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Vous avez peut-être vu la vidéo hilarante que Elton John a publiée ces jours-ci dans laquelle il n'arrive plus à ouvrir une porte chez lui, que ce soit celle de son living, frigo et même le four dans sa cuisine, sans entendre une chanson de Noël en sortir. Elle lui a d'ailleurs valu une remarque sur la propreté de la porte intérieure de son four, alors que l'artiste est réputé pour ne pas supporter la moindre saleté ni le désordre.Mais bref, cela n'a rien d'étonnant car le mois de décembre en Grande Bretagne est un mois chargé comme on n'en voit nulle part ailleurs dans le monde. Ce n'est pas pour rien que c'est là qu'est née la fête telle que nous la pratiquons aujourd'hui, le Christmas Carol de Charles Dickens en est d'ailleurs la preuve.Mais bon, il aime ça aussi, Elton John, tout comme son ami Freddie Mercury. Aah, la Noël, c'était sacré. Ces deux gars qui avaient connu une enfance compliquée à tous les niveaux, avaient du retard à rattraper quand ils sont devenus des stars riches comme Crésus. Ca y allait les cadeaux chez Cartier, Fortnum & Mason ou Tiffany, à Londres et à New York, le samedi avant la Noël. Un ami de Freddie Mercury se souvient qu'une année chez Harrods, Freddie s'était vu refuser sa carte American Express, pour cause de solde dépassé, tellement il y était allé fort en bouteilles de parfum pour ses invités. Freddie était comme ça. Sûrement le plus calme de la bande en privé, quand il était chez lui, à Manhattan, Kensington ou Montreux. Il était loin d'être le plus extravagant avec ses proches, c'était plutôt les autres qui se déchaînaient, trop heureux d'être avec LUI, la rockstar. Freddie, lui, cherchait juste le réconfort d'un noyau de gens qui l'accepte pour ce qu'il est, pas ce qu'il chante. Voilà sans doute le pourquoi de l'avalanche de cadeaux. Pareil pour Elton John. D'ailleurs, vous vous souvenez dans le film Love Actually, quand il invite Bill Nighy alias le punk Billy Mack devenu N°1 du Top40. L'auteur n'a rien inventé, Elton John est connu pour ses fêtes de Noël à la hauteur de la ferveur populaire qui saisit les Britanniques. C'est vrai qu'on y fête plus le sapin, la dinde et la cuvée spéciale que le petit Jésus dans la crèche.On raconte qu'il y invitait souvent son voisin le prince Philippe et la reine, ses voisins à Windsor, et qu'ils déclinaient poliment. Par contre qu'il y ait compté dans les années 90, un certain Robbie Williams et les Spice Girls pour l'écouter jouer au piano jusqu'à huit heures du matin, ça c'est lui qui l'a raconté. Tout cela avait lieu, évidemment, dans sa maison de campagne, loin des voisins qu'on aurait pu déranger. Imaginez Geri Halliwell en robe de mère Noël ultra courte, en train de hurler dans la cour Merry Christmas avec Robbie Williams. Freddie était, sur ce coup-là, plus discret, je vous l'ai dit, comme en atteste l'unique disque de Noël publié par Queen en 1984, et dont la carrière a été, cette année-là, éclipsée par l'immense single du Band Aid.

Les contes de Noël ont bien changé depuis le 19ème siècle. Je crois que c'est dans les années 80 que tout a basculé. Que tout est devenu, disons, plus moderne. Il est vrai que jamais une décennie n'a été vécue autant dans le présent que celle-là, elle restera celle où on a arrêté de croire qu'en l'an 2000 on volerait dans notre engin spatial individuel et donc, au père Noël.Le père Noël, c'est nous ! Ca, George Michael et Andrew Ridgeley l'ont bien compris du haut de leurs 20 ans. Et alors que leur duo, Wham!, vient d'être propulsé au sommet, et qu'ils sont tous deux chez les parents de George, celui-ci imagine un conte de Noël moderne. Vous connaissez cette histoire d'amour heureux puis malheureux, entre deux Noël, on l'a assez entendue … Une chanson dans laquelle George croit fermement et qu'il enregistre seul, en plein été, comme Nat King Cole des décennies avant lui, mais dont il compte tourner un clip crédible. Avec Andrew, l'histoire est entendue, il faut reconstituer une bande de jeunes qui font la fête aux sports d'hiver, sous la neige. Coup de bol, en novembre, il a neigé en Suisse, dans le Valais. On y va ! Mais qui va jouer la fiancée et la future ex ? Un mannequin, Kathy Hill, les choristes Pepsie et Shirley et quelques potes à eux sont du voyage, ils joueront la bande. Ils sont un peu fauchés, alors, trop contents de se faire un week-end à la montagne. Mais bon, on n'a pas trop de budget, dit le manager. Ça n'empêche toute la bande de faire le siège du bar de l'hôtel en attendant l'arrivée de George et Andrew. Ça commence bien.Tu as la broche ? demande le réalisateur à Andrew. Bien sûr. Celle que George est censé offrir à sa copine et qu'il va retrouver un an plus tard avec Andrew et en avoir le cœur brisé. Le tournage est prévu dans deux chalets, un pour les extérieurs et un pour le dîner entre copains où la consigne est claire : on doit y croire !Et on y croit. Ça rit avec une telle sincérité que c'en est bluffant à l'image. Il faut dire que c'est du vrai vin qu'on sert à tout va, c'est gratos. On n'a pas mis du jus de raisin pour le réalisme, bonne idée, mais là, on finit par y être un peu trop. Heureusement, on a de belles images où George offre à Katty, la fameuse broche, de la maman d'Andrew. Mais voilà, une pause, un moment d'inattention, lorsque Kathy reprend le manteau qu'elle avait ôté, plus de broche. Catastrophe pour le réalisateur, il faut encore tourner l'autre scène qui rend George triste, et puis, c'est un bijou de maman, crie Andrew, bien dégivré sur le coup ! Tout le monde se met à chercher la broche. Où a-t-elle bien pu la perdre ? Tout l'hôtel est passé au peigne fin, lits, oreillers, bar, couloirs, salles de bain. Et là, deux versions circulent, celle du portier qui dit l'avoir retrouvée sur la rue dans la neige, probablement tombée en sortant d'une voiture ; l'autre par Kathy qui dit l'avoir retrouvée au fond de son sac, accrochée à un autre vêtement.Happy end dans les deux cas pour ce conte des eighties. Le clip a merveilleusement fonctionné et tourné sur toutes les télés, et surtout la bande s'est éclatée grave à un point qu'on ne peut en raconter les détails sur antenne à une heure de grande écoute, surtout à un moment où TOUT commence à ressembler sacrément à Noël …

Les crooners ont depuis des décennies, liés leur art au répertoire de Noël. Quel plaisir d'entendre ces voix de velours nous chanter la période qui se veut être la plus douce mais aussi la plus scintillante de l'année. Et pourtant, il fut un temps où ces jazzmen n'étaient jamais chez eux à la Noël, comme un certain Louis Armstrong qui, dans les années 30, 40, donnait 300 représentations annuelles avec de grandes formations. Vous l'avez compris, il vivait dans des hôtels. Alors un 24 décembre, sa femme Lucille, décide de lui faire une surprise. L'après-midi, elle fait les magasins et revient avec un petit arbre de Noël et toutes ses décorations. Vous devinez l'attente de la réaction de son mari quand il rentrera dans la chambre et découvrira l'arbre de lumières et les cadeaux qu'elle a disposés en dessous pour lui et les musiciens qui sont ses amis. Trois heures du matin, quand il rentre dans la chambre, la surprise est totale. Armstrong est enchanté. Elle le savait, pas de suspense, il adore Noël. Mais quand il se met au lit, Armstrong ne quitte pas les lumières qu'il fixe avec un regard d'enfant. Aussi quand Lucile lui propose de les éteindre, il dit non, laisse-les allumées. Je vais continuer à les regarder. Tu sais, c'est mon premier sapin de Noël.Comment aurait-elle pu deviner ? Bien sûr, à presque 50 ans, il a toujours été sur la route à cette époque de l'année mais qui à cet âge, n'a JAMAIS eu un arbre de Noël chez lui ne fût-ce qu'une fois ? Mais c'est vrai, et elle aurait dû y penser, Louis a eu une enfance tellement pauvre que, évidemment, il n'a jamais connu ça. Alors Armstrong passe la nuit avec son sapin allumé. Et alors qu'à l'époque tout le monde démonte les décorations le lendemain de Noël, il demande à sa femme d'emmener le sapin avec eux. Les voilà partis à Kansas City avec le petit arbre et ses décorations : c'est d'ailleurs la première chose qu'on déballe arrivé à l'hôtel, avant d'ouvrir les bagages. Et à partir de là, on achètera chaque année un petit sapin pour la chambre d'hôtel, de la Noël jusqu'au Nouvel An. On n'a pas compté le nombre de fois où Lucile a monté et démonté les décorations dans autant de chambres d'hôtel, pour que son mari ait aussi droit à la magie de Noël, après l'avoir offerte au public venu le voir et l'écouter. Et quand il n'y aura pas de concerts de fin d'année, avec la diminution des engagements à cause de la concurrence de la télévision, il fera monter chez lui, à New York, un sapin jusqu'au plafond.Enfin un jour, quand viendra la dernière tournée à la Noël, Armstrong demandera à sa femme de faire envoyer l'arbre à la maison. Celui-là, je le garde. Mais voyons, Louis, ce n'est pas un sapin artificiel, il ne supportera pas le voyage du retour par la poste !

Probablement n'avez-vous jamais entendu ces 45 tours de Noël que les Beatles ont publié chaque année jusqu'à la fin du groupe, gravés dans un disque souple pour être envoyés exclusivement aux membres de leur fan club. Il faut dire que dès le départ, en 1963, ses membres sont si nombreux et actifs qu'il prend des allures de véritable entreprise, le modèle que vont essayer de reproduire beaucoup d'artistes par après, comme le groupe Kiss, aux Etats-Unis.Si ces 7 singles n'ont jamais été vraiment commercialisés, excepté un box à tirage limité il y a quelques années, c'est surtout parce qu'ils sont invendables. Il s'agit principalement de messages délirants des quatre joyeux lurons souhaitant leurs meilleurs vœux à leurs fans, quelques impros et, en 1968, nous sommes en pleine année psychédélique, des collages de sons bizarres. Mais cette année, est-ce un signe, les messages sont enregistrés individuellement. Ah ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ils ne sont pas en guerre. La preuve, une fête de Noël est organisée chez Apple, le label qu'ils ont créé, sur Savile Row, à Londres. Oui, la maison sur le toit de laquelle ils vont jouer dans un mois leur dernier et légendaire concert. Mais là, en cette période proche du réveillon où les Anglais ne savent plus se tenir tellement ils ont l'esprit à la fête, c'est le grand soir chez Apple dont la porte d'entrée n'arrête pas de sonner. Derek Taylor, le chef de la communication a en effet battu le rappel du personnel : les Beatles vont offrir des cadeaux à leur famille.Et qui joue le Père Noël ? Ben John Lennon, évidemment. C'est lui le fondateur des Beatles. Et même s'il est aux abonnés absents question d'être le chef, depuis maintenant deux bonnes années, il aime croire être à la barre. Il a d'ailleurs bombardé Yoko Ono, sa nouvelle compagne, mère Noël. Je ne vous dis pas la tête des mômes des employés qui déjà n'avaient jamais vu une mère Noël, encore moins perchée sur des hauts talons. Si Paul McCartney et sa compagne Linda ne sont pas présents, tiens, tiens, Ringo Starr et George Harrison sont bien là, avec leur femme. Et bien sûr, en pleine période hippie, c'est le grand foutoir : tout le monde a invité tout le monde. Alors que John Lennon y va de grands Ho-Ho-Ho en distribuant des cadeaux, Derek l'interrompt en disant, John, y a une bande de Hells Angels à la porte. Quoi ? C'est moi qui les ai invités, dit George, avec son flegme habituel. Soyez sympas avec eux, ce sont de braves gens. Des Hells ! Mais tu les as rencontrés où ? A San Francisco. Quoi ? Je te dis qu'ils sont sympas. Et c'est vrai qu'ils sont cools. Bon à un moment, ils vont s'énerver car la dinde de 21 kilos 500 que Derek a achetée n'en finit pas de rôtir dans le four. Alors tout le monde se rue sur les roulades de saucisses de l'apéro. Derek s'est d'ailleurs réfugié dans les toilettes avec une assiette débordant de ce met typiquement british, par crainte de ne rien manger d'autre ce soir. C'est vrai, des Hells Angels à Londres, à une soirée de Noël ! Pourquoi pas une chanson de Noël en plein mois de juillet, enregistrée par 30°C à l'ombre. S'il savait que ça a été le cas de la plus célèbre de toutes …

Noël 1974, beaucoup de messieurs, jeunes et moins jeunes, achètent en librairie et en kiosque le numéro de Noël du magazine Lui. Énorme succès : on s'arrache ce numéro dans lequel on peut regarder à loisir des photos scandaleuses de Jane Birkin qui est devenue, contre toute attente, une des grandes stars du cinéma français. Des photos qui ont été mises en scène par son compagnon, Serge Gainsbourg. Dois-je vous dire que dans sa maison du 5bis rue de Verneuil, il se réjouit de son coup médiatique. Ah ben oui, c'est uniquement par cynisme et par passion pour le succès public, qu'il a fait ça. C'est vrai que sous le costume du provocateur pervers, Gainsbourg cache un tendre, une peluche qui en étonnerait plus d'un mais qu'il réserve à ses intimes, à sa famille. D'ailleurs Noël en famille, Serge Gainsbourg adore ça. Spécialement en Angleterre où la fête est beaucoup plus colorée et spectaculaire qu'en France. Avez-vous déjà vu les vitrines et les rues de Londres, Édimbourg à cette époque ? Retour en enfance garanti.Ainsi de ce dîner de Noël chez Jane, à Londres, où le soir du réveillon, on sonne à la porte. Serge va ouvrir, c'est un sans-abri qui demande s'ils n'auraient pas une pièce ou quelque chose à manger. Et voilà que Serge lui fait une place à table, elle est abondante, il n'aime pas manquer de quoi que ce soit. Serge est très animé ; il met à l'aise le pauvre homme qui se retrouve au chaud, devant un sapin illuminé du sol au plafond. Le repas terminé, Serge lui dit tu ne vas pas partir comme ça et il lui remplit un sac de victuailles comprenant une bonne bouteille de vin, bien sûr. Il lui offre même sa montre, cadeau ! Noël, c'est ça aussi. Et Serge n'en reste pas là car lors d'un réveillon avec la famille Birkin sur l'île de Wight, cette fois, car avec Andrew, le frère de Jane, avec qui il s'entend comme larron en foire, thick as thieves, comme ils disent, Serge s'est mis en tête de faire venir un prestidigitateur. Où comptes-tu en trouver sur cette île ? dit Andrew. Justement, je viens de lire un article dans la gazette locale. Un type qui s'appelle Fred The Conjuror. Appelle-le.Andrew saisit le téléphone et contacte le dit Magicien, bien étonné en arrivant, de ne trouver comme public, six adultes, alors que son numéro est réservé à un public d'enfants. Sans se laisser démonter, il déballe son matériel et se lance dans une série de tours consternants. Les Birkin sont morts de rire mais Serge encourage l'artiste en applaudissant à tout rompre. A la fin de la représentation, Gainsbourg arrondit fortement la somme convenue pour le cachet de l'artiste. Merry Christmas.Oui Gainsbourg adore l'Angleterre ; pas uniquement pour l'ambiance de Noël et la splendide femme que ce pays lui a donnés. Cela fait depuis six ans qu'il trouve l'inspiration dans les pubs de Londres et les meilleurs musiciens dans ses studios, alors les Noël, ça se fête en Grande-Bretagne et à la maison.

Mettre un disque d'Amy Winehouse et écouter sa voix, son souffle, cette technique incroyable qu'elle a acquise très jeune en imitant les grands saxophonistes de jazz. Et oui, c'est ça son secret. L'amour est un jeu perdu d'avance, c'est une expérience absolument bouleversante que d'écouter Amy Winehouse chanter ça, seule à la guitare. Toute la tristesse du blues noir américain sur des accords jazzy. Au début, Amy le chantait pour elle-même puis pour un petit public dans les clubs où tous étaient saisis par l'émotion que suscitaient ses textes. Un artiste a-t-il déjà trimballé une telle sincérité dans des chansons aussi désespérées ? Et puis le succès vient. Il y a de plus en plus de monde dans les salles qui deviennent de plus en plus grandes. Un public qui paie de plus en plus cher au fur et à mesure que le succès devient un triomphe puis prend des proportions inédites. Amy Winehouse est la première auteure-interprète britannique à battre les records de Kate Bush (largement d'ailleurs). Alors c'est un public qui vient communier avec une star et en veut pour ses sous. Il chante et hurle les refrains et parfois toutes les paroles avec elle. Un tel succès pour du jazz dans les années 2000, c'est fou, non ? Un jazz qu'elle joue à sa façon certes, et puis ses textes, mon Dieu, aucun crooner n'aurait jamais osé chanter ça. Si vous saviez à quoi elle fait allusion dans ses chansons, même Gainsbourg et Prince n'ont jamais osé aller aussi loin. Mais Amy est comme ça, Cash, et elle envoie du bois aussi bien dans ses chansons que dans la vie de tous les jours. Le premier album n'a pas trop bien marché mais le suivant, quatre ans plus tard, est un triomphe. Amy a besoin de sécurité, que quelqu'un s'occupe de la manne qui lui tombe du ciel. Mitch Winehouse devient le papa qui règle tout. Malheureusement, il ne récolte pas que des honneurs et des livres sterling, il recolle aussi les morceaux de sa fille comme les lendemains de la veille des bamboches à répétition où elle est d'humeur massacrante et puis un désastre affectif permanent. Coiffée de son désormais célèbre chignon en choucroute à 150 livres, avec sa petite robe noire et son trait infini de eyeliner, c'est la Amy dont nous gardons le souvenir qui reçoit ce prix et quatre autres ; elle est à la fois la révélation de l'année mais aussi Award du meilleur single et meilleur album. Ces trophées, elle ne les recevra pas en mains propres car Amy est en duplex depuis Londres, avec son groupe et devant un public restreint ; elle n'a pas pu prendre l'avion pour Los Angeles car son visa lui a été refusé pour cause de consommation de drogue avérée. Alors oui, le coeur est à la fête ce soir, Amy interprète Rehab, bien sûr, mais aussi plusieurs autres chansons, toute sa vie en quelques lignes de poésie et accords de guitare dont elle joue divinement, tel un ange triste.

Vous les entendez partout à nouveau, hein, les crooners. Et ça fait du bien en décembre d'entendre Bing Crosby ou Nat King Cole chanter Noël, ces voix suaves venues d'une Amérique d'une autre époque qui nous souhaitent de joyeuses fêtes et déjà, une bonne année. Qui aurait cru ça dans les années 70 et 80 où ce genre de chanson était totalement dépassé. C'était un truc que les vieux écoutaient pour se bercer d'émotions d'un temps qui n'avait rien de moderne. C'est de ça dont parle le tube de Guy Marchand en 1977, en pleine époque disco et new wave : Hey CroonerTu t'sens pas ridicule la main sur le cœur Tu fais marrer tous les rock'n rollers Quand tu roules tes épaules de mait'nageur Qu'est-ce qu'on a entendu cette chanson à la radio et à la télé. Il faut dire que ce n'était pas un hasard, non, au milieu des années 70, une grande mode rétro années 40 et 50 avait touché l'Amérique puis s'était exportée chez nous via le monde de la variété. Dalida avait repris une vieille rengaine en mode disco (énorme tube), Dave y était allé de sa chansonnette avec le même succès. Oui, vous allez me dire, comme Bruel 25 ans plus tard, avec Entre-deux, mais avec cette différence que dans les années 70, un chanteur âgé de 40 ans était bon pour la retraite. Est-ce le succès d'Elvis qui n'en finissait pas à Vegas, allez savoir, en tout cas, les crooners avaient connu un bref retour en grâce, comme le montre d'ailleurs l'excellent et explosif film de Woody Allen, Broadway Danny Rose.Et donc oui, ça peut paraître fou aujourd'hui mais il y a une cinquantaine d'années, cela faisait des années qui nous semblaient être une éternité que Sinatra n'avait plus fait de tubes, Hollywood avait remisé les comédies musicales au placard avec les crooners. On n'en a plus vu fonctionner une seule jusqu'à Grease, en 1978, et encore, c'est une exception et il fallait bien se garder d'utiliser le terme de Comédie Musicale. Cette année-là, David Bowie enregistrait un improbable duo avec Bing Crosby, le pionnier du genre, dans une émission de Noël qui serait sa dernière apparition publique. Bowie jouait alors le rôle de l'improbable fan, présent uniquement sur le plateau parce que Bing était le chanteur favori de sa mère. Oui, c'était sa madeleine à lui, le rocker avant-gardiste.Alors, un demi-siècle plus tard, on se demande ce qui s'est passé. Pourquoi les enfants et petits-enfants de ces jeunes des années 60, 70, 80 trouvent ce répertoire de velours jazzy hyper cool, classe. Durant ce premier quart de siècle, on n'a d'ailleurs jamais vu autant de nouvelles stars se faire accompagner par un grand orchestre en tenue de soirée, de Lady Gaga à Robbie Williams, en passant par Jamie Cullum, la réincarnation d'un Frank Sinatra qui aurait fusionné avec Billy Joël. C'est vrai, quand il reprend un vieux titre des années 30, on dirait une chanson d'aujourd'hui.

Et non, Dean Martin n'a pas été que le faire valoir crooner et amusant de Frank Sinatra. La preuve, quand il se rapproche de lui en 1957, il est au sommet de sa gloire et pas n'importe laquelle puisqu'il forme avec Jerry Lewis le plus populaire des duos aux Etats-Unis. Ils viennent en effet de tourner 17 films en 7 ans. Toujours avec les mêmes réalisateurs, alors avant que la corde ne casse, Dean et Jerry décident de se séparer.Pour Jerry Lewis, ce n'est qu'une formalité. Il était le clown auguste du duo qu'ils formaient depuis dix ans à la radio, télé et au cinéma, c'est lui qui focalisait toutes les réactions du public. Dean était le gars sérieux, viril et séduisant, le clown blanc. Alors, il décide de continuer au cinéma en se dirigeant vers des rôles dramatiques, où il va exceller, aux côtés de Marlon Brando ou John Wayne, et puis de retourner à la chanson. C'est comme ça qu'il a connu Jerry Lewis, en jouant dans le même cabaret à New York, juste après la guerre. Ils avaient commencé par des improvisations et la réaction du public avait fait le reste.Mais voilà, au moment où Dean revient à la musique crooner de ses débuts, une nouvelle mode éclate : le rock'n'roll. Et le rock, dans la personne d'Elvis Presley et Little Richard, ce n'est pas une mode, c'est une déflagration, un déchaînement d'énergie comme on n'en avait jamais vu. Le public adolescent qui était le sien n'a plus d'yeux que pour ces nouvelles stars. Dean Martin a donc toutes les raisons de se faire du souci à propos de sa carrière de chanteur, tout comme un autre Italo Américain : Frank Sinatra. Et Frankie est d'autant plus concerné que s'il est au sommet de sa gloire, lui aussi, il revient de loin, de très loin. Il y a peu, il était fini, plus personne ne voulait de lui : ni les producteurs Hollywood, ni les firmes de disques de New York. Sinatra déprime, fait de terribles déclarations dans la presse pour exprimer son dégoût du rock'n'roll et début 1957, on le retrouve sur scène avec Dean Martin. Dean Martin, alias Dino Crocetti, est resté jusqu'à ses cinq ans un Italien pur jus, il ne parlait même pas anglais en entrant à l'école. Mais attention, s'il a dans sa jeunesse passé du whisky à la frontière canadienne et même tenu une table de jeu, il n'a pas suivi la voie que ses parents redoutaient : s'il a des potes mafieux, il garde ses distances. Ce qui n'est pas le cas de Frank Sinatra. Et donc quand ils forment un groupe de 5 chanteurs et comédiens surnommé le Rat Pack et qui va faire d'eux des superstars encore plus grandes _ les Ocean's Eleven originaux, c'est eux _ Dino Martini devenu Dean Martin ne fait que jouer à l'ami de Sinatra. Ainsi à la télé, il joue au gros buveur de whisky, mais c'est du jus de pomme dans son verre. Toujours couché avant minuit, levé tôt le matin, Dean Martin est le crooner qui ne se voyait pas chanteur au départ. Comme il disait : nous autres crooners, on passe bien car on est relativement inodores. Une autre époque.

Alors, on le voit, le plus célèbre d'entre tous les crooners, Frank Sinatra, avec son complet bleu qui inspirera plus tard celui de son disciple, Charles Aznavour. Le voilà qui sort en effet d'une grosse cylindrée sur Broadway, à la tombé de la nuit. Nous sommes en décembre, la vapeur sort des bouches du métro pour s'élever des trottoirs vers le sommet des gratte-ciels. Il fait déjà froid, aussi Frankie enfonce un peu plus son chapeau iconique, relève d'une main le col du manteau qu'il vient d'enfiler, puis de l'autre, il saisit la main d'une jeune femme qui sort à présent de la voiture. Les voilà tous les deux qui pressent le pas puis se mettent à courir vers l'enseigne d'un club de jazz pendant qu'au coin de la rue, des soldats de l'armée du salut entonnent un chant de Noël, à côté d'une échoppe de vendeur de marrons chauds.A 30 ans, la guerre terminée, Sinatra a la vie devant lui. Cela fait dix ans déjà qu'il a enregistré son premier 78 Tours, il est passé d'une formation de jazz à l'autre et depuis le début des années 40, Frank est une vedette de la radio et du cinéma. Comme tous ceux qui passent par Hollywood, il incarne le standard obligatoire de la classe qui, chez lui, est naturelle ; c'est vrai qu'il n'est pas tombé loin de Manhattan à sa naissance. Même si c'était dans un milieu compliqué, celui de pauvres immigrés, Frankie s'est bien débrouillé, n'a pas été regardant du tout sur des amitiés qui sont plutôt fatales, on a tous grandi dans la rue d'un mafieux dans ces quartiers oubliés de l'Amérique quand on est Sicilien d'origine. Mais ce qui importe, c'est le bonheur que Frank apporte au public sur les disques qu'il enregistre. Il y a pas deux gars comme lui pour faire oublier le grand malheur qu'on vient de traverser dans les années 40. Quand Sinatra chante l'amour, on se croit aimée comme une princesse si on est une femme, irrésistible si on est un jeune homme. Alors oui, 80 ans plus tard, on les voit ces projecteurs baigner de lumières le micro sur la scène du club, et puis l'orchestre de Tommy Dorsey prêt à accompagner la star de la soirée. Ceux qui ne le verront pas, l'entendront à la radio, le show est retransmis dans tout le pays. On imagine les familles, les couples, réunis autour du grand poste de bois, ils ne vont pas rater ce moment vanté dans les programmes radios des magazines. On n'écoutera pas le feuilleton ce soir mais le concert de Frankie Blue eyes Sinatra sur une radio concurrente. L'imagination fera le reste, loin de concevoir que vingt ans plus tard, le chanteur sera toujours là, survivant miraculeusement à la déferlante du rock'n'roll. Sinatra est comme la Noël, un refuge dans la magie d'un monde idéal dans lequel on croit, loin du bruit et de la fureur.

La sortie de Sur un air de blues avec Hugh Jackman et Kate Hudson va remettre le couvert sur le répertoire d'un des plus grands artistes pops américains, Neil Diamond. Ecrit et réalisé par le New Yorkais Craig Brewer, un disciple de Quentin Tarantino genre “j'assume ma passion référence pour le vintage”, le film raconte l'histoire vraie de deux artistes oubliés avant d'avoir été connus qui vont connaître le succès en faisant des covers de l'homme aux 50 tubes. Ça vous étonne, hein ? Et pourtant, c'est le cas, si on a surtout l'image d'un crooner, celui de Jazz Singer, un album qui a rencontré un succès considérable au début des années 80, Neil Diamond à ses débuts, est catalogué pop rock. Dans la deuxième partie des années 60, on le classe avec les Simon & Garfunkel et Leonard Cohen. On l'a oublié mais Neil Diamond a alors aligné un nombre impressionnant de tubes qui sont devenus immortels, dans leur version originale ou grâce aux artistes qui l'ont repris. Allez au hasard, on commence par cet incontournable, dans le Pulp Fiction de Tarantino … puis le fameux Believer popularisé par les Monkees, je m'en voudrais d'oublier le Song Sung Blue qui vient de donner son titre original au film … et enfin celle-ci dont UB40 a livré une version reggae 15 ans après, on était dans les années 80. Et si Neil Diamond a été chanté par tout le monde, de Frank Sinatra à U2, en passant par Joe Dassin et Elvis Presley, il a aussi donné vie à des chansons françaises dans le monde anglo-saxon comme celle de Jacques Brel … ou encore Gilbert Bécaud … Et comment l'oublier, Neil Diamond est à l'affiche de la dernière du groupe The Band de Bob Dylan en 1976, aux côtés d'Eric Clapton, Joni Mitchell ou encore Ron Wood des Rolling Stones, devant les caméras de Martin Scorsese, ça s'appelle The Last Waltz, et c'est à voir, c'est du patrimoine aujourd'hui. Enfin, je vous mets au défi de ne pas trouver dans la maison (salon, bureau, grenier) d'un ami ou membre de votre famille, un exemplaire du fameux Jonathan Livingstone Seagull, la B.O. du film signée et chantée par Neil Diamond. Tenez-vous bien, il s'en est vendu 200.000 rien qu'en Belgique durant les années 70, et après. E-Nor-Me !Sûr qu'on va écouter du Neil Diamond, en mode folk rock années 60 et 70 ou crooner, cet hiver, c'est une occasion unique de le redécouvrir, son dernier retour fracassant date des années 2000 avec l'immense succès de son album acoustique 12 songs. L'artiste s'est retiré de la vie publique il y a quelques années, annulant une tournée mondiale, après avoir fait part de sa maladie de Parkinson. Mais son catalogue folk rock, pop, crooner et symphonique est toujours aussi présent, comme en témoignent les 135 millions d'albums qu'il a vendus au cours de l'âge d'or du vinyle et de la cassette.

Vous êtes déjà allés à Belleville ? Ah il ne figure pas dans le circuit des 90 millions de touristes qui se pressent chaque année dans les rues de Paris. Belleville, c'est pile entre le parc des Buttes Chaumont et le cimetière du Père Lachaise. Un quartier qui portait mal son nom au début, avec ses baraques miséreuses et branlantes, rasées il y a un siècle, après la première guerre mondiale. C'est alors qu'on y a vu pousser des grands immeubles d'habitation, vaguement art déco, séparés par de larges boulevards comme celui d'Algérie, tiens ! Regardez celui qui porte le numéro 9 et qui est plutôt pas mal avec ses briques rouges et qui occupe tout le pâté de maison. C'est là que vit la famille Moine, dans un petit quatre pièces, deux chambres, une salle à manger et une cuisine qui fait aussi salle de bains. Faut donc se lever tôt le matin pour se laver, enfin en fonction de la complexité du menu du soir. Le petit Claude, teenager des années 50, voit depuis le balcon les anciennes fortifications de Paris abandonnées, dans lesquelles il va jouer aux cowboys et indiens avec ses copains du quartier.Un quartier étonnant que celui de Belleville. Il y a des gens de toutes les nationalités, on ne voit ça nulle part ailleurs. C'est bien simple, le mec qui fait des sandwiches en face, c'est un Tunisien, dans la rue d'à côté, y a un restaurant chinois, et les voisins de palier sont Antillais. C'est toujours l'ambiance le soir, y a un monde là-dedans, mais ils sont gentils, ils apportent souvent des trucs à manger, des spécialités de leur pays. C'est exotique. Pas besoin de partir en vacances, qui d'ailleurs peut se payer un billet d'avion dans ce quartier. Alors bien sûr, on n'est pas à Bisounoursland. Claude sait qu'il y a des mafiosi corses et pieds noirs qui se fritent avec des Magrébins. Et ils n'y allaient pas avec le dos de la cuillère, comme il m'a dit un jour dans sa loge avant un concert. Plus personne ne l'appelle Claude Moine, depuis longtemps, mais Eddy Mitchell. Les bagarres entre bandes de blousons noirs sur la place du marché où tournaient les vespas étaient passées par là avec l'adolescence. Puis il y avait eu la rencontre avec Johnny à la Trinité, de l'autre côté de Paris, l'audition chez Eddie Barclay avec les potes de son groupe qui s'étaient vu bombarder du nom de Chaussettes Noires. Mais malgré les disques d'or, les grands espaces de l'Amérique que son succès lui a permis de visiter, les éblouissants plateaux de télévision, Eddy n'a jamais oublié les souvenirs de cinéma du p'tit Claude aux Tourelles, à la porte des Lilas, avec ses portes battantes à hublot, le soleil en céramique sur le sol du hall d'entrée et l'étoile bleue au plafond. Il avait même un toit ouvrant en été. C'était génial mais faut éviter la séance de l'après-midi pour la lumière et surtout les cris et plongeons des nageurs de la piscine juste à côté. Et puis il y avait le théâtre de Belleville où avait lieu l'émission de l'unique chaîne de télé, 36 chandelles. Claude se souvient avoir été très impressionné par un jeune chanteur en complet bleu, Charles Aznavour. On ne voyait que lui ! Le Eddy d'aujourd'hui ne regrette qu'une chose : les jeunes de toute nationalité semblaient s'entendre très bien, tous ensemble, quand il était môme.

Il y a des mômes, comme on dit à Paris, qui ont vécu une enfance différente. Regardez la petite Isabelle. Dans les années 50, les enfants n'existent pas dans la société : en dehors du cadre familial, ils apparaissent un instant quand il y a des invités à la maison avant de rejoindre leur chambre. Leur univers, c'est l'école, la maison et le chemin qui les relie. Et puis il y a Isabelle que son père réveille régulièrement en pleine nuit pour l'emmener à son travail. Où ça ? Dans des théâtres, après un parcours à moto dans les rues de Paris by night. Et la voilà en coulisses. Tiens, tu es venu avec ma petite fiancée, dit par blague un monsieur qu'elle ne connaît que trop bien, Charles Aznavour. Son père travaille avec lui, il l'accompagne parfois en tournée, Isabelle le suit. Imaginez les loges, restaurants, hôtels avec ces gars en costume cravate qui discutent jusqu'à pas d'heure, le verre à la main et la clope au coin du bec.Les années 50 ne sont des années en noir et blanc dans les photos d'albums de famille. Pour Isabelle, elles ont les couleurs du showbiz français, foisonnant de rencontres, de gens qui rient, râlent, se donnent au public, gravent des disques. Il n'y en a qu'une qui est toujours, ou déjà, en noir et blanc, c'est Edith Piaf. Quand Isabelle accompagne son père dans son appartement, elle est impressionnée par le personnage et encore plus sur scène, car elle a le privilège de l'observer depuis les coulisses. Et le dimanche ? Isabelle fait le garçon manqué en allant jouer au foot dans le bois de Vincennes avec ses deux frères et leur père. Elle adore ça, c'est d'ailleurs elle qui a insisté au début pour aller jouer avec eux. C'est vrai, mise à part sa mère, elle est la seule fille du clan Gall, et ne veut pas rester en plan, alors si pour jouer avec eux il faut faire du football, ça lui va. A tel point qu'Isabelle sera championne de son lycée avec son équipe. Un sacré caractère qu'elle ne va pas perdre quand elle changera de prénom pour la scène : France Gall ? C'est une emmerdeuse, mon vieux, si tu veux mon avis. Ah ben oui, on a entendu dire ça dans le métier à l'époque, et pas seulement quand elle est devenue la championne du nombre de l'affluence en salles, non. De toute façon pour moi, ce n'est pas une insulte, disait-elle, c'est un compliment. J'ai du caractère ! C'est vrai, si refuser de dire oui systématiquement à tout ce qu'on vous demande, c'est être une enquiquineuse, alors, oui, j'assume.Il faut dire qu'on parle d'une époque où des profs de piano frappent sur les doigts de leurs très jeunes élèves avec une règle. Doit-on s'étonner qu'Isabelle Gall préfère les cours de guitare qu'elle prend avec ses deux frères, eux aussi contaminés par le virus de parents musiciens. Et puis tout a été si vite. Si bien, mais si vite. Avec des complications et de terribles drames, mais vaincus grâce à la résilience que France Gall a acquise quand elle était môme.

On sait peu de choses sur l'enfance de Freddie Mercury. Du moins par lui. Le chanteur se confiait très peu à la presse et même aux amis, sur ses années de Freddie Bulsara.Bulsara ? Tiens c'est le nom des deux Indiens qui se sont un jour pointés après un concert de Queen demandant à le voir, ils disaient qu'ils étaient ses cousins. Et alors ? Ben, il a refusé de les voir. Est-ce pour faire un trait sur les traumatismes qu'il a vécus ? Freddie était un enfant de bons bourgeois de Zanzibar, cette terre africaine paradisiaque en bord de mer, le père était un fonctionnaire de l'empire britannique. Mais une révolution a tout fait s'écrouler : en quittant précipitamment son poste, Bomi Bulsara et sa famille ont tout perdu. De privilégiés en Afrique, ils sont devenus des riens du tout à Londres où ils ont débarqués après avoir tout abandonné derrière eux. Les voilà devenus des Pakis comme les autres, eux qui sont pourtant issus d'une très ancienne communauté. Mais le premier traumatisme, Freddie l'avait vécu bien plus tôt. C'est celui de l'abandon, du grand départ alors qu'il était encore enfant, pour un internat indien élitiste : soixante jours de voyage au milieu des années 50 pour l'amener au milieu de la jungle, en altitude, dans un collège où il va selon ses dires, devoir soudain grandir terriblement vite pour assurer ses arrières. Port de l'uniforme, lever à six heures, coucher à 21.30, devoirs le soir, inspection dans la cour de récréation, coiffure, uniforme, Freddie a vraiment intérêt à faire tout ce qu'on lui demande. Un collège avec son inévitable attirail de harcèlements divers et variés, celui de Freddie est tout trouvé, on l'a surnommé Bucky, comme Bugs Bunny, à cause de ses dents de lapin. Un harcèlement tellement épuisant qu'il prend des cours de boxe où il excelle. Mais quand elle l'apprend, sa mère prend peur, écrit au directeur et Freddie se retrouve devant une table de ping-pong pendant les heures de gymnastique.Heureusement qu'il y a la chorale une fois par semaine et puis les cours particuliers de piano où il se montre excellent. Il est vrai que tout petit, à Zanzibar, Freddie restait des heures devant le pick-up à écouter des symphonies de Beethoven, concertos pour piano de Mozart et même, des cantates de Bach. Mais Freddie ne montre pas d'excellentes prédispositions que pour la musique, il y a aussi la poésie et le dessin. Il écrit et dessine partout et tout le temps. Comme ce jour que sa tante, celle qui vit près de son internat, n'est pas prête d'oublier. Freddie arrive en effet près d'elle et lui offre un dessin représentant deux chevaux pris dans une tempête au bord de la mer. C'est magnifique. Mais qu'est-ce que c'est, Freddie ? Ma sœur et moi, répond-il. Il n'en dira pas plus, Freddie est très réservé. Mais pas asocial, non. A l'école, il s'est entouré d'un petit groupe, comme si, en quête d'affection, il cherchait à se recréer un environnement familial.

Il y a ceux qui ont connu, pleinement vécu les années 80. Et puis il y a ceux qui y sont nés. Et franchement, on en est tous fiers, hein, d'avoir eu le compteur qui tourne au cours de ces fameuses années. Tenez, en 1988, nous sommes allés voir Rain Man, Le Grand Bleu et Piège de Cristal, c'est l'année où Ayrton Senna était champion du Monde de F1 et Tottenham terminait sixième du championnat de foot britannique. Ah c'est vrai que ce club a fait connaître le nom de ce quartier de l'extrême- nord du grand Londres dans le monde entier. Pas toujours en bien d'ailleurs, à cause de ses supporters hooligans. Et ben justement, c'est dans ce quartier très remuant et populaire qu'en 1988, naît la petite Adele Adkins, et c'est là qu'elle va se construire une personnalité et une histoire qui lui vaudront un succès prodigieux dans les années 2000.Oui c'est dans le quartier de Tottenham, avec ses deux cents nationalités différentes recensées, ses gangs qui livrent des batailles rangées avec la police ou avec d'autres bandes que la môme Adele a grandi. Si elle a été élevée par une mère seule, elle a été très entourée par une trentaine d'oncles, tantes et cousins qui vivent tous dans le voisinage. On ne tombe jamais bien loin de l'arbre dans la banlieue londonienne. On n'avait pas d'argent mais j'ai eu la meilleure enfance qui soit, dira Adele. A cinq ans déjà, on ne la met pas au lit le soir lors des fréquentes réunions de famille. Elle reste à table, au milieu des rires et des cris de la tribu qui se retrouve autour d'une bonne tourte et d'une flopée de bouteilles en tout genre. Et bien sûr, tout le monde chante, on est en Angleterre, et quand Adele reprend Gabrielle (Dreams) et les Spice Girls, là, tout le monde se tait et écoute, tout sourire, le petit prodige de la famille, avant d'applaudir.Non vraiment, Adele n'a pas loupé son rendez-vous avec la musique durant son enfance. Si je vous dis qu'elle assiste à son premier concert de rock cette année-là, vous n'allez pas le croire et pourtant c'est vrai. Nous sommes à Finsbury Park, un autre quartier métissé de la capitale. Et vous avez raison, elle est trop petite pour voir ce qui se passe sur scène. Alors sa mère demande au mec bâti comme une armoire à glace à côté d'elle s'il ne pourrait pas prendre la petite sur ses épaules. Et là, la gamine s'envole, vous vous souvenez quand vous étiez môme et qu'on vous soulevait, avec cette impression de voler, si pas, de flotter dans les airs. Et puis surtout de découvrir un point de vue incroyable. Plus besoin de lever les yeux pour avoir de toute façon la vue bouchée par une armée d'épaules, voilà Adele voguant sur une mer de têtes avec à l'horizon, des musiciens, des lumières et de la musique à fond les manettes. Ça va si fort qu'elle en a les larmes aux yeux. Pas étonnant que sur son album le plus vendu, on y retrouve un cover des Cure chargé d'émotion. Et même si ce n'est pas ce jour-là qu'Adele a décidé qu'elle serait chanteuse et rien d'autre, il est des moments de notre vie en mode jeune pousse qui impriment en nous tout ce que nous allons inexorablement devenir.

Ça y est, nous y sommes. Avec le retour du Nostalgie Magic Tour, c'est déjà la St Nicolas, puis les autres fêtes de la fin d'année. Et bien sûr, si on s'attarde sur les vitrines de lumières, les artisans qui débarquent les sapins destinés à orner notre salon-salle à manger, on ne peut pas empêcher nos souvenirs de remonter. C'est étrange, tous ces moments oubliés, ces sensations disparues de la magie de Noël qui pétillait en nous quand on était môme. L'impatience des derniers jours d'école mêlée à celle de recevoir les cadeaux à la Noël, la joie indéfinissable qu'on sentait monter dans la maison, les dessins animés à la télé, tout prenait les couleurs d'un moment d'exception. Il faut dire que ça nous semblait long, une année. Il y en avait des étapes entre deux Noël : des trimestres d'école, sessions d'examens, Pâques, les interminables grandes vacances surtout vues depuis le trente juin, la Toussaint, alors quand St Nicolas arrivait et que Noël approchait, c'était comme si c'était la première fois. C'est vrai qu'on a oublié, perdu, gommé l'enthousiasme des fêtes quand on était gosse.Il en va ainsi des Noël sous la neige, dans la ville de Pierrefonds, en banlieue de Montréal, où Mylène Gautier est née au début des années 60. Elle n'a gardé que peu de souvenirs précis de cette époque car elle avait huit ans quand ses parents sont revenus en France, mais elle se rappelle du piano que son père avait fait installer dans la maison pour qu'elle en joue avec sa grand-mère. Il faut dire qu'il était souvent absent, ingénieur sur le chantier d'un immense barrage. Les hivers canadiens sont longs. Mylène joue souvent dans la neige avec ses frère et sœur, et aussi les enfants des voisins. Est-ce un hasard si la neige est très présente dans l'imagerie cinématographique de celle qui deviendra Mylène Farmer. Et que dire du premier film qu'elle voit, Bambi ? C'est tellement triste, ce qui lui arrive au début. Sans oublier la fête d'Halloween alors totalement inconnue en France et en Belgique.Et puis, il y a le bus jaune qui emmène à l'école la petite fille qu'elle est, avec son uniforme à carreaux verts et bleus. Et en arrivant ce matin, l'institutrice trouve que Mylène dégage une odeur épouvantable. Mais elle est toute propre, c'est à n'y rien comprendre, alors elle appelle sa maman qui lui explique que la veille au soir Mylène a trouvé dans le garage une mouffette qui, bien sûr, l'a arrosée. Et comme dans Bambi, cette cousine de Fleur a un fumet tenace. Et donc imaginez Mylène, cinq ans, qui en fin de journée, en a marre des tu pues que lui crient les autres gosses ; elle ne monte pas dans le bus et rentre chez elle, à pied.A la maison, vous devinez, c'est l'inquiétude quand on ne la voit pas arriver. Au bout de plusieurs heures de recherche, on finit par la retrouver dans les bois où elle s'est perdue. Pour la débarrasser de cette odeur, un seul remède, dit la voisine, un bon bain de jus de tomate. Ah c'est efficace, elle avait raison. Mais c'est un moment de vie spectaculaire et sûrement marquant pour la petite fille qui va revenir inévitablement hanter l'univers de ses chansons et ses clips.

Ce “sortie de scène hélicoptère pour échapper à la foule”, c'est l'image forte que Laurent Voulzy utilise en 1977 pour flasher les Beatles dans sa chanson, Rockollection. Et c'est vrai qu'elle a marqué les esprits. Jusque-là, l'hélico était réservé au président des Etats-Unis ou au Pape, mais pas à des stars du rock, un genre nouveau d'ailleurs. C'est en 1965 la fameuse image des Beatles arrivant en hélico au Shea Stadium, la première fois de l'histoire qu'un groupe de rock joue dans un stade. 55.000 personnes placées trop loin de la scène, il est vrai, mais la police redoute tellement la violence des fans, un John Lennon qui s'amuse beaucoup et un volume sonore inégalé, non pas celui de la sono des Beatles mais du cri de la foule.Pourtant, ce n'est pas pour les Beatles, le sommet de cette tournée américaine, non, car une rencontre privée doit avoir lieu avec Elvis Presley. Où ? A Hollywood. Et oui, les Beatles, comme Elvis, sont toujours en route, donc difficile de les avoir dans la même ville au même moment. Mais là, ils ont une semaine off avant leurs concerts à Los Angeles, ils louent donc la maison d'une star d'Hollywood alors que Elvis y tourne justement, un de ses nombreux films. Et les mecs, on va voir Elvis ! Ah ouais, merde, j'avais oublié … Je ne vous raconte pas l'ambiance dans la limousine à qui les conduit au rendez-vous. A cette époque, il est vrai, ils sont encore tous les quatre à se marrer constamment comme des baleines. En arrivant, l'ambiance change. Si la maison est aussi hollywoodienne que celle dans laquelle ils résident, il y a un nombre incroyable de mecs dans tous les coins depuis le portail jusque dans l'arrière-cuisine. La première chose qui les impressionne, en dehors de rencontrer le King dont ils sont fans fondus depuis l'adolescence, c'est l'immense billard dont le Colonel Parker, le manager d'Elvis, semble très fier.Puis on s'avance vers une autre pièce, en compagnie de plus de gardes que pour un parrain de la mafia. Elvis est là, la télé allumée, un écran géant ce qui est inimaginable en 1965. Il les salue. Vous voulez quelque chose à boire ? On s'assied en rond et quand le colonel demande une chaise pour Mr Epstein, le manager des Beatles, quinze gars se précipitent aussitôt avec autant de chaises.Mais personne n'ose lancer le premier mot, les Beatles sont tétanisés. Finalement une question part, vous avez un projet de film ? Bien sûr ! Ça parle quoi ? Un gars du pays qui se promène avec sa guitare et qui rencontre quelques filles et chantent quelques chansons. Les Beatles échangent un regard interrogateur, c'est une blague ?, mais le Colonel Parker renchérit en disant : c'est vrai ! Les fois où on a changé de scénario, on a perdu de l'argent. Tout le monde se marre, la glace est brisée, du moins celle qui ne se trouve pas dans les verres. Bien sûr, on a amené des guitares, ils jouent ensemble, et pas que de la musique, au billard, aussi, évidemment. Vers 22 heures, Priscilla fait une apparition éclair mais remarquée, en tenue de soirée. On est bien à Hollywood. Puis elle disparaît après ce moment d'émotion, que n'a pas partagé George. Il n'a rien vu, penché sur sa guitare.Comme le dira John, cette rencontre était une nécessité pour les Beatles, ils devaient tout à Elvis. Mais il faut bien dire qu'en 1965, ces mêmes Beatles apportent un tel changement dans la musique qu'ils mettent Elvis hors course pour la jeune génération. C'était il y a soixante ans. On disait alors que les Beatles et Elvis seraient oubliés en l'an 2000 mais ils sont toujours là, quelque part, avec nous.

25 février 1964, George Harrison fête ses 21 ans. Le plus jeune de la bande des quatre a bien du mal à le croire quand on lui montre les 30.000 cartes postales et lettres reçues pour son anniversaire. Il a ensuite droit à une conférence de presse, les journalistes veulent tout savoir sur la fête de ce soir. Entre parenthèses, Georges recevra une montre de Brian Epstein le manager des Beatles qui depuis trois ans se coupe en quatre pour eux. Trois ans. Il s'en est passé des choses depuis cet automne 1961, c'était d'ailleurs à ce moment que John avait fêté ses 21 ans. Il avait reçu en cadeau de Paul, un hamburger et un coca, c'était alors tout ce qu'ils pouvaient s'offrir.Oui, début 1964, les Beatles sont les gars les plus sollicités au monde. Comme ils disent, il y a dans une journée de quoi remplir l'agenda d'une semaine. On est passé du « personne ne veut de nous » à « tout le monde nous veut et tout de suite, maintenant ». Quelques jours après l'anniversaire de Georges, ils commencent le tournage de leur premier film en tant qu'acteurs, comme Elvis, une comédie loufoque, à l'humour limite Monty Python, dont ils vont composer et enregistrer les treize titres en neuf jours. Et donc, à un tel rythme, apparaît très vite la nécessité de prendre des vacances avant ce qui doit être leur première tournée mondiale. Mais où ? Impossible d'aller quelque part sans se faire accoster quand ce n'est pas carrément se faire sauter dessus par une horde de jeunes filles hurlantes. McCartney en est déjà à porter un chapeau, des fausses lunettes et une barbe postiche.Si on allait dans les îles, au soleil ?La bonne idée. Mais prudence. A la moindre fuite, la presse quotidienne mondiale va sortir ça, en feuilleton. On prend donc des billets d'avion avec deux destinations différentes pour éviter les rapprochements : Paul McCartney et Ringo Starr vont aux îles Vierges, dans les Antilles, avec leur compagne, tandis que George Harrison et John Lennon vont en Polynésie française sur un atoll perdu au milieu du Pacifique. Ca fait une paire d'avions à prendre, alors on se choisit des pseudos pour les réservations, à l'époque, c'était possible, mais non sans humour, Beatles oblige, ce qui nous vaut des Mrs Bond ou Mr Stone. Sauf que quand un douanier dit en regardant Mr Stone, alias Paul McCartney, mais ce n'est pas vous, ça, en montrant la photo, c'est l'incident. Ils ont mélangé leurs passeports. C'est vrai, dit Ringo, ils se ressemblent tous, ces carnets. Mais bon, après quelques péripéties, tout le monde arrive à bon port, c'est le cas de le dire, ils ont chacun leur bateau pour profiter de la mer. Et c'est vrai que les photos dans les îles de John et George avec Cynthia et Pattie, blondes emblématiques des golden sixties, sont merveilleuses. Le premier matin quand George Harrison, qui a vécu les vingt premières années de sa vie dans une minuscule maison de corons, se retrouve en se levant dans le décor idyllique d'un lagon avec son eau transparente et ses cocotiers, il est émerveillé. Quant à John Lennon, ben, il n'en a rien à faire de rester allongé comme une crêpe sur la plage. Il a entrepris d'écrire un livre, il vient d'ailleurs de publier son premier. C'est vrai, dit-il, on va rentrer noirs comme des myrtilles et le lendemain, ça sera déjà parti, alors à quoi ça sert ? En plus, on sera pas reposés mais morts de fatigue avant de partir en tournée. Je m'en fous du soleil. Mais pas George, sans doute la raison pour laquelle sa chanson est, de loin, la plus écoutée des Beatles sur internet.

Que vous soyez de Liège, Charleroi ou Bruxelles, imaginez-vous, devenu artiste, que vous ayez quitté votre ville pour y revenir quelques mois plus tard et que les trottoirs soient partout où vous passez, accueillis par une foule qui vous applaudit. Et ben c'est ce qui arrive aux Beatles en ce début d'été 1964. Ils viennent de boucler leur première tournée de l'autre côté de la Terre (Japon, Australie, Nouvelle Zélande) et voilà qu'ils reprennent un avion cette fois pour Liverpool pour la première de leur premier film, A Hard Days Night. Tout a été si vite. Qu'est-ce qui peut bien se passer dans la tête de ces petits gars qui ont la petite vingtaine, en voyant tous ces lieux qu'ils ont arpentés depuis tout môme, où ils ont eu une vie normale et anonyme, soudain remplis de gens de chez eux mais qu'ils ne connaissent pas et qui les acclament, alors que leur cortège de voitures se rend en centre ville depuis l'aéroport ? Oh ils ont bien entendu des rumeurs comme quoi on leur en voulait d'être partis, qu'ils se croyaient trop bien pour eux maintenant qu'ils avaient le monde à leurs pieds. Et c'est vrai qu'ils l'ont. Un peu trop d'ailleurs. Et c'est à Liverpool que les Beatles prennent vraiment conscience du prix de la célébrité quand le succès prend de telles proportions : la fin de la liberté. Déjà, la liberté d'aller faire les courses dans un magasin ou d'aller au pub. Ce n'est plus possible sans entourage. Ou alors tout seul. Ca ils le découvrent avec surprise. Les gens s'imaginent que nous sommes toujours à quatre, alors quand on arrive seuls, souvent, ils ne nous reconnaissent pas.Et aux Etats-Unis, où ils se rendent ensuite pour leur deuxième tournée, les choses prennent une tournure totalement hors de contrôle. C'est bien pire que les images pourtant célèbres qu'on a tous en tête lors de leur première visite l'hiver dernier avec la foule à l'aéroport et devant l'hôtel. Il est désormais à présent impossible aux Beatles de sortir sans escorte policière. On en est là.Et si ce n'était que ça. Tout le monde veut les voir, en privé. Pas un gouverneur, un maire, un chef de la police qui ne souhaite que leur femme ou leurs filles rencontrent les Beatles. Comme cette fois où en pleine nuit, arrive à leur hôtel la femme du maire qui demande à voir les Beatles. On appelle Derek Taylor, leur attaché de presse qui descend. Mais madame, c'est impossible, ils dorment, ils ont un agenda de concerts, voyage et promo infernal, ils sont crevés. Réveillez-les ! Non ! Réveillez-les, je vous dis, ou j'ameute la presse.C'est vrai, les images incroyables de ces années folles passent sous silence les nombreuses humiliations que les Beatles ont subies durant ces moments hors de la réalité que sont les tournées de superstar hors normes qu'ils étaient. Rien d'étonnant qu'au bout de trois ans, ils jetteront l'éponge et préfèreront se concentrer uniquement sur la création de leur musique, si particulière.

On ne racontera jamais assez comment l'incroyable aventure des Beatles a failli cent fois prendre fin avant de trouver la voie du succès. Ainsi quand ces gamins rentrent quasiment les uns après les autres de leur première et longue série d'engagements à Hambourg. George Harrison qui n'était pas encore majeur a en effet été expulsé du territoire suite à une dénonciation aux autorités par le patron d'un bar avec qui ils s'étaient brouillés. Pete Best et Paul McCartney avaient été arrêtés peu de temps après, eux aussi, ils jouaient sans permis de travail, John Lennon et Stuart Sutcliffe, eux, étaient rentrés à Liverpool les derniers. C'est la débâcle. Paul voit les semaines passer sans nouvelles des autres. Personne ne semble appeler personne. C'est fini.Ne reste pas comme ça. Trouve-toi un job, dit le père McCartney. Alors Paul trouve un. Les jours passent, l'hiver est bien avancé quand John et George arrivent chez Massey and Coggins, trouvant Paul en train de balayer la cour.Tu viens ? On a trouvé un engagement au Cavern ? Le Cavern est alors un club de jazz ouvert quelques années plus tôt dans les sous-sols d'un entrepôt, près des quais. Les jeunes s'y rendent pour écouter des groupes jouer en soirée et sur le temps de midi, on y sert du café et de la soupe, l'endroit est glauque mais c'est mieux que rien. D'ailleurs la vie pour les jeunes à cette époque, c'est rien.J'peux pas, répond Paul, j'ai un job fixe maintenant. Je gagne 7 livres et 10 shillings par semaine, ils m'apprennent un boulot, j'peux pas rêver mieux.John et George traînent Paul jusqu'au Cavern. Tu devrais arrêter de faire tout ce que dit ton père, lui dit John, dis-lui d'aller se faire foutre. Il ne va pas te tuer, il est trop vieux pour ça.Paul sent la vibration du public, ce soir au Cavern Club. Et après avoir dormi dessus, il ne met plus un pied chez Massey and Coggins. Tant pis pour ce que son père va dire. Le Cavern Club a annoncé sur les affiches une représentation unique des Beatles avec, en sous-titre, « directement débarqué de Hambourg ». Mais vous parlez drôlement bien Anglais, leur disent des filles après leur prestation. Tu te rends compte Paul, elles nous prennent pour des Allemands, rit John Lennon. Oui, ce soir du 9 février 1961, les Beatles, que les trois quarts de la salle pensent être des Allemands, rencontrent leur premier vrai succès. Eux qui jusque-là, étaient le groupe de bal ou du bar, sont cette fois écoutés comme de vrais artistes, avec un public qui vient les voir après pour les féliciter. Et croyez-moi, ça fait du bien quand on sort de scène. Et oui, ils réalisent qu'ils ont changé en jouant six heures par soir durant trois mois sans interruption à Hambourg. Ils sont passés du bon groupe, comme les autres, à des gars qui font ce que personne ne fait. Hé les Beatles, bravo, hein, votre rock'n'roll, c'est autre chose que la bouillie de Cliff Richard, dit un Teddy Boy. Quant à leur nationalité allemande, il va falloir deux bonnes années pour que cette légende disparaisse, il faut dire que les Beatles vont encore retourner jouer plus de deux cents soirs à Hambourg. Et à chaque retour à Liverpool, le public sort du Cavern Club en se disant que non, décidément, personne ne met l'ambiance comme les Beatles.

L'arrivée de l'incroyable série Anthology sur Disney+, 22 ans après la sortie en box DVD du plus monumental “doc” rock jamais réalisé, va à n'en pas douter fasciner plusieurs générations de spectateurs. Car bien au-delà du triomphe commercial jamais égalé, c'est surtout l'histoire des quatre musiciens qui vaut la peine d'être racontée. Les Beatles, c'est le Seigneur des Anneaux, le Star Wars, les Chevaliers de la Table Ronde du rock'n'roll, en clair la plus grande légende du XX° siècle, foisonnante, touchante et truffée de rebondissements aussi inattendus que spectaculaires. Vrai, qui à la fin des années 40 aurait pu prédire un tel destin à ces gamins courant dans les rues pour jouer dans les “bombies” comme on les appelle à Liverpool. Oh ils ignorent ce que ça veut dire mais c'est dans ces terrains vagues, plaies béantes dans des quartiers bombardés durant la guerre qui les a vus naître, que ces mômes aux genoux écorchés et gelés ont trouvé leur terrain de jeu. Ils n'imaginent pas une vie en dehors de Liverpool, cette cité portuaire noircie par la pollution des usines et des bateaux qui y accostent venant du monde entier. Ils parlent d'ailleurs un Anglais très singulier, le scouse, que personne ne comprend une fois qu'on s'en éloigne de dix miles. Pourtant, à l'automne 1960, nous les retrouvons dans un autre port, Hambourg, une ville qui a bien des points communs avec la leur. Particulièrement ses quartiers mal famés, hantés par des marins ivres le soir, errant jusqu'au bout de la nuit parmi les putes, comme ils disent, et voguant de cafés en lieux de débauche où on apprécie les groupes britanniques, les seuls à pouvoir jouer cette musique américaine des Elvis Presley et autres Bill Haley qu'ils apprécient tant. Ils sont alors six Beatles à jouer dans les bars de Reeperbahn et ses rues voisines. Oui, on parle toujours du 5ème Beatle mais ils sont six à en avoir fait partie officiellement. John Lennon a fondé les Quarrymen en 1956 alors qu'il était à la Quarry Bank High School, rejoint par Paul McCartney l'année suivante, puis George Harrison et enfin, Stuart Sutcliffe et Pete Best. Ils sont donc cinq, quatre guitaristes et un batteur, c'est d'ailleurs la maman du dernier arrivé, Pete Best, qui en leur trouvant pas mal d'engagements a enfin apporté une stabilité au groupe. Sans la maman de Pete, les Beatles auraient peut-être disparu des radars. Et tant qu'on parle des Beatles, c'est John et Stuart qui ont trouvé ce nom en janvier 1960.Alors imaginez l'arrivée à Hambourg fin 1960 pour ces jeunes hommes qui n'ont jamais franchi les frontières de la Grande-Bretagne. Assis sur leur matos dans le mini-minibus de leur manager qui n'est autre que le patron du Jacaranda, un café de Liverpool, ils débarquent en fin de soirée après avoir traversé la Hollande. Le patron de la boîte où ils doivent jouer, l'Indra, pas très chaleureux, les loge dans une pièce en béton sans fenêtre avec des matelas par terre, dans un cinéma borderline, avec juste les water sans eau chaude pour se débarbouiller. Ces deux lieux aujourd'hui encore miraculeusement intacts, c'est là où les Beatles vont apprendre leur métier en jouant plusieurs heures toutes les nuits, et où ils vont croiser Ringo Starr, le futur sixième Beatle qui joue avec un autre groupe de Liverpool. Mais c'est surtout là qu'ils vont comprendre le contact avec le public mieux que leurs semblables british et développer leur art comme personne, faisant d'eux le groupe de scène le plus phénoménal qu'on ait vu, suscitant des émotions dans le public féminin comme plus jamais on en verra. Non, vraiment, quand quatre ans plus tard, les Beatles débarquent à New York, aucun Américain n'a vu et entendu jouer LEUR musique comme le font les Beatles. C'est sauvage, le public exulte, leurs parents sont horrifiés.

On ne saura jamais qui a franchement fait fonctionner l'autre. Est-ce le film The Breakfast Club qui a fait vendre autant de disques à Simple Minds qui en signe le générique ou bien les jeunes sont-ils allés au cinéma parce qu'ils ont entendu la chanson à la radio ou vu le clip à la télé ? Les deux évidemment. En tout cas, l'association du groupe new wave écossais et d'un cinéaste américain, très fan de leur son, a parfaitement fonctionné. Au-delà de toute attente puisque le film rapporte cinquante fois la mise de départ.Ainsi quand en pleine tournée promo pour le nouvel album en France, Jim Kerr reçoit un appel dans sa chambre d'hôtel, il ne sait pas quoi répondre à sa firme de disques quand elle lui annonce que le single est N°1 aux Etats-Unis. La nouvelle pour celui qui se considère toujours comme un petit gars de Glasgow est énorme. Jim raccroche : tu es numéro UN en Amérique, comme les Beatles 20 ans plus tôt, ils étaient les premiers Britanniques, mais aussi comme dans la chanson de Frank Sinatra. C'est un feu d'artifice dans sa tête. Mais voilà, il est six heures de l'après-midi, et Jim est seul dans sa chambre. Il est le seul des Simple Minds à l'hôtel d'ailleurs. Pas de GSM à l'époque. Que faire ? Il faut fêter ça ! Et bien que Jim ne boive pas, ce qui pour un Ecossais est assez rare, je vous l'accorde, il descend au bar.Ouvrez-moi une bouteille de champagne ? Vraiment ? Quel champagne ?J'en sais rien, du bon !Ah on fête quelque chose, là. Combien de verres ?Euh, un. Je fais partie du groupe de rock qui est descendu dans votre hôtel et je viens d'apprendre qu'on est N°1 aux États-Unis.Évidemment, pompette dès le premier verre. Jim est complètement jeté dès le troisième et lance un franc Mettez un verre à cet homme, dès qu'un mec entre dans le bar. Ah ben oui, c'est pas rien d'être devenu Frank Sinatra du jour au lendemain, faut assurer. Et même si personne ne le croit ce soir-là, s'il s'est ruiné en addition, et même si le lendemain tous ses cheveux se sont mis à pousser à l'intérieur du crâne, comme Jim l'a dit, N°1 aux USA, il fallait que ce soit fait.Quelques mois plus tard sort l'album Once Upon A Time, déjà le septième pour Simple Minds, mais le premier sur lequel ils alignent cinq hits et se mettent à vendre des millions de disques, avec toutefois, des chansons engagées, comme leurs copains de U2. Tenez, celle-ci qui parle des femmes polonaises dont les maris, opposants à la Russie soviétique, ont disparu depuis longtemps sans laisser de traces, n'est pas des moindres.

Pour tous ceux qui ont connu le début des années 80, le nom de Simple Minds occupe sûrement une place particulière. Évidemment, on n'était pas des milliers en mars 82 et 84 à l'Ancienne Belgique, alors le temple de la New Wave avec le Beursschouwburg. Mais l'ambiance y était. Par contre, on était des dizaines de milliers en 83 à Torhout et Werchter. Les examens étaient finis et les vacances commençaient avec U2, l'après-midi, et Simple Minds qui concluaient la soirée, juste avant la tête d'affiche, Peter Gabriel. Les Minds n'avaient alors jamais joué devant un public aussi nombreux, et c'était chez nous. Jim Kerr ne portait pas encore les pantalons comme des oreilles d'éléphant qu'il allait arborer deux ans plus tard sur la scène du Live Aid, le plus grand festival de tous les temps. Il était alors la plus crédible incarnation du nouveau David Bowie, celui que toute la New Wave imitait de Depeche Mode à Duran Duran, en passant par Gary Numan. Mais Jim Kerr n'imitait pas Bowie. Il adoptait une attitude particulière sur scène, tous les yeux étaient focalisés sur lui, un charisme dingue, on n'avait plus vu ça … ben, depuis David Bowie.Et il faut bien ça. Car autant U2 est un groupe dont on identifie très bien depuis le début, ses quatre membres, autant on s'y perd avec Simple Minds. Ils changent de personnel quasiment à chaque album, voire single. Et comme ils ont sorti sept 33 Tours en l'espace de six ans, ça fait du mouvement. Non, vraiment, de Simple Minds on ne retient que Jim Kerr, et puis le guitariste Charlie Burchill, le seul à être aussi présent depuis le début. Mais bon, ça le fait d'avoir un poster de Simple Minds dans sa chambre ou son kot, au début des années 80. Ce nom étrange et ces images insolites qui servent de pochette à leurs 30 cm, ça vous pose un max devant les copains et les copains des copains. C'est branché, Simple Minds ! Alors comme à l'époque, il n'y a pas internet, y a des gars qui prétendent que ça veut dire les “simples d'esprits”. Sauf qu'en anglais on place l'adjectif avant le nom, et donc, ça fait “esprits simples”.OK, ça reste pas beaucoup plus valorisant. Sauf que, et on y revient, ça vient d'une chanson de David Bowie. Oui, dans Jean Genie, époque Ziggy Stardust … et dans le contexte, ça correspond tellement bien à la mentalité des Ecossais qu'ils sont. C'est vrai, quand vous entrez dans un pub en Ecosse, vous ne restez pas seuls, on vit ensemble, et on chante à tue-tête le vendredi soir avec le gars qui vient jouer avec sa guitare pour mettre l'ambiance. Sept ans après avoir choisi ce nom, les Simple Minds sont bien loin de l'arrière-salle de leur pub de Glasgow, ils sont sur le toit du monde parmi les groupes britanniques qui vendent le plus de disques, avec Dire Straits, Queen et Duran Duran …

C'est l'époque qui voulait ça, dans les années 80, énormément de mythes circulaient à propos des groupes, chanteurs et chanteuses. On n'avait rien sous la main pour vérifier ce que des gars disaient à propos d'untel ou untel, les articles étaient rares dans la presse et les journalistes des magazines spécialisés étaient souvent logés à la même enseigne que leurs lecteurs. En clair, on ne savait rien des mecs qu'on écoutait en boucle, à part ce qui était écrit sur les pochettes de leurs disques. Alors, un groupe comme Simple Minds, vous pensez si on en a entendu au milieu des années 80. Tenez, à propos de leur énorme tube de l'été 85, Don't you forget about me … ben la chanson n'est pas d'eux. Ah bon ? Vérification faite sur le disque, ben ouais. Merde, c'est Keith Forsey. En résumé, c'est un transfuge, un british venu du monde crypto rock allemand des années 70 qui devient le batteur de Donna Summer mais produit aussi Billy Idol, puis écrit des musiques sur la BO de Flashdance et Ghostbusters. Et justement il est approché par une jeune cinéaste américain pour un projet nommé The Breakfast Club. Ça raconte le samedi de quelques ados en retenue dans leur école. Et comme ce cinéaste est fan de New Wave british, il veut Simple Minds.Les gars écoutent la chanson, mais non. On veut bien en faire une mais on l'écrit nous-mêmes. Mais leur manager étant convaincu que le générique d'un film américain, c'est bien pour percer le marché, il insiste et leur fait voir une copie du film … A la sortie, ça reste non. Qu'est-ce qu'on en a à foutre des problèmes d'étudiants amerloques. C'est quoi ces heures de retenue ? Ça n'existe pas chez nous, en Écosse. Bon, OK, on se rend. Keith Forsey et John Hugues approchent Billy Idol mais c'est non aussi, il fait un alors un carton monstre, et puis Bryan Ferry mais là encore, pas de bol, il sort disque sur disque solo et ne tient pas à embrouiller les cartes. Alors qui ?Et là, il se trouve quelqu'un à qui la chanson a plu. C'est Chrissie Hynde, la chanteuse des Pretenders. Et qui est depuis peu la femme de Jim Kerr. Et ce que femme veut … Bref, les Simple Minds se retrouvent avec Keith Forsey. Fais voir un peu ta chanson … ouais pas mal. Écoute, on va la faire mais je vais changer les paroles au début et à la fin OK ? A-t-il manqué de temps ? En tout cas, le jour de l'enregistrement, Jim Kerr envoie un hey Hey Hey au début et des Lalalalala à la fin. Je vais combler après, dit-il, je reviendrai. Jim ne reviendra pas, la chanson sortira comme ça et bingo. C'est les gimmicks que tout le monde a retenu, et aussi le premier et dernier numéro 1 de Simple Minds aux États-Unis. Alors, on va l'ajouter sur le nouvel album finalement, qui sort fin de l'année 1985.

Il y a quarante ans exactement, beaucoup d'entre nous se faisaient une fête d'aller chez le disquaire acheter le nouvel album de Simple Minds, ou l'un de ses cinq singles qui ont tous fait un tube … Ah oui, album de platine en Belgique quand même. Là, on a largement débordé du cadre des fans de New Wave pure et dure qui suivaient le mouvement depuis maintenant six ans. En Grande-Bretagne, c'est carrément trois fois platine, 900.000 albums pour un pays alors de moins de 60 millions d'habitants et aux États-Unis, ça démarre vraiment pour eux avec un demi-million.Évidemment, le générique final d'un certain film y est pour quelque chose … et bien sûr les têtes d'affiche du Festival Torhout Werchter aussi, avec leurs demi-frères de U2. C'est bien simple, U2 et Simple Minds sont alors les deux noms que tout le monde cite quand on parle de New Wave. Il est déjà loin le temps où les Simple Minds étaient un groupe punk rock de Glasgow qui se faisaient appeler Johnny and the self abusers, très loin cette voix cavernale, quasiment d'outre tombe de Jim Kerr qui annonaient des paroles avec toute la joie d'une homélie funèbre. D'ailleurs combien d'entre vous n'ont pas entendu des copains ou copines dire à l'époque : Simple Minds, je les préférais avant, quand ils faisaient de la New Wave. Maintenant, c'est du commercial, ils ont vendu leur âme au dieu dollar.Ah ben oui, c'était ça, aussi, les années 80. Si vous étiez vraiment rock, vous ne mettiez pas un pied à Champs Élysées ou chez Jacques Martin. Un certain Philippe Manoeuvre dans les Enfants du rock le samedi, tard le soir, était là pour blâmer tout ce qui était formaté pour le grand public. Et c'est vrai qu'on a tous été étonnés quand en 1981, on a entendu le nouveau 45 Tours de Simple Minds sur les longues ondes des radios périphériques françaises, c'était juste improbable … Mais voilà, les temps changent, les années 80 sont les années 45 Tours et vidéoclips. Genesis et Queen sont devenus les rois du single, alors pourquoi pas Simple Minds. Car il faut leur laisser ça, aux Minds, quand on écoute leurs disques, on ne peut pas dire qu'ils ont troqué leurs instruments pour plaire aux fans de variétés françaises, ça envoie toujours. Ça envoie même plus qu'avant. Il faut dire que le producteur de leur nouveau disque est un gars qui a fait ses armes sur les premiers albums de Bruce Springsteen, produit le premier tube mondial de Patti Smith … ainsi que, l'année précédente, l'album live de U2, qui a révélé le groupe au public rock américain via MTV … Et franchement, ce titre, depuis quarante ans, on ne s'en est jamais lassé …

Les années 80, ça nous plaît, hein. La bonne musique funky, la pop électro, les synthés, la liberté de ton, la grosse éclate permanente. Franchement, on a vécu pire comme décennie, et probablement pas mieux. En 1985, on était au beau milieu du parcours et franchement, si on nous avait dit que cela n'allait pas durer ainsi, on se serait tous mis à freiner des quatre fers pour y rester le plus longtemps possible. Et donc aujourd'hui, un tas de gens nous disent tout le bien qu'ils pensent de ces années 80 même s'ils n'étaient pas nés ou étaient haut comme trois pommes, et encore, seulement à la fin. Et donc, je peux vous dire que les vivre, c'était quelque chose. Tenez 1985, on nous bassine toujours, et à raison, le même Live Aid mais grands dieux, il ne s'est pas passé que ça. 1985, c'est l'année du triomphe sans précédent de Dire Straits, quatre hits phénoménaux sur le même album … l'année où le Thriller de Michael Jackson atteint les 42 millions ‘exemplaires … du retour phénoménal de Kate Bush … et où Phil Collins règne sans partage sur le métier du disque … 1985, c'est bien l'album Positif de Jean-Jacques Goldman … du premier album de Jeanne Mas … Serge Gainsbourg remplit le Casino de Paris, Luc Besson débarque avec son ovni Subway, et puisqu'on parle cinéma, on court voir par millions Trois hommes et un couffin, Rambo II, Retour vers le futur, Out of Africa et un film pour ados, avec des ados, intitulé The breakfast Club.Pour nous, en Europe, et surtout en Belgique, le mec qui chante le générique final, on le connaissait déjà depuis des années, c'est Jim Kerr de Simple Minds. Mais pour la plupart des Américains, c'est une découverte qui vaut au groupe leader de la New Wave de faire une improbable percée dans ce pays où le son de cette musique ne s'est pas encore vraiment imposé. Le succès énorme et surprise du single vaut à Simple Minds d'être du bon côté de l'Atlantique le jour du Live Aid, à Philadelphie. Ah ben oui, quand U2 fait ce qui est pour nous, sa légendaire prestation sur la scène de Wembley vers 17.15, il est 9.15 à Los Angeles. Pas évident d'être devant sa télé. Tandis que pour Simple Minds, il est 14.00, un jour de week-end. Tout est dit. Alors justement, l'album que le groupe doit sortir à l'automne, pas question de le rater ; il est d'autant plus attendu que la prestation de Jim Kerr a été remarquée au Live Aid. Ah, il sort du lot, le gars, il a une attitude particulière, bien rodée par des années de succès à travers l'Europe. Et de fait, ce septième album de Simple Minds, qui s'intitule Once Upon A Time, je ne dois pas vous traduire, c'est le Purple Rain de Simple Minds : non seulement celui qui se vendra le plus, grâce au marché américain, mais aussi le meilleur d'un groupe qui nous en avait pourtant déjà sorti de solides. Quarante ans plus tard, avec ses cinq tubes devenus des classiques, il marque d'une pierre blanche le milieu d'une décennie d'exception. Car parmi tant d'autres chefs d'œuvres inoxydables parus cette année-là, il est le révélateur du fait que jamais la musique pop n'a atteint un tel niveau de qualité et de production. Et quand on mettait l'album sur la platine, il commençait comme ceci …

C'est sûr, la disparition de Rick Davies a ému des millions de gens lors de cette rentrée 2025. Le 6 septembre au soir, beaucoup d'albums de Supertramp dont il est le fondateur, le claviériste et la seconde voix, ont dû tourner sur des platines et des plateformes. Que de souvenirs ! Et quelle voix particulière ! Quand en 1969, il croise un milliardaire hollandais qui lui promet de le produire s'il monte un nouveau groupe, Rick Davies, 25 ans, a déjà vécu beaucoup de choses. Adolescent, il avait monté son premier rock band dans son Swindon natal, dans le sud-ouest de l'Angleterre. Comme disait sa mère, la musique est la seule chose dans laquelle Rick était bon à l'école ...

La nouvelle de la disparition de Robert Redford, à l'âge de 88 ans, a ravivé bien des souvenirs et des braises encore rouges dans l'âtre de nombreux cœurs. Et, là, en cette soirée du 18 août 2025, des images reviennent : ses cheveux blonds, son regard d'acier, son sourire de soleil californien, et cette élégance un peu mélancolique. Butch Cassidy et le Kid, L'Arnaque, Out of Africa, Nos plus belles années, Les hommes du président sont reprogrammés les jours suivants à la télé, sur les plateformes, car Redford, c'était le cinéma américain dans tout ce qu'il avait de plus noble et de plus photogénique.Car oui, d'où lui vient cette distance avec le cinéma hollywoodien, lui qui est né à Santa Monica, Los Angeles, en plein âge d'or du cinéma américain ? Peut-être ses origines puisqu'il est un des descendants d'un des pionniers de l'Amérique, le huguenot wallon Philippe de Lannoye, jeune aristocrate de l'actuelle frontière belgo-française, alors territoire des Pays-Bas. Le tout s'est mélangé au fil des générations à du sang anglais, écossais, irlandais. Alors on ne s'étonne pas de croiser des peintres qui l'ont croisé ou fréquenté dans les écoles d'art de Paris, Florence au cours des années 50.De retour aux Etats-Unis, Robert se fixe à New York où il étudie à l'académie américaine d'arts dramatiques. Broadway n'est pas loin, c'est une évidence, il convainc dès ses débuts en 1959 et enchaîne les pièces, trouvant le succès deux ans plus tard dans Sunday in New York puis Barefoot in the park, trois saisons à guichets fermés qui lui valent d'attirer l'attention de réalisateurs comme Sidney Pollack, George Roy Hill. Tous voient en lui ce mélange unique de virilité et de doute, d'homme fort et vulnérable, loin des clichés de John Wayne. Et quand il forme son duo avec Paul Newman dans Butch Cassidy et le Kid, c'est l'explosion médiatique. Le public ne voit plus un “joli garçon”, mais l'ami qu'on rêve d'avoir, le type loyal, silencieux, un peu insaisissable. Pas comme Steve McQueen, hein, Redford, c'est autre chose.Car il sera et est resté aussi celui qui aura refusé, malgré l'accumulation de triomphes cinématographiques, son star system. Il a ainsi fondé son festival de Sundance pour soutenir le cinéma indépendant, et continué à défendre des causes environnementales pendant plus de cinquante ans. Robert Redford, c'est au fond, l'homme sauvage qui n'a jamais voulu être une star. Pas loin de celui qu'il interprète admirablement dans Out of Africa. Et quand on lui demande s'il regrette d'avoir été réduit à sa beauté, son physique, il répond : “Je n'ai jamais compris pourquoi on me trouvait beau. J'ai toujours eu l'impression de devoir le mériter.” Et c'est parce qu'il le mérite qu'on n'en a pas fini avec ces gens, jeunes ou pas, qui découvrent ses films dans le monde.

Le 9 février 2025, la nouvelle tombe, triste, comme on en a désormais pris l'habitude avec une certaine résignation : Nicole Croisille nous a quittés à l'âge de 88 ans. Et, tout de suite, cette voix revient. Ce timbre chaud, reconnaissable entre mille, celui qui vous caresse autant qu'il vous transperce. Mais avant d'être “la” voix d'Un homme et une femme, Nicole Croisille a connu mille vies ...

Le 30 janvier 2025, on avait appris la triste nouvelle de la disparition de Marianne Faithfull, à l'âge de 78 ans. On la pensait oubliée et pourtant, toute la toile s'était éclairée d'images prouvant que la petite princesse des années 60 et son comeback retentissant au début de la new wave avait laissé une empreinte indélébile dans beaucoup de vies. Alors pourquoi ne pas retourner, l'espace d'une soirée, assister à un de ces moments qui ont compté énormément dans la légende de notre pop culture ...

Le 17 mars 2025, nous avons appris la disparition de Richard Chamberlain, à l'âge de 90 ans. Et tout de suite, une génération entière s'est revue, adolescente ou pas, le cœur battant devant ce sourire parfait sur le petit écran regardant la mini-série Les oiseaux se cachent pour mourir et Shogun. Car c'est aussi ça, la légende des années 80 ...

Nous n'y étions pas mais les raconteurs d'anecdotes n'arrêtent pas de nous dire que la première chanson diffusée par MTV fut Video Killed the Radio Stars. C'est un peu court, jeune homme, dirait Cyrano de Bergerac. Et comme nous avons dû attendre les années 90 avant de recevoir MTV chez nous, cette première journée de MTV, je m'en vais vous la raconter grâce à notre machine à remonter le temps, ça vaut le voyage. Nous sommes le 1er août 1981 dans le New Jersey. On y va ? Aujourd'hui, seuls les abonnés au câble de quelques états américains vont avoir droit à ce lancement historique d'une chaîne de télé 100% musicale et qui doit être exclusivement rock. Budget minuscule, peu de gens y croient, on a envoyé quelques communiqués de presse et placé des affiches dans les magasins de disques pour l'annoncer. Pas de panique dit le patron à ses quelques employés, y aura personne devant le poste, le premier jour. Ah ben ouais, certains membres de l'équipe se sont offusqués que la première vidéo soit celle d'un groupe anglais, les Buggles, avec un titre qui n'a même pas fait un succès aux USA. Mais avouez qu'avec un titre pareil, cette chanson s'impose pour ouvrir le programme. Et puis il y a eu le problème Neil Armstrong, le premier homme sur la Lune les a en effet menacés d'un procès s'ils utilisaient l'image de ses fameux premiers pas pour le lancement d'une chaîne privée, il a fallu bidouiller sur l'image même à la dernière minute pour éviter les ennuis. Mais bon, c'est parti. Avec les moyens du bord évidemment. C'est-à-dire un magnéto professionnel de location et certaines bandes fournies par les firmes de disques qui ne sont pas au bon format.Quant aux animateurs, les VJ, Vidéo Jockey comme on les appelle, pas de loge, ils doivent se changer dans les toilettes. On ne s'étonnera pas que la jeune animatrice de 19 ans ait gardé le même pull à l'écran toute la journée. Ah en parlant d'animer, elle a souffert : le prompteur va trop vite, pas le temps de tout lire, donc elle improvise. Et puis quand un autre animateur prend le relais, il annonce The Who You better you bet, et c'est Pat Benatar qui apparaît à l'écran, avec You Better Run. Mais c'est pas graaave, je vous dis, y a personne qui regarde. Personne, y a quand même un gars qui a appelé en disant “Arrêtez de passer des trucs zarrebis, mettez du Journey.” Il appelait d'où ? De l'Oklahoma. De l'Oklahoma ? Mince ! La secrétaire note ça sur un post-it, le premier feedback du public de MTV, qu'elle pose sur le bureau du dirlo qui n'est pas là, ce premier jour, c'est pour ça qu'il a enregistré les premiers mots prononcés à l'ouverture du canal. Bref, nous voilà à la fin de cette première journée de programme. On y est arrivé ! Il y a eu 7 enchaînements loupés, 4 écrans noirs et le magnéto a surchauffé, heureusement qu'il a supporté le vent frais d'un gros ventilateur dirigé sur lui en catastrophe. Quant au fait qu'il n'y aurait personne, ils étaient 250.000 devant leur poste à regarder ces clips nonstop. La chaîne en espère 500.000 au bout d'une année, elle passera la barre du million en neuf mois. Quant aux Buggles, ils sont repassés une seconde fois, à la fin de cette journée avec ce clip qui ouvrait un chemin inattendu à l'industrie du disque. Car non, MTV n'a pas tué les stars de la radio.

Même si elle ne date pas de cette époque, la musique acoustique a été particulièrement populaire au cours de la première partie des années nonante. C'est d'autant plus étonnant qu'on nage déjà dans l'ère électro à cause de MTV, et que c'est pourtant cette même chaîne qui va populariser l'acoustique avec un mot : Unplugged ! Le truc ? Demander à des artistes de venir jouer en live sur un plateau, leur répertoire en débranchant l'électricité de leurs instruments. Le seul courant qui doit passer est celui des micros et celui qui relie le musicien au public. Bien sûr, MTV n'invente pas le concept. Ainsi dans son célèbre show télé, Le comeback special en 1969, Elvis Presley joue une partie de son répertoire avec ses musiciens uniquement sur des guitares acoustiques. Et puis Led Zeppelin, au cours des années 70 faisait un break au milieu du concert en jouant un set tous les quatre sur des instruments acoustiques sur le devant de la scène, assis sur des tabourets. Mais bon, ici il s'agit d'une émission de télévision. Elle démarre en 1989. Au début, ça ne se bouscule pas au portillon avec des seconds couteaux, au demeurant excellents comme Squeeze, The Alarm et l'excellent Joe Walsh, guitariste des Eagles. Ça commence en fait à bouger l'année suivante avec la venue de quelques grands formats du hard rock américain comme Aerosmith mais aussi des stars telles que Hall & Oates et Elton John. Mais c'est la publication en CD de la prestation de Paul McCartney en 1991 qui donne un statut culte à l'émission. Le disque qui se nomme Official Bootleg est de plus une totale réussite de la part de l'ex-Beatle qui se réaffirme de plus en plus comme une bête de scène. Avec le passage des Cure, R.E.M., Elvis Costello et Sting, MTV Unplugged devient un rendez-vous prisé pour les artistes qui maintenant sont en demande d'y participer. Parmi les Eurythmics, Springsteen, ou Pearl Jam qui s'y produisent cette année-là, on trouve aussi Eric Clapton. Au terme de l'enregistrement, quelqu'un suggère de le sortir en CD. Clapton n'est pas chaud : il a commis quelques petites erreurs par ci par là et surtout il n'y croit absolument pas. Qui va acheter ça ? Warner, sa firme de disques, n'y croit pas non plus. Mais enfin, Clapton n'a pas sorti de disque depuis trois ans et ça commence à faire long. On en vendra toujours aux fans.Unplugged figure aujourd'hui parmi les albums les plus vendus de tous les temps. Le succès a été immédiat : N°1 dans beaucoup de pays, multi platine, il se vend rien qu'aux Etats-Unis à 10 millions d'exemplaires faisant la fortune de Clapton et donnant à l'émission un statut de reine. Les grands moments vont alors se multiplier comme les passages de Bob Dylan et de Nirvana, la reformation des Eagles et de Kiss. Mais alors que tous ces grands moments télévisés se vendent par millions en CD, l'électro prend toujours de plus en plus de place dans la programmation de MTV, il faut dire que cette musique mise pleinement sur l'image.

En 2001, on n'a pas eu droit à une odyssée de l'espace mais à la mue de MTV. En effet, le Musical de MTV est de moins en moins visible face à la montée de la télé-réalité sur son antenne. Mais bon, il reste encore de la zikmu comme dans la très populaire émission Total Request Live qui réunit l'après-midi deux millions de téléspectateurs pour regarder les clips les plus demandés par téléphone, et déjà, par internet.Mais ce 2 avril 2001, son animateur Carson Daly, va vivre quelques moments de solitude. En effet vers 15h27, au lieu d'un bon clip pop, l'écran vire au noir, et boom, apparaît Johnny Knoxville, l'un des piliers de Jackass, l'émission de cascades absurdes lancée quelques mois plus tôt. Et que voit-on, cette bourrique de Knoxville se faire électrocuter avec un Taser de 50.000 volts. Il tombe dans les pommes durant quelques secondes interminables, sans avertissement préalable, rien. Le clip enchaîne sur Steve-O, un autre sociétaire de l'émission qui avale un poisson rouge vivant, avant de le recracher. Le poisson vit toujours, ok, mais qu'est-ce que c'est que ce truc de dingues ? Et ben, les créateurs de Jackass ont glissé ces extraits dans la rotation de TRL pour booster l'audience de leur émission en soirée, sans prévenir la régie MTV, pensant que ça passerait dans le flux. Panique immédiate à la maison-mère de MTV, les plaintes affluent, 400 appels en deux minutes au standard, dont beaucoup de parents furieux. Le CSA américain, reçoit, lui, douze signalements en cinq minutes, un record pour un après-midi. Carson Daly, rouge vif, apparaît à l'antenne : "Euh… c'était Jackass. On revient après la pub." Une pub pour des céréales pour les mômes, la totale. Pendant ce temps, le big boss de MTV Networks reçoit un coup de fil de celui de Nickelodeon qui partage son signal sur le câble : "Vos tarés polluent mon réseau familial !" Le VJ et la régie improvisent : ils ajoutent un bandeau géant disant "Ne faites pas ça chez vous", mais c'est trop tard pour les scènes déjà passées comme celle du gars se faisant mordre par un alligator ou celui poursuivi par un taureau en string. L'audience explose à 4,2 millions de téléspectateurs, un record pour TRL, mais de très gros annonceurs retirent leurs campagnes, et un sénateur menace d'une enquête fédérale.En réunion d'urgence, MTV hésite à tout stopper. Knoxville et l'équipe menacent de claquer la porte si on censure. Jackass survit, mais avec des avertissements obligatoires. Ironie du sort, cette diffusion sauvage booste l'émission (+40 % d'audience les jours suivants), il y aura même un film au cinéma, puis d'autres. Cette journée marque le pic du "chaos créatif" de MTV : un pari risqué où on a frôlé la catastrophe mais qui a immortalisé Jackass comme un phénomène de la contre-culture, aujourd'hui bien dépassé par toutes les gamelles qu'on regarde sur Youtube. Pendant ce temps, cette année-là, y avait la chanson de la B.O. de Moulin Rouge qui passait sur MTV.

Je ne pense pas être le seul, vous avez sans doute remarqué qu'au cours de ces vingt dernières années, le rock et les groupes en général ont perdu du terrain dans les classements et les ventes. Et même si depuis peu, il y a un retour du rock, nous vivons une époque où il n'y en a plus que pour les chanteurs, rappeurs et les DJ bien sûr, qui chipotent seuls dans leur coin ou s'invitent les uns les autres sur leurs singles désincarnés en streaming. Si on vend encore beaucoup de 33 Tours de groupes de rock ou de musiciens soul, il faut bien reconnaître que ce sont ceux d'anciens des années 60, 70, 80 et 90. De cette époque où pour exister, créer dans le monde de l'industrie musicale et face au public, rien ne valait être dans un groupe. Cette époque où tous se rêvaient devenir les prochains Beatles, Earth Wind & Fire ou Nirvana.Et tout ça, s'était amplifié dans les années 80 et 90 avec l'arrivée des clips vidéos, du CD aussi, qu'on emmenait partout avec nous, et bien sûr des télés musicales. Les années MTV, quoi. Dans les années 80, on n'imaginait pas un monde où n'apparaîtrait pas chaque semaine un nouveau et sensationnel groupe pop. Et dans les années 90, l'arrivée du grunge des Etats-Unis et de la Britpop d'Angleterre nous faisait croire que la relève allait continuer à sortir des caves et des greniers de manière permanente avec un nouveau son. On ne savait pas encore que c'était la dernière fois, mais ne cassons pas le rêve, nous sommes en 1993. La radio et la télé diffusent alors nonstop les nouveaux titres de Nirvana, REM et Red Hot Chili Peppers quand sort le single d'un groupe qu'on croirait sorti tout droit de Seattle. Vrai, en les entendant à la radio, on imagine les Radiohead portant des jeans troués, de longues chemises de bûcheron et des cheveux bien gras.Mais rien à voir ; ces petits nouveaux ne vivent pas très loin de chez nous, ils sont de Oxford et comme leurs aînés de Pink Floyd, ils sortent de l'université. Ils ont commencé à jouer ensemble durant leurs humanités et ne se sont pas perdus de vue pendant leurs études supérieures. L'un d'eux jobant dans un magasin de disques a ainsi donné la cassette qu'ils ont enregistrée à un représentant de la firme EMI et bingo, ils ont dit ça nous intéresse. Et justement, pour Thom Yorke, le chanteur et guitariste, on ne dit pas non à EMI, la firme de disques de Queen. C'est parce qu'il était fan de Brian May que le père de Thom lui avait acheté une guitare acoustique, et c'est en voyant à 17 ans jouer le groupe new wave Siouxsie Sioux and The Banshees qu'il a décidé de se mettre au chant. Quant au nom de Radiohead, il vient d'une chanson des Talking Heads, un autre groupe qu'il a beaucoup écouté.Alors grunge, les Radiohead ? Pas du tout. Ils sont plutôt Pink Floyd, les mecs de Cambridge : pas le même coin ni la même époque mais la démarche est la même. Des guitares, oui, mais aussi et surtout de l'électronique et cette volonté de travailler en vase clos, de chercher, de créer des choses qui n'ont jamais été entendues. C'est pas un chouïa déprimant ? disent des gars à la BBC qui ne les diffusent pas au départ mais vont y être obligés à cause de MTV qui elle, les matraque. Oui, mais c'est dans l'air du temps en 1993, écoutez Pearl Jam et Nirvana. Et puis Pink Floyd l'était aussi, un peu déprimant, même Coluche le disait …

Chaque jour depuis des décennies, nous sommes des millions à regarder la télévision. Quel succès pour un meuble ! Cette vanne de Coluche nous avait bien fait rire à l'époque. Et depuis cette époque, elle a bien changé, notre télé. Je ne parle pas du fait qu'elle soit devenue ultra plate avec un son de cinéma, non. Mais plutôt qu'elle offre une myriade de chaînes et de plateformes. C'est vrai, aujourd'hui, tous les soirs, c'est “chacun regarde ce qui lui plaît”. Et donc, on a perdu la grande communion télévisuelle, celle qui faisait que le lendemain, on avait quasiment tous vu le même programme : on pouvait partager les émotions qu'on avait ressenties. Et justement, ce week-end, je me suis arrêté sur une chaîne que ça faisait plus de vingt ans que je ne l'avais plus regardée : MTV. Et ben, ça m'a fichu un coup parce que MTV, ça a quand même été une fête quand elle a débarqué en Belgique et en France au début des années 90. C'est vrai qu'on en entendait parler depuis dix ans sans pouvoir la regarder. On se disait que ça devait être le pied de pouvoir regarder des clips à n'importe quelle heure de la journée ; il suffisait d'allumer sa télé et hop, c'était parti. Ça devait vraiment être magique, MTV. C'était l'époque où le groupe Police en faisait la pub. C'est d'ailleurs ce qui avait donné l'inspiration à Mark Knopfler de ce fameux titre de Dire Straits en 1985 …Et donc début 90, quand cette chaîne musicale est enfin arrivée chez nous, on s'est calé devant le poste et c'est vrai qu'on a découvert un autre univers, à la fois américain et britannique. Alors pour ceux qui n'ont pas connu, ce n'était pas seulement un défilé de clips. Il y avait un tas d'émissions musicales dont certaines nous ont tous réunis en soirée comme MTV Unplugged. Combien d'entre vous ont regardé celui de Nirvana, Bob Dylan, Page et Plant, le presque Led Zeppelin, ou encore Rod Stewart. Des CD de l'émission figurent parmi les plus grands best sellers des années 90 comme celui d'Eric Clapton. Et puis les autres soirs on regardait Most Wanted avec l'incroyable Ray Cookes qui ne se contentait pas de lancer des vidéos. Nous, en Belgique, on le connaissait déjà car il avait été animateur télé sur la chaîne publique avant, mais là, il était déchaîné ! Il nous parlait tout près de la caméra comme s'il était dans notre salon, et il dialoguait avec le cameraman qui parfois répondait et dont on n'a jamais vu que l'ombre sur le décor. Et ça c'était une première dans l'histoire de la télé qu'un technicien donne la réplique à un animateur.Bref, on a encore tous quelque part dans notre tête, je vous l'ai rappelé, le I want my MTV, alors moi je dis I want my MTV back, rendez-nous notre MTV, celle qui nous a fait découvrir tant d'artistes dans les années 90 comme, tenez, TLC, qu'est-ce qu'il a tourné ce clip soul, cool et rafraîchissant, souvenez-vous ...

Un homme et son chien. Un gros Briard noir frisé dont les poils hirsutes cachent le regard bravement couché au pied de la chaise de son maître assis à la terrasse d'une buvette parisienne. L'homme porte le costume cravate et chapeau classique comme tout le monde après-guerre mais il se tient légèrement avachi face à son verre de guignolet, la clope au bec et le regard dans le vide. On devine que son esprit est perdu dans une probable inspiration, assemblant des phrases et des rimes puisque l'homme en question se nomme Jacques Prévert, immédiatement reconnaissable, il est le poète le plus connu de sa génération.Dialoguiste d'une vingtaine de classiques du cinéma des Enfants du Paradis aux Visiteurs du soir, en passant par Quai des brumes et Drôle de drame… (bizarre, bizarre), Prévert a été chanté avec succès par son ami Yves Montand, Les feuilles mortes, et puis par Juliette Gréco, Serge Reggiani, et même Serge Gainsbourg qui lui rend hommage dans un superbe titre … Un Prévert qui à Paris, a longtemps préféré vivre à l'hôtel ou dans des meublés. Et quand il s'installe enfin dans un appartement, c'est derrière le Moulin Rouge, dans une rue en cul-de-sac, avec pour voisin de pallier, Boris Vian …L'homme qui prend cette photo sous les platanes d'un trottoir parisien, c'est bien évidemment Robert Doisneau. Prévert et lui se sont rencontrés grâce à son frère Pierre qui bosse dans un cabaret. Prévert et Doisneau se sont très vite trouvés. Je devrais dire, reconnus car ils partagent l'amour des petites gens : tu dois mettre dans le rectangle les laissés pour compte envoyés par le hasard pour en faire un bouquet, dit le poète au photographe. L'exposition de photos montées sur des planches dans ledit cabaret est un succès éclair puisque l'acteur Anthony Quinn, star d'Hollywood, Zorba le Grec et Quasimodo de Notre-Dame de Paris, achète toutes les photos. Il avait raison, Prévert. C'est autrement plus passionnant et enrichissant de cadrer les gens du peuple dans leur quotidien que d'aller photographier les têtes couronnées pour une couverture de magazine ou la nouvelle Renault pour une pub. Alors quand son ami Prévert, dont l'âme poétique accorde une importance particulière au nom des rues, l'appelle pour lui dire : Tu sais qu'il existe une rue des cinq diamants ? Viens, on va la photographier. Il est fréquent pour les Parisiens de croiser Prévert et Doisneau, dans l'improbable rue du Pont-aux-biches, comment auraient-ils pu louper ça, ou en train de flâner rue du Dessous-des-Berges ou encore au Passage de la Main d'Or. On ne croit donc pas au hasard de cette photo mythique de Prévert à la terrasse de La buvette du pont, sous les platanes, avec des tractions sur la rue en arrière-plan, les deux amis se complétaient à merveille, l'un faisait danser les mots, l'autre donnait une vie rêvée aux images.

Au printemps 1945, il y a du monde au Louvre, aujourd'hui. Les visiteurs ont tous revêtu leur tenue du dimanche pour venir au grand musée. On n'imagine plus ça, aujourd'hui. Ils sont venus voir, entre autres, mais principalement elle, La Joconde, évidemment. Une Joconde placée sur un chevalet, de sorte que le public puisse faire le tour du tableau. On n'imagine plus ça, non plus.Pourquoi je vous raconte ça ? Et bien parce qu'un jeune photographe de 32 ans s'y trouve pour un reportage et qu'il va prendre une photo comme on le fait encore rarement, sinon jamais. En effet, au lieu de prendre l'image de Mona Lisa, ce qui n'aurait pas manqué d'intéresser les lecteurs de publications, il photographie le public, six personnes en plan rapproché, trois hommes, deux femmes et un enfant dont on devine l'émotion dans le regard ébloui, interpellé, fasciné, pris dans son flash. Sans doute faut-il voir dans ce coup de génie, la trace d'un homme qui connaît aussi bien les gens, le public qu'il capte à toute heure dans les rues, que les peintres. Certains des plus grands plus d'entre eux sont d'ailleurs ses voisins, à Montrouge. Et oui, bien avant qu'on y entende résonner la voix du jeune Jean-Jacques Goldman, à Montrouge, cette localité collée à Paris, au-delà du périphérique parisien, abrite l'atelier de photographie de Robert Doisneau, originaire d'une commune voisine. Et de l‘atelier du célébrissime Fernand Léger, il passera à celui de Picasso avec des portraits qui ne manquent pas d'humour, l'incroyable Giacometti au milieu de ses statues longilignes, Niki de Saint Phalle, à table entre deux de ses monumentales nanas ou encore le dessinateur Sempé qui projette sur le mur et lui-même une de ses foules innombrables de petits personnages qui tentent de monter dans le même bus. Ami de Jacques Prévert, Robert Doisneau est un artiste qui aime les artistes. Cela lui permet d'approcher tout le monde, même avant la starification comme la jeune Brigitte Bardot encore mannequin, 16 ans, mais déjà la coqueluche d'un magazine féminin. Resplendissante en tenue de bal, elle contraste avec un Orson Welles gouailleur, un ballon à la main au comptoir d'un bistrot. Le bistrot est un incontournable chez Doisneau, comme pour la majorité des Parisiens de l'époque, la pièce supplémentaire de tous les appartements du quartier, comme il aimait à le dire. Alors, quoi de plus normal de prendre une photo de la jeune et rebelle Isabelle Huppert se faisant servir un canon de rouge au comptoir, sous le regard de tous ces messieurs autour d'elle. Ou la même année 1985, et toujours en noir et blanc, la merveilleuse Sabine Azéma, buvant à la paille à la terrasse de chez Gégène. D'ailleurs, c'est simple, si vous aviez voulu croiser Robert Doisneau, à l'époque, il suffisait de vous pointer en fin de journée au café Chez Fraysse, rue de Seine, à St Germain. C'est là qu'il retrouvait quelques amis écrivains dont Jacques Prévert mais aussi Robert Giraud, frère d'argot de René Falet et Michel Audiard. Et puis des peintres, un patron de presse, un prof des Beaux-Arts, l'école est juste en face. Et tout ça, discute, boit le coup, Doisneau qui n'a jamais fini sa journée sortira plus d'une fois son appareil pour prendre des clichés d'une époque où on savait encore vivre ensemble. On terminera le parcours avec un splendide cliché de la grande Simone de Beauvoir, seule à table, sur la moleskine d'une banquette du Café de Flore, à l'époque où il était encore exclusivement le rendez-vous d'artistes. On veut cette époque authentique, elle nous appelle, dommage qu'on n'y ait pas plus prêté attention à l'époque, et heureusement qu'il y avait des gens comme Doisneau pour l'immortaliser en soulignant le merveilleux qui planait dans l'air.

On a tous en nous quelque chose de Robert Doisneau. De ce baiser de l'hôtel de ville qu'une copine avait en poster dans sa chambre ou un pote dans son kot, une affiche sur un mur, une couverture de farde de cours. Cette image a fait plus que le tour du monde, c'est un vrai tube, celui qui a fait connaître le nom d'un artiste dont la destinée n'est justement pas d'être connu de tous. Tout a commencé au printemps 1950 quand le magazine américain Life demande à Doisneau un reportage photo sur l'amour à la parisienne. Car c'est bien connu, les Américains le savent, que les Français ont une façon de vivre qu'ils n'imaginent pas, qu'on ne tolérerait pas aux Etats-Unis. Les hommes et les femmes n'hésitent pas à s'embrasser dans la rue, mieux, ou pire, personne n'y prête attention. Et donc dans ce numéro de Life qui, croyez-moi, va faire grand bruit et circuler partout suscitant fantasmes et envie de voir Paris, bref qui va créer un véritable mythe, on voit donc en grand sur la page de gauche, un homme et une femme s'embrasser sur un escalier, au milieu de la foule. Ah non, ce n'est pas le fameux baiser de l'hôtel de ville. Lui, il partage la page suivante avec d'autres clichés dont celui des amants qui se bécottent sur un banc public sous le regard d'une vieille dame en noir, bien en évidence. Non, coincé entre deux photos en haut de page, et recadré, ne permettant pas de reconnaître l'hôtel de ville, ce cliché ne ressort pas du lot de toutes ces images réalisées par Doisneau et qui ont fait rêver ou choqué plus d'un Américain. Et puis on oublie tout ça dans les années 60, 70, jusqu'à ce qu'un éditeur, en 1985, demande à Robert Doisneau, les droits pour en faire un poster. Doisneau signe mais quand même, il doute que ça marche. Des milliers et des milliers de cartes postales, affiches et une foule de produits dérivés plus tard, sa fortune faite et tombée du ciel sans prévenir, Doisneau profite de cette notoriété mondiale inattendue et sur le tard, quand un couple lui intente un procès, lui reprochant d'avoir utilisé leur image. Mais devant le tribunal, c'est un Robert Doisneau bien embêté qui vient leur dire qu'ils se trompent, ce n'est pas eux qu'il a photographié 40 ans plus tôtmais deux comédiens du cours Simon auxquels il avait proposé de poser pour 500 francs de l'époque. Françoise, la modèle, vient d'ailleurs confirmer à la barre, tenant dans les mains un tirage original signé par l'artiste. Le procès remporté par Doisneau casse un peu le mythe. Mais il est bien la preuve que l'artiste avait raison de recourir à deux modèles pour illustrer le Paris romantique cher aux Américains. Il n'avait pas le droit d'exploiter l'image de deux personnes à leur insu. Et demander le consentement des gens dans la rue aurait autant brisé la spontanéité. Le fait que vous n'ayez probablement pas entendu parler de cette affaire judiciaire illustre parfaitement la totale réussite de cette image, le mouvement, l'attitude des passants impassibles qui, eux, n'étaient pas dans le coup. Dernière preuve, s'il en faut : en novembre 2015, on a vu s'afficher Place de la République en réponse aux attentats qui venaient de blesser Paris, la photo du baiser de l'hôtel de ville avec cette légende : Même pas mal !

On a tous des scènes de notre enfance bien ancrées dans notre mémoire. Ce n'est pas un hasard si ce sont celles que nous avons pris l'habitude d'évoquer quand il s'agit de raconter des souvenirs de cette époque où le monde nous paraissait beaucoup plus grand. Mais à présent, si je vous demande de chercher dans les coins de votre mémoire d'autres scènes que celles-là, des banales de votre quotidien quand vous étiez mômes, comme disaient les Parisiens. Tenez, vous l'entendez sonner, la cloche de la récréation, vous la reconnaissez. Vous vous voyez en train de courir quand la porte s'ouvre et crier en vous élançant dans la cour de l'école. Et tous ces rires, et puis les jeux avec vos camarades. Vous jouiez à quoi d'ailleurs ?Une chose est sûre : ceux qui ont vécu leur enfance dans les années d'avant et après-guerre, disposent d'images de ces instants incroyables que furent leurs jeux durant l'enfance. Grâce à Robert Doisneau, l'homme du baiser de l'hôtel de ville qui a autant profité de la fabuleuse notoriété acquise par cette photo qu'elle en cache les 450.000 autres. Car ce que Doisneau a photographié le plus, ce sont les enfants qui, à l'époque, jouaient dans les rues et les terrains vagues de la capitale française. Ainsi en 1944, sa photo d'un groupe d'enfants courant et sautant en criant au pied de la Tour Eiffel est aussi passée à la postérité. Comment ne pas être sensible à cette explosion de jeunesse, cette joie de tout découvrir et expérimenter, de former un chouette groupe, aussi. Doisneau dira que pour être bien lisible, une image doit avoir la forme d'une lettre. La Tour Eiffel est ici un “I”, c'est une évidence, quant à la nuée d'enfants à ses pieds, elle ressemble à une vague déferlante de lettres. Et quand on sait que Doisneau a perdu son job chez Renault car il était toujours en retard et trafiquait l'heure de son arrivée sur ses cartes de présence, s'il est devenu un artiste, c'est probablement parce qu'il était resté l'enfant qu'il cherchait en vain dans le regard des adultes photographiés pour ses magazines.Des photos, il a commencé à en prendre dès l'adolescence. Il préfère ça de loin à la profession que tentent de lui imposer ses parents. Apprends d'abord un métier, entend-il quand il leur montre fièrement ses premiers clichés. C'est vrai, ils sont tous d'accord dans la famille : les photos de Robert, c'est de la pellicule gâchée. Ça coûte cher, un film ! Je m'en fous, confie Doisneau, à sa plume et son cahier de brouillon, je continuerai quand même. Un jour peut-être quelqu'un y verra autre chose que de la pellicule Kodak gâchée.

Depuis que je raconte des histoires à la radio, j'ai souvent eu l'occasion de me rendre compte que s'il y a des détenteurs d'anecdotes incroyables du show bizness, ce sont les photographes. Ainsi on connaît tous ou presque le formidable Jean-Marié Périer, témoin de l'époque bénie des yéyés et des débuts du rock britannique. Mais il faut bien le reconnaître, peu d'autres noms sont passés à la postérité alors qu'ils ont approché les plus grands dans leur exercice et bien souvent, ont assisté à ce que personne ne voit : la création d'un disque, les coulisses d'un concert, les voyages promos.Le nom de grands témoins belges comme Guido Marcon, Philippe Carly ou Paul Coerten ne vous dit peut-être rien et pourtant, de Jacques Brel à U2, en passant par Queen, Bob Marley et Claude François, ils les ont tous photographiés et fréquentés de leurs débuts au sommet de leur gloire. Et justement, nous avons cet automne et cet hiver l'occasion d'aller admirer en Belgique, à La Boverie, à Liège, les photos du plus célèbre des témoins de l'ère du noir et blanc : Robert Doisneau.Vous venez sans doute, à l'évocation de son nom, de vous la projeter dans votre tête, sa légendaire photo du baiser de l'hôtel de ville ! Doisneau, c'est rien moins que le photographe le plus célèbre du XX° siècle. Et donc, le plus connu de tous les temps. Pas seulement parce qu'il a laissé 450.000 clichés, à une époque où, bien évidemment, on ne trimballe pas un appareil en permanence dans sa poche. Mais surtout parce que ces instants captés majoritairement dans les rues de Paris, sont de véritables témoignages historiques d'une vie quotidienne aujourd'hui disparue. On dit de Robert Doisneau qu'il voyait le monde tel qu'il est mais en soulignant le merveilleux, et tout ça avec la magie du noir et blanc. Et si au départ, ces photos étaient destinées à illustrer l'actualité dans de nombreux et prestigieux magazines français et américains, elles ont, avec la notoriété croissante de Doisneau, fini par constituer une bibliothèque d'images qui montre la vie des gens des années 30 à 80, qu'ils soient riches, célèbres, pauvres, défavorisés. Car c'est ça aussi Doisneau : à la fois le photographe de Vogue et de Life, correspondant permanent pour l'Amérique de la vie parisienne, mais aussi l'homme qui parcourt inlassablement et tranquillement les rues de sa ville pour capter le bon moment quand il se présente. Était-il conscient, à ses débuts, qu'il était occupé à découper le temps en lamelles fines pour les générations à venir ? Probablement pas, du moins à ses débuts. On a du mal à imaginer de nos jours où nous prenons des milliers de photos digitales dont l'espoir de vie est d'ailleurs bien maigre, un Robert Doisneau transformant la salle de bains familiale en chambre noire, en laboratoire de développement, avec les négatifs et les tirages qui pendent, accrochés à une corde. L'oeuvre de l'artiste qu'il était, c'est la vision d'un monde qui n'était pas meilleur qu'aujourd'hui et pourtant, quand on visite son expo ou qu'on feuillette un de ses livres, on n'y voit que des gens aimables, montrant que oui, un monde meilleur existe. La preuve : Doisneau l'a photographié.

Cela fait cinquante ans que cette chanson a rejoint le firmament, notre panthéon à tous, ou presque. Et spécialement des Belges auxquels Queen a été particulièrement fidèle. C'est vrai, au moins un concert à Forest National, le plus souvent deux, par tournée, c'est-à-dire, chaque année. Même la dernière et gigantesque tournée des stades en 1986, et ben la Belgique fait exception puisque c'est à nouveau Forest National au programme. Pourtant, on a quand même un problème, nous les Belges. C'est que si le groupe nous a gratifié d'un précoce concert au Théâtre 140, en 1974, on ne l'a pas vu chez nous les deux années suivantes, c'est-à-dire en pleine folie Bohemian Rhapsody. Queen a joué partout, au Japon et aux Etats-Unis, surtout, mais pas en Belgique. On comprend la toute grosse folie au printemps 78 et les soirées consécutives à guichets fermés à Forest ; ils viennent de remettre deux belles couches de hits avec We will rock you et We are the champions. Cela fait alors tout juste deux ans que Freddie Mercury est devenu célibataire en quittant sa femme Mary Austin pour vivre sa sexualité librement mais aussi, et probablement surtout, la vie rêvée de star où tout n'est plus que création, interprétation, divertissement, vie. C'est du moins ce à quoi il aspire.D'ailleurs les résultats du single Bohemian Rhapsody et l'album A night at the opera ne se sont pas fait attendre : les ventes des deux se comptent par millions et les salles pour accueillir Queen s'élargissent chaque soir. Point culminant, l'organisateur d'événements et fondateur de la maison de disques Virgin, Richard Branson monte pour eux un concert à Hyde Park, le quartier où vit Freddie. Le lieu devenu mythique où il organisait un festival à l'américaine au début de l'été à la fin des années 60. Ce sera toujours l'été mais un 18 septembre, en mémoire de Jimi Hendrix, mort pas loin de là, et ce jour-là, quelques années plus tôt.Oui, ce 18 septembre 1976, entre 150 et 200.000 fans sont réunis dans l'immense clairière de Hyde Park pour retrouver un Freddie en décolleté vertigineux, et un Brian May avec sa tenue d'Ange blanc. Il y a quelques premières parties qui vont entraîner du retard, Queen va devoir faire l'impasse sur les rappels, la police menaçant de couper l'électricité. Mais l'événement est considérable, il dope les membres du groupe à la testostérone et à la confiance en leur art. Le concert filmé pour être diffusé à la télé, l'année suivante, ne le sera pas mais il constitue un document incroyable à une époque où personne ou presque ne filme les concerts.C'était il y a un demi-siècle, une nouvelle génération appelée new wave frappe déjà à la porte du succès et du grand public, elle va engouffrer la plupart des stars de la première partie des années 70, leur filant un méchant coup de vieux. Mais pas Queen, non, et malgré le dénigrement incessant de la presse rock alors toute puissante, la pompe à succès ne va faire que s'amplifier avec notamment la sortie du fameux Greatest Hits, la compile la plus vendue de tous les temps. En attendant, Roger Taylor a rencontré ce 18 septembre une certaine Dominique Beyrand, l'assistante de Richard Branson qu'il va lui ravir pour en faire sa femme, la mère de ses deux aînés. Quant à Freddie, il mène désormais une vie de bâton de chaise, à la recherche d'un amour improbable.

Il paraît que tout le monde se souvient de ce qu'il faisait quand il a entendu pour la première fois Bohemian Rhapsody. Voilà qui est différent du 11 septembre 2001 ou de la mort de Claude François, JFK ou John Lennon. Il n'y a pas de communion médiatique et instantanée ici, et de plus, elle a lieu sur plusieurs générations, son streaming record aujourd'hui en est la preuve, 3 milliards d'écoutes, rien que sur Spotify.C'est comme si vous aviez vu un paysage, un animal fabuleux, comme vous ne saviez même pas que cela pouvait exister, pas vrai ? Le plus étrange est que, malgré son immense succès, Freddie Mercury s'est toujours refusé à donner une explication à cette œuvre qui apparaît d'emblée aussi belle que complexe. On sent que ça le concerne. Qu'a-t-il voulu raconter ? On dirait au départ, les derniers mots d'un condamné, et puis il y a cette allusion à un opéra qui met en scène des personnages célèbres de son répertoire comme Figaro ou le ballet de Scaramouche mais on sent dans l'adresse la voix du Diable ou du Commandeur qui l'appelle, d'ailleurs il le dit : Belzébuth a mis un démon de côté pour moi.Certains prétendent que ce n'est pas pour rien qu'à ce moment, le manager John Reid fait irruption dans la vie de Queen, le groupe a en effet engagé l'homme d'affaires d'Elton John alors assis au sommet du monde, pour s'occuper de la promo de ce nouveau disque. John Reid qui est aussi l'amant d'Elton John. Et là, pour la première fois, Freddie se retrouve à vraiment cotoyer le milieu gay londonien dont jusque-là, il s'était tenu éloigné. Cela fait cinq ans en effet que Freddie vit avec Mary Austin. Ils se sont connus avant Queen, bien avant même qu'il ne prenne le nom de Mercury. C'était Brian May, au départ, qui était amoureux d'elle. Il l'avait remarquée dans un célèbre magasin de fringues de Kensington où elle était vendeuse et l'avait invitée plusieurs fois à venir le voir jouer avec son groupe, Smile. Mais un ou deux verres au pub n'y avait rien fait, Mary ne semblait pas être intéressée. C'est du moins ce qu'il a dit à son pote Freddie Bulsara, le cocoteur de Roger Taylor, le batteur avec qui Brian joue. Sentant Freddie intéressé, lui aussi, Brian avait tenté de le décourager.Et de fait, Freddie s'était pris un râteau à sa première invitation, Mary avait prétexté devoir aller aux toilettes et ne s'était pas repointée durant la soirée au pub, pensant que Freddie était branché sur la fille avec qui elle était venue au rancard. Freddie était revenu à la charge, durant des semaines, en faisant mine de rien, en clair fou de trac, jusqu'au jour où il était arrivé avec un bouquet de fleurs.Et depuis, Freddie et Mary, c'était le couple classique qui recevait ses amis dans le petit appart de Kensington que Mary tenait impeccablement malgré leurs maigres revenus et que Freddie décorait de trouvailles chez les antiquaires. Et donc, la fréquentation de tous ces hommes libérés place Freddie dans un drame cornélien, lui qui avait jusque-là réussi à cloisonner les deux mondes entre lesquels il était partagé. Freddie ne supporte pas l'abandon et pourtant, il y fonce tout droit avec ce nouvel album et ça s'entend. Reste l'humour, celui qui l'accompagne depuis son enfance, A night at the opera n'en est pas exclu, les Beatles ont montré la voie, comme le prouve ce titre, une suite encore plus légère au Killer Queen de l'album précédent. Il est méconnu sauf de ceux qui ont usé le disque mais il mérite le détour, imaginez les stations balnéaires anglaises de la Belle époque, vous y êtes ?

Au milieu des années 70, des albums qui sortent avec des pochettes extraordinaires, on ne va pas dire que c'est normal, c'est plutôt que c'est obligé. Avec leur trente centimètres de côté, c'est non seulement un appel aux artistes plasticiens à se dépasser pour y réaliser une œuvre digne de ce nom, mais c'est surtout pour ceux qui y mettent des sous, l'obligation d'attirer l'attention pour vendre le disque qui se trouve à l'intérieur. Car les enquêtes ne mentent pas : la pochette peut être responsable jusqu'à 50% du succès d'un album. On est entré chez le disquaire, on l'a vu, on l'a acheté. Alors, cette pochette blanche, avec un blason multicolore qui fait furieusement penser à celui de la couronne britannique, on ne voit que ça. Il faut dire que le nom du groupe, Queen, nous aiguille déjà fortement. C'est d'ailleurs son chanteur, un certain Freddie Mercury, graphiste de formation, qui a dessiné ce qui va devenir le logo du groupe.Si le quatuor londonien est déjà familier auprès de certains fans de rock chez nous, 400 d'entre eux sont allés les voir au Théâtre 140 à Bruxelles l'année précédente, c'est le succès hors norme que rencontre leur nouveau single en Angleterre depuis un mois qui fait bouger les lignes. Ah oui, un truc de dingue. Personne ne voulait de cette chanson comme single. Déjà six minutes sur un 45 Tours, c'est costaud, mais surtout quelle radio diffuserait une chanson aussi longue ? Aucune ! En plus, avec du chant d'opéra dessus, c'est un sketch. Non, c'est un titre d'album. Alors, Freddie Mercury, l'auteur de la chanson mais aussi son arrangeur et co-producteur, se rend chez une connaissance, Kenny Everett, l'animateur très populaire de Capital Radio, à Londres, avec un pressage test.Innocemment, il est venu pour lui demander conseil : Dis, tu te rends compte, ils ne veulent pas en faire un single, qu'est-ce que t'en penses, toi ? Freddie le lui laisse en lui faisant promettre de ne pas passer la chanson dans son émission. Promis, hein ? Je vais avoir des ennuis sinon.Mais bien sûr qu'il va le faire ! Et logiquement, le standard téléphonique de Capital Radio est rapidement saturé : c'est quoi ? ça sort quand ? On veut le réentendre. Il va passer 14 fois le même week-end provoquant une ruée chez les disquaires qui, eux-mêmes, exigent le 45 Tours à la firme de disques. Ils en ont marre de ces mecs qui n'arrêtent de rentrer dans le magasin pour demander ce disque. Le plus fou, c'est que le même cinéma a lieu aux États-Unis via la chaîne de radio RKO, un type diffuse en effet une cassette qu'il a enregistrée alors qu'il était en Angleterre. Rapidement un million de 45 tours se vend de chaque côté de l'Atlantique, on en est à 15 millions de singles aujourd'hui.Alors un mois plus tard, quand vient la sortie de l'album A night at the opera, on est bien en peine de raconter ce qu'on a entendu à la fin du disque, quand l'hymne du God Save the Queen version rock a fini de retentir dans nos baffles. Une chose est sûre, Bohemian Rhapsody n'est pas la seule perle sur ce disque, on va s'intéresser à tout ce que Queen a fait précédemment. Les albums se vendent par camions, les critiques rock détestent, disant que Mercury y gagnerait s'il ne se prenait pas, par moments, pour Tino Rossi. On sait un demi siècle plus tard que l'artiste était dans le bon : le cœur du public, qu'il a su saisir avec un son et une musique atypiques, la maîtrise d'un art qui ne craint pas d'être populaire.

Cela fait désormais un demi-siècle que sortait cette chanson, Bohemian Rhapsody, devenue depuis longtemps votre préférée dans les sondages. Ça ne rajeunit pas ceux qui, comme certains d'entre vous et moi, étaient déjà en âge de tomber sous son charme imparable. Et paradoxalement, c'est ce qui nous garde tous jeunes dans notre tête, quelle que soit notre génération. Alors imaginez toute l'histoire autour de sa naissance. D'une part vous avez les membres du groupe Queen, qui après trois albums à succès ne gagnent que des cacahuètes car ils ont signé le contrat qu'il fallait pas avec un studio, à un moment où personne ne voulait d'eux. Alors ils ont engagé un avocat spécialisé qui casse le contrat, et leur mince tirelire pour les en sortir. D'autre part, vous avez l'énorme succès qui est déjà le leur et qui leur permet de convaincre leur firme de disques de mettre de l'argent sur le tapis pour enregistrer l'album le plus cher de l'époque. Jugez plutôt, Bohemian Rhapsody, c'est plus de 180 pistes d'enregistrement. Ah oui, c'est ça le son si particulier de Queen, ces chœurs qu'ils enregistrent à trois pendant douze heures d'affilée. Et comme il n'y a alors que 24 pistes sur les enregistreurs, ça veut dire qu'on en réunit, par exemple, dix sur une bande qu'on remet ensuite en deux pistes sur une autre. Tant et si bien que les bandes finissent parfois par être transparentes tellement elles sont passées par l'aimant de la tête d'enregistrement, jusqu'à en perdre leur vernis. Alors pour éviter qu'elles ne se rompent, on prend parfois des ciseaux pour découper des bouts de bande et les coller afin de leur éviter un ou plusieurs passages supplémentaires sur la matrice finale.Enregistrant les titres au gré des tournées, les artistes sortent un album tous les ans au plus tard à l'époque, pas le temps de s'arrêter, Queen a fréquenté sept studios différents pour réunir les titres de ce nouvel album intitulé A night at the opera. Beau titre. Une nuit à l'opéra, ça sonne ! C'est ambitieux ! Et c'est tendance en 1975 en plein triomphe du rock progressif, aussi appelé symphonique. Mais la référence n'est pas là, il s'agit du titre d'un des meilleurs films des Marx Brothers que les membres de Queen ont regardé ensemble à la télé pendant les sessions d'enregistrement. Comédie musicale hollywoodienne, bien que atypique au moment de sa sortie, elle est dépassée en 1975, il faut bien le dire. Mais ses gags explosifs, et la maîtrise artistique totale des trois frères, de la danse au piano en passant par la harpe, ont bien diverti les quatre musiciens britanniques dont l'humour fait bien évidemment partie du Way of life. Et donc, on ne s'étonnera pas d'entendre une harpe sur ce disque, en plus du piano de Freddie sur un titre qui va être particulièrement remarqué, combien d'entre nous l'ont expérimenté pendant les séries de slows dans les boums de la génération des années 70. Il faut dire que les filles que ça a mis du rose dans la chambre des filles, en voilà une déclaration d'amour ! dont on apprendra bien plus tard qu'il s'agissait d'une situation vécue pour Freddie, un amour qui entrera dans la légende des belles histoires.

En 1975, on en a écouté des trucs incroyables à la radio et chez le disquaire. C'est vrai, un sur deux parmi nous est allé acheter un album de Pink Floyd, on a entendu tout l'été Le Sud de Nino Ferrer, I'm not in love de 10cc et bien sûr, L'Été indien de Joe Dassin. Et puis, en vrac, on a découvert un chanteur espagnol, improbable … Manuela, un comique français … Le schmilblick, et des Allemands qui jouent sur des machines … Autobahn. Mais voilà qu'à la fin de l'année, alors qu'un soir, on joue aux cartes avec mon frère en écoutant l'unique émission de rock à la radio, on entend ceci … Bohemian Rhapsody.Alors, faut bien dire une chose, des gars qui mélangent la musique classique et le rock, depuis les Beatles, on connaît, c'est même devenu une mode énorme, on appelle ça le rock progressif : de Yes à Pink Floyd, justement, en passant par Genesis et Deep Purple, cette musique fait un carton. Et c'est une spécialité britannique. Mais là, cette façon que ces gars ont d'y amener l'opéra, non sans humour, et que cela donne un résultat aussi aérien que percutant, non, on n'a jamais entendu un truc pareil. Autant dire qu'on n'a pas trop fait attention à notre jeu jusqu'à la fin de cet improbable Bohemian Rhapsody, joué par un groupe dont on n'a pas encore entendu parler au fond de notre province. On apprendra les jours suivants qu'ils n'en sont pas à leur coup d'essai, c'est leur quatrième album, ils sont déjà des stars au Royaume-Uni et se sont même fendus d'un concert, confidentiel, dans une petite salle bruxelloise l'année précédente. Et oui, les informations ne circulaient pas de la même façon à l'époque, ce qui apportait une part de mystère à la musique. D'ailleurs, le parcours de Queen, en cette fin novembre 1975 où ils sortent un album intitulé A night at the opera, Une nuit à l'opéra, d'après le titre d'un film burlesque des Marx Brothers, leur parcours, donc, a été long et pénible.Car un an plus tôt, avec ce qui est déjà un deuxième tube dans son pays d'origine, le groupe Queen débarque au Japon où ses membres découvrent qu'ils sont des énormes stars. La preuve : à la différence des autres artistes, ils ne vont pas simplement jouer à Tokyo mais parcourir le pays, en tournée. Dès l'aéroport, ils sont accueillis par des fans qui hurlent leur nom. Freddie Mercury en a le vertige mais en même temps la confirmation qu'ils ne se sont pas trompés de route : Queen est vraiment le meilleur groupe du moment. D'ailleurs le premier concert à Tokyo est interrompu par une horde de jeunes qui arrivent à monter sur scène. Alors, quand en rentrant chez eux, les quatre musiciens en reviennent à leur précarité : impossible de louer un appart décent dans Londres, s'acheter une voiture, même en se mettant à genoux devant leurs producteurs. Ils décident donc de tout foutre en l'air. Ça va se traduire par un album en guise de mue, le papillon va s'envoler avec une chanson dans laquelle, évidemment, personne ne voit venir, ni leurs producteurs, ni leur firme de disques. Queen est le seul à croire en sa destinée et pourtant, cinquante ans plus tard, leur chanson se trouve toujours sur la première marche du podium des titres que vous préférez.

1988, Kylie Minogue, à peine 20 ans, est une sensation pop avec un album et des singles qui cartonnent mondialement. C'est arrivé par accident, en pleine seconde saison de la série dans laquelle elle tourne. Mais Kylie aspire déjà à plus qu'à la télé ; elle veut prouver son talent d'actrice au cinéma. C'est là qu'un producteur lui propose le rôle d'une ado rebelle des années 50, inspirée d'un roman semi-autobiographique. Kylie devient une blonde platine pour le rôle, qui va inspirer le Suicide Blonde d'INXS, elle se prépare intensément. En lisant le roman, tout d'abord, elle répète des accents des années 50, et s'immerge dans l'époque avec des costumes rétro. Il faut dire que la presse australienne met la pression en prédisant un flop, elle doute qu'une "pop star" aussi jeune qu'elle puisse porter un drame sérieux. Le tournage commence fin 1988 dans le Queensland australien, sous un soleil écrasant. L'ambiance sur le plateau est un mélange d'excitation et de chaos : Kylie, encore inexpérimentée au cinéma, arrive avec une énergie spontanée, mais se sent vulnérable face à une équipe de cent personnes. Ce n'est plus le même genre de tournage que pour les séries. Elle est nerveuse, elle tremble avant chaque prise, notamment celle où elle fuit sa famille en courant dans les rues poussiéreuses, les larmes aux yeux, sous une pluie artificielle pour ajouter du drame. Ou la naissance de son bébé dans une école de redressement. Kylie simule des contractions sous des lumières crues ; elle pleure pour de vrai, épuisée par les prises répétées. Elle fête ses 21 ans sur le plateau, un gâteau et des chants entonnés par toute l'équipe, un moment joyeux au milieu du stress. Il faut dire que les producteurs américains poussent pour plus de romance et moins de "réalisme australien", menant à des réécritures nocturnes et des changements de script. Kylie a les larmes aux yeux, le dernier jour du tournage, elle s'est donnée à fond. Le film sort en décembre 1989 et rencontre un beau succès commercial en Australie, mais beaucoup plus mitigé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Les critiques de cinéma ne croient pas en elle, en tout cas pas pour l'instant écrit le Variety, LE magazine cinéma de référence. Les dés sont-ils jetés ? Une carrière commencée prématurément en tant que comédienne à la télé australienne bifurque vers un succès planétaire dans la chanson. Kylie ne sera pas la comédienne qui chante mais la chanteuse qui fait parfois du cinéma. Les grands films seront rares, c'est vrai, mais il y en aura au moins un. La vie des stars n'est pas aussi réussie que ne laisse penser les résultats au box office, l'histoire est connue. Il n'en reste pas moins un parcours hors du commun, une longévité à laquelle seule une poignée de chanteuses a pu prétendre. C'est plus qu'une réussite artistique, ça tient à la personnalité et au travail, comme Kylie en avait usé lors du tournage de ce film aujourd'hui oublié.

Tous ceux qui se souviennent de l'époque vous le diront, à la fin des années 80, Kylie Minogue était l'incarnation de la fille d'à côté, The girl next door, comme disent les anglo-saxons. En admettant, évidemment, que votre voisine soit une Barbie. L'image renvoyée par les pochettes de disques et les clips vidéos est en effet aussi aseptisée que les partenaires féminines d'Elvis Presley dans ses films des années 60. Sa relation avec Jason Donovan, partenaire de la série qui l'a rendue célèbre et également membre de l'écurie Stock Aitken Waterman n'arrange rien. Alors, y a-t-il un lien entre sa rupture avec lui et le fait que Kylie veuille s'émanciper de ses producteurs ? Ou est-ce parce que le hasard lui a fait croiser la route, sinueuse s'il en est, de Michael Hutchence, le très charismatique chanteur du groupe INXS ? Un groupe australien. Au succès le plus spectaculaire qu'on ait vu depuis AC/DC. Mais bien plus sulfureux ! Michael est totalement sex and drugs and rock'n'roll, que va faire la jeune et jolie Kylie Minogue avec ce suppôt de Satan? Vous les entendez les voix ?Au départ, ce sont des rumeurs, des “il paraît”. On les a vus ensemble, à Hong Kong, Paris, Amsterdam. Il y aurait eu des voyages en jet privé, à l'abri des objectifs et regards indiscrets. Il n'en faut pas plus pour que la presse people se branche sur le sujet tant le rapprochement torride de l'eau et du feu est une formule qui fait toujours vendre du papier. Oui, la Suicide blonde, c'est Kylie. Michael l'a écrite en pensant à elle qui, à présent, ne se reconnaît plus et souhaite quitter ses producteurs, changer de musique. Changer d'image, elle s'en charge. Kylie choisit les tenues sexy qui font d'elles une femme fatale dans ce clip qui date des heures folles passées avec un amant qu'elle finit par ne plus cacher au public. On parle de soirées débridées à absorber tout ce qui passe, de virées au bout de la nuit, d'excès, et on compare leur course éperdue à celle de Jim Morrison et sa maîtresse Pamela Courson, à la fin des années 60. Une histoire qui finit mal.Oui, avouera-t-elle, Michael m'a ouvert de nouveaux horizons. J'avais envie de tout tester et il était le partenaire idéal.En tout cas, la fin de leur histoire est à l'image de celle trimballée par le personnage puisque Hutchence rompt avec elle par téléphone, en transit entre deux avions, enfin c'est ce qu'on raconte. En tout cas, c'est aussi brutalement qu'il lui avoue avoir rencontré une autre femme, un mannequin danois, et c'est d'une violence rare. Ces deux années auront été comme une chevauchée sauvage dont je suis sortie plus forte, dira-t-elle, Michael a éveillé en moi un appétit insoupçonné. Mais n'empêche, elle est sous le choc, dévastée. Ainsi va la vie.

Les innombrables succès que Kylie Minogue a alignés grâce à ses producteurs, auteurs compositeurs britanniques Stock Aitken et Waterman ont été à double tranchant. Car autant la formule sur laquelle ces gars travaillaient faisaient mouche, non seulement avec elle, mais avec un tas d'autres artistes comme son petit ami Jason Donovan ou Donna Summer, autant ils lui ont valu d'être cataloguée dans le registre bubble gum. En d'autres mots, des hits jetables. Ça a un goût sucré, c'est sympa mais artificiel.La première rencontre entre l'interprète et le trio est d'ailleurs totalement révélatrice de la manière dont ces gars travaillaient. Un vrai sketch. Suite au succès de son single en Australie, produit par un assistant du trio, Kylie Minogue profite de quelques jours off du tournage de la série australienne dont elle est devenue l'actrice star pour faire un saut à leur bureau de l'autre côté de la Terre. Elle dispose de peu de temps. Mais quand on leur dit qu'ils ont rendez-vous avec la jeune fille qui est dans la salle d'attente, aucun des trois ne sait. Qui a oublié ce rendez-vous ? Qui est-ce ? Une star de la télé. D'où vient-elle ? D'Australie. Quoi ? On va la recevoir. Et de fait, elle est belle. La voix, rien de spécial. Mais son tube et sa notoriété là-bas, c'est énorme. On va vous trouver quelque chose à chanter. Rentrez à l'hôtel. Kylie ne le croit pas : faire 17.000 kilomètres pour découvrir des mecs qui l'ont oubliée. Et elle ignore que les trois gus vont plier la chanson en 40 minutes, certains disent même 20. Leur formule est, faut-il le répéter, rodée avec les nombreux interprètes de l'écurie. Mais ils attendent le dernier moment où Kylie se trouve à Londres pour lui faire interpréter le texte en studio, ligne après ligne, sans qu'elle puisse entendre le résultat en entier, avant de remonter dans l'avion. Elle est furieuse.Le tube gigantesque qui s'ensuit et les autres qui vont enchaîner durant quatre albums vont assimiler Kylie à ses producteurs dont la cote chute au début des années 90. Et elle souffre de l'étiquette que le public mais aussi le métier a collé sur elle. D'autant plus qu'elle partage alors la vie d'une star du rock, Michael Hutchence, chanteur d'INXS, un gras bien destroy, on est très loin de l'univers bubble gum. Mais il faut du temps et de la patience pour qu'une chenille se transforme en papillon. Ainsi de sa rencontre avec l'artiste post punk Nick Cave dont le groupe The Birthday Party avait agité le monde alternatif australien au début des années 80. Les paroles de sa chanson apparemment légère Better the devil you know l'ont interpellé. Ce n'est pas une sucrerie adolescente, loin de là. Alors, pourquoi ne ferait-elle pas la partenaire idéale d'un duo où chantent l'amant et sa maîtresse qu'il a assassinée. On est très loin de son public, avec une telle démarche artistique, rare et culottée, vous en conviendrez. La chanson est devenue un hit d'autant plus inattendu qu'elle est restée dans les mémoires et les playlists de la génération Nirvana. Kylie Minogue réussit le pari impossible de gommer son image d'éternelle ado, de femme enfant dans laquelle la musique de ses producteurs l'avaient enfermée. Ceux qui l'entendent réciter en public cette année-là, I should be so lucky comme un poème, une autre suggestion de Nick Cave, vous le confirmeront.

Ils ne sont pas nombreux mais quand on voit comment des carrières ont basculé pour certains artistes, du cinéma à la chanson ou vice versa, on se dit que les gens ont bien tort de coller des étiquettes aux uns et aux autres, et de leur fermer des portes. C'est vrai, ils sont comédiens, alors pourquoi veulent-ils chanter ? Prenons l'exemple de la jeune Kylie Minogue, à peine 17 ans, dont c'est le premier rôle important dans une série télé. Ça s'appelle les enfants Henderson, avec parmi la bande de copains, le beau Ben Mendelsohn, qui, lui, va faire aussi connaître une longue carrière. Et alors que Kylie vit ce tournage comme le début d'une grande histoire, ça ne se passe pas bien. Oui, elle oublie souvent son texte, trop souvent. Et il arrive plus d'une fois que le réalisateur ou le producteur se fâche, hurle sur elle. Kylie se retrouve en pleurs, désespérée, elle qui s'est battue avec sa mère pour abandonner ses études pour la comédie. Et ce qui doit arriver arrive : Kylie n'est pas retenue pour la seconde saison de la série. Le drame.La chanson, alors ? Elle envoie une démo au producteur de l'émission Young Talent Time ; elle a pris assez de cours de musique, de chant et de danse. Et puis sa sœur Dannii fait déjà partie de la troupe, elle y chante régulièrement. C'est ainsi que Kylie fait sa première apparition en tant que chanteuse à la télévision australienne en 1985 … mais n'est finalement pas reprise dans la troupe, ça reste sans suite. Heureusement, les castings se succèdent, elle réussit l'audition pour une série qui doit redémarrer la saison suivante. En effet, Neighbours, Les voisins, qui racontent la vie quotidienne des habitants d'une rue imaginaire de Melbourne, n'ont pas connu un grand succès en 1985. La chaîne a jeté l'éponge mais une autre y croit, la reprend et envisage d'étoffer le casting avec de jeunes prometteurs comme Guy Pearce et Kylie Minogue. Elle doit y incarner une étudiante qui quitte l'école pour devenir mécano dans un garage. Et, le croirez-vous, non seulement ce rôle lui convient à merveille, mais sa proximité avec un autre comédien de la distribution, le jeune Jason Donovan, braque les projecteurs de la presse sur elle, y compris en Grande-Bretagne où la série est diffusée. L'épisode de leur mariage, de fiction, réunit 20 millions de téléspectateurs en 1987, les producteurs sont enchantés, la promo tourne toute seule grâce à ces deux jeunes premiers amoureux à l'écran comme à la ville. Et quand on dit que le showbiz est imprévisible, la semaine suivant ce fameux épisode sort le single d'un cover que Kylie a interprété lors d'un événement qui réunissait tout le casting de la série. Une firme de disques s'est dit que ce serait du tout cuit vu la notoriété de la jeune comédienne, et elle met dans le mille, c'est le plus gros succès jamais enregistré en Australie pour un single. Le succès de ce disque en entraîne un autre, Kylie Minogue ne prolongera pas sa participation à la série Neighbours qui ne s'est arrêtée, le saviez-vous, qu'en 2022, c'est fou. Quant à Kylie, elle a continué à chanter cette chanson par laquelle tout est arrivé, lors de toutes ses tournées.

On ne présente pas Kylie Minogue. Ça fait longtemps qu'on ne la présente plus. Depuis ses premiers succès dans les années 80 avec sa pop dansante sucrée, puis son tonitruant retour dans les années 2000 en reine du dance floor, sans oublier ses collaborations avec des artistes rock indépendants et, bien sûr, rubrique people oblige, sa vie privée partagée avec quelques stars de la musique et du cinéma. En tout cas, une étonnante longévité, près de 40 années, longévité rimant avec popularité, totalement en porte-à-faux avec les carrières éphémères des interprètes de ce genre de musique populaire. Comment la mini princesse de la pop, surnommée ainsi en raison de son mètre 53, a-t-elle pu accomplir un tel miracle ? Est-ce lié à ce qui la fait courir depuis le début de son adolescence ? Je vous raconte.Milieu des années 80, nous sommes Down Under, en bas en dessous, comme disent les Australiens. Et s'ils y pensent, car ça ne se voit pas qu'on a la tête en bas quand on y vit, c'est parce que la majorité de ses habitants vient de l'autre côté, des îles britanniques. C'est le cas de Carol Ann Jones, une Galloise qui est arrivée en 1958 avec ses parents, sur le fameux Fairsea, un bateau de guerre américain de la seconde guerre mondiale reconverti en cargo pour migrants. Elle avait ainsi effectué le trajet avec la famille Gibb dont les enfants sont devenus plus tard, les Bee Gees. Alors l'histoire de ce groupe de gamins vedettes de la télé australienne dans les années 60, elle l'a suivie. Et elle sait à quel point ils ont eu du mal dans leur carrière avant de, par chance, tomber sur un producteur anglais qui fasse d'eux des stars. Et même après, ça n'a pas été tout seul. Donc, non, Carol refuse que sa fille quitte l'école pour se donner à fond dans la comédie.Certes, elle a mis ses deux filles Dannii et Kylie aux cours de piano et de violon, comme beaucoup de Britanniques, et elle a dit oui quand sa sœur Suzette a proposé d'emmener Dannii à un casting pour un petit rôle de gosse dans une série télé locale. Quelle n'avait pas été la surprise au retour quand elle lui avait annoncé que c'était finalement Kylie, qui les avait accompagnées, qui avait été prise. Le monde du showbiz est vraiment étonnant. Ainsi après ce rôle dans les Sullivans, Kylie Minogue, dix ans, avait enchaîné l'année suivante, avec un épisode dans une autre série qui n'est pas passée à la postérité. C'est pas grand chose dans la vie d'une écolière mais suffisant pour donner envie d'autre chose à une adolescente qui ne vit pas très bien ses années de lycée. Kylie se lie peu avec ses camarades de classe et se trouve être une élève très moyenne, c'est-à-dire pas passionnée du tout. Alors, en cette année 1984, quand elle réussit le casting pour un rôle important dans un autre soap familial, Kylie veut mettre ses études de côté pour se concentrer uniquement sur ses rôles. Mais c'est hors de question, répond sa mère, tu n'imagines pas la chance qu'il faut pour réussir dans ce métier. Il faudrait que tu sois la reine des veinardes pour t'en sortir.

Si Sean Connery a voulu, assez vite, prendre ses distances avec le personnage de James Bond, c'est parce que les producteurs de cinéma ne voulaient pas lui donner de rôles importants dans de grosses productions car ils disaient que les gens ne verraient en lui que l'agent 007. Pourtant quand vous le voyez en vrai, à l'époque, avec ses moustaches et son cheveu rare, il faut beaucoup d'imagination. Ce n'est plus la même personne. Disons plutôt qu'ayant été le premier à l'incarner au cinéma, c'est son nom sur une affiche qui est devenu synonyme de James Bond.Alors, quand Daniel Craig est pressenti par Barbara Broccoli, la fille du producteur emblématique de la série qui compte déjà vingt films, la question ne se pose plus. Il est déjà le numéro 6, sans compter les anecdotiques. Il va d'ailleurs refuser la fameuse moumoute qu'avait acceptée Sean Connery pour ressembler au héros des romans de Ian Fleming. Au grand dam de certains fans de la série qui ne supportent pas ses cheveux blonds et vont monter un site pour appeler au boycott du film. Charmant ! Mais pour le reste Craig va offrir un réalisme aux situations vécues qu'aucun acteur n'avait pu jusque-là apporter en jouant lui-même une bonne partie des scènes d'action. Vous la voyez la poursuite et le combat sur une grue de travaux de plus de quarante mètres de haut ? Ça fout les foies rien que de l'imaginer, hein ? Et on se dit, c'est un truc de cascadeur professionnel. Et bien malgré sa peur du vide, Daniel Craig va y aller, là-haut, et permettre ainsi des gros plans réels dont aucun réalisateur de film d'action ne pourrait rêver. Dans une bagarre, il va même perdre une dent. Mais pas question de quitter le tournage, le dentiste se déplace pour réparer les dégâts et on reprend. Voilà qui explique le réalisme de l'engagement dans toutes ces terribles scènes qui nous ont scotchés. On les sent, les coups, et pour cause.Et bien sûr, comment ne pas évoquer la terrible scène de torture avec Mads Mikkelsen. Il y va tellement fort que la plaque protectrice sous le siège sur lequel Craig est attaché, va rompre sous le choc. Il ne sera heureusement pas blessé, imaginez le truc, mais la scène est tellement violente et réaliste que la production et le réalisateur vont un moment songer la couper au montage. Non vraiment, Daniel Craig fait tout ce qu'on lui demande et même au-delà pour être au plus près de la réalité de ce que le film raconte. Et c'est sans doute cela que vous avez ressenti dans votre fauteuil, et qui fait qu'aucun James Bond ne vous avait jamais autant touché. Et je ne parle pas de la scène où l'acteur hyper basé sort de l'eau en arrivant sur la plage aux Bahamas, vêtu d'un maillot de bain. Elle était moins physique, quoique, mais elle est restée gravée dans beaucoup de mémoires. Et à force d'y aller, jour après jour, comme un coureur de marathon, Daniel Craig finit par créer sa propre chance, au point de faire avaler les insultes blessantes de ceux qui n'y croyaient pas au vu de sa filmographie et de la couleur de ses cheveux. Un véritable coup de tonnerre qui ressuscite un James Bond ramené à ses débuts, et au-delà. Au point qu'on se demande aujourd'hui, qui pour faire mieux ?