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1984, c'est non seulement une grande année musicalement parlant mais aussi le titre d'un album de Van Halen qui est alors l'incarnation du groupe de heavy metal. Oui, Van Halen, c'est un son … Un son à part dans la musique rock des années 70 qu'ils imposent grâce à un hit mondial, une reprise étonnante des années 60. Et c'est vrai qu'en 1984, beaucoup de ces messieurs mais aussi demoiselles croient que ce fameux Van Halen est logiquement le chanteur mais en fait il n'en est rien, Van Halen, c'est le nom de famille d'Eddie, le guitariste, et Alex, le batteur. Tous autant que nous sommes ignorons qu'ils ne sont pas Américains mais sont nés pas loin de chez nous , à Amsterdam, en Hollande. Ce n'est que 7 ans plus tard qu'ils émigrent avec leurs parents vers les Etats-Unis et s'établissent dans la ville de Pasadena. C'est là que plus tard, les frères Alex et Edward, devenu Eddie, forment leur premier groupe qu'ils baptisent Mammoth. Pourquoi ? Vous avez deviné.Entretemps, Papa Jan Van Halen, excellent clarinettiste et saxophoniste, a mis ses deux rejetons au cours de piano classique. Mais bon, au début des années septante, tous les jeunes gars ont plus envie de jouer le répertoire de Led Zeppelin et des Stones que celui de Chopin et Schubert. Eddie se met donc à la batterie et Alex à la guitare. Vous vous rendez compte à côté de quoi on a failli passer ? Pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, le solo de guitare de Beat it n'aurait jamais été aussi génial. Car c'est en constatant qu'Alex est bien meilleur que lui à la batterie, que Eddie abandonne les tambours au profit des cordes de guitare. Son jeu devient rapidement révolutionnaire ; les guitaristes rock ayant une formation de pianiste classique sont en effet très rares. Et après avoir maîtrisé son instrument, Eddie comprend qu'il peut comme sur un piano jouer des notes différentes avec chaque main sur sa guitare. Personne n'y avait jamais pensé avant lui et pourtant le résultat est hallucinant et inédit. Conscient de sa trouvaille, Eddie va réussir à la cacher aux éventuels imitateurs et concurrents en jouant durant plusieurs années en tournant le dos au public. C'est l'arrivée de David Lee Roth au chant qui va changer la donne. En effet, quand celui qui n'est que le loueur de matériel, prend le micro et fait son show, le groupe devient tout simplement explosif. Fini Mammoth, bonjour Van Halen ! Mais Van Halen est surtout un groupe d'albums, entendez par là qu'à chaque disque qui sort, les nouveaux fans achètent tous les précédents. Ainsi leur premier album se vend-il aux Etats-Unis à 10 millions d'exemplaires. Van Halen, c'est une machine colossale au son tout aussi énorme qui lorsqu'il propose en 1984, déjà son sixième album, va découvrir les joies d'être N°1 au hit parade des singles. Cela fait en effet quelques années qu'Eddie Van Halen a découvert les synthés dont il s'est servi jusque-là pour encore alourdir le son du groupe. Est-ce le passage par le studio de Michael Jackson et la joie d'entendre son solo cinq fois par jour à la radio mais ici, pour la première fois, il se sert des claviers pour le rendre plus aérien, plus mélodique. Le résultat est étonnant, Jump figure aujourd'hui, avec Beat it, au panthéon des plus grandes chansons des années 80.
Parmi les figures qui ont forgé la légende des années 80, la plus foisonnante des décennies de l'histoire de la musique populaire, la présence de David Bowie est inévitable, incontournable et pourtant la plus étonnante. Inattendue je devrais dire. En tout cas en 1983. Pourquoi ? Ben il faudrait qu'on y retourne, je vous emmène ?En ce printemps 83 où on en a plus que pour Michael Jackson, U2 et Simple Minds, bref une nouvelle aube sonore et musicale, David Bowie a tout de l'artiste des années 70 où il a brillé partout. Au point qu'il est le modèle de toute cette nouvelle génération nommée New Wave qui lui a tout piqué ou presque. Est-ce pour cela qu'il a disparu depuis trois ans ? Non. Ou en tout cas pas uniquement. C'est vrai que David a un problème avec tous ces clones de lui. Il a l'impression de se voir et de s'entendre partout. Mais bon, il y a aussi eu l'assassinat de son pote John Lennon à New York alors qu'il était lui-même sur scène à deux pas de là et qui a engendré une peur bleue de se montrer en public. Et puis enfin un gros problème de relation avec sa maison de disques qu'il a dû régler. Et malgré cette longue absence, qui pourrait imaginer que de tous les albums de David Bowie, ce fameux Let's dance est de tous, celui qui a été le moins préparé et le plus vite exécuté. David n'a écrit que cinq nouvelles chansons en trois ans quand il approche des portes du studio d'enregistrement. L'option de tout écrire en une nuit en absorbant des substances illicites appartenant au passé, il lui reste celle des fonds de tiroir, ce qu'il fait en reprenant une chanson qu'il a enregistrée quelques mois plus tôt avec Giorgio Moroder pour un film d'horreur esthétique mais de série B passé plus ou moins inaperçu en dehors des couloirs du BIFF à Bruxelles et des vidéoclubs. C'est ainsi qu'il ressort également un titre dont il a coécrit la musique avec son ami Iggy Pop pour le premier album solo qu'il a produit pour lui … en 1977, encore les 70's. Ah c'est qu'il s'amuse toujours avec Iggy qui est probablement son seul ami ; il l'avait d'ailleurs emmené dans ses valises quand il avait quitté Los Angeles au milieu de la décennie, pour Paris, puis Berlin. C'est là qu'ils avaient écrit cette chanson qui, au départ, n'a rien d'une bluette puisqu'elle fait référence à la coke et à l'héroïne. C'est d'ailleurs cela qui amuse beaucoup Nile Rodgers, le producteur de Let's Dance : faire de cette China Girl un titre pop à prendre au premier degré comme le prouvera le vidéoclip. Et il fait bien vu l'incroyable succès qu'elle va rencontrer en cette année 1983.Comme Nile le dira plus tard : il m'est souvent arrivé de savoir que la chanson que j'enregistrais allait faire un tube. Comme cette fois où on a fait écouter “Le Freak” à notre maison de disques. Ils n'y ont pas cru et pourtant c'est le single le plus vendu de leur histoire. C'était le cas aussi pour le “We are family” de Sister Sledge mais pas pour “China Girl”. Nile a ainsi poussé Bowie à sortir Let's dance en premier. Bowie n'y croyait pas, il avait tort. Lui, il voulait sortir China Girl en premier. Les deux ont eu raison et ont eu tort, mais heureusement pas au même moment. Résultat, deux tubes successifs et un Bowie au sommet, qui marque la décennie de son empreinte, imposant une nouveau look et regagnant en cette année 1983 tout l'argent qu'il avait perdu dans les années 70.
On n'a parlé que de ça en 2022, Kate Bush, 63 ans, était N°1 dans le monde entier avec une chanson qu'elle avait pourtant sortie en 1985. Et ce n'est pas tellement le fait que cette chanson ait connu un succès prodigieux à cause de Stranger Things qui étonne, c'est plutôt que l'une des héroïnes de la série l'écoute sur son baladeur et que ça lui sauve la vie. Alors Ca a beau se passer il y a 45 ans, tous les ados d'aujourd'hui se sont identifiés à elle car non seulement ils font tous pareil sauf que c'est du streaming, plus une cassette, mais surtout la musique des années 80 est une évidence pour eux, elle fait partie de leur présent au même titre que les nouveautés. On ne s'étonne donc pas que les jeunes Américains et leurs parents aient découvert un titre qui à l'époque avait échappé à leur pays tout entier. Il faut dire que Kate Bush est une artiste authentiquement et profondément anglaise, un pays dont elle n'aime pas sortir. Comme autrefois le professeur d'Oxford Tolkien dont elle a donné vie à l'univers avec ses Elfes et ses magiciens, dans le monde de la pop et du rock. Avec son visage d'ange, la grâce d'un corps qui semble plus voler que marcher, un talent de compositeur qu'on n'a plus entendu depuis Purcel, une voix de fée haut perchée, Kate Bush nous emmène dans la pénombre des greniers des manoirs britanniques à la recherche d'une adolescence égarée.Plus de quarante ans après ses premiers succès, il ne s'est trouvé personne pour prendre sa place. Comment un tel génie, de la première touche de piano au dernier pas de danse d'un de ses vidéoclips, a-t-il pu éclore dans l'esprit et le corps d'une jeune fille de 19 ans, quand elle a commis son premier tube ? Plus fort, elle n'avait que 16 ans lorsqu'elle a enregistré cette perle sous la direction d'un certain David Gilmour, un des deux leaders de Pink Floyd, totalement subjugué par la musique et la poésie de ce petit prodige qui a déjà écrit une cinquantaine de chansons et dont pourtant, aucun label de disques ne s'était dit intéressé. Après avoir prêté une oreille aux enregistrements recommandés par Gilmour, le patron d'EMI se dit qu'en cette époque où la musique change, cette fille pourrait être « The next big thing », le prochain gros truc. De fait, en 1978, son premier disque allait déchirer les charts de toute l'Europe de haut en bas. On y avait mis les moyens : Geoff Emerick, l'ingénieur du son des Beatles, et une partie de l'entourage de son copain Alan Parsons, un ancien collaborateur de Pink Floyd qui lui aussi s'était mis à vendre des camions de disques. Quatre albums plus tard, en 1985, Kate Bush n'a que 26 ans et pourtant, elle joue jeu égal avec un Peter Gabriel en proposant des disques ambitieux au son révolutionnaire mais authentique, ce qui lui permet d'accomplir le miracle d'en faire des hits. Les Américains ont attendu 2022 pour l'adopter mais au vu des compteurs de streaming de l'ensemble de son répertoire, ils ne sont pas limités à cet unique titre découvert grâce à la série. Avec une voix et une musique surgie d'un passé lointain, Kate Bush séduit les ados d'aujourd'hui mais est-ce si étonnant, quand on sait que le temps n'a pas de prise sur les fées.
Les années 80. Quel bonheur d'avoir vécu ça. La musique bougeait de partout et nous bousculait de ses trouvailles enthousiasmantes. Et ne vous avisez pas de piquer ce qu'un autre a fait, non, que du contraire, si vous voulez que ça marche pour vous, il faut que vous surpreniez tout le monde. Et c'est ce qu'a fait Michael Jackson, avec son pote Quincy Jones et une sacrée brochette de musiciens. Oui, c'est vrai qu'il faut avoir vécu la sortie à quelques semaines d'intervalle de Billie Jean et de Beat it pour comprendre pourquoi le succès de Michael Jackson parti en vrille comme jamais ce n'était arrivé.Beat it, c'était en février 1983, en pleine folie Billie Jean, alors N°1. Il s'agissait déjà du troisième single issu de l'album Thriller. Un truc de fou, n'est-ce pas ? Ben oui, justement, c'est ça la grande idée de Michael ; faire le même coup que les Beatles près de 20 ans plus tôt. Je vous raconte … Hé oui, l'année précédente, le timide Michael ne s'en était pas caché à Quincy : il voulait réaliser le plus grand disque de tous les temps. Ce qui avait fait sourire son producteur. Mais Quincy respecte, alors on va tout faire pour, en ne lâchant rien. Michael, si tu veux toucher le public blanc, tu devrais faire un titre très rock.Super, j'adore ça. Alors, fais-moi un titre dans le genre My Sharona.Gigantesque tube mondial par le groupe The Knack deux ans plus tôt, même un jazzman comme Quincy Jones le connaît, c'est dire. Alors Michael tape, cogne dans sa tête. Ça doit déménager grave, vrombir, et bien sûr chanter. Et pour bien expliquer ce qu'il veut aux musiciens du groupe Toto qui travaillent avec lui, Michael enregistre tout avec sa voix et ses mains. Alors ça cogne, ça frappe, ça gratte dur ; Michael n'est jamais content, tout est tellement poussé à fond qu'à un moment un baffle se met à brûler. Ce son de ouf de l'intro qui nous a tous marqués d'emblée, c'est Michael qui l'a trouvé. Enfin, il a sauté sur le compositeur Tom Bahler quand il l'a joué sur son Synclavier, le premier synthé numérique. C'est quoi ça, je le veux ; et à nouveau, il le pousse à fond. Quant au gros coup de tom comme un coup de poing de cinéma qui nous a aussi tous interpellés à l'époque, c'est encore Michael qui le trouve quand un objet tombe sur l'étui d'un instrument. Michael bondit aussitôt sur l'objet et le fait retomber dessus. Mais c'est génial, ça ! Bruce, tu peux enregistrer ce bruit ? Alors le fidèle et génial ingénieur du son l'enregistre, on le pousse à bloc, lui aussi, et d'ailleurs vous allez faire pareil pour réécouter le titre, en faisant cette fois à attention à ces fameux sons qui nous sont, avec les décennies, devenus si familiers mais qui à l'époque, étaient inédits. Vous allez voir que vous n'allez plus entendre que ça cette fois, et comprendre pourquoi ces années 80 ont été si incroyables.
Qui aurait dit que les paroles de cette chanson, pardon ce rap, seraient encore chantées toutes générations confondues plus de 40 ans après. En effet, quand le 45 Tours sort chez les disquaires en 1982, dans les salles de cinéma, on projette un film qui s'appelle Blade Runner et qui nous raconte à quoi ressemblera le monde de 2019. Alors en 2025, six ans plus tard, vous pensez bien que plus personne n'aura gardé le souvenir ni de l'air ni de l'histoire de ce mec et de cette fille, en voyage au bout de la nuit. Et pourtant, vous le savez, il y a beau ne plus avoir de disquaires pour mettre la pochette du single de Chagrin d'amour dans leur vitrine, même les jeunes du Millenium la chantent encore. Il est facile aujourd'hui d'en donner les raisons. Chacun fait c'qu'il lui plaît, c'est d'abord le premier rap en français, un titre qui colle aux années 80 qu'on en finit plus de célébrer au XXI° siècle. Et puis il y a le thème universel de la vie solitaire dans les grandes villes, jouant sur le mythe de la décadence urbaine : l'alcool, le sexe, la solitude, le sordide, l'insomnie, les bars interlopes et les petits matins chargés de nicotine. L'auteur de la chanson se nomme Philippe Bourgoin. Dans les années 70, il était parti à New York vivre son rêve de devenir un réalisateur renommé. C'est là qu'il rencontre une Américaine francophile comme on en trouve beaucoup dans les milieux branchés à l'époque. Elle se nomme Valli Kligerman et l'admire, Philippe est un surdoué. Bien qu'il soit en train de terminer ses études, il a déjà signé le scénario d'un film dans lequel jouent Jean Yanne et Jodie Foster. Phil et Valli se plaisent, sortent ensemble et se marient, en cachette. Mais une fois son diplôme obtenu, il rentre en France laissant Valli à New York. Philippe est revenu au pays avec dans la tête une chanson qu'il a écrite plusieurs années auparavant avec son pote Gérard Presgurvic. Ils avaient en vain essayé de vendre à tout le monde cette histoire d'insomnie et de fille de bar, sans succès. Mais lorsqu'il entend la chanson Magnificent Seven des Clash, un rap qui commence par un réveil qui sonne à 7 heures du matin, Philippe se souvient du hip hop de Sugarhill Gang qu'il a découvert quand il était à New York. Il écrit alors Cinq heures du mat, j'ai des frissons et revoit tout le texte en le scandant comme un rappeur. Ce n'est plus du tout la même chanson. Gérard Presgurvic ne compte donc plus l'interpréter, Bourgoin contacte alors Gregory Ken, un gars qui a déjà pas mal bourlingué puisque de guitariste de groupe yéyé dans les sixties, il est devenu un chanteur emblématique des comédies musicales parisiennes dans les années 70. On l'a vu dans Hair, Jesus Christ superstar, Mayflower et Starmania où il interprète Ziggy, à sa création, avec France Gall. Sa femme Valli ayant décidé de le rejoindre à Paris, Bourgoin réécrit la chanson et lui donne le rôle de la fille de bar : le duo Chagrin d'Amour est né et convainc Eddie Barclay.Cette chanson pourtant étonnamment noire et désespérée est un tube énorme notamment grâce à la nouvelle radio jeune NRJ et d'autres radios libres qui diffusent le disque vingt fois par jour. Tout le monde en est dingue, qu'on se reconnaisse ou pas dans la déshérence de l'anti héros. Trois millions de 45 tours vendus plus tard, ce n'est plus un tube, c'est un hymne à notre sombre humanité qui refuse de le prendre avec gravité.
Benjamin Biolay, un nom qu'on commence à entendre par çi, par là en cette année 2000 qu'on a tant attendue au cours du XX° siècle, année surprise où Henri Salvador, l'ancien chanteur comique, vend un million de singles et autant d'albums. Il faut dire que parmi les quatre chansons de sa plume, trois vont sortir en single … Benjamin a travaillé en duo avec Keren Ann, l'artiste dont il a produit le premier album sur lequel il a composé 11 des 13 titres. On a compris que dans le duo, c'est plutôt lui qui tire la partition et pourtant bizarrement, c'est elle que Salvador pousse partout en interview sans le mentionner. Il revient même à Biolay que Salvador le traite de p'tit con. Benjamin ne comprend pas. Alors quand, quelques mois plus tard, vient son tour de sortir son premier (et entre parenthèses extraordinaire) album, il ne se prive pas de dire dans les médias que s'il est un p'tit con, Salvador, c'est un gros connard.Le ton est donné car Benjamin sait qu'il aura le mauvais rôle, lui le bleu, l'inconnu, face à l'ancienne star, l'homme qui a fait rire toute la France et bien au-delà. Et pourtant, ce sont bien ses trouvailles sonores et ses mélodies qui permettent à Salvador d'opérer le retour le plus fracassant et improbable que le show bizness français ait jamais vu. Avec un disque d'or et une victoire de la musique, révélation de l'année, Benjamin succède quelque part au Johnny Hallyday que le même Salvador avait hué sur scène en 1960, criant “sortez-le !” devant un public hilare. Ce n'est pas cela qui va empêcher Biolay de collaborer avec des dizaines d'artistes dont les plus grands. Tous, ou presque. Mais bizarrement son succès personnel va mettre très longtemps avant d'atteindre le rivage du grand public. Il joue devant des demi-salles, nous sommes peu nombreux, début des années 2000 à l'AB et pourtant c'est magique. Ce n'est pas la faute au public, c'est plutôt que Biolay brouille les pistes, ne fait aucune concession aux radios ni à sa maison de disques qui après six ans, finit par ne plus avoir envie de sortir un prochain album. Il faut dire que comme Gainsbourg dans les années 70, son dernier CD, encore une fois centré sur son chagrin d'amour, sa rupture, s'est vendu à moins de 18.000 exemplaires. Alors Benjamin quitte le monde des multinationales, il paye les heures de studio de sa poche pour enregistrer un album qui va lui rapporter deux Victoires de la Musique, Meilleur interprète, Meilleur album, un disque de platine et ses premiers grands classiques. Des titres qui s'aggripent à votre âme et vous tirent des larmes d'émotion. Comme ces Cerfs volants qui en 2001 lui avaient valu la Victoire de la Musique de la révélation musicale de l'année. Tout y était déjà, la mélancolie précoce à la vingtaine, ambiance Perfect Day de Lou Reed, et surtout, déjà, une musique qui n'est pas celle de tout le monde.
Je me demande quand viendra le temps où on dira "les années 20", comme on l'a tant entendu au XX° siècle. Et qu'en dira-t-on ? Ah c'est vrai qu'on parle déjà pas mal des années des années 2000. Elles commencent à dater, mine de rien, non ? Et on en garde de bons souvenirs. Tenez si je vous demande celui que vous gardez de ce clip où un jeune chanteur anglais se déshabillait puis plongeait dans la mer depuis une falaise ? Oui, You're beautiful, par James Blunt. L'idée est géniale. Un sol immaculé et un chanteur qui vous regarde dans les yeux. Il est vachement beau, hein. Mais nous les garçons, bizarrement, on ne le jalouse pas ; c'est pas un Bruel mais plutôt une version romantique de Jim Morrison. On a envie d'être son pote pendant qu'on le voit ôter le haut, ses baskets et ranger toutes ses affaires soigneusement devant lui. Tout ça sous une belle averse et un ciel bien couvert avec quelques oiseaux de mer qui tournent au-dessus de lui. Ah il est bien bâti ce James Blunt, il faut dire que c'est un ancien officier qui a quitté les rangs après avoir fait la guerre des Balkans. Et puis, il y a la musique, ça nous change de la pop dance avec tous ces artistes qui font à peu près la même chose. James Blunt, lui, il joue de la pop à l'ancienne qui n'est pas sans évoquer des Cat Stevens, les Doors avec, il faut bien le dire, une voix en or et un sacré physique. Et donc, on a tous avec le menton qui tombe sur le le sol quand à la fin du clip, ce bon James Blunt se jette dans la mer car voilà, astuce du réalisateur, on ne pouvait pas se rendre compte qu'elle est aussi loin, il n'en finit pas de tomber. On a le clip que le clip aavit été tourné sous la neige d'Ecosse par Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d'Amélie Poulain et de Alien, la résurrection mais il n'en est rien. Non, la vidéo a en réalité été tournée sur l'île de Majorque aux Baléares et s'il ne faisait pas aussi froid, c'était par contre, vachement haut. C'est ce que se dit James Blunt en voyant d'où il va devoir sauter. Non, je ne peux pas faire ça. Mais au vu de l'équipe réunie autour de lui et celle des plongeurs qui l'attend sous l'eau au cas où, il ne se dégonfle pas. Mais voilà, mauvaise nouvelle. La prise est ratée. James est obligé de remettre ça, il ose à nouveau mais s'ouvre la lèvre en touchant l'eau. La prise est bonne cette fois, le chanteur ne regrettera pas son acte héroïque car, comme il a eu l'occasion de le dire, sans cette vidéo, la tournée mondiale se serait résumée à celle du nord de Londres.
Beaucoup aujourd'hui regrettent les années 2000. C'est drôle quand on sait qu'on en rêvait depuis les années 50 mais pas pour les mêmes raisons. La preuve ? Les années 2020, c'est nettement moins bien. Car vous savez ce qu'il y avait de bien dans les années 2000 et qu'il n'y a plus maintenant ? Déjà on pouvait envoyer un Bzzz sur MSN pour réveiller celui ou celle avec qui on discutait mais qu'on sentait distrait, parce qu'il répondait pas. Alors on faisait trembler son ordi. Vous vous souvenez ? Essayez avec Whatsapp, y a pas !Mais bon, plus sérieusement, à cette époque où Star Wars n'avait pas encore été acheté par Disney, franchement on nous l'aurait dit, c'était un truc à mettre dans un sketch, mais bref, dans les années 2000, on a eu Astérix Mission Cléopâtre, Gladiator, Les Seigneur des anneaux, Harry Potter, Pirates des Caraïbes, Love Actually et autres Batman de Christopher Nolan. Et Daniel Craig qui ressuscite James Bond. Bref, de très bonnes raisons d'aller au cinéma. Et puis, qu'on ait 15 ou 30 ans, le lendemain au boulot ou dans la cour de récré, tout le monde avait vu les nouveaux épisodes de Charmed ou de Desperate Housewives. Pourquoi ? Parce que tout le monde regardait les mêmes trois, quatre chaînes de télé. Allez-y aujourd'hui. Vous avez déjà fait le test de vous écrier “Et vous avez vu la nouvelle série ?” et de ne recevoir en retour que des yeux en forme de points d'interrogation, avant de comprendre que vous le ou la seule abonnée à ce site. Et que même ça vous vaut des regards méprisants d'envie. Si, parfois.Et puis, y avait Brice de Nice à la télé. Et la StarAc. Là, c'était sûr que tout le monde avait regardé. Bien sûr, il y avait les pour et les contre. Ceux qui trouvaient ça chouette de retrouver de grandes communions populaires autour de la chanson, alors la disparition des émissions de variétés. Et ceux qui se lamentaient ou se fâchaient sur cette télévision réalité qui sortaient des artistes de nulle part, sans expérience, et les transformaient en stars du jour au lendemain. Mais bon, on allait quand même y chanter car il faut bien vendre le nouveau disque. Enfin, c'est l'occasion que ces années 2000 ont porté de solides nouveaux noms. Dont des étranges. Tenez ce gars qui avait une coiffure reconnaissable de loin comme Jamiroquaï. Ben oui, M. Comme Mathieu Chédid mais M c'est un personnage qu'il s'invente pour se donner en spectacle sur scène, un art qu'il maîtrise avec une vraie musique organique, du funk et du rock, en français. C'est le Ziggy Stardust de David Bowie version Millenium et francophone, évidemment, et une occasion, si pas un espoir, la musique et la création font encore et toujours bon ménage.
Quand on parle des années 2000 aujourd'hui, on entend souvent dire que c'est à cette époque que la musique populaire est arrivée au bout de ce parcours étonnant qu'elle avait fait depuis les années 50. C'est vrai que c'est l'époque où on commence à réécouter ce qui s'est fait avant, que les rappeurs font d'énormes succès en samplant des sons, des gimmicks ou carrément des refrains de vieux morceaux. L'ère du recyclage aurait commencé au moment du 2.0 avec les machines qui rendent tout tellement plus simple, tellement moins cher aussi. Alors, le duo français formé par Thomas et Guy-Manuel qui se sont lancés dans la dance la décennie précédente serait-elle venue ? Ces deux gars qui bricolent chez eux des grooves mixés avec des sons très seventies dont le célèbre (mais oublié) Vocorder sont-ils destinés à dominer le marché mondial de la musique. C'est qu'ils viennent de loin, ces deux lascars mais avec un sacré bagage. Ils sont potes depuis l'adolescence, le lycée quand ils forment un groupe nommé Darlin' et qui sonne grunge comme la plupart des jeunes formations dans le sillage de Nirvana. Un label anglais indépendant sort leur single qui ne se vend guère. Darlin' ne trouvant pas sa place sur la scène française, Laurent, le troisième larron du trio, quitte l'aventure et formera bientôt Phoenix, le groupe de rock français le plus célèbre dans le monde que vous n'avez pas pu rater lors de la cérémonie de clôture des JO de Paris. C'est dire le concentré de destins et de génie qu'il y a dans ce trio qui n'a pourtant pas giclé bien loin. Franchement, ce serait arrivé à des Anglais ou des Américains, tout le monde aurait entendu parler de cette histoire et considérerait aujourd'hui le 45 Tours de Darlin' comme culte. Mais bref !Voilà donc le duo de copains à la recherche d'un nouveau projet. Mais pourquoi aller chercher ce qu'ils ont déjà et ne pas rester à deux ? Compliqué de faire du rock à deux mais justement, la musique est à cette époque encore en pleine explosion et surtout en mutation. On parle maintenant de techno, de house, bref des trucs qu'on peut faire à la maison sur des synthés et des ordinateurs. Comme nom, ils se sont choisis une expression créée par un journaliste anglais du magazine spécialisé Melody Maker pour qualifier la musique de l'ancien groupe dans lequel ils avaient joué : Daft Punk Thrash, punk idiot pourri. On enlève le thrash et le tour est joué : voilà un nom qui sonne dans toutes les langues. La réussite de leur premier album est étonnante mais annonciatrice de ce nouveau monde, 2 millions d'exemplaires vendus grâce au clip de Around the world réalisé par Michel Gondry, futur réalisateur du film culte Eternal sunshine of the spotless mind avec Jim Carrey. On entend aussi des choses étonnantes comme Dee-Lite qui jouent énormément sur le vintage et remettent des vieux sons à la mode d'aujourd'hui. Et ça, mettre l'ambiance, c'est un truc qu'on connaît bien dans la famille de Thomas puisque son père, Daniel Bangalter a dans les années septante sous le pseudo de Daniel Vangarde travaillé avec Ottawan, Sheila ou encore les Gibson Brothers. La voie est donc toute trouvée, le disco façon années 2000, pourquoi pas, Daft Punk va mettre la recette de cette musique oubliée en orbite dans le monde connecté.
Le Millenium ! Il y a 25 ans tout rond, nous venions de le passer, ce fameux réveillon de l'an 2000 qui allait être le truc le plus extraordinaire jamais vu et que finalement … bon vous savez. Du moins pour ceux qui étaient déjà en âge de faire réveillon, de rester éveillé jusqu'au 31 décembre 1999 à 23 heures 59.Et franchement, combien ont dit : J'ai bien réfléchi, partez sans moi, je reste au XX° siècle ! Je vous rejoindrai p't'être. Ils auraient eu tort, hein ? Ils auraient raté les smartphones et la révolution du numérique qui s'est installée dans nos vies quotidiennes à coup de réseaux sociaux, d'infos et d'images en tout genre. Non, pas sûr que beaucoup d'auteurs de science-fiction des années 50 à 70 qui nous ont fait rêver avec leurs mondes futurs aient vu venir cette génération perpétuellement collée à une petit planche électronique qui tient dans la poche. Je n'exagère pas. De 2001, où on était censé partir en odyssée dans l'espace à 2010, on est passé de 500 millions de personnes possédant un GSM à 4 milliards six cents millions. Voilà qui a changé nos sociétés et notre vie. Connectée qu'ils disent. Aux autres, au monde, disent les optimistes, à un monde virtuel, en d'autres mots “pas la vraie vie” disent les autres.C'est vrai qu'on ne regarde plus les disques tourner en écoutant la musique qui est devenue un fond sonore et non plus une occupation. C'est vrai aussi qu'on ne doit plus attendre le journal télé du soir pour connaître les infos du jour. Et c'est vrai qu'on peut même regarder des films et écouter de la musique sans avoir à payer (et entre parenthèses en toute illégalité). On peut même parler à certains d'entre eux sur un site nommé MySpace. C'est étonnant mais ils y ont ouvert chacun leur compte pour y déposer des sons, des photos, des images, des infos et parfois, ils répondent à vos messages. Ca fait tout drôle d'être dans son espace, un contact direct avec un musicien ou une chanteuse. Le nombre des chaînes télés explose sur nos téléviseurs, les jeux vidéos passent en haute définition, l'internet en haut débit (vous vous souvenez des 4 lettres ADSL?), les films deviennent des séries de Harry Potter aux Super Héros Marvel, DC Comics et autres. Un besoin de super héros sans doute rassurant avec la montée de super méchants, bien ancrés dans le monde réel, eux. Et donc, un nouveau monde baptisé 2.0 s'éveille comme en témoigne ces nouveaux leaders héros entrepreneurs, comme Bill Gates et Steve Jobs. Des nouveaux leaders et des nouvelles stars, nées à la fin des années 80, et qui ont grandi dans ce nouveau monde digital avec Toy Story comme la jeune Taylor Swift, 18 ans et déjà un deuxième album. Les lendemains qui chantent toujours dans cette nouvelle ère, avec cette nouvelle version de Roméo et Juliette qui vont finalement se marier et qui vont hisser son interprète à un niveau jamais atteint par une chanteuse dans le coeur du public.
L'histoire d'amour la plus emblématique des années 90 est loin d'être fleur bleue puisque c'est celle de Kurt Cobain, chanteur et éminence grise de Nirvana, et de Courtney Love. A côté d'eux, les exactions de Tommy Lee et de Pamela Anderson, c'est du sirop pour contes de fées. Inutile de vous rappeler tout ce qui a noirci les colonnes des journaux et magazines people à coups de beuveries, bagarres, consommations d'héroïne, dope et autres tentatives de désintoxication. Ceux qui ont parlé d'autodestruction et d'autoroute vers l'enfer n'étaient pas loin du compte.Est-ce l'époque assombrie par les mouvements grunge et électro du début de la décennie, gigantesque gueule de bois de l'après années 80 ou est-ce tout simplement la région d'où ils venaient tous les deux, désespérante pour la jeunesse. Cet état de Washington dans le nord-ouest de l'Amérique, coincé sous la frontière avec le Canada, qu'on imagine gelé tout l'hiver mais non, il y fait très rarement froid. Entre les vastes forêts et le courant chaud charrié par l'océan, il y pleut quasiment toute l'année. On dirait que tout pourrit sur place dès l'adolescence. Alors on pense à la légende de Kurt Cobain, qui aurait vécu SDF sous un pont, mais qui en fait a trouvé une petite amie qui travaille pour eux deux. C'est elle qui paie toutes les factures alors qu'il zone dans son plumard, puis quand elle rentre, part répéter avec ses potes musiciens. Et enfin quand la sauce rock commence à prendre, il lui dit que c'est terminé, n'osant pas lui avouer qu'il est tombé amoureux d'une punkette nommée Tobi Vail. Mais avec qui il ne réussit pas à construire une histoire, il y a juste un flirt, pas plus, mais il va en souffrir, baliser, obsédé par l'image de cette fille qui est pour lui la rockeuse absolue, l'idéal féminin.Et donc ce soir de 1990 où Kurt se trouve à Portland dans une boîte de nuit, après la sortie du premier album de Nirvana et qu'il s'apprête à monter sur scène, cette fille-là, plus grande et plus forte que lui, lui fait diablement penser à Tobi. Mais voilà qu'elle se fout de sa balle et puis ta petite amie est grosse. Alors Kurt lui saute dessus, ils s'empoignent, jusqu'à tomber par terre, là, devant le juke box qui joue la chanson préférée de cette sublime apparition. Et puis ils s'embrassent, baignant dans une flaque de bière. Kurt voudrait aller plus loin après le concert mais cette sacrée nana prénommée Courtney, musicienne, elle aussi, disparaît comme elle est apparue. Et voilà Kurt avec un visage en tête, perdu dans une nouvelle passion à sens unique, mais dans l'ignorance que Courtney suit toute son ascension dans la presse. Tout va alors très vite pour Nirvana. Surtout que Dave Grohl, le batteur, sort avec la meilleure amie de Courtney et qu'il lui apprend qu'elle a un crush pour lui. Ouais mon vieux, le soir où tu l'as rencontrée, cela faisait des mois qu'elle avait eu un flash en nous voyant jouer. Mais elle est comme ça, elle ne sait pas comment faire avec les mecs qui lui plaisent. La prochaine fois qu'il la croise, c'est sûr, Kurt ne ratera pas le train.
Ce 9 octobre 1966 au soir, nous allons assister à un de ces moments qui ont compté énormément dans la légende de notre pop culture mais dont bien évidemment aucun des acteurs n'a alors conscience. En effet, Marianne Faithfull, 19 ans mais déjà un mariage raté, un enfant et quelques disques à son actif, est venue à Bristol voir jouer les Rolling Stones. Mais que fait-elle là, en coulisses, alors qu'elle s'approche de Mick Jagger en plein cours de danse avec Tina Turner qui le traite de nul en le rabrouant. Marianne se demande pourquoi elle s'est tapée la route jusque-là, Jagger n'est pas son type. Deux ans plus tôt, quand le manager et producteur des Stones l'a découverte et lui a proposé une chanson signée Jagger-Richards, le contact avec Mick avait été peu probant lors de leur unique rencontre. Elle se revoit monter dans le taxi en sortant du studio et Mick lui proposer de s'asseoir sur ses genoux. Elle a 17 ans, une éducation aristocratique héritée de sa mère, c'est hors de question. Et Mick de ne rien trouver de mieux que de renverser exprès du champagne sur sa robe. Heureusement que Marianne ignore que son producteur l'a convaincu d'écrire une chanson pour elle avec ces mots : Tu vas voir mon vieux, c'est un ange avec une grosse paire de nichons.Il est vrai que les Stones ne sont pas réputés pour leur poésie. C'est une sacrée bande de gamins attardés arrivés de nulle part dans un monde qui leur offre tout au milieu de cette décennie de dingues. Ah il y a bien Keith Richard, le taiseux, pour plaire à Marianne. Il lui plaît vachement, en fait. Bref, après le concert, tout le monde rentre à l'hôtel, Marianne assiste au bazar de toute la bande dans la chambre de Mick. Ça s'agite beaucoup au début puis ça se calme. Brian Jones et sa copine Anita Pallenberg finissent par partir, suivis par Keith qui en fait se meurt d'amour pour Anita, c'est foutu pour Marianne. Quatre du mat, il ne reste plus dans la chambre que Mick, évidemment, Marianne et une danseuse-choriste de Ike et Tina Turner qui se verrait bien finir la nuit avec Mick Jagger. Mais au bout d'un moment, comprenant qu'elle est de trop, elle s'en va, elle aussi. Alors quand Mick se met à la regarder avec les yeux du Grosminet qui va dévorer Titi, Marianne lui propose d'aller faire un tour dans le parc de l'hôtel. Il est joli, non ? Et puis, Bristol, c'est beau, la nuit. Marianne a capté dans les discussions que Mick allait rompre avec Chrissie, son officielle, car il avait l'actrice Julie Christie dans le viseur. Julie Christie, c'est Lara, l'amour de Omar Sharif dans Le docteur Jivago, l'immense succès du moment aux six Oscars. Non, Marianne ne fera pas office de biscuit cette nuit, pas question. Mais voilà, au fil de la conversation, celui qu'elle prenait pour un sale gamin, la charme en répondant à ses questions sur la légende du Roi Arthur, pilier de la littérature anglo-saxonne. Et tel Lancelot pour sa Guenièvre, de retour dans la chambre, Mick se montre prévenant en mettant ses petites chaussures percées par la rosée, à sécher sur le radiateur. On est loin de la brutalité des Stones, là. Mick va appeler Marianne et lui rendre visite de plus en plus régulièrement dans son appartement londonien. Pas de Julie Christie, Mick et Marianne vont devenir le couple emblématique du Swinging London. On ne parlera pas de la fin, on va en rester à “ils furent heureux”, c'est mieux non ?
Il fut un temps où on considérait que les histoires d'amour compliquées, qu'on jugeait sordides, ne pouvaient se produire que dans le monde de la musique et du cinéma. Il n'en était rien, évidemment, juste le fait, non négligeable que le scandale faisant vendre, ces histoires étaient médiatisées à l'extrême. Et au milieu des années 70, où le divorce se porte encore en société comme une bosse sur le dos, c'est un drame quand un coup de foudre tombe sur une personne publique. Surtout quand elle vient de se marier. Je devrais dire quand ils viennent de se marier. Comment Charlotte Rampling et Jean-Michel Jarre pourraient-ils se douter que ce soir de mai 1976, ils vont tomber amoureux. Charlotte est l'actrice fascinante en vue, connue pour des rôles marquants au cinéma dans des films qui ont fait parler d'eux comme le dernier, le sulfureux Portier de nuit. Mariée depuis quatre ans au comédien Bryan Southcombe, elle vit désormais à la Côte d'Azur pour échapper au fisc britannique, comme les Rolling Stones. C'est ainsi qu'elle se trouve invitée ce soir dans un restaurant de St Tropez par l'agent artistique de Patrick Juvet qui vient de terminer un nouvel album prometteur au casting cinq étoiles. L'actrice fait donc la rencontre ce soir-là du parolier de Patrick Juvet qui est aussi celui de Christophe et dont tout le monde a en tête la chanson parue il y a peu … Le jeune musicien de 27 ans, car il est musicien aussi, il est d'ailleurs le fils du célébrissime compositeur oscarisé, se montre très loquace, drôle, en fait, Charlotte le trouve magnétique et rentre chez elle ce soir-là, très troublée. Mais pas autant que Jean-Michel car lui, est bouleversé. Il confie d'ailleurs son désespoir à Patrick Juvet car il est marié, lui aussi, et depuis un an. Et même si son mariage ne fonctionne pas, ça ne se fait pas. Mais de retour chez lui, quelques jours plus tard, Jean-Michel apprend la présence de Charlotte Rampling à Paris pour la promotion d'un film où elle donne la réplique à Robert Mitchum dont c'est le retour en force. Jean-Michel craque, l'appelle et la retrouve à son hôtel où ils restent cachés durant tout le week-end. A son retour, son mari ayant deviné qu'il s'était passé quelque chose, se fâche, Charlotte s'enfuit à Paris, Jean-Michel quitte le domicile conjugal et ils s'installent tous deux chez sa mère.Charlotte et Jean-Michel ne se cachent plus, l'affaire fait grand bruit jusqu'au divorce puisqu'ils n'hésitent pas à s'afficher ensemble lors du Festival de Cannes. Jean-Michel est alors occupé à enregistrer un disque instrumental qui de l'avis de son entourage est bien barré. Mais Charlotte l'écoute fascinée et lui annonce que ce ne sera pas facile : ce sera soit un échec retentissant, soit un triomphe sans précédent. L'histoire de cet amour naissant semble liée à celle de ce disque dont au départ personne ne veut et puis que tout le monde va prendre pour modèle, une bouffée d'oxygène.
Je ne sais plus qui a écrit : il n'y a que deux types d'histoires, un homme tombe amoureux d'une femme et un type arrive en ville. Et c'est vrai que des deux, celle qui émeut le plus, c'est la Love Story. Et qu'il y en a eu des légendaires dans l'histoire du showbizness, voulues et entretenues dans les médias, ou pas. Regardez John Lennon, rien que prononcer son nom, vous pensez déjà à Yoko Ono. Et pourtant, il a connu une sacrée histoire d'amour avant, et une belle. Je vous raconte ?Nous sommes à Liverpool en 1957. Quinze ans après avoir été ravagée par les bombardements, il y règne enfin une nouvelle joie de vivre avec la fin de la reconstruction. Surtout pour les adolescents. Bien que le quotidien soit difficile pour le monde ouvrier, c'est le règne de la débrouille comme chez les Powell. Cynthia, 17 ans, orpheline de père depuis peu, ne doit d'être inscrite à la grande école d'art de Liverpool qu'au fait que sa mère loue une partie de leur petite maison à quatre ouvriers.Les mois passent, Cynthia change, se laisse pousser les cheveux et ne porte ses lunettes à grosses montures que pour lire au tableau. Bon, elle ne descend pas toujours au bon arrêt de bus mais elle est plus avenante comme ça. D'ailleurs ce matin, le cours va débuter quand un jeune gars coiffé comme Elvis Presley déboule dans la classe, les mains dans les poches et le regard animal. Il se dirige vers le banc libre, juste derrière Cynthia et, après l'avoir frôlée, il s'effondre sur la chaise, puis lui tape sur l'épaule en disant, Salut, moi, c'est John ! Auquel elle répond par un Cynthia, en souriant, mais très vite car le prof qui a commencé son cours lui jette un regard en sourcillant.John emprunte du matériel de Cynthia dont il se sert à peine, il fait plus marrer la classe que travailler. En clair, il a atterri dans cette classe car les autres profs ne veulent plus de lui. Il est en fait tout ce qu'elle n'est pas, il se fout des cours, est effronté comme pas permis et ne pense qu'à attirer l'attention sur lui. Mais quand il vient avec sa guitare et chante entre les cours, ce n'est plus le même gars, il a une lueur dans le regard quand elle le croise qui la fait craquer. Ce n'est vraiment pas un type pour toi, lui dit sa meilleure amie. Et c'est vrai qu'il ne la calcule pas, il faut dire que leurs univers sont si différents. M'enfin, elle apprend qu'il est aussi orphelin depuis peu, comme elle, et qu'ils sont myopes tous les deux, et le cachent !Alors quand Cynthia se rend à une fête de fin d'année, devenue blonde et coiffée comme Brigitte Bardot, car elle a entendu John dire qu'il en était sot, toute de noire vêtue, comme lui, la jeune fille timide n'en revient pas de le voir arriver au pub. Mais la soirée se passe sans qu'il ne vienne vers elle, très occupé à amuser la galerie. Tu viens, Cynthia, on y va, on va rater le 72. Et alors que Cynthia met la main sur la poignée de porte, on la retient. C'est John qui lui demande de rester. Cynthia regarde son amie qui lui dit non du regard, mais elle reste, esquissant un sourire en guise d'excuse. Deux verres passent, de nombreuses phrases s'échangent puis John propose d'y aller. Où ? La chambre d'étudiant d'un copain. En sortant, la tranquillité de la rue tranche avec la cohue dans le pub, John en profite pour donner un long, passionné et irrésistible baiser à celle qui dans six ans sera connue dans le monde entier sous le nom de Cynthia Lennon, la maman de Julian.
Il était une fois la Motown, probablement la plus belle légende à raconter pour une firme de disques, familiale, avec un patriarche au milieu, démarrant dans une ville improbable, Détroit, la cité de l'automobile. Succès gigantesque dès le début des années 60, on ne compte plus les noms des stars qui en sortent : Marvin Gaye, Stevie Wonder, les Temptations, Four Tops, Supremes, Diana Ross, les Jackson Five, les Commodores. Mais voilà, au début des années 80, la musique noire explose sur la scène mondiale avec la fin du disco. Le monde s'est mis à danser et la Motown, portée par le retour inespéré de Diana Ross et de Stevie Wonder qui avaient été en retrait durant la mode disco, ne voit pas venir l'essoufflement de ses troupes. C'est vrai qu'ils sont tous là depuis les sixties. C'est aussi le cas pour les Commodores, alors Berry leur conseille de prendre une année sabbatique. Ca ne pouvait pas mieux tomber pour Lionel qui multiplie alors les collaborations et bascule du côté blanc du métier. En 1982 son premier album solo qui ne doit n'être qu'une parenthèse, sort chez A&M, une firme de Los Angeles, celle qui édite, entre autres, The Police, LE groupe du moment. Lionel ne reviendra pas dans le giron des Commodores et de la Motown, ils vont devoir continuer sans lui.Oui, le métier du disque a changé. Terminée la toute puissance des firmes du nord-est New York, Chicago, Detroit, tout se joue désormais à Los Angeles. Et c'est là que se trouve Lionel, avec son ami Michael Jackson. On comprend qu'il ait été vite question quand il a été demandé au duo de copains Lionel Richie et Kenny Rogers de faire une chanson pour l'Ethiopie en 1985, d'aller chercher Michael et Quincy Jones. Et quarante ans après, on a du mal à imaginer combien Lionel Richie, associé à Michael Jackson et Kenny Rogers, pesait lourd sur le marché mondial du disque. Ils cumulent à eux trois 800 millions de disques vendus. Aux JO de Los Angeles, qui invite les athlètes et le monde entier à faire la fête toute la nuit, c'est Lionel, qui aura récolté 15 hits mondiaux en solo sans compter les collaborations ni le fameux We are the world.C'est là qu'on va comprendre pourquoi Lionel Richie reste un des artistes phare des années 80, il marque une pause pour profiter de la vie et aussi pour d'autres raisons matrimoniales. Mais comme souvent, s'arrêter, c'est laisser le monde changer sans vous et donc, vous oublier. C'est ce qui est arrivé. Revenu en 1996, Lionel Richie ne retrouvera pas le chemin des sommets, ni avec cet album, ni avec les suivants. N'empêche l'histoire est belle, elle a été longue, et aujourd'hui, Lionel Richie fait à nouveau recette avec un public qui prend en compte la carrière d'un artiste plus que le succès du moment, conscient de la futilité d'un tube qui bien souvent, est sans lendemain.
Une guitare légère au son très large, un groove rond, le son des Commodores est à nul autre pareil, il colle aux années 70 comme un film de l'Inspecteur Harry. Et quand vient le basculement dans les années 80 et que le disco disparaît, l'Europe alors totalement conquise par la soul music découvre les trois plus grands groupes américains d'un genre jusque-là confidentiel, le funk : ils se nomment Earth Wind & Fire, les Jacksons et bien sûr les Commodores. Mais étonnamment, aussi énorme que soit le son de ce qui est déjà leur dixième album et la qualité des chansons, les Commodores sont à la traîne, complètement éclipsés derrière les deux autres. Et doit-on parler du succès de Michael Jackson en solo !Alors en 1982, le groupe décide d'une pause, après quinze années de tournées et de disques non stop. Pour la première fois, il va y avoir une année sans album des Commodores. Est-ce un hasard si c'est celle où paraît le Thriller de Michael Jackson, qui est l'ami et le cadet de Lionel Richie, il a neuf ans de moins que lui, ce qui, quand on a 24 ans, compte quand même ! On dit toujours qu'il n'y a pas de hasard. Un plus tôt, était sorti un single du chanteur country Kenny Rogers, un concept qui semble fou au départ puisqu'il s'agit de métisser ce genre 100% blanc avec la musique soul. Et qui a été le plus grand crooner côté black dans les années 70 ? Lionel Richie des Commodores. Ecrire pour un autre ne lui pose pas de problème, il le fait pour Walter Orange l'autre chanteur des Commodores et a déjà eu un N°1 avec une chanson écrite pour les Temptations. Et puis c'est dans ce registre que les deux hommes peuvent se rencontrer le plus facilement. Et c'est vrai que cette année-là, quand on a entendu Lady pour la première fois à la radio, on a eu une hésitation. C'est Lionel Richie, ah non, si, non. C'est le jackpot, pour la première fois, une chanson est N°1 dans les quatre catégories du Billboard américain : Adult, R&B, Country et bien sûr, le Hot 100, celui qui cumule tout. De là à inspirer Michael Jackson dans sa quête de conquérir le public blanc, il n'y a qu'un pas.Mais Lionel Richie n'en reste pas là car il se fend aussi d'un duo avec la meilleure amie de Michael, Diana Ross, dont la carrière a été reboostée par la pléiade de tubes offerts par le groupe chic, nouveau et dernier groupe noir américain à avoir conquis le public blanc. En plus, c'est la chanson d'un film avec Brooke Shields, tiens, tiens. Oui, il y a une voie royale qui vient de s'ouvrir au discret Lionel Richie. Son heure est venue. Il vient d'ailleurs d'être pris en charge par le manager de Kenny Rogers, un blanc qui tient le métier du disque à Los Angeles dans les mains. Un gars sympa qui n'a pas la grosse tête car elle est bien faite et qui lui a tenu ces propos : “Tu vois, Lionel, ton problème, c'est que les gens connaissent tes chansons mais pas ton nom. Je vais régler ça.” Lionel ne retournera jamais chez les Commodores.
Si quand il a crevé les écrans de télé dans les années 80, on vous avait dit comme ça d'un bloc que la carrière de Lionel Richie avait débuté dans les années 60, vous ne l'auriez pas cru. C'est vrai, il semblait être tellement de notre époque, comme Prince. Et pourtant c'est vrai que cette histoire avait commencé au milieu des années 60 avec son groupe les Commodores formé sur le campus d'une université de l'Alabama. Les choses avaient été assez vite puisque le groupe signe en 1968 sur le légendaire label R'N'B, Atlantic, celui qui avait révélé Ray Charles. La voie royale. Les Commodores sont alors déjà une fameuse bande avec un chanteur batteur du nom de Walter Orange. Si on entend la voix de Lionel Richie sur le premier album des Commodores, ce n'est que dans les chœurs puisqu'on le retrouve alors principalement aux claviers et au saxophone, il compose d'ailleurs les partitions de cuivres. Sans doute la raison pour laquelle Lionel se trouve au centre des six musiciens sur la pochette en noir et blanc de ce 33 Tours qui commence comme ceci ... on dirait un générique, n'est-ce pas ? Et justement, on va entendre ce morceau instrumental des Commodores un peu partout à la radio et la télé en générique d'émission et bingo, le voilà qui monte dans les charts. Et l'album qui porte d'ailleurs le nom de ce titre se termine par deux chansons signées Lionel Richie. C'est alors que Walter lui-même, convainc Lionel de se lancer en chantant ses propres compositions sur l'album suivant car dit-il, si tu as aussi un excellent sens du swing, tu es un bien meilleur crooner que moi. Et en 1975, les Commodores connaissent un premier grand hit américain, cette fois chez la Motown, et avec la voix de Lionel Richie. Il s'intitule Slippery when wet, … sympa hein ? Et quel groove ! On se croirait dans un film de Tarantino, c'est pas un hasard, c'est un fan, … En tout cas ce titre écrit et interprété par Lionel Richie propulse les Commodores au niveau de leurs compatriotes d'Earth, Wind & Fire. N°1 des charts R&B, une nouvelle étoile est née, en tout cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la France, la Belgique demeurent encore hermétique à cette musique qui n'a pas encore conquis Paris. Mais cela ne va pas tarder car au fil des ans, les morceaux pops côtoient de plus en plus les titres funks sur les albums des Commodores imposant Lionel Richie comme le nouveau crooner, quelque part entre Elvis Presley et Frank Sinatra. Ce type a tout pour plaire, les hits qui s'accumulent le prouvent. Seul ombre au tableau, comme c'est le cas pour Earth Wind & Fire ou Kool & the Gang, les gens ne connaissent pas le nom des musiciens des Commodores. C'est pas le même star system que pour les rockers. Il va falloir changer ça et justement, c'est ce qui va arriver à Lionel Richie au début des années 80.
On connaît tous la voix et le nom de Lionel Richie. Star des années 80, comme Phil Collins, il est issu d'un groupe et voilà qu'au début de la décennie, ils alignent tous deux les disques solos, les duos et écrivent, produisent pour d'autres artistes. Et pourtant, il s'en est fallu de peu pour que nous n'entendions jamais parler de lui dans notre Europe, si lointaine de son Etat d'Alabama, où il est né Lionel Brockman Richie Jr. Alabama, rien que le nom, on imagine les plaines, les déserts, les grands troupeaux de vaches et les cowboys. Mais en Alabama, il y a de grandes villes et des universités où Lionel a grandi dans les années 50. Chaque communauté vit de son côté mais ça n'empêche pas sa grand-mère d'être une pianiste classique renommée et sa maman d'être enseignante, principale d'une école et puis son père aussi, IT dans l'US Army. Non, Lionel ne vient pas d'un milieu défavorisé. Il entame d'ailleurs au milieu des années 60 des études de sciences économiques et obtient un diplôme de bachelier. Et après ça ? Ben il y pense depuis un certain temps, il se voit bien devenir prêtre dans la puissante église protestante épiscopale. Ah, il pourra utiliser les talents de chanteur et de musicien qu'il a développés grâce à sa grand-mère, le dimanche lors des offices ! Mais bon, je ne vais pas tirer l'affaire en longueur puisque vous connaissez la suite, la vie sur le campus et son appartenance à la plus grande fraternité estudiantine ont fait découvrir à Lionel d'autres horizons. A tel point qu'il finit par se dire qu'il n'est pas taillé dans le bois dont on fait un prêtre. Alors ? Ben alors il se verrait bien continuer dans la musique car à l'université, les gars qui font de la musique et les occasions de jouer ne manquent pas le samedi soir. Le groupe de Lionel se nomme les Commodores, ils sont six, et Lionel n'en est pas le chanteur, non, le chanteur c'est un certain James Ingram, non rien n'à voir, c'est un homonyme, de toute façon, il ne reste pas car en 1968, il est appelé sous les drapeaux au Vietnam. Aussitôt remplacé par un certain Walter Orange, batteur, mais qui devient la voix principale des Commodores. Un Walter Orange qui après quelque temps convainc Lionel qu'il a un fameux talent, il est donc convenu que les Commodores auront deux chanteurs, ce qui n'a rien d'exceptionnel, regardez les Beatles. Le premier hit des Commodres, en 1974, est signé Lionel Richie, un instrumental repris en générique d'émissions de télé, en B.O. de film, de séries. Mais au fil des albums qui se succèdent à une vitesse ahurissante, le moment attendu sur le nouveau 33 Tours est toujours la ou les ballades signées et chantées par Lionel Richie. Tant et si bien qu'en 1980 lorsque paraît l'album X, et oui, dix en six ans ou presque, Lionel a déjà à son répertoire une solide liste de succès et de classiques. D'ailleurs qui n'a pas été étonné d'apprendre au début des années 90 que l'énorme tube du groupe rock Faith No More était un simple cover des Commodores signé Lionel Richie. Et qui est depuis, devenu familier à tout un chacun. Et ben non, ça n'avait pas charté chez nous à l'époque.
Lionel Richie est une des grandes figures de la musique populaire. Une évidence. Le crooner noir qui sait aussi bien écrire des chansons qu'il les chante, et qu'on a tous immédiatement en tête. Des chansons des années 80, une étiquette qu'il doit au succès gigantesque qu'il a remporté durant cette décennie qu'il a marquée d'or et de diamant avec Michael Jackson, Prince et Whitney Houston. Et pourtant, comme Michael Jackson, Lionel Richie est au départ un artiste des années 70. Un de ces musiciens qui a marqué la soul à une époque où le marché du disque est encore séparé, où les Afro Américains possèdent leurs propres charts, leurs propres émissions de télé et radio. Il y a certes un public blanc pour acheter leurs disques mais la grande majorité ne semble pas concernée avant l'arrivée d'un Barry White qui reste longtemps une exception dans le paysage. Oui, la soul music reste quelque part dans l'ombre des grands jazzmen comme Miles Davis qui ont réussi dans le passé à briser le mur mais à la fin des années 70, avec la folie du disco, les choses semblent changer, le mur est en train de se fissurer, chose dont le jeune Michael Jackson, vingt ans mais déjà plus de dix années de métier, compte bien profiter. Michael veut devenir N°1 en conquérant le public blanc car oui, c'est possible. Ainsi le chanteur country, Kenny Rogers, immense star américaine, ne vient-il pas en 1980 de faire un immense tube avec une chanson écrite et produite par Lionel Richie.Lionel Richie, c'est le type que personne n'a vu venir. A la fin des années 60, s'il forme un groupe avec des copains, c'est parce que ça le fait auprès des filles de jouer de la musique dans un band. Lionel n'est pas le chanteur, non, c'est Walter, la voix groove des Commodores. Car le truc de Lionel, c'est sa voix suave pour chanter les slows, le reste du temps, il souffle dans son saxophone. Et ça marche. Enfin, ça marche, … gentiment. Pas comme les Jackson Five qui sont les stars de la Motown, le label de disques soul sur lequel ils ont signé eux aussi. Les cinq premiers singles des Jackson Five sont N°1, du jamais vu depuis les Beatles, alors en concert, ce sont les Commodores qui ouvrent les spectacles avant les frères Jackson. Mais avec le temps ils deviennent un sacré groupe de scène et ô surprise, en 1974, ça y est, ils tiennent leur premier tube, dans les charts R'N'B mais quand même, c'est un sacré marché et un sacré groove ce Machine Gun. Lionel aligne alors chaque année un ou deux succès par album des Commodores dont un inévitable slow qu'on se surprend à espérer à chaque sortie comme cet extraordinaire Still, en 1977, sur ce qui est déjà leur cinquième album.
Au milieu des années 90, tout le monde regarde la télé le soir, l'après-midi, et même le matin car ça y est, les programmes tournent 24 heures sur 24. On va oublier progressivement ce qu'est la mire avec ce son si poétique … et puis aussi les génériques de début et de fin des programmes dont l'un a rendu célèbre un artiste … Et puis comment oublier celui de la télé américaine dans Poltergeist, le film de Spielberg et Tobe Hopper … Alors qu'est-ce qu'ils regardent, tous ces gens ? Ben s'ils sont mômes, les émissions de Dorothée, et s'ils sont adolescents aussi, des sitcoms, pas de Dorothée, hein, mais c'est la même équipe de production derrière. De toute façon, dans les années 90, tout le monde regarde TF1, c'est là que ça brille le plus. Enfin, pas tout le monde. Il y a Nulle Part ailleurs le soir sur Canal avec une bande de grands malades comme Les Nuls, Les Guignols et le duo Antoine de Caunes et José Garcia … et le week-end sur M6, la petite chaîne qui monte, dirigée par le frère de Michel Drucker, il y a Thierry Ardisson qui sévit déjà. Je devrais dire qui sévit toujours. Il produit notamment La nuit la plus Love : la 1ère coupe du monde de la séduction. Pourquoi ça ne vous étonne pas ? C'est dans cette émission qu'une directrice de la chaîne remarque une jeune femme qui a ce quelque chose que la majorité n'a pas. Elle a tout ce qui faut pour faire tourner une émission de télé et surtout amener du monde. Les deux femmes se parlent et quelques semaines plus tard, Ophélie Winter commence à animer une émission de M6 au départ essentiellement musicale : Hit Machine. Et autant on va très vite parler d'Ophélie Winter dans tous les magazines télé etsurtout dans toutes les écoles, autant on ignore qu'elle n'est pas une nouvelle venue. Car non, ce n'est pas un pseudonyme. Ou plutôt si, mais c'était celui de son père, un Hollandais qui a roulé sa bosse dans le monde, puis venu à Paris, avait commis un ou deux succès à l'époque des Yéyés, est même allé à l'Eurovision au début des années 70, avant de disparaître définitivement aux Etats-Unis. Mais voilà, comme beaucoup d'artistes venus de l'étranger, ils se reconnaîtront, David Alexandre Winter a laissé un petit garçon nommé Mickaël et une petite fille nommée Ophélie dont la maman est une ex-Miss française. Les chiens ne font pas de chats, Ophélie est très belle, devient mannequin, s'essaie à la chanson une paire de fois avec divers producteurs mais sans succès avant ce jour où elle participe à l'émission de Thierry Ardisson, elle n'a alors pourtant que 20 ans. Si on se souvient que Ophélie va présenter l'émission Dance Machine avec son frère Mickaël, on a surtout retenu les singles qu'elle va sortir à cette époque et qui vont faire d'elle la personnalité la plus en vue de ce milieu de décennie. Back to 1995, avec Ophélie Winter, c'était quand même vachement bien balancé, non ?
Retour en 1995. S'il y a un film de cette année qui réunit tout le monde cette année-là, c'est bien Le Roi Lion. Qu'on l'ait vu avec des yeux d'enfant, d'adolescent ou de parent, on y est tous passé ou presque. Et je ne parle pas de la cassette vidéo qui a suivi et tourné, tourné, tourné mille fois. Chouette invention, hein, pour les mômes, mais pour les parents, dix fois, la même scène, c'est un sacerdoce. Mais bref, N°1 au Box Office mondial, Disney n'avait plus connu ça depuis les années 70. La traversée du désert a été longue, mais les aventures de Simba, Timon et Pumbaa sur fond de tragédie shakespearienne, c'est une trouvaille. Et qui a un effet collatéral puisqu'il marque aussi le retour d'Elton John sous unepluie des disques d'or et de platine. Ah ça faisait longtemps aussi, une petite dizaine d'années malgré une production toujours aussi dense, quasiment un album par an. Oui, avec les années, ça y était, Elton John n'était plus acheté par les jeunes mais par une partie seulement de ceux qui en avaient été les fans du début des années 70 jusqu'au milieu des années 80. Ce qui était déjà pas mal, qui peut se vanter d'une carrière pareille. C'est vrai qu'au fil des albums, il avait fini, si pas par décevoir, en tout cas par user notre émerveillement, Elton John. Il composait toujours de belles chansons mais elles avaient perdu l'attrait de la nouveauté, de leur folie et aussi de l'impétuosité de l'artiste sur scène. Vingt-cinq ans de carrière, même un peu plus, disons de succès, et donc, quand le film sort, un Elton John qui sert la soupe à Disney, c'est un peu l'antichambre de la maison de retraite, une pension pour un homme qui n'en a pas besoin, en plus. Vous le savez, ce doublé de succès va être énorme, gigantesque replaçant Elton John sur le podium du business mondial. Pour la première fois, on parle de record de longévité pour un artiste qui aligne les N°1 et les disques de platine sur trois décennies. Mais c'est bien peu de choses par rapport à ce qui va sortir quatre ans plus tard, la comédie musicale du roi lion, qui plus d'un quart de siècle après attire toujours autant de monde dans les théâtres, on ne compte plus le nombre de troupes qui ne jouent que ça à travers le monde. On n'ose même pas imaginer ce que ça doit représenter en droits d'auteur !Reste bien sûr le principal : l'émotion à l'écoute de cette chanson d'Elton John, qui se marie diablement bien avec ce film qui a tiré des larmes à plus d'un, la première fois sans doute chez Disney, dans de telles proportions, depuis Bambi, cinquante ans plus tôt. Alors, pas besoin de mettre le calendrier de la DeLorean sur 1995, ça marche toujours, il suffit d'écouter la chanson.
Il y a trente ans, nous étions en 1995. Si loin et pourtant c'est comme si c'était hier. Tenez, vous le voyez encore ce logo Windows 95 qu'on allait garder si longtemps sur la page d'accueil de nos PC qui faisaient à peine plus que du traitement de texte mais accueillait déjà des jeux vidéo. Je me trompe ? Tout comme la finale de Wimbledon remportée pour la troisième fois consécutive par Pete Sampras, vous ne pouvez pas l'oublier, c'était juste après la fin de ces foutus examens qui vous privaient chaque année de Roland Garros. Et n'oublions pas Steffi Graf qui, elle, a remporté ces deux tournois.C'est vrai que c'est un peu l'année de la femme, 1995. On n'a jamais vu autant de chanteuses sur le devant de la scène : Céline Dion triomphe en établissant un record de vente qui ne sera jamais battu par aucun chanteur français, et puis il y a Mylène Farmer, Axelle Red, Native, Ophélie Winter, Janet Jackson, Tina Turner, Mariah Carey, Whitney Houston, Enya, Ace of Base, Annie Lennox, TLC, Bjork, et bien sûr, Madonna. Mais là où on se dit qu'il se passe quelque chose, c'est qu'à présent les filles s'imposent en nombre dans une musique réputée être un truc de garçon : le rock. Ainsi les CD d'Alanis Morissette tapissent l'entrée des Virgin et vitrines de tous les magasins de disques petits et grands qui n'ont jamais vu passer autant de clients qu'en ces années 90. C'est la révélation et surtout le carton puisque son album Jagged Little Pill se vend à 30 millions d'exemplaires. 30 millions, vous vous rendez compte ? A hauteur du fameux album de Nirvana. L'année 95 avait d'ailleurs commencé tout en haut de la gamme puisqu'on avait démarré en janvier, collés au plafond avec la voix de Beth Gibbons du groupe Portishead … Glory box , on en plane encore, hein ? Et puis pour la première aussi, celle de Shirley Manson du groupe Garbage … I'm only happy when it rains. Oui, Garbage, le groupe du producteur du son énorme du fameux Smells like teen spirit.Mais la sensation féminine de 1995 est sans nul doute irlandaise. Que les fans des Cranberries lèvent le doigt. Sorti durant l'automne 1994, le CD vous a accompagné toute l'année, hein ? Il s'en est quand même vendu plus de 17 millions en Europe et en Amérique, quand même. En France, il n'y a que Cabrel et son Samedi soir sur la Terre pour battre les Cranberries et en Belgique, ben c'est un double album de platine, je vous dis que vous y êtes allé, tous ou presque chez le disquaire, et si pas, à la médiathèque pour vous en faire une cassette. Bon, ne nous gargarisons pas trop, au Canada c'est 5 fois platine, aux Etats-Unis, sept fois. Merci MTV. Et merci, la radio. Mais qui était à Torhout ou Werchter le 1er ou le 2 juillet, pour Dolores et son groupe en tête d'affiche ? Sur le second podium, oui, mais sur le principal il y avait The Cure et R.E.M, quand même.Non, on n'avait jamais entendu le mariage d'une chanteuse gaélique avec la pop et surtout un rock aussi dru, la bande son idéale d'une adolescence romantique qui pousse les sentiments à l'extrême. Et vraiment, vu ainsi, 1995, a été une année formidable.
Je vais demander à vous qui avez connu, vécu, cette année 1995 de vous souvenir d'un endroit qui était alors essentiel, quel que soit votre âge, cette année-là. Qui a dit disquaire ? Bravo ! Oui, le disquaire du centre ville en Wallonie, car à Bruxelles, il y en avait dans toutes les communes et parfois les quartiers. C'est là finalement qu'il fallait se rendre pour découvrir la musique et pouvoir la ramener chez soi ; on y a passé une partie de notre jeunesse. Il y avait quelque chose de magique à entrer chez un disquaire en 1995, la présence physique de toute cette musique, tous ces CD qui étaient mystérieux : on se demandait souvent ce que pouvaient contenir les boîtiers dont certains étaient de véritables petites œuvres. Et puis les posters aussi, c'était tout un univers où on passait beaucoup de temps. Car on n'y faisait pas que regarder les pochettes en faisant défiler les disques sous nos doigts dans les bacs, on écoutait aussi pour savoir si ça allait nous plaire. Mettre le casque et passer le CD au disquaire qui le plaçait dans le lecteur et revenait plus ou moins fréquemment passer à la chanson suivante si c'était un album, quoi qu'en 1995, on voyait apparaître ces fameuses colonnes avec les piles de CD et là on faisait tout nous-même. Mais bon, fallait bien dire que c'était pas de tout repos, être disquaire, car il prenait des risques, celui de rester avec le stock commandé, fallait faire évoluer la vitrine constamment, et les assortiments en magasins, les têtes de gondole, en fonction des grosses sorties de la semaine. Et puis il y avait le disquaire fan de musique, celui qui déroulait le tapis rouge à une nouveauté et pouvait vendre des quantités invraisemblables de l'album d'un nouvel artiste ou d'un groupe alors que dans la ville d'à côté, il y en avait juste vingt qui étaient partis.Et comme toujours, il fallait se farcir une certaine clientèle. Je ne parle pas du casse-pied qui l'est dans tous les types de commerce, non, ici on parle de musique donc il y avait des phénomènes spécifiques. Le gars qui écoutait tout et ne prenait rien, gaaarde ton calme, Bertrand, ne sois pas désagréable, tu vas gâcher l'ambiance et puis tu vas montrer une mauvaise image aux autres clients, une mauvaise réputation est vite faite. Le client de mauvaise foi qui rapportait le disque parce qu'il ne l'aimait pas. Que faire ? Il avait peut-être fait sa cassette et en venait chercher un autre. Il en faut des kilos de diplomatie. Et puis enfin, le passionné. Par une chanson. Qu'il a entendue à la radio. Le chanteur ? Il ne sait pas, il n'a pas compris, c'est pas un chanteur français. Le titre alors ? Il ne sait pas non plus. Mais alors que faire ? Et alors là, le gars, il se met à chanter l'air, qu'on ne reconnaît pas, évidemment, soit parce qu'il chante très très mal, soit parce que le morceau est trop nouveau, soit … ah ben oui, en 1995, quand le gars voulait une chanson dont il n'avait compris ni le titre ni l'interprète, ni les paroles, c'était une fois sur deux celle du Scatman.
Si nous avons fait connaissance avec Harrison Ford grâce à son rôle d'Han Solo dans Star Wars à la fin de l'année 1977, l'acteur était pourtant arrivé de sa province profonde, à Hollywood, en 1964. Alors pourquoi ces treize années dans l'ombre ? Et bien parce que le jeune comédien, bien que recommandé auprès d'un grand studio, n'entend pas faire n'importe quoi. Il est là pour bien jouer de bons rôles, il vient du théâtre. Alors les conneries des gens du studio, genre lui faire une coupe de cheveux à la Elvis Presley parce que c'est dans le vent et aussi, ça c'est le pompon, prendre un pseudonyme, ils peuvent se le foutre au cul. C'est pas moi qui le dit, c'est Harrison Ford dans le bureau de Jerry Tarkovski, le vice-président de la Columbia qui le paie au mois. Le gars étant du genre sanguin, Ford est d'abord mis à pied puis finalement viré et blacklisté. Ne l'engagez pas, vous n'aurez que des problèmes avec lui.Et en effet, Harrison Ford galère pour nourrir sa famille. Il doit ainsi retaper lui-même la maison qu'il vient d'acheter, une bonne affaire mais elle est en mauvais état, y a pas de miracle. Et se découvrant des talents dans le bâtiment, il les met au service d'autres acteurs et de musiciens en exécutant leurs travaux. L'affaire marche plutôt bien, il finit par avoir des chantiers partout. Il a toujours son agent qui lui trouve des castings mais quand son artiste s'y rend, il n'est pas sûr qu'il va en revenir avec un contrat. Et parfois pour des raisons autres qu'artistiques : je ne vais pas accepter un rôle qui me rapporte moins que la menuiserie ! Jusqu'à ce jour où, travaillant de nuit dans les bureaux de Francis Ford Coppola, dans un film duquel il a déjà tenu un petit rôle, il tombe, tôt le matin, sur George Lucas. En bleu de travail, et avec ses outils, Ford est bien embarrassé car il a aussi joué pour Lucas, un petit rôle mais dont on a parlé, dans ce qui est alors l'unique grand succès du réalisateur : American Graffiti.George, comment vas-tu ? Je viens faire passer des castings pour ma prochaine production, je prépare un film de Science-Fiction. Bon, ben, salut.Lucas l'a à peine quitté qu'il se dit que Ford pourrait donner la réplique aux candidats du casting. Il le rattrape et pendant des jours Harrison Ford briefe les acteurs et joue le rôle d'un contrebandier assez rustre dans lequel il est vachement bon, idéal même. La suite, vous la connaissez. Ce qu'on sait moins, c'est que l'actrice chez qui Harrison Ford n'est jamais venu terminer un chantier dans sa cuisine, a mis une pancarte sur l'échelle avec ces mots Harrison Ford a laissé ça ici.La conclusion de cette histoire incroyable de gens de l'ombre qui sont devenus des stars, c'est vingt ans plus tard, Harrison Ford, alors devenu l'acteur le mieux payé d'Hollywood arrive dans un restaurant huppé de Los Angeles. Et alors qu'il vient de s'installer, un garçon lui apporte une carte de visite. C'est celle de Jerry Tarkovski avec ces mots écrits au dos : « Je me suis planté ». Se retournant sur la salle, Harrison Ford avouera ne pas reconnaître le visage de son ancien tortionnaire parmi les clients du restaurant.
Je n'oublierai jamais ce 20 novembre 1995. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je me mettais à la recherche dans Bruxelles du premier disquaire sur lequel j'allais tomber en sortant de mon bureau tellement je ne pouvais pas attendre pour le mettre directement dans ma voiture. Il faut dire qu'il s'agissait d'un disque improbable, le premier album original des Beatles depuis 1970. Comment était-ce possible ? On n'en savait rien mais voilà que paraissait officiellement un double CD intitulé Anthology avec une foule de documents sonores dont des chansons jamais entendues et même une entièrement nouvelle. Oui, quinze ans après la mort de John Lennon qui rendait toute réunification impossible, cette année 1995 nous rendait les Beatles, 25 ans tout juste après leur séparation officielle et leur entrée dans la légende.Alors bien sûr, on ignorait que les fameuses compiles Double rouge et double bleue, étaient au départ la B.O. d'un reportage imaginé par le vieil ami des Beatles de la première heure, Neil Aspinall, le petit gars de Liverpool qui, à leurs débuts, les trimballait dans sa camionnette. Ils l'avaient depuis nommé directeur de leur label, Apple. Le doc télé intitulé The long and winding road, n'était jamais sorti, ni le projet suivant, douze ans plus tard, en 1984, Sessions, qui comprenait des titres inédits et des versions différentes car les Beatles enregistraient de nombreuses versions du même titre avec des évolutions incroyables au fil des essais. Mais cette fois, ça y est, ils ont réuni les deux idées : un reportage télé de six heures, sûrement le plus cher jamais consacré à un artiste, un livre titanesque de photos et une histoire racontée uniquement par les quatre membres. Et puis, une B.O. en trois double CD qui vont sortit à partir de cette fin novembre. En cette année 1995, on n'a pas encore vu de rééditions d'albums avec un CD bonus de raretés et donc, la surprise ne va qu'en être plus grande d'entendre ces gamins qui enregistrent leur premier disque en 1958, quatre ans avant le véritable début, un disque qui avait été gravé en un seul exemplaire puis disparu dans une malle durant plus de trente ans avant de réapparaître et d'être racheté à prix d'or par McCartney. Le groupe s'appelait alors les Quarrymen, les gamins n'avaient pas d'argent et n'avaient pu graver qu'un seul exemplaire qu'ils se faisaient tourner, et on avait oublié qui l'avait eu en dernier. Oui, c'est étonnant de dire qu'en 1995, l'année où la techno, le hip hop, les boys bands et le rock alternatif triomphent, où les adolescents regardent MTV et écoutent des CD sur leur baladeur en jouant aux jeux vidéos, qu'un nouveau single des Beatles soit N°1 partout, au pire N°2, et que leur double album de titres au son pas terrible se vende à dix millions d'exemplaires? Car c'était ça aussi 1995, le retour d'une voix disparue et la réunion des quatre fabuleux, pour une dernière session de studio ensemble.
Nous sommes à Hollywood, Los Angeles, en 1958. L'âge d'or du cinéma mais aussi depuis peu, une usine à séries télévisées. Ah ce sont deux choses bien distinctes car la télé c'est de la fiction vite faite, vite consommée, une véritable usine. Et justement, on est occupé à y monter la seconde série créée par un jeune réalisateur répondant au nom de Blake Edwards. On le dit prometteur même si les quelques films qu'il a réalisés pour le cinéma n'ont pas trouvé leur public. Mais bon, il faut qu'il fasse ses armes et justement, cette série policière de la chaîne NBC (pour laquelle entre parenthèses travaille à New York le jeune Woody Allen) semble prometteuse. Ça parle d'un détective avec de forts penchants pour les femmes, l'alcool et le jazz, son nom : Peter Gunn.Ah, s'il est question de jazz, il faut confier la musique à un spécialiste de la bande originale et du jazz : Henry Mancini. Lequel s'exécute mais allez savoir si c'est faute de temps ou de cachet, il faudrait un solide pianiste pour arranger et exécuter ça, vite fait aussi, bien sûr, on est à Hollywood et on a autre chose à faire. Ah oui, et qui ne soit pas trop gourmand non plus.On n'a qu'à demander à Johnny. Johnny Williams, c'est ce pianiste qui joue à gauche à droite, et qui travaille aussi pour les studios Universal. Un gars très cool qui ne fait jamais d'histoires. Parfait ! Johnny, John de son vrai prénom, mais Johnny ça fait plus jazzman pour les engagements dans les clubs, vient en studio pour 40 dollars et en trois heures, il plie le thème de Peter Gunn, sans avoir conscience, évidemment, du destin exceptionnel que va connaître ce morceau qui constitue la collaboration improbable de deux des plus grands compositeurs de l'histoire du cinéma. Oui, qui sait encore aujourd'hui à quoi ressemblait cette série, qui était ce Peter Gunn. Mais tout le monde connaît le morceau et aussi, sait qui est Blake Edwards, qui ne manquera pas de faire appel à Henry Mancini quand il tournera deux ans plus tard Breakfast at Tiffany's et puis encore plus tard La Panthère Rose.Quant à Johnny ? Et ben il va laisser tomber le y, les p'tits concerts de jazz et se consacrer à ses œuvres pour orchestre classique. Car autant il n'a jusqu'ici jamais cru qu'il arriverait à vivre de la composition, c'est vrai il n'y a que jouer du piano pour faire bouillir la marmite, autant grâce à ce Peter Gunn, on va commencer à lui proposer des musiques de film. Et il va ainsi traverser les années 60 à pondre des bandes originales de petits films jusqu'à cet Oscar pour une chanson qu'on a oubliée mais qui lui vaut de passer la vitesse supérieure et de devenir le compositeur attitré de films d'un nouveau genre au début des années 70 : les films catastrophes. Et après un Poséidon, un Tremblement de terre et une Tour infernale, John Williams est contacté par le jeune Steven Spielberg à qui Williams offre la recette ultime : le thème musical, pièce essentielle du scénario … Les Dents de la Mer. De là à ce que Spielberg le recommande à son ami George Lucas, il n'y avait qu'un pas, et 54 nominations aux Oscars plus tard, qui ignore le nom de John Williams ?
Mais bon dieu, qu'est-ce qu'il lui a pris de vouloir jouer devant un public ? C'est vrai qu'Allan Konigsberg n'a rien pour lui, je veux dire physiquement, pour réussir dans le showbizness des années 50. Et du haut de son mètre 63, il l'a bien compris. Il aurait habité le milieu de la campagne ou des montagnes rocheuses, il aurait pu se rêver acteur ou musicien star, il n'avait aucun modèle sous les yeux dans son quotidien. Mais quand on habite New York, dans un appartement d'une pièce situé juste à côté de la porte électrique d'un immeuble aux multiples étages et qu'à quelques centaines de mètres de là, toutes les stars du théâtre et du cinéma jouent à Broadway, que des dizaines de gars triomphent dans les cafés théâtres de Greenwich Village ou les boîtes chics des grands boulevards, on a des exemples à qui se comparer quand on se tient le matin devant le miroir de la salle de bains.Non, Allen, qui a choisi de transformer son prénom en nom, prenant Woody comme prénom, a trouvé sa voie. Depuis l'adolescence il sait comment faire rire, envoyer une vanne ou imaginer des situations comiques, mais il les fait dire et jouer par d'autres qui le paient très bien pour ça. Ainsi à seize ans, il écrit déjà Sid Caesar, le comique de la radio et de la télé. Seize ans, vous le croyez, ça ? Alors qu'il est toujours à l'école. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les cours à l'université ne vont pas l'intéresser. Les années passent. Woody grimpe à la télé, jusqu'au sommet, c'est-à-dire les émissions les plus regardées par l'Amérique comme le Ed Sullivan Show qui révèle les plus grands talents le dimanche soir comme Elvis Presley.Alors qu'est-ce qui lui a pris de laisser germer cette graine tombée dans le terreau de sa créativité d'artiste. En effet, la chaîne NBC qui l'emploie l'envoie dans une boîte très chic où tout coûte un pont, assister au show de l'humoriste du moment : Mort Sahl. Woody serait bien incapable d'expliquer ce qui fait le génie de ce gars mais une chose est sûre : il a foutu sa vie en l'air. Car désormais, Woody veut être lui. Aussi pour la première fois, il écrit un sketch qu'il joue un soir au débotté devant des amis producteurs. Et ils le trouvent très drôle, au point de lui monter un plan de dingue. Oui, ce dimanche soir, une star du stand up demande à la salle comble venue l'applaudir, de rester après le spectacle pour voir un débutant. Et voilà un petit homme qui s'avance, liquéfié de frayeur, vers ce micro dressé au milieu d'une scène qui lui paraît immense. Le silence tombe sur le public avec le dernier applaudissement, il pèse des tonnes sur les épaules de Woody qui balaye du regard ces crânes dont il ne distingue que le contour mais devine dans l'ombre les paires d'yeux posées sur lui, et rien que lui.Après une interminable poignée de secondes, il se lance enfin … et les rires fusent. Si fort, si bruyants que Woody semble rétrécir dans son costume, écrasé par les cascades de rires et les applaudissements. Quelques minutes plus tard, comment est-il arrivé sur cette chaise dans la loge, il ne s'en souvient pas ? Entouré de ses amis qui, il l'ignore encore, vont produire tous ses futurs films. Il écoute les conseils, qui tombent de gauche et de droite, il est dépassé par l'intensité de ce qui lui arrive. Le lendemain, les propositions vont pleuvoir de partout, Woody Allen est né au public ce soir de l'an 1960.
Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale. Paris est occupée par les Allemands, les temps sont très durs. Marie de Funès paie à son frère Louis, qui est pianiste de bar, des cours de comédie chez René Simon, où il se lie d'amitié avec une bande de joyeux lurons nommés Robert Dhéry, Colette Brosset et Daniel Gélin. Mais il quitte rapidement les cours, ce qui n'étonne pas sa soeur, il a toujours été instable. Ce dont Louis se défend une fois de plus : ce n'est pas la comédie qui le fera vivre de son art, même s'il reconnaît avoir beaucoup appris. Et notamment à amuser le public le soir. Louis a en effet remarqué que depuis qu'il fait l'andouille en jouant, les gens viennent non seulement pour l'écouter (ce qui est déjà en soi un exploit) mais aussi pour le voir. Voilà donc comment il compte faire vivre la nouvelle famille qu'il forme avec Jeanne, sa jeune épouse qu'il rencontrée au cours Simon : en devenant un musicien réputé. Mais le destin est bien imprévisible car un jour de 1944, Louis tombe sur Daniel Gélin alors qu'il attend le métro. Mais au fait ! Et Daniel de lui demander de reprendre un rôle créé par Bernard Blier dans une pièce qu'il monte pour une représentation unique.- Mais je ne peux pas, je n'ai jamais joué. Et puis je ne suis pas libre.- Qu'est-ce que tu fais ?- Je joue du piano le soir dans un cabaret.- Et bien, pas de problème. La pièce se joue en matinée. Tu ne perdras pas ton cachet.Si on compte la mère et la femme de Louis de Funès, sept personnes assistent cet après-midi là à la représentation de L'amant de paille, à la salle Pleyel. Parmi elles, se trouve la directrice du théâtre de la Gaîté Montparnasse qui, conquise, lui propose de jouer dans la prochaine pièce du même auteur. A trente ans et de manière inattendue, Louis de Funès devient acteur. Daniel Gélin et lui ne se quittent plus. Daniel et son épouse, Danièle Delorme, étant devenus célèbres, ils pistonnent leur ami Louis sur tous les tournages, des figurations et petits rôles, un demi-jour, deux jours tout au plus, mais ça va arrondir tes fins de mois. Il faudra, vous le savez sans doute, attendre 1964 avant que le succès ne lui tombe dessus au cinéma. Pendant cette longue période de sa vie, Louis de Funès aura été le roi de la figuration et du petit rôle dans plus de cent films. Il y aura eu certes quelques rôles secondaires marquants, des rôles principaux dans des petits films et un gros succès au théâtre de boulevard mais avant d'enchaîner en quelques semaines Le Gendarme de St Tropez, Fantômas et Le Corniaud, il ne s'est trouvé durant vingt ans personne pour voir en Louis de Funès l'incontestable tête d'affiche mondiale qu'il allait devenir.
La vie des artistes est une source inépuisable d'histoires passionnantes qui résonnent en nous. Car c'est formidable de regarder rétrospectivement une future star de la musique ou du cinéma qui tente de trouver la reconnaissance mais à laquelle personne n'accorde d'intérêt. Et je ne parle pas de tous ceux qui ont renoncé juste avant d'y arriver : quelle place auraient-ils occupée ? Et puis il y a ceux qui avaient un travail qu'on appelle de l'ombre et qui un jour arrivent dans la lumière. Oui, qui aurait dit que le secrétaire particulier de Sylvie Vartan, de Fernand Raynaud et de Claude François deviendraient des grands noms de la chanson populaire, la télévision et le cinéma sous le nom de Carlos, Bézu et Ticky Holgado.Ainsi de Melvin Kaminsky qui à l'âge de vingt ans est démobilisé de l'armée américaine où son QI exceptionnel l'a conduit à être ingénieur sur le front belge en 44-45, lors de la bataille des Ardennes. Depuis le jour où à l'âge de neuf ans, il a assisté à sa première pièce de théâtre à New York, Mel sait qu'il ne fera pas le même travail que les autres. Et s'il vient de changer de nom, ce n'est pas pour cacher ses origines juives d'Europe de l'Est. Non, Mel étant batteur et pianiste, il veut éviter qu'on le confonde avec le grand trompettiste Max Kaminsky. Alors, il prend le nom de jeune fille de sa mère, Brookman, pour faire Brooks, et joue dans des hôtels pour touristes. Et un soir où le comique du spectacle est indisposé, comme dans la chanson de Michel Jonasz, Mel qui adore faire rire, regarde le micro et se dit : je me lance, allez, tant pis.Oui faire rire, est le moyen que tout môme, Mel avait trouvé pour que ses camarades de classe arrêtent de se moquer de sa petite taille. Alors il raconte des blagues, imite des personnalités, le public rit, on le garde le lendemain, il a trouvé sa voie. Mais réussir en Amérique est une tâche aussi énorme que le pays. Hollywood c'est très loin, à New York, c'est le théâtre, la radio et la télé, alors Mel fait des pieds et des mains pour approcher son idole, celui qui fait rire l'Amérique du début des années 50 : Sid Caesar. En quelques secondes, il lui balance une vanne et accroche la star qui lui en commande d'autres pour son émission. Ainsi débute la carrière d'auteur de Mel Brooks qui vend ses bons mots et ses sketchs. Parfois ça se passe bien, allant jusqu'à la création et l'écriture de séries comme Max la Menace ou des pièces de théâtre. Parfois ça se passe mal avec la star, ainsi Mel claque la porte du nouveau film de Jerry Lewis en 1960 et exige qu'on ôte son nom du générique. Si The ladies Man remporte un succès colossal, il ne reste que deux scènes écrites par Mel Brooks.Puis un jour de 1967 vient l'écriture et la mise en scène d'un film, parodie du monde des producteurs de Broadway que Mel connaît si bien. C'est si drôle mais tellement vitriolé que personne n'ose le distribuer. Heureusement, Peter Sellers, alias Clouseau, admiratif, lui achète de la publicité dans les magazines et, l'Oscar du meilleur scénario tombe sur Mel Brooks. C'est promis, au prochain film, car prochain film il va y avoir, grâce à cet Oscar, Mel jouera devant la caméra. Qui n'a pas vu depuis Frankenstein Junior, Space Balls ou La Folle histoire du monde. Mel Brooks est aujourd'hui presque centenaire mais qui ne se souvient pas d'une de ses chansons des années 80. Car on ignorait qu'il avait été aussi musicien. Ah non, pas chanteur ! Mais bon quand on est une star, on peut tout se permettre.
Los Angeles, 20 janvier 1985, huit jours avant que n'ait lieu le plus grand événement jamais organisé dans l'histoire de la musique populaire américaine, ça y est ! Lionel Richie et Michael Jackson ont terminé la chanson que 44 énormes stars doivent enregistrer ensemble en studio. Reste le plus compliqué à organiser. Pas de mail à l'époque, encore moins de WhatsApp, il faut faire parvenir une cassette à tout le monde sans qu'il n'y ait de fuite dans la presse. Mais avant ça, enregistrer une maquette pour que chacun ait répété en arrivant. C'est vrai, pas question de commencer le truc sur place dans une ambiance et une cohue qui s'annoncent proches des Fêtes de Wallonie ou du carnaval de Binche. Nous sommes alors Jour J-5, Quincy Jones est à la table de mixage, un téléphone qui n'arrête pas de sonner, posé juste à côté de lui. Quoi ? Tu rigoles ? Amène-toi, Michael et Lionel sont là. Les musiciens sont prêts, Michael et Lionel devant les micros et c'est parti, tout le monde se lance. On s'arrête, évidemment pour des ajustements, Michael préfèrerait ainsi tel mot plutôt qu'un tel car il sonnera mieux, Quincy est d'accord, quand quelqu'un entre dans le studio. C'est Stevie Wonder, enfin ! C'était lui au téléphone, tout à l'heure. Mais ça fait près d'un mois qu'on l'a appelé, qu'il a dit oui et qu'on ne l'a jamais vu. Bon, on s'y met ?Mais euh, on ne t'a rien dit ? C'est fait, Michael et moi l'avons écrite. Là, on fait la maquette pour l'envoyer à tout le monde.Ah bon ? Un moment suspendu. A-t-on tenu Stevie informé ou est-ce lui qui a oublié, ou bien tente-t-il de donner le change car il sait très bien qu'il a laissé tout le monde dans le vent pendant des semaines.Très bien ! dit-il. On fait la démo alors ?Le croirez-vous ? Il n'y a pas internet en 1985 mais trois jours plus tard, tous, de New York à San Francisco ont reçu la cassette et la partition. Cinquante exactement qui ont transité via un manager, un agent ou atterri directement dans les mains des artistes. Huey Lewis, déjà quelques tubes à son actif aux USA, même si son Power of Love ne sortira qu'en juin, découvre la chanson sur le lecteur cassette de son autoradio en sillonnant les rues de San Francisco et Bruce Springsteen sur sa tournée américaine qui se termine la veille de l'enregistrement. C'est sûr que ça va faire un tube, alors, ils seront bien là le jour J. Format atypique de plus de six minutes mais succès prodigieux, il y aura entre-temps une session d'enregistrement qui vaut son pesant de Story mais faute de temps, je vous la raconterai, dans cinq saisons, tenez, pour les 45 ans ! Car c'est sûr qu'elle tournera encore aussi souvent sur notre antenne. Faut-il le souligner, un tel panel d'artistes d'exception, ça n'arrive qu'une fois.
Il y a quarante ans exactement que sortait une chanson qui non seulement reste un des cinq singles les plus vendus de tous les temps mais a été l'élément déclencheur du plus prestigieux festival de tous les temps … Mais autant on a l'impression que tous les artistes se connaissent, dînent ensemble tous les midis, autant on ignore à quel point il n'est pas évident de les réunir le même jour et au même endroit. Et plus ils sont célèbres, plus c'est compliqué. Je dirais même que plus ils sont américains, plus c'est compliqué. Pour faire travailler ensemble Lionel Richie, Stevie Wonder et Michael Jackson, cela a été très facile. Il suffit déjà d'oublier Stevie Wonder, l'homme le plus sympa mais le plus injoignable du showbiz dans les années 80. Michael et Lionel sont amis depuis leurs débuts. Alors ils travaillent chez Michael, enfin, chez ses parents. Mais de manière un peu trop cool tant il est vrai qu'ils sont les deux artistes américains à vendre le plus de disques en ce moment.Mais les gars, vous vous rendez compte qu'on enregistre la semaine prochaine ? dit Quincy Jones qui a fait le déplacement.Quoi ?Oui, juste après la cérémonie des American Music Awards. Tout le monde sera là et on n'aura qu'une nuit !Cérémonie présentée, à la télé, en direct, par Lionel Richie. Imaginez le truc. Et donc la pression sur les épaules de Lionel et Michael. Car là, c'est le stress amplifié par la crainte que Quincy ne se retire du projet, faute de chanson valable. Alors, Lionel se met au piano et commence à jouer, il cherche, essaie des trucs et tout à coup Michael s'écrie : oui, c'est ça ! Comme par magie, ils tiennent le refrain et d'après les souvenirs de Lionel, c'est Michael qui trouve le We are the world. Quant au studio, l'équipe de Kregan a réservé le A&M, celui de la célèbre firme de disques, pour sa situation et surtout sa qualité, mais attention ! Tout doit rester secret, ce qui, étant donné le nombre de personnes impliquées, est un casse-tête. Mais l'enjeu est énorme car le soir même, vu le nombre de journalistes présents en ville et la notoriété des artistes, si un Bob Dylan, Michael Jackson ou Prince se pointe et voit la foule devant la porte, ils passeront leur chemin et on pourra les oublier. Car non, il n'y a pas de contrat, c'est du caritatif, du bénévolat, et oui, jusqu'à la dernière minute, il n'y aura aucune garantie que ces stars seront bien là. Même Prince. Surtout Prince. Celui que tout le monde veut en 1985, Purple Rain oblige.
Début 1985, si on avait eu idée de ce qui se tramait à Los Angeles, on aurait été bien enthousiasmé par le projet ahurissant qui se montait. D'une part, dans la grande maison des Jackson, alors que le chimpanzé de Michael faisait des facéties, Lionel Richie tentait de trouver une mélodie sur le piano. Un truc pas simple entre le mainate qui imitait l'aboiement d'un chien et celui des parents de Michael qui lui répondait aussi sec. Et d'autre part, dans les bureaux de Ken Kragen, l'agent de Lionel Richie, tout le personnel était à la manœuvre pour réunir l'équipe de stars qui allait interpréter leur chanson, comme sur le disque des Britanniques qui n'arrêtait pas d'engranger les records … Mais quand tout Londres, de Phil Collins à Bono, en passant par Spandau Ballet et Sting, était venu en studio, tranquille, le seul dimanche de libre, réunir toutes ces stars américaines étaient un vrai casse-tête. Pour les convaincre, il suffisait de prononcer les noms de Michael Jackson, Quincy Jones, Lionel Richie et Stevie Wonder, auxquels Kragen avait ajouté le nom d'un autre de ses poulains, alors au sommet : Kenny Rogers. Et à une époque où le portable n'existe pas, il faut franchir le barrage des agents, conjoints et secrétaires à l'autre bout de la ligne fixe. Et puis, ces artistes ont la bougeotte : personne n'est au même endroit, à la même date. C'est infernal ! C'est alors que passe la pub télé annonçant la remise prochaine des American Music Awards et le casting de ceux qui y participeront : Prince, Madonna, Hall & Oates, Cyndi Lauper et Diana Ross. Ils seront donc présents à Los Angeles, tous frais payés. Alors il faut contacter le producteur de l'émission pour qu'il soit de la partie. Chose faite, il n'y a plus qu'à travailler sur ceux qui ne seront pas présents. Et quand ils réussissent à convaincre Bruce Springsteen au top avec Born in the USA puis Bob Dylan, qui est n'est plus au top mais c'est une légende, il n'y a désormais plus aucun souci de casting.Le dernier souci est en fait, le plus gros, celui sur lequel tout repose : la chanson elle-même. Car on ne compte pas les grandes réunions de stars qui ont fait flop parce que le titre qu'ils ont interprété n'était pas terrible. Et bien, dix jours avant la date fatidique, ils ne sont encore nulle part. C'est vrai que Lionel Richie, avec sa tournée solo, et Michael Jackson, son Thriller, plus le nouvel album et la tournée des Jacksons tout juste derrière, avant son prochain album, ne manquent pas de travail. Alors chaque fois qu'ils se voient, ils ne sentent pas vraiment la nécessité de boucler la chanson. On règlera ça la prochaine fois. Sauf qu'aujourd'hui, un appel de Ken Kragen les ramène à la réalité : hé les gars, ce n'est pas seulement votre chanson, on a aussi Billy Joel, Paul Simon, Ray Charles et Tina Turner.
A deux jours de la Noël 1984, a lieu la conversation téléphonique qui enclenche définitivement le moment historique que s'apprête à vivre une décennie pourtant exceptionnellement créative et enthousiasmante. En effet, Lionel Richie, nouvelle star de la pop mondiale, est en discussion avec son agent Ken Kragen lui expliquant qu'en Europe, des rockers blancs sont en train de réaliser une vente de disques historique pour sauver des Africains de la famine. Et que le chanteur Harry Belafonte est venu lui dire que la communauté afro américaine ne peut pas être en reste. Alors, il a besoin de lui, et de sa notoriété. Lionel Richie va avoir besoin du plus grand des producteurs pour un challenge pareil car il s'agit non seulement de convaincre tout le pays d'acheter le disque mais aussi de tenir la comparaison avec la chanson des Britanniques. Et en 1984, le plus grand des grands se nomme Quincy Jones.Et donc, le lendemain soir, Lionel Richie vit la nuit, alors qu'ils roulent dans la limousine de Lionel, son manager propose d'utiliser son téléphone, autant vous dire que c'est une rareté à l'époque, pour appeler son ami Stevie Wonder. La raison est simple : pour écrire la chanson, Lionel Richie ne va disposer que de très peu de temps car il doit préparer la présentation des American Music Awards et surtout, sa première tournée en solo. Un enjeu considérable quand on sait le nombre de disques qu'il vend désormais. Stevie ne répond pas. Ils vont essayer de le joindre toute la nuit sans résultat mais ne s'en étonnent pas, Stevie se manage seul et met souvent des plombes avant de rappeler. McCartney l'a attendu vingt jours en studio avant d'enregistrer Ebony & Ivory. Ah ? Ça sonne. Ce doit être lui ! Mais non, c'est Quincy Jones pour annoncer qu'il voit Michael Jackson le lendemain et qu'il va lui en parler.Lionel et Michael se connaissent depuis longtemps, depuis leurs débuts. Lionel a certes presque dix ans de plus que Michael mais le succès des Jackson Five, un groupe de gamins, avait été immédiat, aussi les Commodores, le groupe dont Lionel était le saxophoniste et second soliste, avait assuré la première partie de leur tournée au début des années 70. Et c'est vrai que les années d'adolescence sont importantes, fondatrices. Si je vous dis que la première destination du jeune Michael quand il a appris à conduire, a été de se rendre chez Lionel, vous avez compris les liens entre les deux hommes, en cette fin d'année 1984. Michael est alors au sommet avec les ventes démesurées de Thriller, et en plus de son duo avec McCartney, il participe à un single qui vient d'entrer dans les charts. Nouveau succès, à nouveau un truc à frissons mais bon, il va participer au projet de Lionel et Quincy, bien sûr. Et comme Stevie Wonder n'a toujours pas rappelé malgré des messages sur son répondeur, il propose à Lionel de commencer à écrire la chanson sans lui.
Nous sommes à la veille du réveillon de Noël 1984. L'année a été fabuleuse, spécialement à Los Angeles où grâce au succès historique d'une incroyable brochette d'artistes tels que Michael Jackson, Madonna, Bryan Adams ou Metallica, l'industrie du disque basée dans cette ville n'a jamais autant rapporté. Car oui, à Hollywood, Los Angeles, il y a désormais une autre industrie que le cinéma et la télé à faire recette : la musique. Ah je vous prie de croire que tout le monde commence à connaître le chemin du studio hollywoodien où Michael a enregistré Thriller. Et puis, c'est dans cette ville que, venu du grand nord des Etats-Unis, il a emménagé tout gamin, au début des années 70, avec sa famille. Il vit d'ailleurs toujours dans la même maison, avec ses parents. Bref, on ne compte plus les musiciens vivant à L.A., les ingénieurs du son, producteurs, surtout depuis l'époque récente, du disco, mais aussi les agents. Parmi eux, un certain Ken Kragen, 39 ans, se distingue de ses pairs en ce qu'il est lui-même devenu une vedette des médias. Et ce matin du 23 décembre, il reçoit dans ses bureaux la visite inattendue d'une véritable légende de la chanson populaire : Harry Belafonte. Si ce nom ne vous dit rien, pas de complexe, en 1984, Belafonte n'est plus connu que des militants des droits civiques dont il a été une des grandes figures, vingt ans plus tôt, quand il était, lui aussi, une star de la chanson établie depuis longtemps. Vous ne pouvez pas, ne pas connaître Banana Boat ni Try to remember. Et donc, si ce matin du 23 décembre, on serait curieux de savoir ce qu'aurait fait Ken Kragen, s'il avait su que cette poignée de main et accolade qu'il donne à Belafonte allait déboucher sur la seule chose pour laquelle finalement on parle toujours de lui.As-tu entendu ce que les Britanniques viennent de sortir pour sauver des vies en Afrique ?Bien sûr qu'il est au courant, c'est actuellement la vente du siècle en Europe. Mais l'Amérique est loin et on en parle assez peu. Et bien ?Et bien je voudrais qu'on reprenne l'idée de Bob Geldof et qu'on réunisse les plus grandes stars des Etats-Unis pour un concert. Comme tu es le manager de deux des plus grandes, tu me vois me tenir devant toi.C'est donc en cette journée que Ken Kragen appelle l'artiste qui lui doit tout. Celui à qui il a dit trois ans plus tôt, alors qu'il s'apprête à quitter un des groupes les plus populaires des Etats-Unis : ton problème, c'est que le public connaît tes chansons mais pas ton nom. Je m'en occupe ! Et après deux albums solos triomphaux dont le second à l'échelle de la planète, Lionel Richie reçoit un appel de son manager qui lui dit avoir besoin de lui.
Que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? Que reste-t-il de ce soir du premier mars 1991 où il sort au restaurant avec sa fille Charlotte mais aussi Bambou, sa compagne, l'officielle depuis le départ de Jane, la mère de son fils Lulu mais avec qui il n'a jamais vécu. Deux des femmes de sa vie pour une dernière soirée au climat pesant ; Serge n'a jamais été un grand mangeur mais là, il est vraiment au bout du rouleau. Tout le monde est mal malgré les paroles rassurantes qu'il murmure.Mais bien sûr que tout va bien, s'énerve encore Serge le lendemain matin au téléphone ; enfin il s'énerve gentiment, il l'adore son Fulbert, son assistant, merveilleux de sollicitude et excellent cuisinier, au demeurant. Serge raccroche, marque un temps puis reprend le cornet pour donner le plus improbable des coups de fil, à sa première femme, Lise. Il parle un bon moment avec celle qui n'aura connu que ses années de peintre incompris, de prof de dessin et de pianiste de bar ; ils ont divorcé en 1957, une éternité et pourtant, le dernier appel sera pour elle. Serge raccroche puis traverse péniblement son salon pour la toute dernière fois afin de rejoindre sa chambre. Il a toujours sur l'estomac le verre de Porto qu'il a pris la veille au soir au restaurant. Il n'aurait pas dû. Serge s'assied sur son lit pour une sieste. Il veut être en forme tout à l'heure pour transcrire le texte des chansons de son prochain CD qu'il a enregistré sur son dictaphone. Vers 23.30 pourtant, des pompiers défoncent la porte d'entrée de son domicile mais Serge n'entend rien, il ne se fâche pas sur ces importuns qui déplacent ses objets savamment agencés dans son musée particulier, comme il l'avait fait quelques années plus tôt sur Coluche et ses amis quand ils avaient dégagé la table de salle à manger pour le dîner.Non, Serge n'est plus avec nous quand on le transporte vers l'ambulance dont les lumières éclairent par intermittence le visage des badauds et des deux mères de ses enfants qui vont passer la nuit dans la maison. Quelle tristesse de devoir quitter la scène en plein spectacle, ces années 90 commençaient si bien avec le triomphe de sa double compilation CD qui donnait enfin à des vieux titres comme La Javanaise la notoriété et la reconnaissance qu'ils n'avaient pas rencontrés au début des années 60. Mais que voulez-vous, ainsi va la vie, ou plutôt la mort. Demain ce sera le choc pour ce public qui l'a tant célébré ou haï ces dix dernières années. Et dans quelques jours sortira un nouveau single, un remix, dont Serge était très content, un tube en puissance qui, on aimerait le croire, montre à quel point les grands artistes savent soigner leur sortie de scène.
Que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? C'est vrai que quelques anecdotes sont passées dans le domaine public. Le seul problème c'est que beaucoup de chroniqueurs reprennent toujours les mêmes, alors que reste-t-il de cette histoire incroyable ? Un an après le Grand Prix Eurovision avec France Gall, Gainsbourg gagne enfin convenablement sa vie en droits d'auteur. Mais bon, les albums qu'il sort sous son nom continuent à ne pas bien se vendre. 20.000 pour Gainsbourg à côté des 800.000 de Johnny, ça fait une sacrée différence pour deux artistes qui sont aussi présents dans les médias. La spécialité de Gainsbourg, ce sont les émissions de variétés mises en scène, genre Carpentier ou Sacha Distel. Serge n'a en effet pas son pareil pour imaginer des sketchs souvent drôles, parfois pathétiques auxquels tout le monde se prête. Et puis, il y a le cinéma où il n'arrête pas de tourner. Oh pas des grands films mais il a un style, alors ce n'est pas désagréable à regarder. Ainsi en août 1966, il est à l'affiche d'Estouffade à la Caraïbe, un polar nanar où il donne pourtant la réplique à Jean Seberg, l'inoubliable partenaire de Belmondo d'A bout de souffle. Le dernier soir des six semaines de tournage en Colombie, Gainsbourg dîne dans un restaurant où après avoir allumé une cigarette, il jette une allumette distraitement par-dessus son épaule. Celle-ci atterrit dans une décoration de plantes séchées et met le feu à l'établissement en quelques secondes. Sorti en courant avec le personnel et la clientèle, il regarde flamber l'établissement en s'exclamant, C'est moi qui ai fait ça ? Pas fier et inquiet de ce qui pourrait lui arriver en ces contrées lointaines et incertaines, Gainsbourg passe sa dernière nuit latino-américaine non pas à son hôtel mais chez une prostituée.Et lorsque le lendemain il vient reprendre sa valise avant de filer à l'aéroport, des policiers l'attendent et l'emmènent au poste. Le producteur du film flairant la catastrophe, lui envoie un avocat genre « Bourbon & costume blanc » comme on n'en voit que dans les films noirs américains des années 40.- Un conseil : niez tout en bloc. Ce n'est pas vous qui avez jeté l'allumette puisque vous n'avez pas fumé.Serge Gainsbourg ment donc mais souffre le martyr durant les treize heures d'interrogatoires, de voir les policiers griller cigarette sur cigarette. Mais il ne bronche pas.Finalement, la production du film paie les dégâts et Gainsbourg est libéré. Au moment de quitter le bureau de police, un officier lui tend son paquet de cigarettes : Serge en prend une aussi sec.- Vous voyez que vous fumez !Et Gainsbourg de répondre avec ce demi-sourire, qu'il a légué à sa fille :- J'ai dit que je n'avais pas fumé mais je n'ai jamais dit que je ne fumais pas.
On voit encore parfois passer sur les réseaux des extraits vidéos de ses dérapages télévisuels, on entend encore des reprises, hommages rendus par de jeunes artistes, il fait jeu égal avec Johnny Hallyday en streaming, mais que reste-t-il de Serge Gainsbourg ? Et bien quelque chose d'exceptionnel, vous le savez, sa maison dans laquelle rien n'a bougé depuis cette triste nuit où les pompiers l'ont emmené. Vide et inhabitée durant des décennies, elle est aujourd'hui devenue un musée où nombreux sont ceux à être pris d'une vive émotion en la visitant, alors, imaginez que nous soyons, par miracle, projetés dans les années 70. Il fait nuit, bientôt le matin, quand une silhouette titubante s'arrête devant le 5bis de la rue de Verneuil. Oui, Serge Gainsbourg rentre chez lui, encore beurré comme une tartine. Il foulle ses poches à la recherche de ses clés mais où les a-t-il mises ? Il ne les a quand même pas oubliées sur la table de ce bar, dont il ignore le nom ? Ou sur la banquette arrière du taxi ? Ah non, les voilà. Maintenant, le plus dur : la bonne trajectoire vers la serrure sans laisser tomber le trousseau. Le voilà dans la place, sans faire de bruit, pour ne pas réveiller les filles. Serge a promis à Jane, rentrée bien avant lui, d'être de retour avant le matin et il a tenu parole, hein ? Alors ce dernier verre de Bordeaux qu'il se sert, il l'a bien mérité. Et là, l'inspiration lui vient, il se dirige vers le piano et joue doucement la musique qui lui trotte dans la tête, un truc sorti de la brume, comme son taxi se garant débouchant des quais de Seine vers ce qui est depuis presque cinq ans, le domicile des Gainsbourg.Mais joue-t-il de plus en plus fort sans le remarquer ? Toujours est-il que Jane descend et l'engueule. N'est-il pas fou de jouer à une heure pareille ? Il va réveiller Charlotte et puis, elle se lève tôt pour partir en tournage. Serge s'étonne, il a promis de rentrer avant que les gamines se lèvent, pas de se coucher. D'accord, il fait du bruit mais c'est la musique, c'est son métier, on ne peut pas transiger là-dessus. Le ton monte, c'est l'engueulade, une de plus, Jane ne supporte plus sa vie de bâton de chaise, ses copains douteux, sa frénésie à boire jusqu'au bout de la nuit alors qu'il a une vie de famille heureuse. Elle part se réfugier dans la chambre des poupées, cette pièce pour où elle a réuni ses objets personnels car il n'y a pas de place ailleurs, toute la scénographie a été étudiée comme dans un musée. Quand Serge ouvre un œil vers 13 heures, la maison est calme et vide. Il descend dans la cuisine, se sert un verre puis allume la télé pour regarder les infos. Mais quand la petite douleur qu'il ressent depuis un moment devient persistante, il reconnaît les symptômes dont tant de médecins inquiets de sa consommation d'alcool et tabac lui ont parlé. Juste encore assez de contrôle pour téléphoner, Serge appelle un des rares numéros qu'il connaît par cœur : sa Maison de disques. Quelques minutes plus tard, des urgentistes arrivent chez lui, il a bien fait une attaque, il faut qu'on l'emmène à l'hôpital. Deux secondes dit Serge qui tient à son image : une couverture Hermès et un sac Vuitton pour ses affaires dont plusieurs paquets de Gitane. Ce soir, il va se réconcilier avec Jane et l'écrire, cette fameuse chanson !
Près d'un siècle plus tard, quel souvenir reste-t-il de ce jeune et timide garçon qui du haut de ses 9 – 10 ans, tétanisé sur ce trottoir du 9ème arrondissement de Paris. Mettez-vous à sa place, il croise en revenant de l'école, la grande et très imposante Fréhel, une des plus grandes stars de la chanson populaire. Et elle est là, sur le trottoir, devant chez elle, en peignoir avec ses chiens sur les bras.- Tu es sage et tu travailles bien à l'école, je vois.Ah oui, Serge est tellement fier de la croix d'honneur des bons élèves qu'il a fait coudre sur son tablier, ignorant que bientôt on lui collera une étoile jaune à la place. Mais au lieu de passer son chemin, Fréhel lui passe la main dans les cheveux et lui dit :- Viens, je te paye un verre.Voilà l'interprète de La Java bleue qui s'attable à une terrasse, commande un ballon de rouge pour elle et un diabolo-menthe avec une tartelette aux cerises pour le p'tit.- Comment tu t'appelles ?- Serge, Madame, répond le gamin dans un souffle de timidité et de confusion.- Serge comment ? - Serge Ginsburg.- Et bien mon petit Serge, je bois à ta santé et à ton avenir, car tu deviendras grand.- T'es prêt, Serge ? La voix de l'ingénieur du son qui résonne dans le haut-parleur de la cabine, tire Gainsbourg de sa rêverie, de ce souvenir de sa première rencontre avec le show business qui lui a ouvert le rêve de devenir artiste. Serge voulait dessiner puis peindre. Vingt ans plus tard, il est chanteur et musicien. Gainsbourg a en effet à son actif plus de vinyles gravés et d'heures passées à jouer du piano bar, comme son père, que de toiles. Certes en 1958, il est passé quelques fois à la télévision avec son Poinçonneur des lilas. Mais le disque ne s'est pas vendu : 2.000 exemplaires, tout comme le 25 cm suivant d'ailleurs. On le trouve mauvais chanteur, sans voix et laid. Fréhel s'est trompée. Jamais je ne deviendrai grand dans la chanson qui n'est qu'un art mineur, comme dit mon père.- On y est ?Serge enregistre alors la chanson qu'il a composée pour un film, SA première musique de film. Et là, miracle, sa chanson fait un tube : 100.000 exemplaires vendus en 1960, Serge en a le vertige. Dans un night-club, il croise la star Pier Angeli, ex-fiancée déjà mythique de Kirk Douglas et James Dean. Cette magnifique femme de 27 ans lui écrit sur un morceau de papier : J'adore “L'eau à la bouche”, ça me donne L'eau à la bouche. Serge gardera en souvenir cette première page d'une histoire qui va le lier aux plus belles femmes de ce monde et même des imaginaires.
Paris, Rive Gauche, une rue étroite à deux pas de la Seine, perdue entre le musée d'Orsay et les Deux Magots, reçoit depuis quelque temps la visite de touristes qui se rendent dans un musée situé au 5bis, rue de Verneuil, une longue maison en rez-de-chaussée, contrastant avec les nombreux étages de ses voisines. Et malgré une activité revenue après trente années d'abandon, la façade dégage encore une infinie tristesse car c'est ici que durant deux décennies, entre 1968 et 1991, Serge Gainsbourg a vécu et forgé sa légende. Il faut dire que rien n'ayant bougé depuis cette triste nuit où son propriétaire nous a quittés, on ne peut s'empêcher de penser aux derniers moments de solitude qu'il y a vécus au temps où il était la plus grande star de la chanson française. Interprète atypique, prodigieux auteur et compositeur devenu provocateur cathodique, noctambule notoire, compagnon de nymphes et collectionneur de disques d'or, Serge Gainsbourg est et reste un personnage d'exception qui, longtemps après sa mort, ne laisse encore et toujours personne indifférent. Il est vrai que de son vivant, Gainsbourg avait fait des médias son champ de bataille. Un artiste complet qui a utilisé son talent de plasticien pour créer de ses pinceaux un personnage sur une toile qui n'a jamais déteint. Mais aujourd'hui, que reste-t-il de lui dans ces lieux, dans le Paris qu'il aimait ?Il y a bien des années, Serge Gainsbourg amassait les millions, les TOP 50, les tournées triomphales. Tout ce qu'il touchait, quelques mots griffonnés sur un bout de papier qu'il donnait à chanter, à des femmes de préférence, se transformait en or. Tout le monde en parlait au point que souvent, le compositeur des chansons dont il n'écrivait que le texte disparaissait derrière lui. Ainsi de Franck Langolff qui a quand même, il faut le savoir, créé la musique de Tandem, le succès inattendu de Vanessa Paradis, nous sommes alors en 1990. Une Vanessa très intimidée qui vient lui rendre visite, justement dans cette maison devenue un musée ; rendez-vous dans l'espoir qu'il écrive pour elle. Il faut dire que la maison a de quoi impressionner ; la décoration intérieure que Gainsbourg a façonnée au fil du temps est une véritable œuvre d'art. Alors ne touchez à rien, surtout ne déplacez rien, il ne le supporte pas. La seule chose qu'il amortit vraiment c'est son téléphone dont il décroche et raccroche le cornet à tout bout-de-champ tellement il redoute qu'on ne sache pas le joindre. Est-ce l'aveu silencieux qu'il se sent seul malgré les va-et-vient incessants de sa gentille cour tout au long du jour ou la crainte de rater une demande d'interview ? Il faut dire qu'avec la sortie de sa double compile CD qui se vend à la pelle, public et médias découvrent un ancien répertoire à côté duquel ils étaient passés.
Je me souviens toujours de la première fois où j'ai entendu cette chanson d'Iggy Pop à la radio. Quand on connaissait l'animal, c'est le cas de le dire, c'était plutôt surprenant mais c'était pour la bande originale d'un film avec Johnny Depp, alors donc, rien d'étonnant. Mais qu'avec les semaines et les mois, la chanson devienne un tube mondial, là, on a tous été étonnés. Et quand les médias grand public ont adopté, définitivement, l'artiste Iggy Pop, on s'est dit que décidément, tout peut arriver. Car oui, le gars venait de fêter ses 46 ans, quand même.Alors, d'où viens-tu, Iggy ? Ben de l'Amérique profonde, avec son groupe, les Stooges qui ont été le modèle de la scène grunge, et avant ça, des punks anglais, en 1977. James Osterberg de son vrai nom est originaire du Michigan et il fait ses débuts, en 1963, comme les Rolling Stones mais pas avec le même succès. Le premier groupe dont il est le batteur se nomme les Iguanas, de là lui vient son surnom, Iggy, mais aussi l'Iguane. Il faut dire que son truc sur scène est de se tenir face au micro penché sur le côté avec le torse nu, penché en avant. C'est vrai qu'il s'agit pour Iggy de ne pas montrer qu'il a une jambe plus courte que l'autre, et dont il va ainsi tirer parti avec une attitude particulière. Et donc, en 1967, dans ce coin perdu du nord des Etats-Unis, on n'a jamais vu un groupe aussi brutal que les Stooges et dont le chanteur, Iggy, a un modèle : un Jim Morrison des Doors qu'il s'est mis en tête de surpasser au rayon de la provocation sur scène. Tout y passe : le torse nu enduit de beurre de cacahuète, un tas de trucs pour le public des premiers rangs que je ne citerai pas sauf un, celui où il s'élance et se jette dans la foule qui le tient à bout de bras. Oui, l'inventeur de cette discipline particulière qu'est le stage diving, c'est copyright Iggy Pop.Un Iggy et des Stooges vraiment ravagés, pire que les Doors, incontrôlables, mais qui disparaissent des radars après leur second album, sombrant dans la dépendance à l'héroïne. Mais voilà, ils comptent parmi le faible nombre de leurs fans, un Anglais qui, lui aussi, a du mal à se trouver un public : David Bowie. Et quand il arrive à franchir l'Atlantique, Bowie n'a qu'une idée en tête, les trouver et les sortir de là. David Bowie produit leur nouvel album dans une ambiance que seul le prétexte de c'était l'époque pourrait justifier. Mais les Stooges et Iggy se séparent ; trop d'excès et de tensions pour continuer. Le saviez-vous, après la mort de Jim Morrison, les membres survivants des Doors envisagent un temps de le recruter mais Iggy est trop loin dans la drogue, il tombe à la rue, perd des dents dans une bagarre, et ne doit son salut que par un internement volontaire dans un asile pour se sevrer.Et qui vient le chercher à nouveau ? David Bowie qui l'emmène à paris puis Berlin et lui produit deux albums solos qui le lancent définitivement, en 1977, dans le monde du rock. Dix ans plus tard, ils remettent ça ensemble, Bowie l'accompagne incognito ou presque, sur scène aux claviers, ils sont les meilleurs amis du monde, et vont le rester. Et nous voilà en 1990, les années CD, contre toute attente, Iggy Pop sort un album qui va être porté aux nues par tous, succès phénoménal, comme si la décennie qui s'ouvre allait lui ressembler. Ce duo avec la chanteuse des B52's en est le plus bel exemple.
Ce n'est pas un hasard si les Rave Party sont devenues populaires dans les années 90. La musique électro, sèche et dure, est un tel écho au rock alternatif, indépendant comme on disait, qui est alors LE genre musical dominant. C'est vrai, écoutez la musique de toutes ces rockeuses au sommet des ventes mondiales comme Alanis Morissette. La France suit le mouvement. Vous avez entendu la musique du groupe Indochine changer ? et des groupes comme Noir Désir ou La Mano Negra ? Et puis aussi un certain Jean-Louis Murat. Personne ne l'avait vu arriver, cet artiste descendu de son massif central, alors qu'il alignait des disques qui se vendaient à pas plus de 1000 exemplaires, voire qui ne sortaient même pas. Mais aidé par des artistes qui sont aussi dans la marge, comme Jacques Higelin et Charlélie Couture, Murat trouve toujours quelqu'un pour l'aider à suivre les chemins de traverse de sa musique. Et finalement, en 1987, un single enregistré chez Virgin, à l'essai, lance enfin la carrière de Jean-Louis, il a alors, 35 ans. Oh ce n'est pas le triomphe, ni le sommet du Top 50. Mais au milieu des Gold et Images, Murat incarne une autre chanson, et ses disques trouvent un public, pas seulement branché mais romantique, Jean-Louis Murat, c'est un rocker dans le monde de la variété française des années 80 devenu pop. Quelque part le successeur d'un Serge Gainsbourg, avec son franc parler, ses coups de gueule, sa brusquerie qui cache un grand cœur. Murat, ce sont des refrains qui s'inscrivent dans notre tête sans fracas mais durablement … (nos amours débutants) pour un public qui préfère acheter ses albums que les singles.Et puis, au début des années 90, ses innombrables fans le savent, paraît cette fameuse chanson en duo avec une Mylène Farmer au sommet de son triomphe tout récent … Regrets. Une histoire qui commence avec le fameux premier véritable album de Murat, Cheyenne Automne, que Mylène ne se lasse pas d'écouter. Alors, le croirez-vous, voilà qu'elle écrit à ce jeune nouveau chanteur, entre guillemets, pour lui faire part de son admiration. Et qui lui répond. Une nouvelle lettre arrive en retour et l'échange se prolonge pendant des mois, il va falloir que Jean-Louis quitte sa campagne d'Auvergne pour rencontrer cette admiratrice pas comme les autres. C'est d'autant plus évident qu'elle a écrit une chanson en pensant à lui. Et elle lui en envoie une version cassette sur laquelle elle interprète les deux voix. Jean-Louis accepte le duo, la chanson succède à l'incroyable succès du single Désenchantée, toujours N°1 ainsi que l'album quand le single arrive dans les radios. Jean-Louis Murat s'impose alors dans le métier, on le voit désormais en dehors des émissions de Thierry Ardisson le samedi soir ou Nulle Part Ailleurs sur Canal. Les années 90 sont les siennes, avec son flot de disques aussi différents les uns que les autres, sa voix qui traîne sur les lecteurs CD et bien sûr, ces déclarations anti-système, anti-showbizness car, comme il le dit, ça ne me dérange pas que les gens ne m'aiment pas.
Pour ceux qui s'en souviennent, jusque dans les années 80, le rock, la soul, la pop, ça ne pouvait être que Britannique ou Américain. Point. Et quand il y avait des locaux, en clair du Belge ou du Français, c'était soit l'exception, soit pathétique. Au mieux on l'achetait parce qu'il fallait soutenir la production locale et si ça sonnait pas bien, c'est normal, c'est fait ici. Et puis les années 80 ont tout changé. Téléphone, TC Matic, Pierre Rapsat, Chagrin d'Amour ,Indochine, on commence à trouver ça normal que les gens de chez nous fassent aussi bien. Là-dessus, on en voit débarquer de Suède évidemment, avec Europe et; qui n'a rien à voir avec Abba, Roxette, et puis de partout ailleurs. Et quand je dis partout, plus c'est exotique, plus ça attise notre curiosité. Tiens je me souviens, en 1987, on me met un 33 Tours dans les mains. Le groupe se nomme les Sugarcubes. J'entends encore la voix : c'est islandais. L'Islande, pays plus de trois fois comme la Belgique mais perdu au milieu de l'Atlantique gelé, entre le Groenland et la Norvège. Et encore si ce n'était que ça car c'est le 300.000 habitants en tout et pour tout qui interpelle. 3 habitants au km2 et y a des mecs qui arrivent à monter un groupe pop. Quoi ? Le disque est immédiatement sorti de sa pochette, posé sur la platine … eeet c'est vachement bien ! C'est du rock, indépendant, ça sonne bien. Juste qu'il faut s'habituer à la voix de la chanteuse, elle a une voix de gosse et elle chante d'une manière très particulière, tout en restant mélodique.C'est quoi son nom ? On scrute l'arrière du disque, quatre gars et une fille, très jolie, sur la photo, en tout cas. Son nom : Björk Guðmundsdóttir. Oui j'ai quelques notions d'Inuit et de Viking, bon, on va l'appeler Björk ? Et c'est vrai qu'on n'étaient pas les seuls le soir du 11 décembre 1988, au Vooruit à Gand pour les voir jouer mais on n'imaginait pas, bien sûr, que cette petite boule d'énergie devant la scène allait devenir une des égéries des années 90 quand quatre ans plus tard, Björk allait continuer en solo, avec une musique, il est vrai très différentes mais une attitude et une branchitude qu'on n'avait plus vue depuis Nina Hagen et Yoko Ono, un mélange des deux. Comme notre Arno après TC Matic, Björk va instantanément devenir une figure d'un rock expérimental qui plaît au grand public que nous sommes. Car il y a quelque chose en eux d'authentique dans leur posture d'artiste en marge. Björk est un peu la petite sœur surdouée mais fragile de nos années 90, son énorme audience aux Etats-Unis en est la preuve, on l'a d'ailleurs retrouvée en duo avec le compositeur de B.O. phare des années 90, David Arnold. Si ce film avec Harvey Keitel n'est pas sorti chez nous en 1993, ni après, la voix de Björk résonne encore dans la légende de cette décennie.
Années 90, années compiles CD, télé clips vidéos, rap, r'n'b, électro et surtout, grunge et rock alternatif. Nirvana, Pearl Jam, Soundgarden, il en sort tellement de partout qu'on se demande où trouver l'argent ; les disques, ça coûte cher, encore plus depuis le compact disc. Mais d'où viennent tous ces groupes ? C'est vrai qu'il fallait être branché rock pour avoir fait connaissance avec cet immense réservoir de musiciens rock qu'on disait alternatifs avant le succès commercial de Nirvana. Ils étaient là, innombrables, dans toutes les villes d'Amérique, au plus profond du pays, à répéter dans les garages, jouer dans des petites salles et enregistrer pour quelques dollars une cassette ou un CD pour des labels de disques locaux.Oh bien sûr, il y avait des modèles anciens comme David Bowie qui après avoir massivement inspiré la New Wave dix ans plus tôt, était toujours aussi présent dans nos oreilles après que la vague soit retombée. Et puis il y avait tous ces groupes de hard rock / heavy metal qui avaient fait une percée commerciale improbable dans les années 80 comme les Metallica ou Guns'N'Roses. Et enfin, quelques indépendants ou alternatifs, drôles de noms pour ce qui n'était que des garage bands, arrivés à se faire un nom, au milieu de tout ce bazar : ils s'appelaient les Pixies et surtout, R.E.M.Et autant David Bowie avait tourné le dos à cette New Wave qui l'imitait pour aller chercher un immense succès commercial, autant il a, à présent, entrepris d'être de ce courant alternatif. Et donc logiquement de perdre le contact avec les médias grand public. Elle fait à nouveau peur, la musique de David Bowie en pleine période grunge : à la fois électro et métal, elle n'est plus achetée que par les amateurs du genre. Mais David ne se préoccupe pas de l'impact commercial quand il produit. Ses compilations et tournées best of, attirent de plus en plus de monde. Une nouvelle fois, l'artiste est parvenu à jouer la musique qu'il entend dans sa tête sans se soucier si elle passera à la radio et à la télévision car ce faisant, il reste branché tout en continuant les démonstrations de force dans les plus grandes salles. Personne pour le traiter de has been.On gardera de ces années 90, son album avant gardiste avec Brian Eno, comme à l'époque de Heroes, mais avec un succès radio grâce à un étonnant duo avec les Pet Shop Boys. On n'oubliera pas le fameux concert à Madison Square Garden pour ses 50 ans, en compagnie de ses amis, tellement rock, tellement pop, tellement enthousiasmant. Et puis fin de la décennie, du siècle, du millénaire, David Bowie change de cap. Voit-il à l'horizon le port d'arrivée du navigateur solitaire, lui qui n'a jamais été aussi heureux dans sa vie privée ? Sa musique s'adoucit à nouveau, le ton est plus mélancolique que jamais, les paroles intelligentes qui prennent aux tripes. En 2001, la messe de la musique pop serait-elle dite, à l'écoute de ce titre ? … Ou de ce Strangers When We Meet … David Bowie est encore là, il le sera toujours.
Les années 90 s'éloignent. Elles ont pris leur place dans la légende de notre présent grâce à des souvenirs millésimés de millions d'entre nous, des flashes de premiers émois, des traces de leur adolescence qui ne partiront jamais, des étapes de vie de jeune adulte, premier boulot, mariage, voyages.Tout ça, en musique bien sûr, souvenez-vous des monumentales piles de CD dans l'entrée des magasins, des chaînes musicales de télévision dont on ne décollait pas, les magazines ados ou adultes spécialisés rock ou pas, les rave party, les concerts à Forest National, les compiles qu'on emportait au kot ou sur notre baladeur. Oui, au cours de ces années, on a tous navigué entre l'explosion du hip hop et du r'n'b, de la musique électro, des 50 ans de Johnny, Michel et Jean-Jacques qui n'ont jamais été aussi populaires. Et plus loin, de toutes les musiques anglo-saxonnes désormais en français, et dont le ton s'est durci à l'instar des Indochine, NTM et autres Niagara. Et puis une figure emblématique qui ne se prédestinait pas à devenir un modèle pour la jeunesse de l'époque et des générations à venir : Kurt Cobain. Car autant il est facile aujourd'hui de dessiner les contours de cette génération grunge et son héros malgré lui, comme une évidence, autant il est utile de se remémorer, ou de raconter ce que nous a fait le premier riff de Nirvana à la radio, télé ou sur CD, au début de cette décennie. Courir chez le disquaire, trouver ce CD bleu avec le bébé nageur, quelle réussite, cette pochette. On l'a su immédiatement qu'il était en train de se passer quelque chose, qu'on retrouvait sans le savoir l'émoi des aînés de plus de dix ans, en pogotant dans la chambre ou avec les copains le week-end sur le refrain et les envolées de batterie et guitares. Et puis on a découvert le mec derrière la guitare et surtout cette voix. Hurlante et plaintive. Elle signifie quelque chose ? Comme ses fringues de bûcheron, jeans déchirés, T Shirt pas repassé et chemise à carreaux. Dois-je parler de la coiffure qui n'en est pas une mais va le devenir. Tous les gamins veulent se faire la coupe Cobain, les coiffeurs n'ont qu'à s'acheter un magazine pour trouver des photos, ils ont intérêt à s'adapter s'ils ne veulent pas que les clients se fassent coiffer dans la cuisine par leur grande sœur.Que fait ce mot, Nirvana, spirituel bouddhique écrit sur le sac et le plumier des élèves ? se demandent les profs de rénové. Ils ne vont pas tarder à avoir la réponse car pour la première fois, les radios et télés grand public diffusent massivement un morceau Heavy Metal : c'est ça, Nirvana ? Oui, mais c'est pas mal ! Et c'est ça qui est incroyable. Car l'engouement ne se limite pas aux élèves, Nirvana et Kurt Cobain trouvent pas mal d'échos positifs chez les profs, enfin, les jeunes, hein, la vingtaine, la trentaine, et même un peu plus. Sauf pour la tenue vestimentaire, bien sûr, y a du laisser-aller. Mais bon, de leur temps, c'étaient les Rolling Stones, Alice Cooper et Led Zeppelin, alors ... Le mal être de Kurt Cobain qui va déboucher sur un drame, c'est aussi celui d'une génération qu'on n'a pas vue venir, plus axée sur l'état actuel du monde qu'un avenir rêvé et meilleur. Pas de quoi vraiment rendre optimiste, même s'il y a toujours de la place pour la grosse éclate. Une fête qui n'a plus le même goût, évidemment, mais pour le savoir, il faut avoir vécu avant. Alors, oui, il nous dit tout ça Kurt Cobain, même quand il reprend les mots et les notes d'un vieux titre de David Bowie
Si nous restons dingues des années 80, après autant de décennies, c'est que ces années l'ont été, dingues, non ? C'est vrai qu'il s'en est passé des trucs de ouf : tenez ça commence avec en 1980 l'élection d'un acteur d'Hollywood à la présidence des Etats-Unis. Qui aurait imaginé un truc pareil ? Et s'il n'y avait que ça : au cinéma on court voir un extraterrestre gentil qui ne parle qu'à des mômes, des hommes préhistoriques qui remportent un Oscar et deux Césars, il y a même le batteur de Genesis qui devient une des plus grandes stars de la planète. Bref, c'est une totale révolution à laquelle les radios libres, MTV et la cassette vidéo ne sont pas étrangères, qui chamboulent notre belle société qui demande que tout soit bien rangé dans des cases. La preuve, même les punks, les pires ennemis du système deviennent des machines à tubes dans les années 80. C'est vrai qu'il n'y a pas plus anarchiste et anti hit parade que les punks rockers mais il faut bien constater que Blondie et les Talking Heads côté américain, les Clash et Police côté britannique accumulent les succès à la fin des années 70. L'arrivée des synthétiseurs et des boîtes à rythme va faire le reste, même dans les milieux les plus reculés de l'anti-système. Vous ne me croyez pas ? Et bien, avez-vous déjà entendu parler des Damned ?C'est de l'aveu de tous les spécialistes, les plus fêlés du lot. Pire que les Sex Pistols ! Les Damned sont comme ces derniers, des pionniers du mouvement, c'est d'ailleurs eux qui publient en février 1977 le premier album du genre, vraiment fondateur du punk. Comment vous décrire un concert des Damned ? Ça hurle, ça cogne et ça pogote au milieu de verres, bouteilles et crachats qui valsent dans tous les sens y compris sur les musiciens. Et pourtant, au début des années 80, le bassiste du groupe qui s'est fait remarquer en chantant Ca plane pour moi en anglais, se lance dans une carrière solo improbable, son nom : Captain Sensible. Sa rencontre tout aussi improbable avec le leader, chanteur, producteur et compositeur du groupe New Musik, le génial Tony Mansfield, débouche sur un miracle encore plus improbable. En 1982, Captain Sensible s'empare à plusieurs reprises du fameux Top 40 britannique avec des musiques synthétiques mais aussi un rap, le premier rap punk, 100% New Wave de l'histoire. Et tout ça avec un humour à la Benny Hill. Ah je voudrais savoir où sont bien passées ces années 80 ?
Dans les années 80, il n'y avait pas que la parole qui se libérait comme dans l'émission du samedi soir où tout le monde était censé avoir son droit de réponse. Ca s'engueulait plutôt joyeusement dans une atmosphère alcoolisée et enfumée mais ça existait. Après les bravades de la bande de Jacques Martin durant les années 70, défiant l'autorité, on en était maintenant à celles de Coluche et de Pierre Desproges, ex-complice de Martin, à la télé, sur disque et sur scène. Guy Bedos et Michel Serrault pirataient les émissions de Michel Drucker et les JT, Canal+ osait tout diffuser, poussant les chaînes généralistes à des émissions osées en seconde partie de soirée. On parlait sexe à la télé, on en montrait même, la chose aurait été impensable quelques années plus tôt.Mais n'allez pas croire que tout le monde aimait ça. Ah noon combien étaient ceux qui écrivaient au courrier des lecteurs ou téléphonaient aux auditeurs ont la parole pour dire tout le mal qu'ils pensaient de cet imbécile de Coluche ou du vulgarissime Gainsbourg … à la grande satisfaction d'autres car plus ils étaient critiqués, plus ils vendaient. Et oui. Dans les années 80, la provocation fait vendre comme jamais. Car à une époque où on n'a jamais vendu autant de produits culturels, disques, CD, cassettes vidéos, livres, la provocation, c'est la visibilité dans la presse magazine qui, elle aussi, n'a jamais connu une telle audience. Et ce qu'on oublie souvent, c'est que la provoc n'est pas l'apanage de Paris, c'est même plutôt une spécialité britannique. Il faut dire que la société était autrement plus stricte et donc, les scandales encore plus percutants. Regardez la campagne promo des Sex Pistols : de la pochette du single God Save the Queen, aux tenues vestimentaires du plus mauvais goût, en passant par les bagarres, tout y est passé. Tout ? Non. Il reste encore, en 1983, de la marge dans le registre tapageur. Celui qui va servir au groupe Frankie Goes To Hollywood qui va, en fait, reprendre l'argument commercial qui avait servi à lancer les Rolling Stones, tout juste 20 ans plus tôt. Car c'est là qu'intervient Brian De Palma, réalisateur à succès mais sulfureux, avec son nouveau thriller, Body double avec pour thème le sexe et le voyeurisme, des références à Hitchcock mais dans une atmosphère de libération sexuelle. L'idée géniale du réalisateur américain est de promouvoir son film avec le clip du single d'un groupe provocateur et qu'on va voir intégralement dans le film. Mais les gars de Frankie n'aimant pas le résultat, choisissent de tourner une nouvelle vidéo, qui sera censurée à la télévision, les obligeant à en tourner une troisième. Entretemps, la publicité faite autour de la censure aura propulsé le single à la première place des classements.
Je vous ai déjà raconté comment tant de chanteurs étaient arrivés d'Australie dans les années 60 et 70, des Bee Gees aux Easybeats en passant par Flash and the Pan. Et ça ne s'est pas arrêté dans les années 80 avec Kylie Minogue, Midnight Oil et Icehouse.Et justement, Icehouse, ça, c'est le groupe typique dont on connaît au moins une chanson par coeur, du genre qu'on monte le son sans savoir exactement ce qu'on aime en elle mais dont on ne sait rien. Je ne savais même pas qu'ils étaient Australiens ! C'est vrai que leur fameux single a fait un sacré tube fin 1982, début 83 et que cela leur avait valu d'assurer la première partie de la tournée du retour de David Bowie, la même année. Alors cette voix qui a sûrement dû vous accrocher avec son léger grain quand il descend dans les graves et sa clarté dans les aigus, c'est celle d'Iva Davies. Oui, comme les frères Davies des Kinks mais rien à voir, son père Neville a été garde forestier toute sa carrière dans la région de Sydney. Un père qui chante lors des festivités, alors son fils à qui il a inculqué l'amour des arbres, chante lui aussi, et joue de la guitare. On ne s'étonne pas que son premier groupe se nomme Flowers et qu'il rencontre un joli succès en Australie, avec sa voix, proche de celle de Bryan Ferry de Roxy Music. Alors, un jour de 1981, sa firme de disques décide de le lancer en Grande-Bretagne et par conséquent, le reste du monde. Le nom de Flowers étant déjà pris dans tous les sens, il en faut un nouveau, Iva demande :Que pensez-vous de Icehouse ? Icehouse ? Quelle idée ! Ben, c'était le nom que j'avais donné au flat que je louais à l'étage d'une vieille maison et où je me les suis gelés durant des mois.Icehouse ? vendu ! C'est d'ailleurs le titre du premier single qui paraît en 1982 et qui, au milieu de la New Wave des Ultravox, Depeche Mode et Human League serait sans doute passé inaperçu si la vidéo n'était pas tournée par le réalisateur australien, Russell Mulcahy, hyper célèbre, il est l'auteur du premier clip diffusé sur MTV : Video killed the radio stars et futur réalisateur de Highlander. Le gros succès arrive quelques mois plus tard avec Hey Little Girl, tellement New Wave, et puis un second titre de l'album plus tardivement, chanson d'un film intitulé pour ado Young Einstein, comme on en a tant tourné dans les années 80. Alors voilà, vous savez désormais que la voix de ce groupe mystérieux qu'il était à lui tout seul, appartenait à un certain Iva Davies, immense célébrité dans son pays de l'autre côté de la Terre, mais pour nous, simplement Icehouse, qui nous a offert un des très bons moments de ces années 80.
Les années 1980 sont devenues magiques pour beaucoup de gens qui donneraient cher aujourd'hui pour y revenir. Et en y repensant, je dois vous avouer me souvenir qu'on avait l'impression de vivre un grand moment. Tout nous semblait nouveau et moderne en 1980 : on jouait aux Space Invaders, on écoutait des radios libres pour la première fois et on utilisait un enregistreur VHS. Et si, question musique, en 1980, il y avait encore des Chantal Goya pour chanter Bécassine et Julio Iglesias Je n'ai pas changé, le reste, mis bout à bout, était sacrément moderne : The Buggles, Orchestral Manoeuvres, Funkytown, le Manureva d'Alain Chamfort, le Banana Split de Lio ou John and Mary de Robert Palmer, c'est quand même une musique futuriste avec tous ces synthés.Et puis il y a le ska. Je revois encore toute la piste de danse sautant d'un bloc sur One step beyond quinze fois sur la soirée d'un samedi. C'était quelque chose de radicalement nouveau qui correspondait tellement à la jeunesse du début des années 80. Si le genre n'a pas fait long feu, en Angleterre, il a été un véritable phénomène social avec des groupes comme Madness, bien sûr, mais surtout les Specials, Selecter, Bad Manners et The Beat. Complètement méconnu chez nous, The Beat enchaîne trois albums, tous disques d'or, avant de se séparer. Alors qu'est-ce qu'on fait ? se demandent Andy Cox et David Steele, respectivement bassiste et guitariste de The Beat, les auteurs de cette intro que tous les Britanniques connaissent … Moi je vous dis : une paire pareille de musiciens ne devrait pas se séparer, et justement, ils décident de continuer ensemble. Mais que jouer comme musique ? Ils sont plutôt punk, ont connu le succès avec le ska, deux musiques bien passées de mode en 1984, alors ils suivent un peu le mouvement du milieu de cette décennie, avec les Wham!, Madness ou Culture Club qui ont injecté de la soul américaine dans leur musique. Andy et David jouent chacun de plusieurs instruments, ils sont un band à eux seuls mais voilà, il leur faut un chanteur, un frontman. Alors ils passent une annonce dans un magazine musical. Pour vous dire à quel point la scène musicale était intense et lisait les magazines, ils reçoivent 500 cassettes de gars qui veulent être leur chanteur. Quand va-t-on écouter tout ça ?Ben on s'arrête au premier qui nous plaît.Et si le suivant est dix fois meilleur ?Ils vont mettre huit mois à trouver le temps de tout écouter et à choisir le bon. Il se nomme Roland Gift, et a aussi fait du ska, mais comme saxophoniste, dans un groupe de Hull sur la côte est du nord de l'Angleterre, bien connue de ceux qui prennent le ferry pour la Hollande. Ainsi naissent les Fine Young Cannibals, un groupe qui incarne tellement la seconde partie des années 80, une carrière fulgurante, seulement deux albums mais quels albums, synthèse de la pop d'une époque où on vivait pour la musique.
Quand on regarde certaines émissions de télés françaises, et même belges, nous décrire de manière caricaturale les années 80, je me demande où j'ai pu passer ces dix fameuses années parce que franchement je n'ai, à cette époque, pas vu beaucoup de monde, avec un rubik's cube tout le temps en main ou encore une cassette et un crayon, si vous voyez ce que je veux dire. Et encore moins habillés comme ils nous le disent. C'est vrai, dans la rue, on croisait peu de ces tenues fluos et moulantes comme dans l'émission Gym Tonic, un serre-tête sur le front, sauf Bjorn Borg à Roland Garros ou Mark Knopfler sur scène avec Dire Straits, et enfin des brushings d'un mètre cube à la Tina Turner et Bon Jovi.Alors oui, ok, y avait des brushings, mais c'était genre Sarah Connor dans Terminator, et pour les filles bien sûr, pas pour les mecs comme Van Halen ou The Police. Non, nous la mode, c'était plutôt le registre des pulls Lacoste jaunes et roses, ceux que les Gonzague portaient pliés sur les épaules, parce que ça faisait plus chic. Ou les T Shirts et Sweat Shirts Best Montana ? Ils allaient très bien avec les Nike Dunk hautes rouges ou bleues, ah ben ouais, on laissait les Reebok blanches pour des tenues plus habillées. Bref, nos années 80 sont plutôt passées à regarder des films VHS du vidéoclub, des clips à la télé et à écouter la radio libre ou des cassettes chrome qu'on se faisait grâce aux disques empruntés à la médiathèque. Ah il fallait ça ! Car si dans les années 70, toutes les conversations d'ados tournaient autour de quelques groupes et artistes, dans les années 80, on entendait sans arrêt prononcer des noms qu'on ne connaissait pas et pas toujours parce que c'étaient des nouveaux venus. Ah bon ? Et ils ont déjà fait deux albums ? Normal, on n'avait jamais vendu autant de disques, alors les labels signaient de plus en plus d'artistes. Et d'où en sortait-il le plus ? De Grande-Bretagne, évidemment. Ce n'est pas un hasard, c'est le pays où les artistes chantent tous les samedis et vendredis soir, ça joue live dans les pubs. Et encore plus dans les villes universitaires où le taux de jeunes au m2 est le plus élevé du pays. Ainsi de la ville de Glasgow où l'étudiant en philologie anglaise et philosophie Lloyd Cole compose et enregistre, un week-end de l'été 1984, une cassette dans le sous-sol du club house d'un golf, en fait c'est là que travaillent ses parents et c'est là qu'ils vivent. Et ben, pour vous prouver ce que je vous disais, une cassette par la poste et voilà déjà son groupe Lloyd Cole & The Commotions signé par une firme de disques et un premier album sorti en octobre. On les a immédiatement adoptés, leurs deux premiers albums ont illuminé une partie de nos nuits du milieu des années 80, avec ce petit quelque chose d'Américain qu'ont les British dans leur musique pop et qu'ils mettent au four, à leur sauce. Chouchou des radios libres et des compiles 33 Tours sponsorisées par une marque ou pas, on en a bouffé du Lloyd Cole sans trop savoir qui il était sinon qu'il faisait rêver les filles de notre génération.
Était-on, au milieu des années 80, au cœur d'une époque bénie de la musique comme beaucoup le crient haut et fort aujourd'hui ? Je ne sais pas vous mais moi, il suffit de me souvenir de tous ceux qui étaient présents lors du Live Aid en juillet 1985 pour me convaincre qu'il n'y a jamais eu autant d'immenses stars actives et au sommet de leur gloire. Et que dire si on y ajoute le nom d'absents de l'événement comme Michael Jackson, Prince, Rod Stewart, Eurythmics, Tears for Fears, Frankie Goes to Hollywood, Culture Club, Bruce Springsteen, Depeche Mode, ok j'arrête, on comprend que jamais plus on ne revivra une époque pareille. Et donc, on remarque d'autant plus l'omniprésence de celui qui est en cette année 85, le N°1 toutes catégories : Phil Collins. Vrai, le triomphe de ses deux albums solos parus au début de la décennie fût totalement inattendu. Tout d'abord parce que sa musique n'est pas formatée au départ pour un succès commercial, et puis aussi parce que jusque-là, il y avait une malédiction qui prétendait qu'aucun membre d'un groupe au top, ne peut réussir une carrière solo. Mais cet immense succès ne rompt pas le lien entre Collins et son groupe Genesis qui continuent leur carrière en parallèle avec de plus en plus de retours. En 1984, après les fabuleux Mama et That's All avec Genesis, c'est la sortie de la chanson d'un film qui vaut à Collins son premier numéro 1 américain et un oscar, immédiatement suivi par un improbable et phénoménal duo avec le chanteur d'Earth Wind & Fire.Qui aurait prédit cinq ans plus tôt, avec son physique passe-partout, sa barbe de pirate et son front dégarni sous des cheveux longs en broussaille, que Collins deviendrait une des plus grandes stars de la planète ? Le départ du spectaculaire et intello Peter Gabriel de Genesis devait sonner la fin d'une magnifique aventure mais la voix de Phil s'était élevée de derrière sa batterie. On l'avait jusque-là entendu dans les chœurs et sur deux petites chansons de Genesis, le voilà à présent sur le devant de la scène. Ce n'est plus la même musique, ce n'est plus le même show, et pourtant, malgré des déçus parmi les fidèles de la première heure, les fans se multiplient à une allure ahurissante. Et c'est la Belgique qui est une fois de plus en tête du mouvement. Après avoir été le premier pays étranger à accueillir Genesis et leur faire la fête, en 1971, voici que six ans plus tard, elle leur offre leur premier album N°1. Et encore, c'est un double et un live, mais porté par une voix admirable, présente et chantante, mariant les pirouettes de Peter Gabriel avec une musicalité qu'on ne soupçonnait pas. Alors voilà qu'en pleine période new wave, hip hop et funk, un artiste qui devrait appartenir au passé, à ces années 70 désormais tellement lointaines, publie début 1985, un troisième album solo qui restera dans de nombreux pays dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, un des disques les plus vendus de leur histoire. Il s'appelle No Jacket required et il incarne tellement ce qu'était le son, et la vie, dans les années 80.
En 1984, le Townhouse, studio londonien créé par Richard Branson, le patron de Virgin, a transformé le quartier de Shepherd's Bush en endroit branché tant on croise tous ceux qui hantent le Top 40. Pas étonnant que parmi les Simple Minds, Elton John ou Bryan Ferry, Phil Collins y ait pris ses quartiers pour enregistrer ce qui sera déjà son troisième album solo. Le téléphone sonne. Qui le demande ? Bob Geldof. Le chanteur des Boomtown Rats, un groupe new wave de la première heure mais dont l'heure de gloire semble déjà passée. Que lui veut-il ? Encore un qui veut se faire produire par Phil Collins ? Passe-le moi !Vous l'avez compris, les deux hommes ne se connaissent pas et pourtant, Geldof va direct au but : Tu as vu les infos à la BBC ?Non, là, je suis dans les bois. Une expression de Quincy Jones pour dire que quand on est en studio, on est hors du monde. Et là, Geldof de lui raconter le reportage qu'il a vu la veille à la BBC avec ces gens qui meurent de faim en Ethiopie et ce médecin obligé de décider qui va vivre ou pas, car ils n'a pas reçu assez de nourriture des associations.J'ai décidé avec ma femme, une animatrice télé très populaire, de faire quelque chose. On ne peut pas attendre. J'ai besoin d'un batteur très connu alors j'ai pensé immédiatement à toi.Pour faire quoi ?Quelques jours plus tard, le 25 novembre, Phil se retrouve un dimanche au Sarm Studios, qu'il ne connaît que trop bien, y ayant enregistré trois albums avec Genesis du temps de Peter Gabriel. Un autre studio de Richard Branson mais racheté par Trevor Horn, le leader des Buggles, il est devenu le repère de la scène pop des années 80. On le devine, entouré des jeunes Spandau Ballet, Culture Club et autres Bananarama, Phil Collins a l'impression d'être dans les pages d'un magazine teenager comme le Smash Hits. D'autant plus qu'il les voit défiler, chanter toute la journée en attendant que ce soit son tour de jouer. Et quand vient le moment, ils sont tous là à le regarder, derrière sa batterie, quand Midge Ure d'Ultravox, le producteur, lui dit, tu commences ici et tu fais ce que tu veux ! Ah bon ? Top, vas-y !Et Phil, le casque sur les oreilles, improvise sa piste de batterie. Il n'en mène pas large, évidemment. Mais quand le morceau s'arrête, il entend Midge crier un grand Impeccable ! Tout le monde l'applaudit. T'es sûr ? J'ai envie de la refaire. Non, pas besoin, il est tard. Et voilà, one take comme Frank Sinatra. Phil Collins fait alors la connaissance de Bono et parle un peu avec Sting à qui il propose de venir faire les chœurs sur son prochain album No jacket Required. Ainsi Sting lui proposera-t-il de faire un duo au Live Aid qui deviendra mythique : Genesis et The Police, deux univers si lointains et pourtant. La boucle est bouclée, Phil Collins est vraiment l'incarnation de ces années de renouvellement que furent les années 80, il est, comme dans le clip de cette chanson, le roi du monde. Avec humour, bien sûr, regardez-le jusqu'à la fin.