va réussir à la cacher aux éventuels imitateurs et concurrents en jouant durant plusieurs années en tournant le dos au public. C'est l'arrivée de David Lee Roth au chant qui va changer la donne. En effet, quand celui qui n'est que le loueur de matériel, prend le micro et fait son show, le groupe devient tout simplement explosif. Fini Mammoth, bonjour Van Halen ! Mais Van Halen est surtout un groupe d'albums, entendez par là qu'à chaque disque qui sort, les nouveaux fans achètent tous les précédents. Ainsi leur premier album se vend-il aux Etats-Unis à 10 millions d'exemplaires. Van Halen, c'est une machine colossale au son tout aussi énorme qui lorsqu'il propose en 1984, déjà son sixième album, va découvrir les joies d'être N°1 au hit parade des singles. Cela fait en effet quelques années qu'Eddie Van Halen a découvert les synthés dont il s'est servi jusque-là pour encore alourdir le son du groupe. Est-ce le passage par le studio de Michael Jackson et la joie d'entendre son solo cinq fois par jour à la radio mais ici, pour la première fois, il se sert des claviers pour le rendre plus aérien, plus mélodique. Le résultat est étonnant, Jump figure aujourd'hui, avec Beat it, au panthéon des plus grandes chansons des années 80.
Parmi les figures qui ont forgé la légende des années 80, la plus foisonnante des décennies de l'histoire de la musique populaire, la présence de David Bowie est inévitable, incontournable et pourtant la plus étonnante. Inattendue je devrais dire. En tout cas en 1983. Pourquoi ? Ben il faudrait qu'on y retourne, je vous emmène ?En ce printemps 83 où on en a plus que pour Michael Jackson, U2 et Simple Minds, bref une nouvelle aube sonore et musicale, David Bowie a tout de l'artiste des années 70 où il a brillé partout. Au point qu'il est le modèle de toute cette nouvelle génération nommée New Wave qui lui a tout piqué ou presque. Est-ce pour cela qu'il a disparu depuis trois ans ? Non. Ou en tout cas pas uniquement. C'est vrai que David a un problème avec tous ces clones de lui. Il a l'impression de se voir et de s'entendre partout. Mais bon, il y a aussi eu l'assassinat de son pote John Lennon à New York alors qu'il était lui-même sur scène à deux pas de là et qui a engendré une peur bleue de se montrer en public. Et puis enfin un gros problème de relation avec sa maison de disques qu'il a dû régler. Et malgré cette longue absence, qui pourrait imaginer que de tous les albums de David Bowie, ce fameux Let's dance est de tous, celui qui a été le moins préparé et le plus vite exécuté. David n'a écrit que cinq nouvelles chansons en trois ans quand il approche des portes du studio d'enregistrement. L'option de tout écrire en une nuit en absorbant des substances illicites appartenant au passé, il lui reste celle des fonds de tiroir, ce qu'il fait en reprenant une chanson qu'il a enregistrée quelques mois plus tôt avec Giorgio Moroder pour un film d'horreur esthétique mais de série B passé plus ou moins inaperçu en dehors des couloirs du BIFF à Bruxelles et des vidéoclubs. C'est ainsi qu'il ressort également un titre dont il a coécrit la musique avec son ami Iggy Pop pour le premier album solo qu'il a produit pour lui … en 1977, encore les 70's. Ah c'est qu'il s'amuse toujours avec Iggy qui est probablement son seul ami ; il l'avait d'ailleurs emmené dans ses valises quand il avait quitté Los Angeles au milieu de la décennie, pour Paris, puis Berlin. C'est là qu'ils avaient écrit cette chanson qui, au départ, n'a rien d'une bluette puisqu'elle fait référence à la coke et à l'héroïne. C'est d'ailleurs cela qui amuse beaucoup Nile Rodgers, le producteur de Let's Dance : faire de cette China Girl un titre pop à prendre au premier degré comme le prouvera le vidéoclip. Et il fait bien vu l'incroyable succès qu'elle va rencontrer en cette année 1983.Comme Nile le dira plus tard : il m'est souvent arrivé de savoir que la chanson que j'enregistrais allait faire un tube. Comme cette fois où on a fait écouter “Le Freak” à notre maison de disques. Ils n'y ont pas cru et pourtant c'est le single le plus vendu de leur histoire. C'était le cas aussi pour le “We are family” de Sister Sledge mais pas pour “China Girl”. Nile a ainsi poussé Bowie à sortir Let's dance en premier. Bowie n'y croyait pas, il avait tort. Lui, il voulait sortir China Girl en premier. Les deux ont eu raison et ont eu tort, mais heureusement pas au même moment. Résultat, deux tubes successifs et un Bowie au sommet, qui marque la décennie de son empreinte, imposant une nouveau look et regagnant en cette année 1983 tout l'argent qu'il avait perdu dans les années 70.
On n'a parlé que de ça en 2022, Kate Bush, 63 ans, était N°1 dans le monde entier avec une chanson qu'elle avait pourtant sortie en 1985. Et ce n'est pas tellement le fait que cette chanson ait connu un succès prodigieux à cause de Stranger Things qui étonne, c'est plutôt que l'une des héroïnes de la série l'écoute sur son baladeur et que ça lui sauve la vie. Alors Ca a beau se passer il y a 45 ans, tous les ados d'aujourd'hui se sont identifiés à elle car non seulement ils font tous pareil sauf que c'est du streaming, plus une cassette, mais surtout la musique des années 80 est une évidence pour eux, elle fait partie de leur présent au même titre que les nouveautés. On ne s'étonne donc pas que les jeunes Américains et leurs parents aient découvert un titre qui à l'époque avait échappé à leur pays tout entier. Il faut dire que Kate Bush est une artiste authentiquement et profondément anglaise, un pays dont elle n'aime pas sortir. Comme autrefois le professeur d'Oxford Tolkien dont elle a donné vie à l'univers avec ses Elfes et ses magiciens, dans le monde de la pop et du rock. Avec son visage d'ange, la grâce d'un corps qui semble plus voler que marcher, un talent de compositeur qu'on n'a plus entendu depuis Purcel, une voix de fée haut perchée, Kate Bush nous emmène dans la pénombre des greniers des manoirs britanniques à la recherche d'une adolescence égarée.Plus de quarante ans après ses premiers succès, il ne s'est trouvé personne pour prendre sa place. Comment un tel génie, de la première touche de piano au dernier pas de danse d'un de ses vidéoclips, a-t-il pu éclore dans l'esprit et le corps d'une jeune fille de 19 ans, quand elle a commis son premier tube ? Plus fort, elle n'avait que 16 ans lorsqu'elle a enregistré cette perle sous la direction d'un certain David Gilmour, un des deux leaders de Pink Floyd, totalement subjugué par la musique et la poésie de ce petit prodige qui a déjà écrit une cinquantaine de chansons et dont pourtant, aucun label de disques ne s'était dit intéressé. Après avoir prêté une oreille aux enregistrements recommandés par Gilmour, le patron d'EMI se dit qu'en cette époque où la musique change, cette fille pourrait être « The next big thing », le prochain gros truc. De fait, en 1978, son premier disque allait déchirer les charts de toute l'Europe de haut en bas. On y avait mis les moyens : Geoff Emerick, l'ingénieur du son des Beatles, et une partie de l'entourage de son copain Alan Parsons, un ancien collaborateur de Pink Floyd qui lui aussi s'était mis à vendre des camions de disques. Quatre albums plus tard, en 1985, Kate Bush n'a que 26 ans et pourtant, elle joue jeu égal avec un Peter Gabriel en proposant des disques ambitieux au son révolutionnaire mais authentique, ce qui lui permet d'accomplir le miracle d'en faire des hits. Les Américains ont attendu 2022 pour l'adopter mais au vu des compteurs de streaming de l'ensemble de son répertoire, ils ne sont pas limités à cet unique titre découvert grâce à la série. Avec une voix et une musique surgie d'un passé lointain, Kate Bush séduit les ados d'aujourd'hui mais est-ce si étonnant, quand on sait que le temps n'a pas de prise sur les fées.
Les années 80. Quel bonheur d'avoir vécu ça. La musique bougeait de partout et nous bousculait de ses trouvailles enthousiasmantes. Et ne vous avisez pas de piquer ce qu'un autre a fait, non, que du contraire, si vous voulez que ça marche pour vous, il faut que vous surpreniez tout le monde. Et c'est ce qu'a fait Michael Jackson, avec son pote Quincy Jones et une sacrée brochette de musiciens. Oui, c'est vrai qu'il faut avoir vécu la sortie à quelques semaines d'intervalle de Billie Jean et de Beat it pour comprendre pourquoi le succès de Michael Jackson parti en vrille comme jamais ce n'était arrivé.Beat it, c'était en février 1983, en pleine folie Billie Jean, alors N°1. Il s'agissait déjà du troisième single issu de l'album Thriller. Un truc de fou, n'est-ce pas ? Ben oui, justement, c'est ça la grande idée de Michael ; faire le même coup que les Beatles près de 20 ans plus tôt. Je vous raconte … Hé oui, l'année précédente, le timide Michael ne s'en était pas caché à Quincy : il voulait réaliser le plus grand disque de tous les temps. Ce qui avait fait sourire son producteur. Mais Quincy respecte, alors on va tout faire pour, en ne lâchant rien. Michael, si tu veux toucher le public blanc, tu devrais faire un titre très rock.Super, j'adore ça. Alors, fais-moi un titre dans le genre My Sharona.Gigantesque tube mondial par le groupe The Knack deux ans plus tôt, même un jazzman comme Quincy Jones le connaît, c'est dire. Alors Michael tape, cogne dans sa tête. Ça doit déménager grave, vrombir, et bien sûr chanter. Et pour bien expliquer ce qu'il veut aux musiciens du groupe Toto qui travaillent avec lui, Michael enregistre tout avec sa voix et ses mains. Alors ça cogne, ça frappe, ça gratte dur ; Michael n'est jamais content, tout est tellement poussé à fond qu'à un moment un baffle se met à brûler. Ce son de ouf de l'intro qui nous a tous marqués d'emblée, c'est Michael qui l'a trouvé. Enfin, il a sauté sur le compositeur Tom Bahler quand il l'a joué sur son Synclavier, le premier synthé numérique. C'est quoi ça, je le veux ; et à nouveau, il le pousse à fond. Quant au gros coup de tom comme un coup de poing de cinéma qui nous a aussi tous interpellés à l'époque, c'est encore Michael qui le trouve quand un objet tombe sur l'étui d'un instrument. Michael bondit aussitôt sur l'objet et le fait retomber dessus. Mais c'est génial, ça ! Bruce, tu peux enregistrer ce bruit ? Alors le fidèle et génial ingénieur du son l'enregistre, on le pousse à bloc, lui aussi, et d'ailleurs vous allez faire pareil pour réécouter le titre, en faisant cette fois à attention à ces fameux sons qui nous sont, avec les décennies, devenus si familiers mais qui à l'époque, étaient inédits. Vous allez voir que vous n'allez plus entendre que ça cette fois, et comprendre pourquoi ces années 80 ont été si incroyables.
Qui aurait dit que les paroles de cette chanson, pardon ce rap, seraient encore chantées toutes générations confondues plus de 40 ans après. En effet, quand le 45 Tours sort chez les disquaires en 1982, dans les salles de cinéma, on projette un film qui s'appelle Blade Runner et qui nous raconte à quoi ressemblera le monde de 2019. Alors en 2025, six ans plus tard, vous pensez bien que plus personne n'aura gardé le souvenir ni de l'air ni de l'histoire de ce mec et de cette fille, en voyage au bout de la nuit. Et pourtant, vous le savez, il y a beau ne plus avoir de disquaires pour mettre la pochette du single de Chagrin d'amour dans leur vitrine, même les jeunes du Millenium la chantent encore. Il est facile aujourd'hui d'en donner les raisons. Chacun fait c'qu'il lui plaît, c'est d'abord le premier rap en français, un titre qui colle aux années 80 qu'on en finit plus de célébrer au XXI° siècle. Et puis il y a le thème universel de la vie solitaire dans les grandes villes, jouant sur le mythe de la décadence urbaine : l'alcool, le sexe, la solitude, le sordide, l'insomnie, les bars interlopes et les petits matins chargés de nicotine. L'auteur de la chanson se nomme Philippe Bourgoin. Dans les années 70, il était parti à New York vivre son rêve de devenir un réalisateur renommé. C'est là qu'il rencontre une Américaine francophile comme on en trouve beaucoup dans les milieux branchés à l'époque. Elle se nomme Valli Kligerman et l'admire, Philippe est un surdoué. Bien qu'il soit en train de terminer ses études, il a déjà signé le scénario d'un film dans lequel jouent Jean Yanne et Jodie Foster. Phil et Valli se plaisent, sortent ensemble et se marient, en cachette. Mais une fois son diplôme obtenu, il rentre en France laissant Valli à New York. Philippe est revenu au pays avec dans la tête une chanson qu'il a écrite plusieurs années auparavant avec son pote Gérard Presgurvic. Ils avaient en vain essayé de vendre à tout le monde cette histoire d'insomnie et de fille de bar, sans succès. Mais lorsqu'il entend la chanson Magnificent Seven des Clash, un rap qui commence par un réveil qui sonne à 7 heures du matin, Philippe se souvient du hip hop de Sugarhill Gang qu'il a découvert quand il était à New York. Il écrit alors Cinq heures du mat, j'ai des frissons et revoit tout le texte en le scandant comme un rappeur. Ce n'est plus du tout la même chanson. Gérard Presgurvic ne compte donc plus l'interpréter, Bourgoin contacte alors Gregory Ken, un gars qui a déjà pas mal bourlingué puisque de guitariste de groupe yéyé dans les sixties, il est devenu un chanteur emblématique des comédies musicales parisiennes dans les années 70. On l'a vu dans Hair, Jesus Christ superstar, Mayflower et Starmania où il interprète Ziggy, à sa création, avec France Gall. Sa femme Valli ayant décidé de le rejoindre à Paris, Bourgoin réécrit la chanson et lui donne le rôle de la fille de bar : le duo Chagrin d'Amour est né et convainc Eddie Barclay.Cette chanson pourtant étonnamment noire et désespérée est un tube énorme notamment grâce à la nouvelle radio jeune NRJ et d'autres radios libres qui diffusent le disque vingt fois par jour. Tout le monde en est dingue, qu'on se reconnaisse ou pas dans la déshérence de l'anti héros. Trois millions de 45 tours vendus plus tard, ce n'est plus un tube, c'est un hymne à notre sombre humanité qui refuse de le prendre avec gravité.
Benjamin Biolay, un nom qu'on commence à entendre par çi, par là en cette année 2000 qu'on a tant attendue au cours du XX° siècle, année surprise où Henri Salvador, l'ancien chanteur comique, vend un million de singles et autant d'albums. Il faut dire que parmi les quatre chansons de sa plume, trois vont sortir en single … Benjamin a travaillé en duo avec Keren Ann, l'artiste dont il a produit le premier album sur lequel il a composé 11 des 13 titres. On a compris que dans le duo, c'est plutôt lui qui tire la partition et pourtant bizarrement, c'est elle que Salvador pousse partout en interview sans le mentionner. Il revient même à Biolay que Salvador le traite de p'tit con. Benjamin ne comprend pas. Alors quand, quelques mois plus tard, vient son tour de sortir son premier (et entre parenthèses extraordinaire) album, il ne se prive pas de dire dans les médias que s'il est un p'tit con, Salvador, c'est un gros connard.Le ton est donné car Benjamin sait qu'il aura le mauvais rôle, lui le bleu, l'inconnu, face à l'ancienne star, l'homme qui a fait rire toute la France et bien au-delà. Et pourtant, ce sont bien ses trouvailles sonores et ses mélodies qui permettent à Salvador d'opérer le retour le plus fracassant et improbable que le show bizness français ait jamais vu. Avec un disque d'or et une victoire de la musique, révélation de l'année, Benjamin succède quelque part au Johnny Hallyday que le même Salvador avait hué sur scène en 1960, criant “sortez-le !” devant un public hilare. Ce n'est pas cela qui va empêcher Biolay de collaborer avec des dizaines d'artistes dont les plus grands. Tous, ou presque. Mais bizarrement son succès personnel va mettre très longtemps avant d'atteindre le rivage du grand public. Il joue devant des demi-salles, nous sommes peu nombreux, début des années 2000 à l'AB et pourtant c'est magique. Ce n'est pas la faute au public, c'est plutôt que Biolay brouille les pistes, ne fait aucune concession aux radios ni à sa maison de disques qui après six ans, finit par ne plus avoir envie de sortir un prochain album. Il faut dire que comme Gainsbourg dans les années 70, son dernier CD, encore une fois centré sur son chagrin d'amour, sa rupture, s'est vendu à moins de 18.000 exemplaires. Alors Benjamin quitte le monde des multinationales, il paye les heures de studio de sa poche pour enregistrer un album qui va lui rapporter deux Victoires de la Musique, Meilleur interprète, Meilleur album, un disque de platine et ses premiers grands classiques. Des titres qui s'aggripent à votre âme et vous tirent des larmes d'émotion. Comme ces Cerfs volants qui en 2001 lui avaient valu la Victoire de la Musique de la révélation musicale de l'année. Tout y était déjà, la mélancolie précoce à la vingtaine, ambiance Perfect Day de Lou Reed, et surtout, déjà, une musique qui n'est pas celle de tout le monde.
Je me demande quand viendra le temps où on dira "les années 20", comme on l'a tant entendu au XX° siècle. Et qu'en dira-t-on ? Ah c'est vrai qu'on parle déjà pas mal des années des années 2000. Elles commencent à dater, mine de rien, non ? Et on en garde de bons souvenirs. Tenez si je vous demande celui que vous gardez de ce clip où un jeune chanteur anglais se déshabillait puis plongeait dans la mer depuis une falaise ? Oui, You're beautiful, par James Blunt. L'idée est géniale. Un sol immaculé et un chanteur qui vous regarde dans les yeux. Il est vachement beau, hein. Mais nous les garçons, bizarrement, on ne le jalouse pas ; c'est pas un Bruel mais plutôt une version romantique de Jim Morrison. On a envie d'être son pote pendant qu'on le voit ôter le haut, ses baskets et ranger toutes ses affaires soigneusement devant lui. Tout ça sous une belle averse et un ciel bien couvert avec quelques oiseaux de mer qui tournent au-dessus de lui. Ah il est bien bâti ce James Blunt, il faut dire que c'est un ancien officier qui a quitté les rangs après avoir fait la guerre des Balkans. Et puis, il y a la musique, ça nous change de la pop dance avec tous ces artistes qui font à peu près la même chose. James Blunt, lui, il joue de la pop à l'ancienne qui n'est pas sans évoquer des Cat Stevens, les Doors avec, il faut bien le dire, une voix en or et un sacré physique. Et donc, on a tous avec le menton qui tombe sur le le sol quand à la fin du clip, ce bon James Blunt se jette dans la mer car voilà, astuce du réalisateur, on ne pouvait pas se rendre compte qu'elle est aussi loin, il n'en finit pas de tomber. On a le clip que le clip aavit été tourné sous la neige d'Ecosse par Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d'Amélie Poulain et de Alien, la résurrection mais il n'en est rien. Non, la vidéo a en réalité été tournée sur l'île de Majorque aux Baléares et s'il ne faisait pas aussi froid, c'était par contre, vachement haut. C'est ce que se dit James Blunt en voyant d'où il va devoir sauter. Non, je ne peux pas faire ça. Mais au vu de l'équipe réunie autour de lui et celle des plongeurs qui l'attend sous l'eau au cas où, il ne se dégonfle pas. Mais voilà, mauvaise nouvelle. La prise est ratée. James est obligé de remettre ça, il ose à nouveau mais s'ouvre la lèvre en touchant l'eau. La prise est bonne cette fois, le chanteur ne regrettera pas son acte héroïque car, comme il a eu l'occasion de le dire, sans cette vidéo, la tournée mondiale se serait résumée à celle du nord de Londres.
Beaucoup aujourd'hui regrettent les années 2000. C'est drôle quand on sait qu'on en rêvait depuis les années 50 mais pas pour les mêmes raisons. La preuve ? Les années 2020, c'est nettement moins bien. Car vous savez ce qu'il y avait de bien dans les années 2000 et qu'il n'y a plus maintenant ? Déjà on pouvait envoyer un Bzzz sur MSN pour réveiller celui ou celle avec qui on discutait mais qu'on sentait distrait, parce qu'il répondait pas. Alors on faisait trembler son ordi. Vous vous souvenez ? Essayez avec Whatsapp, y a pas !Mais bon, plus sérieusement, à cette époque où Star Wars n'avait pas encore été acheté par Disney, franchement on nous l'aurait dit, c'était un truc à mettre dans un sketch, mais bref, dans les années 2000, on a eu Astérix Mission Cléopâtre, Gladiator, Les Seigneur des anneaux, Harry Potter, Pirates des Caraïbes, Love Actually et autres Batman de Christopher Nolan. Et Daniel Craig qui ressuscite James Bond. Bref, de très bonnes raisons d'aller au cinéma. Et puis, qu'on ait 15 ou 30 ans, le lendemain au boulot ou dans la cour de récré, tout le monde avait vu les nouveaux épisodes de Charmed ou de Desperate Housewives. Pourquoi ? Parce que tout le monde regardait les mêmes trois, quatre chaînes de télé. Allez-y aujourd'hui. Vous avez déjà fait le test de vous écrier “Et vous avez vu la nouvelle série ?” et de ne recevoir en retour que des yeux en forme de points d'interrogation, avant de comprendre que vous le ou la seule abonnée à ce site. Et que même ça vous vaut des regards méprisants d'envie. Si, parfois.Et puis, y avait Brice de Nice à la télé. Et la StarAc. Là, c'était sûr que tout le monde avait regardé. Bien sûr, il y avait les pour et les contre. Ceux qui trouvaient ça chouette de retrouver de grandes communions populaires autour de la chanson, alors la disparition des émissions de variétés. Et ceux qui se lamentaient ou se fâchaient sur cette télévision réalité qui sortaient des artistes de nulle part, sans expérience, et les transformaient en stars du jour au lendemain. Mais bon, on allait quand même y chanter car il faut bien vendre le nouveau disque. Enfin, c'est l'occasion que ces années 2000 ont porté de solides nouveaux noms. Dont des étranges. Tenez ce gars qui avait une coiffure reconnaissable de loin comme Jamiroquaï. Ben oui, M. Comme Mathieu Chédid mais M c'est un personnage qu'il s'invente pour se donner en spectacle sur scène, un art qu'il maîtrise avec une vraie musique organique, du funk et du rock, en français. C'est le Ziggy Stardust de David Bowie version Millenium et francophone, évidemment, et une occasion, si pas un espoir, la musique et la création font encore et toujours bon ménage.
Quand on parle des années 2000 aujourd'hui, on entend souvent dire que c'est à cette époque que la musique populaire est arrivée au bout de ce parcours étonnant qu'elle avait fait depuis les années 50. C'est vrai que c'est l'époque où on commence à réécouter ce qui s'est fait avant, que les rappeurs font d'énormes succès en samplant des sons, des gimmicks ou carrément des refrains de vieux morceaux. L'ère du recyclage aurait commencé au moment du 2.0 avec les machines qui rendent tout tellement plus simple, tellement moins cher aussi. Alors, le duo français formé par Thomas et Guy-Manuel qui se sont lancés dans la dance la décennie précédente serait-elle venue ? Ces deux gars qui bricolent chez eux des grooves mixés avec des sons très seventies dont le célèbre (mais oublié) Vocorder sont-ils destinés à dominer le marché mondial de la musique. C'est qu'ils viennent de loin, ces deux lascars mais avec un sacré bagage. Ils sont potes depuis l'adolescence, le lycée quand ils forment un groupe nommé Darlin' et qui sonne grunge comme la plupart des jeunes formations dans le sillage de Nirvana. Un label anglais indépendant sort leur single qui ne se vend guère. Darlin' ne trouvant pas sa place sur la scène française, Laurent, le troisième larron du trio, quitte l'aventure et formera bientôt Phoenix, le groupe de rock français le plus célèbre dans le monde que vous n'avez pas pu rater lors de la cérémonie de clôture des JO de Paris. C'est dire le concentré de destins et de génie qu'il y a dans ce trio qui n'a pourtant pas giclé bien loin. Franchement, ce serait arrivé à des Anglais ou des Américains, tout le monde aurait entendu parler de cette histoire et considérerait aujourd'hui le 45 Tours de Darlin' comme culte. Mais bref !Voilà donc le duo de copains à la recherche d'un nouveau projet. Mais pourquoi aller chercher ce qu'ils ont déjà et ne pas rester à deux ? Compliqué de faire du rock à deux mais justement, la musique est à cette époque encore en pleine explosion et surtout en mutation. On parle maintenant de techno, de house, bref des trucs qu'on peut faire à la maison sur des synthés et des ordinateurs. Comme nom, ils se sont choisis une expression créée par un journaliste anglais du magazine spécialisé Melody Maker pour qualifier la musique de l'ancien groupe dans lequel ils avaient joué : Daft Punk Thrash, punk idiot pourri. On enlève le thrash et le tour est joué : voilà un nom qui sonne dans toutes les langues. La réussite de leur premier album est étonnante mais annonciatrice de ce nouveau monde, 2 millions d'exemplaires vendus grâce au clip de Around the world réalisé par Michel Gondry, futur réalisateur du film culte Eternal sunshine of the spotless mind avec Jim Carrey. On entend aussi des choses étonnantes comme Dee-Lite qui jouent énormément sur le vintage et remettent des vieux sons à la mode d'aujourd'hui. Et ça, mettre l'ambiance, c'est un truc qu'on connaît bien dans la famille de Thomas puisque son père, Daniel Bangalter a dans les années septante sous le pseudo de Daniel Vangarde travaillé avec Ottawan, Sheila ou encore les Gibson Brothers. La voie est donc toute trouvée, le disco façon années 2000, pourquoi pas, Daft Punk va mettre la recette de cette musique oubliée en orbite dans le monde connecté.
Le Millenium ! Il y a 25 ans tout rond, nous venions de le passer, ce fameux réveillon de l'an 2000 qui allait être le truc le plus extraordinaire jamais vu et que finalement … bon vous savez. Du moins pour ceux qui étaient déjà en âge de faire réveillon, de rester éveillé jusqu'au 31 décembre 1999 à 23 heures 59.Et franchement, combien ont dit : J'ai bien réfléchi, partez sans moi, je reste au XX° siècle ! Je vous rejoindrai p't'être. Ils auraient eu tort, hein ? Ils auraient raté les smartphones et la révolution du numérique qui s'est installée dans nos vies quotidiennes à coup de réseaux sociaux, d'infos et d'images en tout genre. Non, pas sûr que beaucoup d'auteurs de science-fiction des années 50 à 70 qui nous ont fait rêver avec leurs mondes futurs aient vu venir cette génération perpétuellement collée à une petit planche électronique qui tient dans la poche. Je n'exagère pas. De 2001, où on était censé partir en odyssée dans l'espace à 2010, on est passé de 500 millions de personnes possédant un GSM à 4 milliards six cents millions. Voilà qui a changé nos sociétés et notre vie. Connectée qu'ils disent. Aux autres, au monde, disent les optimistes, à un monde virtuel, en d'autres mots “pas la vraie vie” disent les autres.C'est vrai qu'on ne regarde plus les disques tourner en écoutant la musique qui est devenue un fond sonore et non plus une occupation. C'est vrai aussi qu'on ne doit plus attendre le journal télé du soir pour connaître les infos du jour. Et c'est vrai qu'on peut même regarder des films et écouter de la musique sans avoir à payer (et entre parenthèses en toute illégalité). On peut même parler à certains d'entre eux sur un site nommé MySpace. C'est étonnant mais ils y ont ouvert chacun leur compte pour y déposer des sons, des photos, des images, des infos et parfois, ils répondent à vos messages. Ca fait tout drôle d'être dans son espace, un contact direct avec un musicien ou une chanteuse. Le nombre des chaînes télés explose sur nos téléviseurs, les jeux vidéos passent en haute définition, l'internet en haut débit (vous vous souvenez des 4 lettres ADSL?), les films deviennent des séries de Harry Potter aux Super Héros Marvel, DC Comics et autres. Un besoin de super héros sans doute rassurant avec la montée de super méchants, bien ancrés dans le monde réel, eux. Et donc, un nouveau monde baptisé 2.0 s'éveille comme en témoigne ces nouveaux leaders héros entrepreneurs, comme Bill Gates et Steve Jobs. Des nouveaux leaders et des nouvelles stars, nées à la fin des années 80, et qui ont grandi dans ce nouveau monde digital avec Toy Story comme la jeune Taylor Swift, 18 ans et déjà un deuxième album. Les lendemains qui chantent toujours dans cette nouvelle ère, avec cette nouvelle version de Roméo et Juliette qui vont finalement se marier et qui vont hisser son interprète à un niveau jamais atteint par une chanteuse dans le coeur du public.
L'histoire d'amour la plus emblématique des années 90 est loin d'être fleur bleue puisque c'est celle de Kurt Cobain, chanteur et éminence grise de Nirvana, et de Courtney Love. A côté d'eux, les exactions de Tommy Lee et de Pamela Anderson, c'est du sirop pour contes de fées. Inutile de vous rappeler tout ce qui a noirci les colonnes des journaux et magazines people à coups de beuveries, bagarres, consommations d'héroïne, dope et autres tentatives de désintoxication. Ceux qui ont parlé d'autodestruction et d'autoroute vers l'enfer n'étaient pas loin du compte.Est-ce l'époque assombrie par les mouvements grunge et électro du début de la décennie, gigantesque gueule de bois de l'après années 80 ou est-ce tout simplement la région d'où ils venaient tous les deux, désespérante pour la jeunesse. Cet état de Washington dans le nord-ouest de l'Amérique, coincé sous la frontière avec le Canada, qu'on imagine gelé tout l'hiver mais non, il y fait très rarement froid. Entre les vastes forêts et le courant chaud charrié par l'océan, il y pleut quasiment toute l'année. On dirait que tout pourrit sur place dès l'adolescence. Alors on pense à la légende de Kurt Cobain, qui aurait vécu SDF sous un pont, mais qui en fait a trouvé une petite amie qui travaille pour eux deux. C'est elle qui paie toutes les factures alors qu'il zone dans son plumard, puis quand elle rentre, part répéter avec ses potes musiciens. Et enfin quand la sauce rock commence à prendre, il lui dit que c'est terminé, n'osant pas lui avouer qu'il est tombé amoureux d'une punkette nommée Tobi Vail. Mais avec qui il ne réussit pas à construire une histoire, il y a juste un flirt, pas plus, mais il va en souffrir, baliser, obsédé par l'image de cette fille qui est pour lui la rockeuse absolue, l'idéal féminin.Et donc ce soir de 1990 où Kurt se trouve à Portland dans une boîte de nuit, après la sortie du premier album de Nirvana et qu'il s'apprête à monter sur scène, cette fille-là, plus grande et plus forte que lui, lui fait diablement penser à Tobi. Mais voilà qu'elle se fout de sa balle et puis ta petite amie est grosse. Alors Kurt lui saute dessus, ils s'empoignent, jusqu'à tomber par terre, là, devant le juke box qui joue la chanson préférée de cette sublime apparition. Et puis ils s'embrassent, baignant dans une flaque de bière. Kurt voudrait aller plus loin après le concert mais cette sacrée nana prénommée Courtney, musicienne, elle aussi, disparaît comme elle est apparue. Et voilà Kurt avec un visage en tête, perdu dans une nouvelle passion à sens unique, mais dans l'ignorance que Courtney suit toute son ascension dans la presse. Tout va alors très vite pour Nirvana. Surtout que Dave Grohl, le batteur, sort avec la meilleure amie de Courtney et qu'il lui apprend qu'elle a un crush pour lui. Ouais mon vieux, le soir où tu l'as rencontrée, cela faisait des mois qu'elle avait eu un flash en nous voyant jouer. Mais elle est comme ça, elle ne sait pas comment faire avec les mecs qui lui plaisent. La prochaine fois qu'il la croise, c'est sûr, Kurt ne ratera pas le train.
Ce 9 octobre 1966 au soir, nous allons assister à un de ces moments qui ont compté énormément dans la légende de notre pop culture mais dont bien évidemment aucun des acteurs n'a alors conscience. En effet, Marianne Faithfull, 19 ans mais déjà un mariage raté, un enfant et quelques disques à son actif, est venue à Bristol voir jouer les Rolling Stones. Mais que fait-elle là, en coulisses, alors qu'elle s'approche de Mick Jagger en plein cours de danse avec Tina Turner qui le traite de nul en le rabrouant. Marianne se demande pourquoi elle s'est tapée la route jusque-là, Jagger n'est pas son type. Deux ans plus tôt, quand le manager et producteur des Stones l'a découverte et lui a proposé une chanson signée Jagger-Richards, le contact avec Mick avait été peu probant lors de leur unique rencontre. Elle se revoit monter dans le taxi en sortant du studio et Mick lui proposer de s'asseoir sur ses genoux. Elle a 17 ans, une éducation aristocratique héritée de sa mère, c'est hors de question. Et Mick de ne rien trouver de mieux que de renverser exprès du champagne sur sa robe. Heureusement que Marianne ignore que son producteur l'a convaincu d'écrire une chanson pour elle avec ces mots : Tu vas voir mon vieux, c'est un ange avec une grosse paire de nichons.Il est vrai que les Stones ne sont pas réputés pour leur poésie. C'est une sacrée bande de gamins attardés arrivés de nulle part dans un monde qui leur offre tout au milieu de cette décennie de dingues. Ah il y a bien Keith Richard, le taiseux, pour plaire à Marianne. Il lui plaît vachement, en fait. Bref, après le concert, tout le monde rentre à l'hôtel, Marianne assiste au bazar de toute la bande dans la chambre de Mick. Ça s'agite beaucoup au début puis ça se calme. Brian Jones et sa copine Anita Pallenberg finissent par partir, suivis par Keith qui en fait se meurt d'amour pour Anita, c'est foutu pour Marianne. Quatre du mat, il ne reste plus dans la chambre que Mick, évidemment, Marianne et une danseuse-choriste de Ike et Tina Turner qui se verrait bien finir la nuit avec Mick Jagger. Mais au bout d'un moment, comprenant qu'elle est de trop, elle s'en va, elle aussi. Alors quand Mick se met à la regarder avec les yeux du Grosminet qui va dévorer Titi, Marianne lui propose d'aller faire un tour dans le parc de l'hôtel. Il est joli, non ? Et puis, Bristol, c'est beau, la nuit. Marianne a capté dans les discussions que Mick allait rompre avec Chrissie, son officielle, car il avait l'actrice Julie Christie dans le viseur. Julie Christie, c'est Lara, l'amour de Omar Sharif dans Le docteur Jivago, l'immense succès du moment aux six Oscars. Non, Marianne ne fera pas office de biscuit cette nuit, pas question. Mais voilà, au fil de la conversation, celui qu'elle prenait pour un sale gamin, la charme en répondant à ses questions sur la légende du Roi Arthur, pilier de la littérature anglo-saxonne. Et tel Lancelot pour sa Guenièvre, de retour dans la chambre, Mick se montre prévenant en mettant ses petites chaussures percées par la rosée, à sécher sur le radiateur. On est loin de la brutalité des Stones, là. Mick va appeler Marianne et lui rendre visite de plus en plus régulièrement dans son appartement londonien. Pas de Julie Christie, Mick et Marianne vont devenir le couple emblématique du Swinging London. On ne parlera pas de la fin, on va en rester à “ils furent heureux”, c'est mieux non ?
Il fut un temps où on considérait que les histoires d'amour compliquées, qu'on jugeait sordides, ne pouvaient se produire que dans le monde de la musique et du cinéma. Il n'en était rien, évidemment, juste le fait, non négligeable que le scandale faisant vendre, ces histoires étaient médiatisées à l'extrême. Et au milieu des années 70, où le divorce se porte encore en société comme une bosse sur le dos, c'est un drame quand un coup de foudre tombe sur une personne publique. Surtout quand elle vient de se marier. Je devrais dire quand ils viennent de se marier. Comment Charlotte Rampling et Jean-Michel Jarre pourraient-ils se douter que ce soir de mai 1976, ils vont tomber amoureux. Charlotte est l'actrice fascinante en vue, connue pour des rôles marquants au cinéma dans des films qui ont fait parler d'eux comme le dernier, le sulfureux Portier de nuit. Mariée depuis quatre ans au comédien Bryan Southcombe, elle vit désormais à la Côte d'Azur pour échapper au fisc britannique, comme les Rolling Stones. C'est ainsi qu'elle se trouve invitée ce soir dans un restaurant de St Tropez par l'agent artistique de Patrick Juvet qui vient de terminer un nouvel album prometteur au casting cinq étoiles. L'actrice fait donc la rencontre ce soir-là du parolier de Patrick Juvet qui est aussi celui de Christophe et dont tout le monde a en tête la chanson parue il y a peu … Le jeune musicien de 27 ans, car il est musicien aussi, il est d'ailleurs le fils du célébrissime compositeur oscarisé, se montre très loquace, drôle, en fait, Charlotte le trouve magnétique et rentre chez elle ce soir-là, très troublée. Mais pas autant que Jean-Michel car lui, est bouleversé. Il confie d'ailleurs son désespoir à Patrick Juvet car il est marié, lui aussi, et depuis un an. Et même si son mariage ne fonctionne pas, ça ne se fait pas. Mais de retour chez lui, quelques jours plus tard, Jean-Michel apprend la présence de Charlotte Rampling à Paris pour la promotion d'un film où elle donne la réplique à Robert Mitchum dont c'est le retour en force. Jean-Michel craque, l'appelle et la retrouve à son hôtel où ils restent cachés durant tout le week-end. A son retour, son mari ayant deviné qu'il s'était passé quelque chose, se fâche, Charlotte s'enfuit à Paris, Jean-Michel quitte le domicile conjugal et ils s'installent tous deux chez sa mère.Charlotte et Jean-Michel ne se cachent plus, l'affaire fait grand bruit jusqu'au divorce puisqu'ils n'hésitent pas à s'afficher ensemble lors du Festival de Cannes. Jean-Michel est alors occupé à enregistrer un disque instrumental qui de l'avis de son entourage est bien barré. Mais Charlotte l'écoute fascinée et lui annonce que ce ne sera pas facile : ce sera soit un échec retentissant, soit un triomphe sans précédent. L'histoire de cet amour naissant semble liée à celle de ce disque dont au départ personne ne veut et puis que tout le monde va prendre pour modèle, une bouffée d'oxygène.
Je ne sais plus qui a écrit : il n'y a que deux types d'histoires, un homme tombe amoureux d'une femme et un type arrive en ville. Et c'est vrai que des deux, celle qui émeut le plus, c'est la Love Story. Et qu'il y en a eu des légendaires dans l'histoire du showbizness, voulues et entretenues dans les médias, ou pas. Regardez John Lennon, rien que prononcer son nom, vous pensez déjà à Yoko Ono. Et pourtant, il a connu une sacrée histoire d'amour avant, et une belle. Je vous raconte ?Nous sommes à Liverpool en 1957. Quinze ans après avoir été ravagée par les bombardements, il y règne enfin une nouvelle joie de vivre avec la fin de la reconstruction. Surtout pour les adolescents. Bien que le quotidien soit difficile pour le monde ouvrier, c'est le règne de la débrouille comme chez les Powell. Cynthia, 17 ans, orpheline de père depuis peu, ne doit d'être inscrite à la grande école d'art de Liverpool qu'au fait que sa mère loue une partie de leur petite maison à quatre ouvriers.Les mois passent, Cynthia change, se laisse pousser les cheveux et ne porte ses lunettes à grosses montures que pour lire au tableau. Bon, elle ne descend pas toujours au bon arrêt de bus mais elle est plus avenante comme ça. D'ailleurs ce matin, le cours va débuter quand un jeune gars coiffé comme Elvis Presley déboule dans la classe, les mains dans les poches et le regard animal. Il se dirige vers le banc libre, juste derrière Cynthia et, après l'avoir frôlée, il s'effondre sur la chaise, puis lui tape sur l'épaule en disant, Salut, moi, c'est John ! Auquel elle répond par un Cynthia, en souriant, mais très vite car le prof qui a commencé son cours lui jette un regard en sourcillant.John emprunte du matériel de Cynthia dont il se sert à peine, il fait plus marrer la classe que travailler. En clair, il a atterri dans cette classe car les autres profs ne veulent plus de lui. Il est en fait tout ce qu'elle n'est pas, il se fout des cours, est effronté comme pas permis et ne pense qu'à attirer l'attention sur lui. Mais quand il vient avec sa guitare et chante entre les cours, ce n'est plus le même gars, il a une lueur dans le regard quand elle le croise qui la fait craquer. Ce n'est vraiment pas un type pour toi, lui dit sa meilleure amie. Et c'est vrai qu'il ne la calcule pas, il faut dire que leurs univers sont si différents. M'enfin, elle apprend qu'il est aussi orphelin depuis peu, comme elle, et qu'ils sont myopes tous les deux, et le cachent !Alors quand Cynthia se rend à une fête de fin d'année, devenue blonde et coiffée comme Brigitte Bardot, car elle a entendu John dire qu'il en était sot, toute de noire vêtue, comme lui, la jeune fille timide n'en revient pas de le voir arriver au pub. Mais la soirée se passe sans qu'il ne vienne vers elle, très occupé à amuser la galerie. Tu viens, Cynthia, on y va, on va rater le 72. Et alors que Cynthia met la main sur la poignée de porte, on la retient. C'est John qui lui demande de rester. Cynthia regarde son amie qui lui dit non du regard, mais elle reste, esquissant un sourire en guise d'excuse. Deux verres passent, de nombreuses phrases s'échangent puis John propose d'y aller. Où ? La chambre d'étudiant d'un copain. En sortant, la tranquillité de la rue tranche avec la cohue dans le pub, John en profite pour donner un long, passionné et irrésistible baiser à celle qui dans six ans sera connue dans le monde entier sous le nom de Cynthia Lennon, la maman de Julian.
Il était une fois la Motown, probablement la plus belle légende à raconter pour une firme de disques, familiale, avec un patriarche au milieu, démarrant dans une ville improbable, Détroit, la cité de l'automobile. Succès gigantesque dès le début des années 60, on ne compte plus les noms des stars qui en sortent : Marvin Gaye, Stevie Wonder, les Temptations, Four Tops, Supremes, Diana Ross, les Jackson Five, les Commodores. Mais voilà, au début des années 80, la musique noire explose sur la scène mondiale avec la fin du disco. Le monde s'est mis à danser et la Motown, portée par le retour inespéré de Diana Ross et de Stevie Wonder qui avaient été en retrait durant la mode disco, ne voit pas venir l'essoufflement de ses troupes. C'est vrai qu'ils sont tous là depuis les sixties. C'est aussi le cas pour les Commodores, alors Berry leur conseille de prendre une année sabbatique. Ca ne pouvait pas mieux tomber pour Lionel qui multiplie alors les collaborations et bascule du côté blanc du métier. En 1982 son premier album solo qui ne doit n'être qu'une parenthèse, sort chez A&M, une firme de Los Angeles, celle qui édite, entre autres, The Police, LE groupe du moment. Lionel ne reviendra pas dans le giron des Commodores et de la Motown, ils vont devoir continuer sans lui.Oui, le métier du disque a changé. Terminée la toute puissance des firmes du nord-est New York, Chicago, Detroit, tout se joue désormais à Los Angeles. Et c'est là que se trouve Lionel, avec son ami Michael Jackson. On comprend qu'il ait été vite question quand il a été demandé au duo de copains Lionel Richie et Kenny Rogers de faire une chanson pour l'Ethiopie en 1985, d'aller chercher Michael et Quincy Jones. Et quarante ans après, on a du mal à imaginer combien Lionel Richie, associé à Michael Jackson et Kenny Rogers, pesait lourd sur le marché mondial du disque. Ils cumulent à eux trois 800 millions de disques vendus. Aux JO de Los Angeles, qui invite les athlètes et le monde entier à faire la fête toute la nuit, c'est Lionel, qui aura récolté 15 hits mondiaux en solo sans compter les collaborations ni le fameux We are the world.C'est là qu'on va comprendre pourquoi Lionel Richie reste un des artistes phare des années 80, il marque une pause pour profiter de la vie et aussi pour d'autres raisons matrimoniales. Mais comme souvent, s'arrêter, c'est laisser le monde changer sans vous et donc, vous oublier. C'est ce qui est arrivé. Revenu en 1996, Lionel Richie ne retrouvera pas le chemin des sommets, ni avec cet album, ni avec les suivants. N'empêche l'histoire est belle, elle a été longue, et aujourd'hui, Lionel Richie fait à nouveau recette avec un public qui prend en compte la carrière d'un artiste plus que le succès du moment, conscient de la futilité d'un tube qui bien souvent, est sans lendemain.
Une guitare légère au son très large, un groove rond, le son des Commodores est à nul autre pareil, il colle aux années 70 comme un film de l'Inspecteur Harry. Et quand vient le basculement dans les années 80 et que le disco disparaît, l'Europe alors totalement conquise par la soul music découvre les trois plus grands groupes américains d'un genre jusque-là confidentiel, le funk : ils se nomment Earth Wind & Fire, les Jacksons et bien sûr les Commodores. Mais étonnamment, aussi énorme que soit le son de ce qui est déjà leur dixième album et la qualité des chansons, les Commodores sont à la traîne, complètement éclipsés derrière les deux autres. Et doit-on parler du succès de Michael Jackson en solo !Alors en 1982, le groupe décide d'une pause, après quinze années de tournées et de disques non stop. Pour la première fois, il va y avoir une année sans album des Commodores. Est-ce un hasard si c'est celle où paraît le Thriller de Michael Jackson, qui est l'ami et le cadet de Lionel Richie, il a neuf ans de moins que lui, ce qui, quand on a 24 ans, compte quand même ! On dit toujours qu'il n'y a pas de hasard. Un plus tôt, était sorti un single du chanteur country Kenny Rogers, un concept qui semble fou au départ puisqu'il s'agit de métisser ce genre 100% blanc avec la musique soul. Et qui a été le plus grand crooner côté black dans les années 70 ? Lionel Richie des Commodores. Ecrire pour un autre ne lui pose pas de problème, il le fait pour Walter Orange l'autre chanteur des Commodores et a déjà eu un N°1 avec une chanson écrite pour les Temptations. Et puis c'est dans ce registre que les deux hommes peuvent se rencontrer le plus facilement. Et c'est vrai que cette année-là, quand on a entendu Lady pour la première fois à la radio, on a eu une hésitation. C'est Lionel Richie, ah non, si, non. C'est le jackpot, pour la première fois, une chanson est N°1 dans les quatre catégories du Billboard américain : Adult, R&B, Country et bien sûr, le Hot 100, celui qui cumule tout. De là à inspirer Michael Jackson dans sa quête de conquérir le public blanc, il n'y a qu'un pas.Mais Lionel Richie n'en reste pas là car il se fend aussi d'un duo avec la meilleure amie de Michael, Diana Ross, dont la carrière a été reboostée par la pléiade de tubes offerts par le groupe chic, nouveau et dernier groupe noir américain à avoir conquis le public blanc. En plus, c'est la chanson d'un film avec Brooke Shields, tiens, tiens. Oui, il y a une voie royale qui vient de s'ouvrir au discret Lionel Richie. Son heure est venue. Il vient d'ailleurs d'être pris en charge par le manager de Kenny Rogers, un blanc qui tient le métier du disque à Los Angeles dans les mains. Un gars sympa qui n'a pas la grosse tête car elle est bien faite et qui lui a tenu ces propos : “Tu vois, Lionel, ton problème, c'est que les gens connaissent tes chansons mais pas ton nom. Je vais régler ça.” Lionel ne retournera jamais chez les Commodores.
Si quand il a crevé les écrans de télé dans les années 80, on vous avait dit comme ça d'un bloc que la carrière de Lionel Richie avait débuté dans les années 60, vous ne l'auriez pas cru. C'est vrai, il semblait être tellement de notre époque, comme Prince. Et pourtant c'est vrai que cette histoire avait commencé au milieu des années 60 avec son groupe les Commodores formé sur le campus d'une université de l'Alabama. Les choses avaient été assez vite puisque le groupe signe en 1968 sur le légendaire label R'N'B, Atlantic, celui qui avait révélé Ray Charles. La voie royale. Les Commodores sont alors déjà une fameuse bande avec un chanteur batteur du nom de Walter Orange. Si on entend la voix de Lionel Richie sur le premier album des Commodores, ce n'est que dans les chœurs puisqu'on le retrouve alors principalement aux claviers et au saxophone, il compose d'ailleurs les partitions de cuivres. Sans doute la raison pour laquelle Lionel se trouve au centre des six musiciens sur la pochette en noir et blanc de ce 33 Tours qui commence comme ceci ... on dirait un générique, n'est-ce pas ? Et justement, on va entendre ce morceau instrumental des Commodores un peu partout à la radio et la télé en générique d'émission et bingo, le voilà qui monte dans les charts. Et l'album qui porte d'ailleurs le nom de ce titre se termine par deux chansons signées Lionel Richie. C'est alors que Walter lui-même, convainc Lionel de se lancer en chantant ses propres compositions sur l'album suivant car dit-il, si tu as aussi un excellent sens du swing, tu es un bien meilleur crooner que moi. Et en 1975, les Commodores connaissent un premier grand hit américain, cette fois chez la Motown, et avec la voix de Lionel Richie. Il s'intitule Slippery when wet, … sympa hein ? Et quel groove ! On se croirait dans un film de Tarantino, c'est pas un hasard, c'est un fan, … En tout cas ce titre écrit et interprété par Lionel Richie propulse les Commodores au niveau de leurs compatriotes d'Earth, Wind & Fire. N°1 des charts R&B, une nouvelle étoile est née, en tout cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la France, la Belgique demeurent encore hermétique à cette musique qui n'a pas encore conquis Paris. Mais cela ne va pas tarder car au fil des ans, les morceaux pops côtoient de plus en plus les titres funks sur les albums des Commodores imposant Lionel Richie comme le nouveau crooner, quelque part entre Elvis Presley et Frank Sinatra. Ce type a tout pour plaire, les hits qui s'accumulent le prouvent. Seul ombre au tableau, comme c'est le cas pour Earth Wind & Fire ou Kool & the Gang, les gens ne connaissent pas le nom des musiciens des Commodores. C'est pas le même star system que pour les rockers. Il va falloir changer ça et justement, c'est ce qui va arriver à Lionel Richie au début des années 80.
On connaît tous la voix et le nom de Lionel Richie. Star des années 80, comme Phil Collins, il est issu d'un groupe et voilà qu'au début de la décennie, ils alignent tous deux les disques solos, les duos et écrivent, produisent pour d'autres artistes. Et pourtant, il s'en est fallu de peu pour que nous n'entendions jamais parler de lui dans notre Europe, si lointaine de son Etat d'Alabama, où il est né Lionel Brockman Richie Jr. Alabama, rien que le nom, on imagine les plaines, les déserts, les grands troupeaux de vaches et les cowboys. Mais en Alabama, il y a de grandes villes et des universités où Lionel a grandi dans les années 50. Chaque communauté vit de son côté mais ça n'empêche pas sa grand-mère d'être une pianiste classique renommée et sa maman d'être enseignante, principale d'une école et puis son père aussi, IT dans l'US Army. Non, Lionel ne vient pas d'un milieu défavorisé. Il entame d'ailleurs au milieu des années 60 des études de sciences économiques et obtient un diplôme de bachelier. Et après ça ? Ben il y pense depuis un certain temps, il se voit bien devenir prêtre dans la puissante église protestante épiscopale. Ah, il pourra utiliser les talents de chanteur et de musicien qu'il a développés grâce à sa grand-mère, le dimanche lors des offices ! Mais bon, je ne vais pas tirer l'affaire en longueur puisque vous connaissez la suite, la vie sur le campus et son appartenance à la plus grande fraternité estudiantine ont fait découvrir à Lionel d'autres horizons. A tel point qu'il finit par se dire qu'il n'est pas taillé dans le bois dont on fait un prêtre. Alors ? Ben alors il se verrait bien continuer dans la musique car à l'université, les gars qui font de la musique et les occasions de jouer ne manquent pas le samedi soir. Le groupe de Lionel se nomme les Commodores, ils sont six, et Lionel n'en est pas le chanteur, non, le chanteur c'est un certain James Ingram, non rien n'à voir, c'est un homonyme, de toute façon, il ne reste pas car en 1968, il est appelé sous les drapeaux au Vietnam. Aussitôt remplacé par un certain Walter Orange, batteur, mais qui devient la voix principale des Commodores. Un Walter Orange qui après quelque temps convainc Lionel qu'il a un fameux talent, il est donc convenu que les Commodores auront deux chanteurs, ce qui n'a rien d'exceptionnel, regardez les Beatles. Le premier hit des Commodres, en 1974, est signé Lionel Richie, un instrumental repris en générique d'émissions de télé, en B.O. de film, de séries. Mais au fil des albums qui se succèdent à une vitesse ahurissante, le moment attendu sur le nouveau 33 Tours est toujours la ou les ballades signées et chantées par Lionel Richie. Tant et si bien qu'en 1980 lorsque paraît l'album X, et oui, dix en six ans ou presque, Lionel a déjà à son répertoire une solide liste de succès et de classiques. D'ailleurs qui n'a pas été étonné d'apprendre au début des années 90 que l'énorme tube du groupe rock Faith No More était un simple cover des Commodores signé Lionel Richie. Et qui est depuis, devenu familier à tout un chacun. Et ben non, ça n'avait pas charté chez nous à l'époque.
Lionel Richie est une des grandes figures de la musique populaire. Une évidence. Le crooner noir qui sait aussi bien écrire des chansons qu'il les chante, et qu'on a tous immédiatement en tête. Des chansons des années 80, une étiquette qu'il doit au succès gigantesque qu'il a remporté durant cette décennie qu'il a marquée d'or et de diamant avec Michael Jackson, Prince et Whitney Houston. Et pourtant, comme Michael Jackson, Lionel Richie est au départ un artiste des années 70. Un de ces musiciens qui a marqué la soul à une époque où le marché du disque est encore séparé, où les Afro Américains possèdent leurs propres charts, leurs propres émissions de télé et radio. Il y a certes un public blanc pour acheter leurs disques mais la grande majorité ne semble pas concernée avant l'arrivée d'un Barry White qui reste longtemps une exception dans le paysage. Oui, la soul music reste quelque part dans l'ombre des grands jazzmen comme Miles Davis qui ont réussi dans le passé à briser le mur mais à la fin des années 70, avec la folie du disco, les choses semblent changer, le mur est en train de se fissurer, chose dont le jeune Michael Jackson, vingt ans mais déjà plus de dix années de métier, compte bien profiter. Michael veut devenir N°1 en conquérant le public blanc car oui, c'est possible. Ainsi le chanteur country, Kenny Rogers, immense star américaine, ne vient-il pas en 1980 de faire un immense tube avec une chanson écrite et produite par Lionel Richie.Lionel Richie, c'est le type que personne n'a vu venir. A la fin des années 60, s'il forme un groupe avec des copains, c'est parce que ça le fait auprès des filles de jouer de la musique dans un band. Lionel n'est pas le chanteur, non, c'est Walter, la voix groove des Commodores. Car le truc de Lionel, c'est sa voix suave pour chanter les slows, le reste du temps, il souffle dans son saxophone. Et ça marche. Enfin, ça marche, … gentiment. Pas comme les Jackson Five qui sont les stars de la Motown, le label de disques soul sur lequel ils ont signé eux aussi. Les cinq premiers singles des Jackson Five sont N°1, du jamais vu depuis les Beatles, alors en concert, ce sont les Commodores qui ouvrent les spectacles avant les frères Jackson. Mais avec le temps ils deviennent un sacré groupe de scène et ô surprise, en 1974, ça y est, ils tiennent leur premier tube, dans les charts R'N'B mais quand même, c'est un sacré marché et un sacré groove ce Machine Gun. Lionel aligne alors chaque année un ou deux succès par album des Commodores dont un inévitable slow qu'on se surprend à espérer à chaque sortie comme cet extraordinaire Still, en 1977, sur ce qui est déjà leur cinquième album.
Au milieu des années 90, tout le monde regarde la télé le soir, l'après-midi, et même le matin car ça y est, les programmes tournent 24 heures sur 24. On va oublier progressivement ce qu'est la mire avec ce son si poétique … et puis aussi les génériques de début et de fin des programmes dont l'un a rendu célèbre un artiste … Et puis comment oublier celui de la télé américaine dans Poltergeist, le film de Spielberg et Tobe Hopper … Alors qu'est-ce qu'ils regardent, tous ces gens ? Ben s'ils sont mômes, les émissions de Dorothée, et s'ils sont adolescents aussi, des sitcoms, pas de Dorothée, hein, mais c'est la même équipe de production derrière. De toute façon, dans les années 90, tout le monde regarde TF1, c'est là que ça brille le plus. Enfin, pas tout le monde. Il y a Nulle Part ailleurs le soir sur Canal avec une bande de grands malades comme Les Nuls, Les Guignols et le duo Antoine de Caunes et José Garcia … et le week-end sur M6, la petite chaîne qui monte, dirigée par le frère de Michel Drucker, il y a Thierry Ardisson qui sévit déjà. Je devrais dire qui sévit toujours. Il produit notamment La nuit la plus Love : la 1ère coupe du monde de la séduction. Pourquoi ça ne vous étonne pas ? C'est dans cette émission qu'une directrice de la chaîne remarque une jeune femme qui a ce quelque chose que la majorité n'a pas. Elle a tout ce qui faut pour faire tourner une émission de télé et surtout amener du monde. Les deux femmes se parlent et quelques semaines plus tard, Ophélie Winter commence à animer une émission de M6 au départ essentiellement musicale : Hit Machine. Et autant on va très vite parler d'Ophélie Winter dans tous les magazines télé etsurtout dans toutes les écoles, autant on ignore qu'elle n'est pas une nouvelle venue. Car non, ce n'est pas un pseudonyme. Ou plutôt si, mais c'était celui de son père, un Hollandais qui a roulé sa bosse dans le monde, puis venu à Paris, avait commis un ou deux succès à l'époque des Yéyés, est même allé à l'Eurovision au début des années 70, avant de disparaître définitivement aux Etats-Unis. Mais voilà, comme beaucoup d'artistes venus de l'étranger, ils se reconnaîtront, David Alexandre Winter a laissé un petit garçon nommé Mickaël et une petite fille nommée Ophélie dont la maman est une ex-Miss française. Les chiens ne font pas de chats, Ophélie est très belle, devient mannequin, s'essaie à la chanson une paire de fois avec divers producteurs mais sans succès avant ce jour où elle participe à l'émission de Thierry Ardisson, elle n'a alors pourtant que 20 ans. Si on se souvient que Ophélie va présenter l'émission Dance Machine avec son frère Mickaël, on a surtout retenu les singles qu'elle va sortir à cette époque et qui vont faire d'elle la personnalité la plus en vue de ce milieu de décennie. Back to 1995, avec Ophélie Winter, c'était quand même vachement bien balancé, non ?
Retour en 1995. S'il y a un film de cette année qui réunit tout le monde cette année-là, c'est bien Le Roi Lion. Qu'on l'ait vu avec des yeux d'enfant, d'adolescent ou de parent, on y est tous passé ou presque. Et je ne parle pas de la cassette vidéo qui a suivi et tourné, tourné, tourné mille fois. Chouette invention, hein, pour les mômes, mais pour les parents, dix fois, la même scène, c'est un sacerdoce. Mais bref, N°1 au Box Office mondial, Disney n'avait plus connu ça depuis les années 70. La traversée du désert a été longue, mais les aventures de Simba, Timon et Pumbaa sur fond de tragédie shakespearienne, c'est une trouvaille. Et qui a un effet collatéral puisqu'il marque aussi le retour d'Elton John sous unepluie des disques d'or et de platine. Ah ça faisait longtemps aussi, une petite dizaine d'années malgré une production toujours aussi dense, quasiment un album par an. Oui, avec les années, ça y était, Elton John n'était plus acheté par les jeunes mais par une partie seulement de ceux qui en avaient été les fans du début des années 70 jusqu'au milieu des années 80. Ce qui était déjà pas mal, qui peut se vanter d'une carrière pareille. C'est vrai qu'au fil des albums, il avait fini, si pas par décevoir, en tout cas par user notre émerveillement, Elton John. Il composait toujours de belles chansons mais elles avaient perdu l'attrait de la nouveauté, de leur folie et aussi de l'impétuosité de l'artiste sur scène. Vingt-cinq ans de carrière, même un peu plus, disons de succès, et donc, quand le film sort, un Elton John qui sert la soupe à Disney, c'est un peu l'antichambre de la maison de retraite, une pension pour un homme qui n'en a pas besoin, en plus. Vous le savez, ce doublé de succès va être énorme, gigantesque replaçant Elton John sur le podium du business mondial. Pour la première fois, on parle de record de longévité pour un artiste qui aligne les N°1 et les disques de platine sur trois décennies. Mais c'est bien peu de choses par rapport à ce qui va sortir quatre ans plus tard, la comédie musicale du roi lion, qui plus d'un quart de siècle après attire toujours autant de monde dans les théâtres, on ne compte plus le nombre de troupes qui ne jouent que ça à travers le monde. On n'ose même pas imaginer ce que ça doit représenter en droits d'auteur !Reste bien sûr le principal : l'émotion à l'écoute de cette chanson d'Elton John, qui se marie diablement bien avec ce film qui a tiré des larmes à plus d'un, la première fois sans doute chez Disney, dans de telles proportions, depuis Bambi, cinquante ans plus tôt. Alors, pas besoin de mettre le calendrier de la DeLorean sur 1995, ça marche toujours, il suffit d'écouter la chanson.
Il y a trente ans, nous étions en 1995. Si loin et pourtant c'est comme si c'était hier. Tenez, vous le voyez encore ce logo Windows 95 qu'on allait garder si longtemps sur la page d'accueil de nos PC qui faisaient à peine plus que du traitement de texte mais accueillait déjà des jeux vidéo. Je me trompe ? Tout comme la finale de Wimbledon remportée pour la troisième fois consécutive par Pete Sampras, vous ne pouvez pas l'oublier, c'était juste après la fin de ces foutus examens qui vous privaient chaque année de Roland Garros. Et n'oublions pas Steffi Graf qui, elle, a remporté ces deux tournois.C'est vrai que c'est un peu l'année de la femme, 1995. On n'a jamais vu autant de chanteuses sur le devant de la scène : Céline Dion triomphe en établissant un record de vente qui ne sera jamais battu par aucun chanteur français, et puis il y a Mylène Farmer, Axelle Red, Native, Ophélie Winter, Janet Jackson, Tina Turner, Mariah Carey, Whitney Houston, Enya, Ace of Base, Annie Lennox, TLC, Bjork, et bien sûr, Madonna. Mais là où on se dit qu'il se passe quelque chose, c'est qu'à présent les filles s'imposent en nombre dans une musique réputée être un truc de garçon : le rock. Ainsi les CD d'Alanis Morissette tapissent l'entrée des Virgin et vitrines de tous les magasins de disques petits et grands qui n'ont jamais vu passer autant de clients qu'en ces années 90. C'est la révélation et surtout le carton puisque son album Jagged Little Pill se vend à 30 millions d'exemplaires. 30 millions, vous vous rendez compte ? A hauteur du fameux album de Nirvana. L'année 95 avait d'ailleurs commencé tout en haut de la gamme puisqu'on avait démarré en janvier, collés au plafond avec la voix de Beth Gibbons du groupe Portishead … Glory box , on en plane encore, hein ? Et puis pour la première aussi, celle de Shirley Manson du groupe Garbage … I'm only happy when it rains. Oui, Garbage, le groupe du producteur du son énorme du fameux Smells like teen spirit.Mais la sensation féminine de 1995 est sans nul doute irlandaise. Que les fans des Cranberries lèvent le doigt. Sorti durant l'automne 1994, le CD vous a accompagné toute l'année, hein ? Il s'en est quand même vendu plus de 17 millions en Europe et en Amérique, quand même. En France, il n'y a que Cabrel et son Samedi soir sur la Terre pour battre les Cranberries et en Belgique, ben c'est un double album de platine, je vous dis que vous y êtes allé, tous ou presque chez le disquaire, et si pas, à la médiathèque pour vous en faire une cassette. Bon, ne nous gargarisons pas trop, au Canada c'est 5 fois platine, aux Etats-Unis, sept fois. Merci MTV. Et merci, la radio. Mais qui était à Torhout ou Werchter le 1er ou le 2 juillet, pour Dolores et son groupe en tête d'affiche ? Sur le second podium, oui, mais sur le principal il y avait The Cure et R.E.M, quand même.Non, on n'avait jamais entendu le mariage d'une chanteuse gaélique avec la pop et surtout un rock aussi dru, la bande son idéale d'une adolescence romantique qui pousse les sentiments à l'extrême. Et vraiment, vu ainsi, 1995, a été une année formidable.
Je vais demander à vous qui avez connu, vécu, cette année 1995 de vous souvenir d'un endroit qui était alors essentiel, quel que soit votre âge, cette année-là. Qui a dit disquaire ? Bravo ! Oui, le disquaire du centre ville en Wallonie, car à Bruxelles, il y en avait dans toutes les communes et parfois les quartiers. C'est là finalement qu'il fallait se rendre pour découvrir la musique et pouvoir la ramener chez soi ; on y a passé une partie de notre jeunesse. Il y avait quelque chose de magique à entrer chez un disquaire en 1995, la présence physique de toute cette musique, tous ces CD qui étaient mystérieux : on se demandait souvent ce que pouvaient contenir les boîtiers dont certains étaient de véritables petites œuvres. Et puis les posters aussi, c'était tout un univers où on passait beaucoup de temps. Car on n'y faisait pas que regarder les pochettes en faisant défiler les disques sous nos doigts dans les bacs, on écoutait aussi pour savoir si ça allait nous plaire. Mettre le casque et passer le CD au disquaire qui le plaçait dans le lecteur et revenait plus ou moins fréquemment passer à la chanson suivante si c'était un album, quoi qu'en 1995, on voyait apparaître ces fameuses colonnes avec les piles de CD et là on faisait tout nous-même. Mais bon, fallait bien dire que c'était pas de tout repos, être disquaire, car il prenait des risques, celui de rester avec le stock commandé, fallait faire évoluer la vitrine constamment, et les assortiments en magasins, les têtes de gondole, en fonction des grosses sorties de la semaine. Et puis il y avait le disquaire fan de musique, celui qui déroulait le tapis rouge à une nouveauté et pouvait vendre des quantités invraisemblables de l'album d'un nouvel artiste ou d'un groupe alors que dans la ville d'à côté, il y en avait juste vingt qui étaient partis.Et comme toujours, il fallait se farcir une certaine clientèle. Je ne parle pas du casse-pied qui l'est dans tous les types de commerce, non, ici on parle de musique donc il y avait des phénomènes spécifiques. Le gars qui écoutait tout et ne prenait rien, gaaarde ton calme, Bertrand, ne sois pas désagréable, tu vas gâcher l'ambiance et puis tu vas montrer une mauvaise image aux autres clients, une mauvaise réputation est vite faite. Le client de mauvaise foi qui rapportait le disque parce qu'il ne l'aimait pas. Que faire ? Il avait peut-être fait sa cassette et en venait chercher un autre. Il en faut des kilos de diplomatie. Et puis enfin, le passionné. Par une chanson. Qu'il a entendue à la radio. Le chanteur ? Il ne sait pas, il n'a pas compris, c'est pas un chanteur français. Le titre alors ? Il ne sait pas non plus. Mais alors que faire ? Et alors là, le gars, il se met à chanter l'air, qu'on ne reconnaît pas, évidemment, soit parce qu'il chante très très mal, soit parce que le morceau est trop nouveau, soit … ah ben oui, en 1995, quand le gars voulait une chanson dont il n'avait compris ni le titre ni l'interprète, ni les paroles, c'était une fois sur deux celle du Scatman.
Si nous avons fait connaissance avec Harrison Ford grâce à son rôle d'Han Solo dans Star Wars à la fin de l'année 1977, l'acteur était pourtant arrivé de sa province profonde, à Hollywood, en 1964. Alors pourquoi ces treize années dans l'ombre ? Et bien parce que le jeune comédien, bien que recommandé auprès d'un grand studio, n'entend pas faire n'importe quoi. Il est là pour bien jouer de bons rôles, il vient du théâtre. Alors les conneries des gens du studio, genre lui faire une coupe de cheveux à la Elvis Presley parce que c'est dans le vent et aussi, ça c'est le pompon, prendre un pseudonyme, ils peuvent se le foutre au cul. C'est pas moi qui le dit, c'est Harrison Ford dans le bureau de Jerry Tarkovski, le vice-président de la Columbia qui le paie au mois. Le gars étant du genre sanguin, Ford est d'abord mis à pied puis finalement viré et blacklisté. Ne l'engagez pas, vous n'aurez que des problèmes avec lui.Et en effet, Harrison Ford galère pour nourrir sa famille. Il doit ainsi retaper lui-même la maison qu'il vient d'acheter, une bonne affaire mais elle est en mauvais état, y a pas de miracle. Et se découvrant des talents dans le bâtiment, il les met au service d'autres acteurs et de musiciens en exécutant leurs travaux. L'affaire marche plutôt bien, il finit par avoir des chantiers partout. Il a toujours son agent qui lui trouve des castings mais quand son artiste s'y rend, il n'est pas sûr qu'il va en revenir avec un contrat. Et parfois pour des raisons autres qu'artistiques : je ne vais pas accepter un rôle qui me rapporte moins que la menuiserie ! Jusqu'à ce jour où, travaillant de nuit dans les bureaux de Francis Ford Coppola, dans un film duquel il a déjà tenu un petit rôle, il tombe, tôt le matin, sur George Lucas. En bleu de travail, et avec ses outils, Ford est bien embarrassé car il a aussi joué pour Lucas, un petit rôle mais dont on a parlé, dans ce qui est alors l'unique grand succès du réalisateur : American Graffiti.George, comment vas-tu ? Je viens faire passer des castings pour ma prochaine production, je prépare un film de Science-Fiction. Bon, ben, salut.Lucas l'a à peine quitté qu'il se dit que Ford pourrait donner la réplique aux candidats du casting. Il le rattrape et pendant des jours Harrison Ford briefe les acteurs et joue le rôle d'un contrebandier assez rustre dans lequel il est vachement bon, idéal même. La suite, vous la connaissez. Ce qu'on sait moins, c'est que l'actrice chez qui Harrison Ford n'est jamais venu terminer un chantier dans sa cuisine, a mis une pancarte sur l'échelle avec ces mots Harrison Ford a laissé ça ici.La conclusion de cette histoire incroyable de gens de l'ombre qui sont devenus des stars, c'est vingt ans plus tard, Harrison Ford, alors devenu l'acteur le mieux payé d'Hollywood arrive dans un restaurant huppé de Los Angeles. Et alors qu'il vient de s'installer, un garçon lui apporte une carte de visite. C'est celle de Jerry Tarkovski avec ces mots écrits au dos : « Je me suis planté ». Se retournant sur la salle, Harrison Ford avouera ne pas reconnaître le visage de son ancien tortionnaire parmi les clients du restaurant.
Je n'oublierai jamais ce 20 novembre 1995. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je me mettais à la recherche dans Bruxelles du premier disquaire sur lequel j'allais tomber en sortant de mon bureau tellement je ne pouvais pas attendre pour le mettre directement dans ma voiture. Il faut dire qu'il s'agissait d'un disque improbable, le premier album original des Beatles depuis 1970. Comment était-ce possible ? On n'en savait rien mais voilà que paraissait officiellement un double CD intitulé Anthology avec une foule de documents sonores dont des chansons jamais entendues et même une entièrement nouvelle. Oui, quinze ans après la mort de John Lennon qui rendait toute réunification impossible, cette année 1995 nous rendait les Beatles, 25 ans tout juste après leur séparation officielle et leur entrée dans la légende.Alors bien sûr, on ignorait que les fameuses compiles Double rouge et double bleue, étaient au départ la B.O. d'un reportage imaginé par le vieil ami des Beatles de la première heure, Neil Aspinall, le petit gars de Liverpool qui, à leurs débuts, les trimballait dans sa camionnette. Ils l'avaient depuis nommé directeur de leur label, Apple. Le doc télé intitulé The long and winding road, n'était jamais sorti, ni le projet suivant, douze ans plus tard, en 1984, Sessions, qui comprenait des titres inédits et des versions différentes car les Beatles enregistraient de nombreuses versions du même titre avec des évolutions incroyables au fil des essais. Mais cette fois, ça y est, ils ont réuni les deux idées : un reportage télé de six heures, sûrement le plus cher jamais consacré à un artiste, un livre titanesque de photos et une histoire racontée uniquement par les quatre membres. Et puis, une B.O. en trois double CD qui vont sortit à partir de cette fin novembre. En cette année 1995, on n'a pas encore vu de rééditions d'albums avec un CD bonus de raretés et donc, la surprise ne va qu'en être plus grande d'entendre ces gamins qui enregistrent leur premier disque en 1958, quatre ans avant le véritable début, un disque qui avait été gravé en un seul exemplaire puis disparu dans une malle durant plus de trente ans avant de réapparaître et d'être racheté à prix d'or par McCartney. Le groupe s'appelait alors les Quarrymen, les gamins n'avaient pas d'argent et n'avaient pu graver qu'un seul exemplaire qu'ils se faisaient tourner, et on avait oublié qui l'avait eu en dernier. Oui, c'est étonnant de dire qu'en 1995, l'année où la techno, le hip hop, les boys bands et le rock alternatif triomphent, où les adolescents regardent MTV et écoutent des CD sur leur baladeur en jouant aux jeux vidéos, qu'un nouveau single des Beatles soit N°1 partout, au pire N°2, et que leur double album de titres au son pas terrible se vende à dix millions d'exemplaires? Car c'était ça aussi 1995, le retour d'une voix disparue et la réunion des quatre fabuleux, pour une dernière session de studio ensemble.
Nous sommes à Hollywood, Los Angeles, en 1958. L'âge d'or du cinéma mais aussi depuis peu, une usine à séries télévisées. Ah ce sont deux choses bien distinctes car la télé c'est de la fiction vite faite, vite consommée, une véritable usine. Et justement, on est occupé à y monter la seconde série créée par un jeune réalisateur répondant au nom de Blake Edwards. On le dit prometteur même si les quelques films qu'il a réalisés pour le cinéma n'ont pas trouvé leur public. Mais bon, il faut qu'il fasse ses armes et justement, cette série policière de la chaîne NBC (pour laquelle entre parenthèses travaille à New York le jeune Woody Allen) semble prometteuse. Ça parle d'un détective avec de forts penchants pour les femmes, l'alcool et le jazz, son nom : Peter Gunn.Ah, s'il est question de jazz, il faut confier la musique à un spécialiste de la bande originale et du jazz : Henry Mancini. Lequel s'exécute mais allez savoir si c'est faute de temps ou de cachet, il faudrait un solide pianiste pour arranger et exécuter ça, vite fait aussi, bien sûr, on est à Hollywood et on a autre chose à faire. Ah oui, et qui ne soit pas trop gourmand non plus.On n'a qu'à demander à Johnny. Johnny Williams, c'est ce pianiste qui joue à gauche à droite, et qui travaille aussi pour les studios Universal. Un gars très cool qui ne fait jamais d'histoires. Parfait ! Johnny, John de son vrai prénom, mais Johnny ça fait plus jazzman pour les engagements dans les clubs, vient en studio pour 40 dollars et en trois heures, il plie le thème de Peter Gunn, sans avoir conscience, évidemment, du destin exceptionnel que va connaître ce morceau qui constitue la collaboration improbable de deux des plus grands compositeurs de l'histoire du cinéma. Oui, qui sait encore aujourd'hui à quoi ressemblait cette série, qui était ce Peter Gunn. Mais tout le monde connaît le morceau et aussi, sait qui est Blake Edwards, qui ne manquera pas de faire appel à Henry Mancini quand il tournera deux ans plus tard Breakfast at Tiffany's et puis encore plus tard La Panthère Rose.Quant à Johnny ? Et ben il va laisser tomber le y, les p'tits concerts de jazz et se consacrer à ses œuvres pour orchestre classique. Car autant il n'a jusqu'ici jamais cru qu'il arriverait à vivre de la composition, c'est vrai il n'y a que jouer du piano pour faire bouillir la marmite, autant grâce à ce Peter Gunn, on va commencer à lui proposer des musiques de film. Et il va ainsi traverser les années 60 à pondre des bandes originales de petits films jusqu'à cet Oscar pour une chanson qu'on a oubliée mais qui lui vaut de passer la vitesse supérieure et de devenir le compositeur attitré de films d'un nouveau genre au début des années 70 : les films catastrophes. Et après un Poséidon, un Tremblement de terre et une Tour infernale, John Williams est contacté par le jeune Steven Spielberg à qui Williams offre la recette ultime : le thème musical, pièce essentielle du scénario … Les Dents de la Mer. De là à ce que Spielberg le recommande à son ami George Lucas, il n'y avait qu'un pas, et 54 nominations aux Oscars plus tard, qui ignore le nom de John Williams ?
Mais bon dieu, qu'est-ce qu'il lui a pris de vouloir jouer devant un public ? C'est vrai qu'Allan Konigsberg n'a rien pour lui, je veux dire physiquement, pour réussir dans le showbizness des années 50. Et du haut de son mètre 63, il l'a bien compris. Il aurait habité le milieu de la campagne ou des montagnes rocheuses, il aurait pu se rêver acteur ou musicien star, il n'avait aucun modèle sous les yeux dans son quotidien. Mais quand on habite New York, dans un appartement d'une pièce situé juste à côté de la porte électrique d'un immeuble aux multiples étages et qu'à quelques centaines de mètres de là, toutes les stars du théâtre et du cinéma jouent à Broadway, que des dizaines de gars triomphent dans les cafés théâtres de Greenwich Village ou les boîtes chics des grands boulevards, on a des exemples à qui se comparer quand on se tient le matin devant le miroir de la salle de bains.Non, Allen, qui a choisi de transformer son prénom en nom, prenant Woody comme prénom, a trouvé sa voie. Depuis l'adolescence il sait comment faire rire, envoyer une vanne ou imaginer des situations comiques, mais il les fait dire et jouer par d'autres qui le paient très bien pour ça. Ainsi à seize ans, il écrit déjà Sid Caesar, le comique de la radio et de la télé. Seize ans, vous le croyez, ça ? Alors qu'il est toujours à l'école. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les cours à l'université ne vont pas l'intéresser. Les années passent. Woody grimpe à la télé, jusqu'au sommet, c'est-à-dire les émissions les plus regardées par l'Amérique comme le Ed Sullivan Show qui révèle les plus grands talents le dimanche soir comme Elvis Presley.Alors qu'est-ce qui lui a pris de laisser germer cette graine tombée dans le terreau de sa créativité d'artiste. En effet, la chaîne NBC qui l'emploie l'envoie dans une boîte très chic où tout coûte un pont, assister au show de l'humoriste du moment : Mort Sahl. Woody serait bien incapable d'expliquer ce qui fait le génie de ce gars mais une chose est sûre : il a foutu sa vie en l'air. Car désormais, Woody veut être lui. Aussi pour la première fois, il écrit un sketch qu'il joue un soir au débotté devant des amis producteurs. Et ils le trouvent très drôle, au point de lui monter un plan de dingue. Oui, ce dimanche soir, une star du stand up demande à la salle comble venue l'applaudir, de rester après le spectacle pour voir un débutant. Et voilà un petit homme qui s'avance, liquéfié de frayeur, vers ce micro dressé au milieu d'une scène qui lui paraît immense. Le silence tombe sur le public avec le dernier applaudissement, il pèse des tonnes sur les épaules de Woody qui balaye du regard ces crânes dont il ne distingue que le contour mais devine dans l'ombre les paires d'yeux posées sur lui, et rien que lui.Après une interminable poignée de secondes, il se lance enfin … et les rires fusent. Si fort, si bruyants que Woody semble rétrécir dans son costume, écrasé par les cascades de rires et les applaudissements. Quelques minutes plus tard, comment est-il arrivé sur cette chaise dans la loge, il ne s'en souvient pas ? Entouré de ses amis qui, il l'ignore encore, vont produire tous ses futurs films. Il écoute les conseils, qui tombent de gauche et de droite, il est dépassé par l'intensité de ce qui lui arrive. Le lendemain, les propositions vont pleuvoir de partout, Woody Allen est né au public ce soir de l'an 1960.
Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale. Paris est occupée par les Allemands, les temps sont très durs. Marie de Funès paie à son frère Louis, qui est pianiste de bar, des cours de comédie chez René Simon, où il se lie d'amitié avec une bande de joyeux lurons nommés Robert Dhéry, Colette Brosset et Daniel Gélin. Mais il quitte rapidement les cours, ce qui n'étonne pas sa soeur, il a toujours été instable. Ce dont Louis se défend une fois de plus : ce n'est pas la comédie qui le fera vivre de son art, même s'il reconnaît avoir beaucoup appris. Et notamment à amuser le public le soir. Louis a en effet remarqué que depuis qu'il fait l'andouille en jouant, les gens viennent non seulement pour l'écouter (ce qui est déjà en soi un exploit) mais aussi pour le voir. Voilà donc comment il compte faire vivre la nouvelle famille qu'il forme avec Jeanne, sa jeune épouse qu'il rencontrée au cours Simon : en devenant un musicien réputé. Mais le destin est bien imprévisible car un jour de 1944, Louis tombe sur Daniel Gélin alors qu'il attend le métro. Mais au fait ! Et Daniel de lui demander de reprendre un rôle créé par Bernard Blier dans une pièce qu'il monte pour une représentation unique.- Mais je ne peux pas, je n'ai jamais joué. Et puis je ne suis pas libre.- Qu'est-ce que tu fais ?- Je joue du piano le soir dans un cabaret.- Et bien, pas de problème. La pièce se joue en matinée. Tu ne perdras pas ton cachet.Si on compte la mère et la femme de Louis de Funès, sept personnes assistent cet après-midi là à la représentation de L'amant de paille, à la salle Pleyel. Parmi elles, se trouve la directrice du théâtre de la Gaîté Montparnasse qui, conquise, lui propose de jouer dans la prochaine pièce du même auteur. A trente ans et de manière inattendue, Louis de Funès devient acteur. Daniel Gélin et lui ne se quittent plus. Daniel et son épouse, Danièle Delorme, étant devenus célèbres, ils pistonnent leur ami Louis sur tous les tournages, des figurations et petits rôles, un demi-jour, deux jours tout au plus, mais ça va arrondir tes fins de mois. Il faudra, vous le savez sans doute, attendre 1964 avant que le succès ne lui tombe dessus au cinéma. Pendant cette longue période de sa vie, Louis de Funès aura été le roi de la figuration et du petit rôle dans plus de cent films. Il y aura eu certes quelques rôles secondaires marquants, des rôles principaux dans des petits films et un gros succès au théâtre de boulevard mais avant d'enchaîner en quelques semaines Le Gendarme de St Tropez, Fantômas et Le Corniaud, il ne s'est trouvé durant vingt ans personne pour voir en Louis de Funès l'incontestable tête d'affiche mondiale qu'il allait devenir.
La vie des artistes est une source inépuisable d'histoires passionnantes qui résonnent en nous. Car c'est formidable de regarder rétrospectivement une future star de la musique ou du cinéma qui tente de trouver la reconnaissance mais à laquelle personne n'accorde d'intérêt. Et je ne parle pas de tous ceux qui ont renoncé juste avant d'y arriver : quelle place auraient-ils occupée ? Et puis il y a ceux qui avaient un travail qu'on appelle de l'ombre et qui un jour arrivent dans la lumière. Oui, qui aurait dit que le secrétaire particulier de Sylvie Vartan, de Fernand Raynaud et de Claude François deviendraient des grands noms de la chanson populaire, la télévision et le cinéma sous le nom de Carlos, Bézu et Ticky Holgado.Ainsi de Melvin Kaminsky qui à l'âge de vingt ans est démobilisé de l'armée américaine où son QI exceptionnel l'a conduit à être ingénieur sur le front belge en 44-45, lors de la bataille des Ardennes. Depuis le jour où à l'âge de neuf ans, il a assisté à sa première pièce de théâtre à New York, Mel sait qu'il ne fera pas le même travail que les autres. Et s'il vient de changer de nom, ce n'est pas pour cacher ses origines juives d'Europe de l'Est. Non, Mel étant batteur et pianiste, il veut éviter qu'on le confonde avec le grand trompettiste Max Kaminsky. Alors, il prend le nom de jeune fille de sa mère, Brookman, pour faire Brooks, et joue dans des hôtels pour touristes. Et un soir où le comique du spectacle est indisposé, comme dans la chanson de Michel Jonasz, Mel qui adore faire rire, regarde le micro et se dit : je me lance, allez, tant pis.Oui faire rire, est le moyen que tout môme, Mel avait trouvé pour que ses camarades de classe arrêtent de se moquer de sa petite taille. Alors il raconte des blagues, imite des personnalités, le public rit, on le garde le lendemain, il a trouvé sa voie. Mais réussir en Amérique est une tâche aussi énorme que le pays. Hollywood c'est très loin, à New York, c'est le théâtre, la radio et la télé, alors Mel fait des pieds et des mains pour approcher son idole, celui qui fait rire l'Amérique du début des années 50 : Sid Caesar. En quelques secondes, il lui balance une vanne et accroche la star qui lui en commande d'autres pour son émission. Ainsi débute la carrière d'auteur de Mel Brooks qui vend ses bons mots et ses sketchs. Parfois ça se passe bien, allant jusqu'à la création et l'écriture de séries comme Max la Menace ou des pièces de théâtre. Parfois ça se passe mal avec la star, ainsi Mel claque la porte du nouveau film de Jerry Lewis en 1960 et exige qu'on ôte son nom du générique. Si The ladies Man remporte un succès colossal, il ne reste que deux scènes écrites par Mel Brooks.Puis un jour de 1967 vient l'écriture et la mise en scène d'un film, parodie du monde des producteurs de Broadway que Mel connaît si bien. C'est si drôle mais tellement vitriolé que personne n'ose le distribuer. Heureusement, Peter Sellers, alias Clouseau, admiratif, lui achète de la publicité dans les magazines et, l'Oscar du meilleur scénario tombe sur Mel Brooks. C'est promis, au prochain film, car prochain film il va y avoir, grâce à cet Oscar, Mel jouera devant la caméra. Qui n'a pas vu depuis Frankenstein Junior, Space Balls ou La Folle histoire du monde. Mel Brooks est aujourd'hui presque centenaire mais qui ne se souvient pas d'une de ses chansons des années 80. Car on ignorait qu'il avait été aussi musicien. Ah non, pas chanteur ! Mais bon quand on est une star, on peut tout se permettre.
Los Angeles, 20 janvier 1985, huit jours avant que n'ait lieu le plus grand événement jamais organisé dans l'histoire de la musique populaire américaine, ça y est ! Lionel Richie et Michael Jackson ont terminé la chanson que 44 énormes stars doivent enregistrer ensemble en studio. Reste le plus compliqué à organiser. Pas de mail à l'époque, encore moins de WhatsApp, il faut faire parvenir une cassette à tout le monde sans qu'il n'y ait de fuite dans la presse. Mais avant ça, enregistrer une maquette pour que chacun ait répété en arrivant. C'est vrai, pas question de commencer le truc sur place dans une ambiance et une cohue qui s'annoncent proches des Fêtes de Wallonie ou du carnaval de Binche. Nous sommes alors Jour J-5, Quincy Jones est à la table de mixage, un téléphone qui n'arrête pas de sonner, posé juste à côté de lui. Quoi ? Tu rigoles ? Amène-toi, Michael et Lionel sont là. Les musiciens sont prêts, Michael et Lionel devant les micros et c'est parti, tout le monde se lance. On s'arrête, évidemment pour des ajustements, Michael préfèrerait ainsi tel mot plutôt qu'un tel car il sonnera mieux, Quincy est d'accord, quand quelqu'un entre dans le studio. C'est Stevie Wonder, enfin ! C'était lui au téléphone, tout à l'heure. Mais ça fait près d'un mois qu'on l'a appelé, qu'il a dit oui et qu'on ne l'a jamais vu. Bon, on s'y met ?Mais euh, on ne t'a rien dit ? C'est fait, Michael et moi l'avons écrite. Là, on fait la maquette pour l'envoyer à tout le monde.Ah bon ? Un moment suspendu. A-t-on tenu Stevie informé ou est-ce lui qui a oublié, ou bien tente-t-il de donner le change car il sait très bien qu'il a laissé tout le monde dans le vent pendant des semaines.Très bien ! dit-il. On fait la démo alors ?Le croirez-vous ? Il n'y a pas internet en 1985 mais trois jours plus tard, tous, de New York à San Francisco ont reçu la cassette et la partition. Cinquante exactement qui ont transité via un manager, un agent ou atterri directement dans les mains des artistes. Huey Lewis, déjà quelques tubes à son actif aux USA, même si son Power of Love ne sortira qu'en juin, découvre la chanson sur le lecteur cassette de son autoradio en sillonnant les rues de San Francisco et Bruce Springsteen sur sa tournée américaine qui se termine la veille de l'enregistrement. C'est sûr que ça va faire un tube, alors, ils seront bien là le jour J. Format atypique de plus de six minutes mais succès prodigieux, il y aura entre-temps une session d'enregistrement qui vaut son pesant de Story mais faute de temps, je vous la raconterai, dans cinq saisons, tenez, pour les 45 ans ! Car c'est sûr qu'elle tournera encore aussi souvent sur notre antenne. Faut-il le souligner, un tel panel d'artistes d'exception, ça n'arrive qu'une fois.
Il y a quarante ans exactement que sortait une chanson qui non seulement reste un des cinq singles les plus vendus de tous les temps mais a été l'élément déclencheur du plus prestigieux festival de tous les temps … Mais autant on a l'impression que tous les artistes se connaissent, dînent ensemble tous les midis, autant on ignore à quel point il n'est pas évident de les réunir le même jour et au même endroit. Et plus ils sont célèbres, plus c'est compliqué. Je dirais même que plus ils sont américains, plus c'est compliqué. Pour faire travailler ensemble Lionel Richie, Stevie Wonder et Michael Jackson, cela a été très facile. Il suffit déjà d'oublier Stevie Wonder, l'homme le plus sympa mais le plus injoignable du showbiz dans les années 80. Michael et Lionel sont amis depuis leurs débuts. Alors ils travaillent chez Michael, enfin, chez ses parents. Mais de manière un peu trop cool tant il est vrai qu'ils sont les deux artistes américains à vendre le plus de disques en ce moment.Mais les gars, vous vous rendez compte qu'on enregistre la semaine prochaine ? dit Quincy Jones qui a fait le déplacement.Quoi ?Oui, juste après la cérémonie des American Music Awards. Tout le monde sera là et on n'aura qu'une nuit !Cérémonie présentée, à la télé, en direct, par Lionel Richie. Imaginez le truc. Et donc la pression sur les épaules de Lionel et Michael. Car là, c'est le stress amplifié par la crainte que Quincy ne se retire du projet, faute de chanson valable. Alors, Lionel se met au piano et commence à jouer, il cherche, essaie des trucs et tout à coup Michael s'écrie : oui, c'est ça ! Comme par magie, ils tiennent le refrain et d'après les souvenirs de Lionel, c'est Michael qui trouve le We are the world. Quant au studio, l'équipe de Kregan a réservé le A&M, celui de la célèbre firme de disques, pour sa situation et surtout sa qualité, mais attention ! Tout doit rester secret, ce qui, étant donné le nombre de personnes impliquées, est un casse-tête. Mais l'enjeu est énorme car le soir même, vu le nombre de journalistes présents en ville et la notoriété des artistes, si un Bob Dylan, Michael Jackson ou Prince se pointe et voit la foule devant la porte, ils passeront leur chemin et on pourra les oublier. Car non, il n'y a pas de contrat, c'est du caritatif, du bénévolat, et oui, jusqu'à la dernière minute, il n'y aura aucune garantie que ces stars seront bien là. Même Prince. Surtout Prince. Celui que tout le monde veut en 1985, Purple Rain oblige.
Début 1985, si on avait eu idée de ce qui se tramait à Los Angeles, on aurait été bien enthousiasmé par le projet ahurissant qui se montait. D'une part, dans la grande maison des Jackson, alors que le chimpanzé de Michael faisait des facéties, Lionel Richie tentait de trouver une mélodie sur le piano. Un truc pas simple entre le mainate qui imitait l'aboiement d'un chien et celui des parents de Michael qui lui répondait aussi sec. Et d'autre part, dans les bureaux de Ken Kragen, l'agent de Lionel Richie, tout le personnel était à la manœuvre pour réunir l'équipe de stars qui allait interpréter leur chanson, comme sur le disque des Britanniques qui n'arrêtait pas d'engranger les records … Mais quand tout Londres, de Phil Collins à Bono, en passant par Spandau Ballet et Sting, était venu en studio, tranquille, le seul dimanche de libre, réunir toutes ces stars américaines étaient un vrai casse-tête. Pour les convaincre, il suffisait de prononcer les noms de Michael Jackson, Quincy Jones, Lionel Richie et Stevie Wonder, auxquels Kragen avait ajouté le nom d'un autre de ses poulains, alors au sommet : Kenny Rogers. Et à une époque où le portable n'existe pas, il faut franchir le barrage des agents, conjoints et secrétaires à l'autre bout de la ligne fixe. Et puis, ces artistes ont la bougeotte : personne n'est au même endroit, à la même date. C'est infernal ! C'est alors que passe la pub télé annonçant la remise prochaine des American Music Awards et le casting de ceux qui y participeront : Prince, Madonna, Hall & Oates, Cyndi Lauper et Diana Ross. Ils seront donc présents à Los Angeles, tous frais payés. Alors il faut contacter le producteur de l'émission pour qu'il soit de la partie. Chose faite, il n'y a plus qu'à travailler sur ceux qui ne seront pas présents. Et quand ils réussissent à convaincre Bruce Springsteen au top avec Born in the USA puis Bob Dylan, qui est n'est plus au top mais c'est une légende, il n'y a désormais plus aucun souci de casting.Le dernier souci est en fait, le plus gros, celui sur lequel tout repose : la chanson elle-même. Car on ne compte pas les grandes réunions de stars qui ont fait flop parce que le titre qu'ils ont interprété n'était pas terrible. Et bien, dix jours avant la date fatidique, ils ne sont encore nulle part. C'est vrai que Lionel Richie, avec sa tournée solo, et Michael Jackson, son Thriller, plus le nouvel album et la tournée des Jacksons tout juste derrière, avant son prochain album, ne manquent pas de travail. Alors chaque fois qu'ils se voient, ils ne sentent pas vraiment la nécessité de boucler la chanson. On règlera ça la prochaine fois. Sauf qu'aujourd'hui, un appel de Ken Kragen les ramène à la réalité : hé les gars, ce n'est pas seulement votre chanson, on a aussi Billy Joel, Paul Simon, Ray Charles et Tina Turner.
A deux jours de la Noël 1984, a lieu la conversation téléphonique qui enclenche définitivement le moment historique que s'apprête à vivre une décennie pourtant exceptionnellement créative et enthousiasmante. En effet, Lionel Richie, nouvelle star de la pop mondiale, est en discussion avec son agent Ken Kragen lui expliquant qu'en Europe, des rockers blancs sont en train de réaliser une vente de disques historique pour sauver des Africains de la famine. Et que le chanteur Harry Belafonte est venu lui dire que la communauté afro américaine ne peut pas être en reste. Alors, il a besoin de lui, et de sa notoriété. Lionel Richie va avoir besoin du plus grand des producteurs pour un challenge pareil car il s'agit non seulement de convaincre tout le pays d'acheter le disque mais aussi de tenir la comparaison avec la chanson des Britanniques. Et en 1984, le plus grand des grands se nomme Quincy Jones.Et donc, le lendemain soir, Lionel Richie vit la nuit, alors qu'ils roulent dans la limousine de Lionel, son manager propose d'utiliser son téléphone, autant vous dire que c'est une rareté à l'époque, pour appeler son ami Stevie Wonder. La raison est simple : pour écrire la chanson, Lionel Richie ne va disposer que de très peu de temps car il doit préparer la présentation des American Music Awards et surtout, sa première tournée en solo. Un enjeu considérable quand on sait le nombre de disques qu'il vend désormais. Stevie ne répond pas. Ils vont essayer de le joindre toute la nuit sans résultat mais ne s'en étonnent pas, Stevie se manage seul et met souvent des plombes avant de rappeler. McCartney l'a attendu vingt jours en studio avant d'enregistrer Ebony & Ivory. Ah ? Ça sonne. Ce doit être lui ! Mais non, c'est Quincy Jones pour annoncer qu'il voit Michael Jackson le lendemain et qu'il va lui en parler.Lionel et Michael se connaissent depuis longtemps, depuis leurs débuts. Lionel a certes presque dix ans de plus que Michael mais le succès des Jackson Five, un groupe de gamins, avait été immédiat, aussi les Commodores, le groupe dont Lionel était le saxophoniste et second soliste, avait assuré la première partie de leur tournée au début des années 70. Et c'est vrai que les années d'adolescence sont importantes, fondatrices. Si je vous dis que la première destination du jeune Michael quand il a appris à conduire, a été de se rendre chez Lionel, vous avez compris les liens entre les deux hommes, en cette fin d'année 1984. Michael est alors au sommet avec les ventes démesurées de Thriller, et en plus de son duo avec McCartney, il participe à un single qui vient d'entrer dans les charts. Nouveau succès, à nouveau un truc à frissons mais bon, il va participer au projet de Lionel et Quincy, bien sûr. Et comme Stevie Wonder n'a toujours pas rappelé malgré des messages sur son répondeur, il propose à Lionel de commencer à écrire la chanson sans lui.
Nous sommes à la veille du réveillon de Noël 1984. L'année a été fabuleuse, spécialement à Los Angeles où grâce au succès historique d'une incroyable brochette d'artistes tels que Michael Jackson, Madonna, Bryan Adams ou Metallica, l'industrie du disque basée dans cette ville n'a jamais autant rapporté. Car oui, à Hollywood, Los Angeles, il y a désormais une autre industrie que le cinéma et la télé à faire recette : la musique. Ah je vous prie de croire que tout le monde commence à connaître le chemin du studio hollywoodien où Michael a enregistré Thriller. Et puis, c'est dans cette ville que, venu du grand nord des Etats-Unis, il a emménagé tout gamin, au début des années 70, avec sa famille. Il vit d'ailleurs toujours dans la même maison, avec ses parents. Bref, on ne compte plus les musiciens vivant à L.A., les ingénieurs du son, producteurs, surtout depuis l'époque récente, du disco, mais aussi les agents. Parmi eux, un certain Ken Kragen, 39 ans, se distingue de ses pairs en ce qu'il est lui-même devenu une vedette des médias. Et ce matin du 23 décembre, il reçoit dans ses bureaux la visite inattendue d'une véritable légende de la chanson populaire : Harry Belafonte. Si ce nom ne vous dit rien, pas de complexe, en 1984, Belafonte n'est plus connu que des militants des droits civiques dont il a été une des grandes figures, vingt ans plus tôt, quand il était, lui aussi, une star de la chanson établie depuis longtemps. Vous ne pouvez pas, ne pas connaître Banana Boat ni Try to remember. Et donc, si ce matin du 23 décembre, on serait curieux de savoir ce qu'aurait fait Ken Kragen, s'il avait su que cette poignée de main et accolade qu'il donne à Belafonte allait déboucher sur la seule chose pour laquelle finalement on parle toujours de lui.As-tu entendu ce que les Britanniques viennent de sortir pour sauver des vies en Afrique ?Bien sûr qu'il est au courant, c'est actuellement la vente du siècle en Europe. Mais l'Amérique est loin et on en parle assez peu. Et bien ?Et bien je voudrais qu'on reprenne l'idée de Bob Geldof et qu'on réunisse les plus grandes stars des Etats-Unis pour un concert. Comme tu es le manager de deux des plus grandes, tu me vois me tenir devant toi.C'est donc en cette journée que Ken Kragen appelle l'artiste qui lui doit tout. Celui à qui il a dit trois ans plus tôt, alors qu'il s'apprête à quitter un des groupes les plus populaires des Etats-Unis : ton problème, c'est que le public connaît tes chansons mais pas ton nom. Je m'en occupe ! Et après deux albums solos triomphaux dont le second à l'échelle de la planète, Lionel Richie reçoit un appel de son manager qui lui dit avoir besoin de lui.
Que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? Que reste-t-il de ce soir du premier mars 1991 où il sort au restaurant avec sa fille Charlotte mais aussi Bambou, sa compagne, l'officielle depuis le départ de Jane, la mère de son fils Lulu mais avec qui il n'a jamais vécu. Deux des femmes de sa vie pour une dernière soirée au climat pesant ; Serge n'a jamais été un grand mangeur mais là, il est vraiment au bout du rouleau. Tout le monde est mal malgré les paroles rassurantes qu'il murmure.Mais bien sûr que tout va bien, s'énerve encore Serge le lendemain matin au téléphone ; enfin il s'énerve gentiment, il l'adore son Fulbert, son assistant, merveilleux de sollicitude et excellent cuisinier, au demeurant. Serge raccroche, marque un temps puis reprend le cornet pour donner le plus improbable des coups de fil, à sa première femme, Lise. Il parle un bon moment avec celle qui n'aura connu que ses années de peintre incompris, de prof de dessin et de pianiste de bar ; ils ont divorcé en 1957, une éternité et pourtant, le dernier appel sera pour elle. Serge raccroche puis traverse péniblement son salon pour la toute dernière fois afin de rejoindre sa chambre. Il a toujours sur l'estomac le verre de Porto qu'il a pris la veille au soir au restaurant. Il n'aurait pas dû. Serge s'assied sur son lit pour une sieste. Il veut être en forme tout à l'heure pour transcrire le texte des chansons de son prochain CD qu'il a enregistré sur son dictaphone. Vers 23.30 pourtant, des pompiers défoncent la porte d'entrée de son domicile mais Serge n'entend rien, il ne se fâche pas sur ces importuns qui déplacent ses objets savamment agencés dans son musée particulier, comme il l'avait fait quelques années plus tôt sur Coluche et ses amis quand ils avaient dégagé la table de salle à manger pour le dîner.Non, Serge n'est plus avec nous quand on le transporte vers l'ambulance dont les lumières éclairent par intermittence le visage des badauds et des deux mères de ses enfants qui vont passer la nuit dans la maison. Quelle tristesse de devoir quitter la scène en plein spectacle, ces années 90 commençaient si bien avec le triomphe de sa double compilation CD qui donnait enfin à des vieux titres comme La Javanaise la notoriété et la reconnaissance qu'ils n'avaient pas rencontrés au début des années 60. Mais que voulez-vous, ainsi va la vie, ou plutôt la mort. Demain ce sera le choc pour ce public qui l'a tant célébré ou haï ces dix dernières années. Et dans quelques jours sortira un nouveau single, un remix, dont Serge était très content, un tube en puissance qui, on aimerait le croire, montre à quel point les grands artistes savent soigner leur sortie de scène.
Que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? C'est vrai que quelques anecdotes sont passées dans le domaine public. Le seul problème c'est que beaucoup de chroniqueurs reprennent toujours les mêmes, alors que reste-t-il de cette histoire incroyable ? Un an après le Grand Prix Eurovision avec France Gall, Gainsbourg gagne enfin convenablement sa vie en droits d'auteur. Mais bon, les albums qu'il sort sous son nom continuent à ne pas bien se vendre. 20.000 pour Gainsbourg à côté des 800.000 de Johnny, ça fait une sacrée différence pour deux artistes qui sont aussi présents dans les médias. La spécialité de Gainsbourg, ce sont les émissions de variétés mises en scène, genre Carpentier ou Sacha Distel. Serge n'a en effet pas son pareil pour imaginer des sketchs souvent drôles, parfois pathétiques auxquels tout le monde se prête. Et puis, il y a le cinéma où il n'arrête pas de tourner. Oh pas des grands films mais il a un style, alors ce n'est pas désagréable à regarder. Ainsi en août 1966, il est à l'affiche d'Estouffade à la Caraïbe, un polar nanar où il donne pourtant la réplique à Jean Seberg, l'inoubliable partenaire de Belmondo d'A bout de souffle. Le dernier soir des six semaines de tournage en Colombie, Gainsbourg dîne dans un restaurant où après avoir allumé une cigarette, il jette une allumette distraitement par-dessus son épaule. Celle-ci atterrit dans une décoration de plantes séchées et met le feu à l'établissement en quelques secondes. Sorti en courant avec le personnel et la clientèle, il regarde flamber l'établissement en s'exclamant, C'est moi qui ai fait ça ? Pas fier et inquiet de ce qui pourrait lui arriver en ces contrées lointaines et incertaines, Gainsbourg passe sa dernière nuit latino-américaine non pas à son hôtel mais chez une prostituée.Et lorsque le lendemain il vient reprendre sa valise avant de filer à l'aéroport, des policiers l'attendent et l'emmènent au poste. Le producteur du film flairant la catastrophe, lui envoie un avocat genre « Bourbon & costume blanc » comme on n'en voit que dans les films noirs américains des années 40.- Un conseil : niez tout en bloc. Ce n'est pas vous qui avez jeté l'allumette puisque vous n'avez pas fumé.Serge Gainsbourg ment donc mais souffre le martyr durant les treize heures d'interrogatoires, de voir les policiers griller cigarette sur cigarette. Mais il ne bronche pas.Finalement, la production du film paie les dégâts et Gainsbourg est libéré. Au moment de quitter le bureau de police, un officier lui tend son paquet de cigarettes : Serge en prend une aussi sec.- Vous voyez que vous fumez !Et Gainsbourg de répondre avec ce demi-sourire, qu'il a légué à sa fille :- J'ai dit que je n'avais pas fumé mais je n'ai jamais dit que je ne fumais pas.
On voit encore parfois passer sur les réseaux des extraits vidéos de ses dérapages télévisuels, on entend encore des reprises, hommages rendus par de jeunes artistes, il fait jeu égal avec Johnny Hallyday en streaming, mais que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? Et bien quelque chose d'exceptionnel, vous le savez, sa maison dans laquelle rien n'a bougé depuis cette triste nuit où les pompiers l'ont emmené. Vide et inhabitée durant des décennies, elle est aujourd'hui devenue un musée où nombreux sont ceux à être pris d'une vive émotion en la visitant, alors, imaginez que nous soyons, par miracle, projetés dans les années 70. Il fait nuit, bientôt le matin, quand une silhouette titubante s'arrête devant le 5bis de la rue de Verneuil. Oui, Serge Gainsbourg rentre chez lui, encore beurré comme une tartine. Il foulle ses poches à la recherche de ses clés mais où les a-t-il mises ? Il ne les a quand même pas oubliées sur la table de ce bar, dont il ignore le nom ? Ou sur la banquette arrière du taxi ? Ah non, les voilà. Maintenant, le plus dur : la bonne trajectoire vers la serrure sans laisser tomber le trousseau. Le voilà dans la place, sans faire de bruit, pour ne pas réveiller les filles. Serge a promis à Jane, rentrée bien avant lui, d'être de retour avant le matin et il a tenu parole, hein ? Alors ce dernier verre de Bordeaux qu'il se sert, il l'a bien mérité. Et là, l'inspiration lui vient, il se dirige vers le piano et joue doucement la musique qui lui trotte dans la tête, un truc sorti de la brume, comme son taxi se garant débouchant des quais de Seine vers ce qui est depuis presque cinq ans, le domicile des Gainsbourg.Mais joue-t-il de plus en plus fort sans le remarquer ? Toujours est-il que Jane descend et l'engueule. N'est-il pas fou de jouer à une heure pareille ? Il va réveiller Charlotte et puis, elle se lève tôt pour partir en tournage. Serge s'étonne, il a promis de rentrer avant que les gamines se lèvent, pas de se coucher. D'accord, il fait du bruit mais c'est la musique, c'est son métier, on ne peut pas transiger là-dessus. Le ton monte, c'est l'engueulade, une de plus, Jane ne supporte plus sa vie de bâton de chaise, ses copains douteux, sa frénésie à boire jusqu'au bout de la nuit alors qu'il a une vie de famille heureuse. Elle part se réfugier dans la chambre des poupées, cette pièce pour où elle a réuni ses objets personnels car il n'y a pas de place ailleurs, toute la scénographie a été étudiée comme dans un musée. Quand Serge ouvre un œil vers 13 heures, la maison est calme et vide. Il descend dans la cuisine, se sert un verre puis allume la télé pour regarder les infos. Mais quand la petite douleur qu'il ressent depuis un moment devient persistante, il reconnaît les symptômes dont tant de médecins inquiets de sa consommation d'alcool et tabac lui ont parlé. Juste encore assez de contrôle pour téléphoner, Serge appelle un des rares numéros qu'il connaît par cœur : sa Maison de disques. Quelques minutes plus tard, des urgentistes arrivent chez lui, il a bien fait une attaque, il faut qu'on l'emmène à l'hôpital. Deux secondes dit Serge qui tient à son image : une couverture Hermès et un sac Vuitton pour ses affaires dont plusieurs paquets de Gitane. Ce soir, il va se réconcilier avec Jane et l'écrire, cette fameuse chanson !