Mission encre noire

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 Mission encre noire parle de littérature tous les mardis soir en direct à 19h00 sur Choq.ca et vous donne l'envie de lire

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    • Jun 28, 2023 LATEST EPISODE
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    Émission du 27 juin 2023

    Play Episode Listen Later Jun 28, 2023


    Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l'autrice. De l'élaboration de ce projet à l'été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d'agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l'urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu'il s'agisse d'amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O'Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l'ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait: « Je m'appelle Roxane et j'ai 27 ans. 27 ans, c'est l'espérance de vie que la communauté trans s'attribue à cause d'une fausse statistique virale sur internet. J'ai, par le passé, cherché à en trouver l'origine, rencontrant différentes variations à chaque strate de mon excavation. Life expectancy of trans people is 27 years old. Life expectancy of trans women of color is 27 years old. Life expectancy of trans women who do sex work is 27 years old. Il se trouve que ce nombre vient d'un rapport de colloque citant l'approxima, soit l'estimation pessimiste d'une organisation d'Amérique latine à propos de l'âge moyen des femmes trans assassinées du secteur, souvent des travailleuses du sexe. Ce chiffre avait été généralisé à toutes les femmes trans des Américain.es qui y voyaient une occasion de mobilisation clé en main. Évidemment, une déconnexion avait été faite à partir de ce moment-là entre la réalité théorisée et celle, vécue, dans nos corps et devant nos yeux, coupant court à toute réponse organisée. Ce chiffre gonflé ne témoignait en rien des meurtres des femmes trans, d'où ils venaient et de ce qu'on ferait des prochains. Je m'appelle Roxanne et j'ai un âge de mort fantôme.» La Sainte Paix par André Marois paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Jacqueline a 74 ans, elle a mal partout c'est bien normal à son âge. Tandis que Tylenol et Advil se disputent le rôle du meilleur ami, elle observe une fois encore sa voisine, Mad Madeleine, aux jumelles. Les deux femmes se contentent de salutations polies depuis le décès de leurs maris. Rien de bien particulier les a maintenu éloignées cela dit. Chacune profite de son petit coin de paradis de part et d'autres de la Mastigouche. À ceci près que, le jour où Madeleine franchit le Rubicon qui sépare les deux propriétés, pour annoncer son intention de vendre sa maison, la donne change de main. Il s'agit d'une véritable déclaration de guerre. Qui va-donc déranger le climat si paisible de l'endroit? Une famille de citadin, avec parasol, barbecue, haut parleurs, badminton, spa, motocross et je ne sais quoi encore, pourrait débarquer subitement comme un chien dans un jeu de quille. Il n'en est pas question. Jamais. C'est juré craché estime Jacqueline. Quitte à passer sur le corps des autres. À la manière d'un Polar de type constricteur, La sainte paix bâtit avec élégance une intrigue qui peu à peu s'enroule autour du cou de son/sa lecteur/lectrice pour ne jamais le lâcher. Un brin pervers, après tout, qui peut bien penser que le meurtre fasse parti des activités de villégiature de nos aînées, quelques éclats de rire, des titres de chapitres hilarants, voici une bonne occasion de faire diversion avec vos activités quotidiennes harassantes. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, André Marois. Extrait: « Jacqueline descend dans la cave et farfouille sur l'établi où sont en tassés les affaires de son défunt mari. Ghislain était maniaque des outils. Il adorait les essayer, les comparer, les choisir. Il passait des heures à la quincaillerie à discuter avec les préposés et n'achetait que les meilleurs instruments pour découper, serrer ou assembler...La plupart de ceux qui sont là n'ont pas servi plus qu'une fois. Mais il répétait qu'il faut être bien outillé pour bien travailler. Un bon ouvrier...La veuve tripote un marteau, des clés à tube, un lot de rabots qui n'ont pas été déballés...C'est un foutoir que Ghislain aurait détesté. Pour lui, chaque chose avait sa place, et il était capable de trouver en quelques secondes, les yeux fermés, la vis à bois dont il avait besoin pour réparer le barreau de la rampe de l'escalier. Depuis son décès, la section bricolage de la maison a pris des airs de capharnaüm. Un printemps, Ghislain s'est noyé dans un lac. Il était parti seul, en raquettes, pour une courte expédition. Le soleil brillait et la température flirtait avec le point de congélation, mais il connaissait les risques. Il était venu là avec Jacqueline à plusieurs reprises, alors que s'était-il passé ? Avait-il malgré tout tenté de traverser le lac dans sa longueur au lieu de le contourner en suivant la rive ? Tout ce qu'on sait, c'est que son corps flottait dans l'eau froide et qu'il lui manquait une raquette, qu'on n'a jamais retrouvée. Cette fois-là, sa femme, grippée, ne l'avait pas accompagné.»

    Émission du 6 juin 2023

    Play Episode Listen Later Jun 7, 2023


    Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D'août. À la suite d'une rupture amoureuse encore fraîche et de l'aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l'entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s'impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n'étaient que la partie émergée d'une problématique plus vaste. Pour l'autrice l'idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l'industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l'essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol. Extrait: « Je choisis une vidéo. Cette fois, Anna a cédé la place à Anna Victoria, une grande poupée blonde à la voix aiguë, mais calme, assurée. Brittany est là aussi, elle se démène à l'arrière et je m'impatiente ; je ne l'ai jamais aimée. Le décor du studio d'enregistrement a changé : le mur du fond est parfaitement blanc et lisse, à l'exception de moulures élégantes qui le découpent. Les autres éléments du décor sont dépareillés : des fleurs sur les Leggings, des motifs psychédéliques sur les tapis. Je me fraie un chemin parmi mes objets, éparpillés dans la chambre. Mon tapis sert de radeau parmi les boites, pourtant je ne possède pas grand-chose : des livres, des plantes et un peu de vaisselle. « Engagez vos fessiers», dit Anna Victoria pour me rappeler à l'ordre. « Imaginez que vous tenez un sou entre vos fesses et que votre vie en dépend, OK ? C'est à ce point-là que vous devez les serrer.» Je pense fort à ce sou imaginaire, ce que je possède de plus précieux.»

    Émission du 23 mai 2023

    Play Episode Listen Later May 24, 2023


    Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l'ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd'hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l'auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d'un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l'annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l'âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n'a fait que mentir. À l'époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l'auteur nous entraîne dans un étrange roman d'aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s'interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier. Extrait: « D'un côté, il y avait Helen Klaben, cette jeune femme de Brooklyn qui rêvait aux grands espaces. De l'autre, il y avait Ambrose Bierce au seuil de la mort, croupissant dans un lieu exigu aux murs humides et suintants. Entre les deux, Alexandra oscillait constamment. Klaben avait de l'ambition, elle voyait grand, elle sentait au plus profond de son être qu'elle avait quelque chose à apporter au monde. L'expérience de l'écrasement, de la survie en forêt, si extrême qu'elle eût été, n'était qu'un tremplin vers une plus grande conscience du monde et de la place qu'elle y occupait. Bierce aussi avait eu de l'ambition, bien sûr, il avait lui aussi voulu vivre de grandes choses: il avait été soldat durant la guerre civile, il en était ressorti écrivain ; il avait été chroniqueur et humoriste pour des feuilles de chou, il en était ressorti aigri. À soixante et onze ans, la moustache blanche et les cheveux clairsemés, il était parti à cheval vers une autre guerre civile, et il en était ressorti avec quoi ? Avec une tête coupée et des ennemis mangeurs d'hommes. Ce qui les rapprochait, ces deux-là, c'était leur rapport ambigu avec la prédestination. Cette impression souveraine, implacable, honteuse, parfois, qu'ils avaient été destinés à de grandes choses. Helen avait, en quelque sorte, rêvé à son accident et à sa survie. Ambrose avait en quelque sorte, fantasmé sa disparition et sa persécution.» Trop de Pascale par Pascale Bérubé paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. Qui es-tu Pascale? Ou plutôt qui aimerais-tu être? Qu'est-ce qui te définit vraiment? Serais-ce le reflet d'une mère aimée, celui d'un vêtement, d'une image, un code numérique, une star de ciné? Quelle identité saisir lorsque l'on passe autant de temps devant des écrans? Qu'est-ce que cela creuse en nous qui nous sépare de l'enfance? Qui est, alors, ce visage reconnue dans la glace du miroir? Que faire de tout ce vide qui nous entoure soudain au détour d'une image numérique froide et figée dans son code? Surtout si l'on refuse de se conformer à tous ces visages calculés à la mesure des désirs ordinaires? Comment exister lorsque l'on préfère à une image lisse et entendue de la féminité, l'envie d'être une chienne savante ou non? Pascale, qui est-elle? Que sais-je? Qui suis-je? Pascale Bérubé signe ici un premier recueil magnétique qui explore les thématiques du corps, de l'image, de la beauté, de la féminité et de l'identité. Qui es-tu quand ton corps fait du cinéma, pour en savoir plus, j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Pascale Bérubé. Extrait: « je serai blonde et rien d'autre, pour que les gens disent de moi: oh, pascale, la blonde. non pas pour ressembler à une autre blonde mais plutôt pour appartenir à la couleur, à l'idée de cette couleur pour la laisser me submerger, me décorer. foliage javellisé blonde platine. bleach blonde, dirty blonde, silver blonde, golden blonde, scandi blonde, blonde. j'écrirai que la vieille pascale est morte, ces formules toutes faites que les femmes utilisent pour signaler un changement radical, une réinvention complète de leur personne et de leur image, prononcer la phrase devant un miroir et la sentir rouler doucement sur la langue, un bonbon dur mentholé et piquant, satisfaisant, transformateur. je me teins en blonde parce qu'aucune autre couleur ne souligne ce désir furieux de blanchissement total du passé et d'appartenance à un féminin éternel. le peroxyde s'infiltre et cule en moi, et en nous, toutes les autres, les fausses blondes, les blondes trafiquées, sucre acide chimique qui diluera toute trace du passé. je me laisse couler dans la grande piscine des blondes, les membres de mon corps se teintent peu à peu de blanc, de beige, de nude. mon ombre se colore des reflets de toutes les blondes passées, je m'immisce dans la minuscule faille claire de leur splendeur. on devient blonde à partir du moment où quelqu'un affirme que nous sommes blonde, quand la blondeur prend forme autour de soi et que chaque geste est deviné à travers ce rideau pâle et peroxydé, quand notre reflet dans la glace est continuellement entouré d'un halo scintillant. i'm endlessly creating myself est une phrase aperçue sur internet, figée dans un petit carré blanc. une phrase écrite dans un lettrage noir simple. je n'en sors pas.»    

    Émission du 16 mai 2023

    Play Episode Listen Later May 17, 2023


    Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l'horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l'envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l'aiguille. L'écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l'ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s'agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l'autrice appartient à la généalogie des femmes qui n'ont jamais renoncé. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré. Extrait: « Encore une fois tu célèbres la caresse pour amadouer le silence, le rendre moins sombre, le désarmer, Caresse, car tu crois en l'offrande des mains, printemps sur la peau, brise bleue, quelque chose comme une odeur de ciel douillet qui se lève, et le sol à vol d'oiseau, si fragile que tu voudrais le couvrir de forêts. Et tes doigts se moulent à la communauté des arbres, tel le poète tu écris, toi aussi tu écris arbre pour l'arbre, feuillu ou conifère qu'importe, tu ne crains pas les aiguilles. Avec les ans, tu as appris à te fabriquer une écorce, même mince, même trouée, et tu sens qu'elle te protégera, tu peux maintenant prendre le risque de la tendresse.» Le silence des braises par Alec Serra-Wagneur paru en 2023 aux éditions de la maison en feu. Au jeu de se perdre qui est le plus fort? À l'image du personnage de la première des huit nouvelles qui ouvre ce recueil, on a beau repasser une fois toute la liste des matériels de randonnées dans sa tête, ce qui compte en réalité c'est l'imprévu. Au final, c'est ce qui rend l'expérience unique, comme signer son nom sur une page vierge, pour dire cette histoire m'appartient. Or, la nature, ici, la forêt en particulier n'en a cure, elle peut être cruelle, et ces récits ne la concerne pas. Ces courtes histoires affectent le quotidien de femmes et d'hommes ordinaires. Au cœur de la forêt brûlée, le feu qui couve encore sous les braises, annonce un renouveau à venir, voir un prochain incendie dévastateur. Malgré elles/eux, il en va de même pour les divers protagonistes qui habitent ce premier de cordée littéraire. De la baie James, à la Haute-Mauricie, du Warren Island State Park, à celui du Prudhomme Lake, en Colombie-britannique, chaque personnage qui sera confronté à l'immensité de territoires sauvages devra tôt ou tard y sacrifier une part intime de lui-même. Si certain.e.s se découvriront un instinct de survie, d'autres renonceront. La plupart y auront peut-être trouvé une nouvelle compagne, comme une solitude éclairée. Je vous propose de vous engouffrer dans le creux du bois ce soir, à Mission encre noire, en compagnie d'Alec Serra-Wagneur. Extrait: « On mange le curry au tofu réhydraté en silence, nos visages éclairés par la flamme d'une chandelle. De l'autre côté de la pièce, le poêle ronronne toujours. La chaleur est encore plus agréable sans toute la boucane qui vient picoter les yeux. En haut de la tour de feu, Julia m'avait raconté qu'elle en était à sa troisième semaine de marche, en route vers le terminus sud de la trail. Maintenant que je la regarde avec plus d'attention, je remarque à quel point elle paraît jeune. Je la questionne un peu sur son périple, afin d'arriver à lui demander son âge sans que ça semble trop bizarre. Elle n'a que dix-neuf ans. je me rappelle comment j'étais avant de commencer l'université. J'avais passé l'été à travailler au dépanneur près de chez mes parents.Ma plus grande crainte à ce moment-là était d'avoir à prendre le transport en commun tous les jours une fois la session commencée. J'ignorais l'existence de ces trails qui parcourent de vastes territoires sauvages sur des centaines et des centaines de kilomètres, et que des fous tentent de traverser d'un bout à l'autre. J'avais la tête aux plantes. Et aux champignons.»

    Émission du 2 mai 2023

    Play Episode Listen Later May 3, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d'ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu'était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l'usine Weston. Elle, c'est Val, sa future collègue que l'adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d'être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d'un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu'à travers le miroir aveugle de l'écran noir d'un cellulaire. Mathieu n'a rien de différent des autres, si ce n'est l'élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l'aventure épisodique, très attachante, d'un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J'accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay. Extrait:« Pas de doute, j'étais un poète. Je sais pas pourquoi je l'oubliais des fois d'ailleurs. Une chance que Dom était là pour me le rappeler souvent. Lui, il en était un, sûr et certain. Ou non, peut-être que Dom était plus un philosophe? Un peu des deux je pense. C'est normal, il est plus vieux que moi. Mais moi, poète, ça me suffisait depuis que j'avais découvert que je l'étais. C'est sûr que j'avais pas écrit grand-chose cet été, mais ça amoindrissait pas ma vraie nature. Tout est là, dans ma tête. Ça va sortir en temps et lieu. Une tête bien faîte, comme disait le Français de Dom, c'est là-dessus que je travaillais cet été. Il fallait que je montre à Val que j'étais détaché des choses d'ici-bas. Qu'il y avait une douve entre le monde et moi. Elle verrait combien je suis sensible et profond. J'ai botché ma clope et je suis rentré. À l'intérieur, Val me regardait les bras croisés. Comme je me sentais rougir en marchant, j'ai compensé en la regardant droit dans les yeux. Elle a souri. Moi aussi. Je suis passé derrière le comptoir et j'ai croisé un bras comme elle. Une minute a passé. Il y avait personne dans le magasin, personne aux pompes. Ça me prenait toute mon énergie pour m'empêcher de rompre le silence. Les choses d'ici-bas ne me font rien. Une douve. Une tranchée. Ne pas parler. Mais ça a payé. C'est elle qui l'a fait d'abord. Fak ? J'ai ri un peu. Je me suis gratté la joue et je me suis tourné vers elle.» Domaine Lilium par Michael Blum paru en 2023 aux éditions Héliotrope dans la collection Noir. Dan Katz Débarque à l'aéroport CDG pour faire des recherches pour écrire un livre d'architecture autour de l'histoire concentrationnaire. Il s'intéresse plus particulièrement à la cité de la Muette en banlieue parisienne. Un lieu qui a tour à tour joué le rôle d'habitat social moderne, d'internement sous l'occupation nazie, caserne de gendarmes puis de HLM. Ses passeports israélien et canadiens, lui permettent de voyager sans trop de problème pour compléter ses enquêtes. À travers les archives, il découvre la responsabilité du lieutenant de gendarmerie Henri Cannac dans la torture et la déportation de ses grands-parents. Joseph et sa femme Colette sont parmi les mille déportés du convoi numéro 57 du 18 juillet 1943. Si Henri est décédé depuis longtemps, son petit-fils, lui, sévit encore, à la tête du Parti de la France. La tentation est grande de lui faire payer les exactions de la famille, même si, à lui-seul, le petit gendarme ne peut être tenu responsable de l'holocauste. Pourtant la méticulosité et l'acharnement de Katz vont lui révéler les curieux projets du politicien. Notamment celui qui implique des intérêts fonciers au Québec. Katz prend tous les risques pour déjouer ses plans, y compris celui d'y laisser sa peau. À force de naviguer dans les eaux sombres de la masse mouvante de l'histoire, Katz nous dévoile les traits d'un visage reconnaissable entre tous, toujours autant d'actualité, celui de la haine de l'autre. Je vous propose de vous laisser chavirer par ce percutant roman noir, j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Michael Blum. Extrait:« Des décisions devaient être prises même s'il ne parvenait pas encore à les formuler. L'envie de sortir pour décanter ses idées s'imposa à lui. Il remonta la rue Auguste-Blanqui, puis prit Henri-Barbusse à droite et Gaston-Landry, qui devenait Sacco et Vanzetti un bloc plus loin. La banlieue rouge et ses odonymes à la gloire d'une gauche encore debout lui plaisaient. En continuant tout droit sur Maxime-Gorki, il remarqua, après quinze minutes de marche, que ses pensées commençaient à se mettre en mouvement. À l'évidence, il ne trouverait rien en googlant Henri Cannac, à moins que sa vie ait été documentée post mortem. Katz voulait connaître les grandes lignes de son CV après la guerre, particulièrement savoir s'il s'était engagé en Indochine ou en Algérie pour continuer à abuser de l'immunité conférée par le képi. D'autres gendarmes de Drancy avaient eu cette idée, à commencer par leur chef, Marcellin vieux, celui qui revint en France de son exil argentin pour aller massacrer des algériens. Katz voulait en savoir plus sur cette crapule que même ses propres hommes détestaient.»  

    Émission du 25 avril 2023

    Play Episode Listen Later Apr 26, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 407. Loger à la même adresse, conjuguer nos forces face à la crise du logement, l'isolement et la pauvreté par Gabrielle Anctil paru en 2023 aux éditions XYZ dans la collection Réparation. Plus de 80% de la population canadienne vit en ville selon statistique Canada en 2018, de 2001 à 2021. Le nombre de ménage composé de colocataires a augmenté de 54%, et en 2018 toujours, la Journée des communautés intentionnelles a accueilli près de 200 participant.es à Montréal. Si cette tendance coïncide avec le besoin de se loger pour moins cher devant l'augmentation abusive des loyers dans la métropole, elle révèle aussi le désir de s'offrir une autre manière de vivre. Au Québec, les nombreuses Premières Nations au pays ont vécu en communauté depuis la nuit des temps, la province possède également une longue histoire de collaboration à travers le tissu riche et variés de ses coopératives. Gabrielle Anctil vit depuis 14 ans dans une communauté intentionnelle nommé La cafétéria. Nourriture partagée, dépenses amorties en groupe, des corvées aux six semaines, des préparations de soupers collectifs deux fois par semaine font partie de sa routine de vie en communauté intentionnelle dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Ce premier essai, affublé d'une clinquante couverture orangée, se veut autant un témoignage de première main qu'une boite à outil pour celles et ceux qui rêvent de vivre autrement, et qui désirent de changer radicalement de mode de vie. Comme le dit si bien l'écrivain de science fiction Alain Damasio, au lieu de rêver du grand soir, mieux vaut savoir bifurquer. Une attitude qui ouvre vers d'autres possibles collectifs, car une communauté intentionnelle s'est également envisager une autre façon de vivre socialement et politiquement ensemble. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Anctil. Extrait:« Vue de l'extérieur, une communauté intentionnelle est un lieu de vie plutôt classique. En regardant à travers nos fenêtres, vous pourriez voir que nous menons des activités peu différentes de celles qui ponctuent le quotidien de nos voisin.e.s : on fait à souper, on écoute la télé, on passe le balai, on prend un verre après le travail...Vue de l'extérieur, notre vie est généralement plutôt banale. Ne soyez pas berné.es. Les communautés intentionnelles sont un lieu d'effervescence. Le simple fait de vivre ensemble selon un modèle hors norme nous amène à poser des gestes qui ont un impact majeur sur nos habitudes de vie. En vivant ainsi, nous offrons des solutions concrètes à des défis auxquels nous devons tous et toutes faire face quotidiennement: les effets du vieillissement de la population, le travail d'élever des enfants, les maladies soudaines et les épidémies, la disparition du couple nucléaire et bien d'autres. Nous réinventons la manière de tenir notre logis en ordre et de préparer à souper et, avec ça, nous trouvons des solutions à la crise climatique et aux inégalités systémiques. Vous ne me croyez pas ? Attachez votre ceinture.» Motifs raisonnables, dix ans d'affiches politiques par Clément de Gaulejac paru en 2023 aux éditions Écosociété. Parmi les effluves de gaz lacrymo, de claquements incessant de casseroles, de bouts de feutrine de carré rouge ou vert, de débats sans fin dominicaux à la table familiale, que nous reste-t-il de la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité aujourd'hui? En 2012, Clément de Gaulejac dessinait des affiches qu'il publiait en ligne et qui circulait dans la rue. Vous en avez peut-être vu, et le trait de l'auteur vous est, malgré vous, familier. Chapleau, Côté ou bien Pascal Élie sont bien connus parmi les journalistes de presse écrite, le territoire de jeu de l'artiste commence, lui, par la rue. Il prend goût au dessin satirique, à travers un cheminement qui le conduit autour des années 2000, alors qu'il monte sa microstructure d'autoédition, L'eau tiède, vers un blogue en 2006, puis la diffusion d'affiches dans la rue en 2012. En 2021, un site est créé dédié à l'archivage de cet affichage politique, eau-tiède.org. Motifs raisonnables est également le titre d'une exposition qui a eu lieu en 2013 au centre Skol. Accompagné à la mise en page de son complice Vincent Giard, auteur et éditeur de bandes dessinées, ainsi que de Valérie Lefebvre-Faucher en postface, ce livre vous permet de retrouver bon nombre des 300 affiches réalisées par l'auteur depuis dix ans. Entre impostures, blagues potaches, cynisme, satires, Motifs raisonnables jette un regard acéré sur la société en laissant une large place aux illustrations, et aux propos engagés qui s'apparentent plus à la libre parole d'un écrivain public plutôt que ceux de la propagande. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Clément de Gaulejac. Extrait:« Lorsque je présente mon travail d'affiches, on me demande parfois si je pense qu'elles sont « utiles » - sous-entendu: si elles font avancer les causes qu'elles défendent. Je pense que c'est une drôle de question. Un peu comme quand on se demande si une manifestation est utile. Utile à quoi ? Dans une manifestation, un ensemble de personnes, un collectif, se donne à lui-même le spectacle de sa propre puissance. Même si une manifestation interpelle le pouvoir, c'est d'abord à elle-même qu'elle s'adresse. Mes dessins fonctionnent un peu de la même manière: ils prêchent aux convaincu.es. Et c'est vrai que je ne cherche pas à conscientiser un public qui ne le serait pas déjà. Je n'espère qu'une chose: que mes affiches fassent du bien celles et ceux qui les regardent ou qui se les approprient en étendard - comme ces deux manifestant.es qui s'étaient emparé.es de mon affiche du dinosaure sur le camion pour la reproduire sur un grand drap blanc ; ou celles et ceux qui grimpent dans les hauteurs pour y accrocher par-dessus des panneaux publicitaires géants des bannières dénonçant l'implication massive de la plus grande banque canadienne dans l'extraction des sables bitumineux ; ou encore celles et ceux qui barbouillent de colle les portes de cette même institution de la finance fossile / finance hostile.»

    Émission du 28 mars 2023

    Play Episode Listen Later Mar 29, 2023


    Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n'a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n'en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l'usine de métallurgie qui l'emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l'extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l'atelier de théâtre du quartier auquel il s'est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu'il écrit pour l'atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l'isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d'un homme et d'un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d'une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire. Extrait:« Il faudrait partager les souvenirs, a-t-il écrit. Si quelqu'un nous oublie, nous aussi, on devrait l'oublier. C'est injuste de se souvenir de quelqu'un qui ne pense plus à nous. Quelques jours après l'installation de SOS confinement, Loïc a ouvert le placard de la chambre, il en a sorti le fourreau, il a fait glisser la fermeture éclair du fourreau, il en a tiré la carabine, équipée de son bipied, qu'il a déplié avant de se poster devant la fenêtre. Par la lunette, il voyait mieux les traits harmonieux de Zineb, les fossettes qui se creusaient quand elle souriait, les mèches de cheveux fins noirs qui s'échappaient de son voile. Il aurait voulu démonter le viseur de la carabine mais il n'a pas retrouvé la petite clé Allen qui permet de desserrer la paire de colliers. Pépé lui avait dit que, de toute manière, une optique de visée, une fois que c'est installé et réglé, il valait mieux pas y toucher. Loic a laissé tomber. Il a déplacé devant la fenêtre une desserte à roulettes qui ne lui servait à rien d'autre qu'à jeter ses clés de voiture et toutes les babioles qui encombraient ses poches. Il a posé le bipied dessus, s'est assis sur l'accoudoir du canapé et, la crosse calée contre l'épaule, l'oeil devant la lunette et le doigt sur la détente, il s'est mis à observer. Je vise le monde, écrivait-il. J'ai mon avenir en ligne de mire.» Un grondement féroce par Léa Arthemise paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Il est possible pour certaines personnes, de se reconnaître un destin dans les taches d'encre d'un bureau, l'intérieur d'une paire de mains sèche, le vol accidenté d'un oiseau se fracassant dans une vitre. Serait-ce le cas de Mia Clark, la romancière , l'autrice du récent phénomène littéraire Un grondement féroce? C'est ce que présuppose la narratrice de ce roman au moment même où elle dérape sur une plaque de glace, à l'endroit précis où l'écrivaine disparaîtra, quelques années plus tard, un jour de juillet 2020 : le viaduc Rosemont-Van Horne. Ce nom est aussi, et surtout, celui de William Van Horne, futur directeur général du Canadien Pacifique. Un homme dont le destin de papier est narré par Mia Clark, précisément. Il nous faudra fouiller, ce passé, qui commence dans une école de Joliet, Illinois en 1856, pour espérer soulever les mystères qui recouvrent cette étrange disparition aujourd'hui. Le viaduc du Mile end, devient, malgré lui, un espace d'inspiration et d'intrigues dans un troisième roman qui nous invite à remonter le temps. J'accueille, ce soir à Mission encre noire, Léa Arthemise. Extrait:« Tu dois te poser beaucoup de questions, William, c'est tout à fait légitime. Il me convient maintenant de préciser le cadre de l'entreprise dans laquelle je me suis lancée et la raison pour laquelle je m'adresse à toi: l'existence de Mia telle que je la perçois a été intrinsèquement liée à la tienne. Mia a disparu sur l'un des tronçons de chemin de fer appartenant à la compagnie que tu as dirigée pendant des années, à l'endroit où cette ligne est enjambée par le viaduc routier qui porte ton nom. Mia ma confié l'écriture de sa vie. De ton vivant, tu as confié l'écriture de la tienne à la journaliste Katherine Hugues. Et puis tu es mort. À Hugues ton fils a préféré un homme, Walter Vaughan. Dans la préface de son livre, vaughan indique qu'il te connaissait bien. Il précise que son récit de toi est «honnête et âcre ». Vaughan écrit également que tu t'insurgeais contre les biographies non autorisées, arguant qu'elles avaient été cuisinées et «édulcorées pour plaire». Cette citation est intéressante, car Vaughan s'en sert pour légitimer son propre travail. Il prévient ses lecteurs que contrairement aux biographies de tes contemporains, son récit de toi est authentique. Cette mention, brandie comme un drapeau, tend à défendre le contraire.»

    Émission du 14 mars 2023

    Play Episode Listen Later Mar 15, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l'autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d'écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu'on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l'autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l'objet d'une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d'expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s'habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l'autrice s'y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d'elle-même qu'elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c'est le travail d'une vie. Pour en finir de vivre dans l'invisibilité j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San. Extrait:« (Ce corps) Il détermine à quels stimuli je porte attention, partout autour de moi. Quand je vois une pub qui capitalise sur l'image de la femme, je tombe dans le piège des codes qui font vendre. Ma conscience féministe s'entre-déchire. J'observe les corps des mannequins, je suis appâtée par elles même si je songe au fait qu'elles pourraient casser en deux sous le poids d'un sac à dos. Je me surprends à rêver de me blesser de la sorte. J'aimerais avoir le luxe de choisir d'adhérer ou non à ces codes. Mais confinée à la marge, je jongle entre colère et envie. Vouloir le même corps qu'elles, mais ne rien faire pour y arriver. Vouloir que tous les corps aient leur place dans la société, mais encore ne rien faire, mis à part pondre quelques lignes revendicatrices pour apaiser temporairement ma rage. Je stagne parce que l'autodestruction est un pauvre vecteur de changement. La haine consume toute l'énergie dont j'aurai besoin pour me construire, me révolter - ou les deux.» La Revue Moebius 176, un numéro spécial 45 ème anniversaire intitulé « Quand nous nous voyons nous savons», une citation de Jean-Paul Daoust Tirée de «Mais cette lettre est une belle extravagance» datant du Moebius 120 de 2009. Joyeux anniversaire la revue Moebius! Crée en 1977 par Pierre Desruisseaux, Raymond Martin et Guy Melançon, la revue se veut être un laboratoire d'écriture, un foyer de culture qui valorise autant les formes et les genres littéraires les plus varié.e.s, que la mise en scène de la subjectivité et l'expérimentation. Passée de main en main, d'une direction littéraire à une autre, Moebius a su se renouveler et se révèle depuis, un creuset exceptionnel pour accueillir les nouvelles voix d'ici et d'ailleurs, pour désencastrer les imaginaires, dépoussiérer les héritages égarés. De cet esprit d'audace et disons le, de style, la revue vous donne bien souvent l'occasion de découvrir les premiers textes inédits d'auteurices confirmé.e.s, ou en devenir. Gérald Gaudet, Fiorella Boucher, Gabrielle Giasson-Dulude, Julien Guy-Béland, Sanna, Denise Desautels, Catherine Parent, Flavia Garcia, Louise Marois, Karianne Trudeau-Beaunoyer, Justice Rutikara, Jean-Paul Daoust, Caroline Dawson, Marie-Celie Agnant, Valérie Savard, Jeannot Clair, Nelly Desmarais, et Virginie Fauve , sous la direction éclairée de Nicholas Dawson et Alex Noël, toutes et tous se prêtent au jeu de la correspondance, à l'image de la rubrique culte qui paraît à chaque numéro de la revue, la fameuse lettre à …. Chaque voix s'élance fébrile ou assurée, traverse les genres et les générations «dans l'obscurité fertile de la littérature», comme annonce le préambule. J'accueille les deux chefs d'orchestre de ce bal d'anniversaire littéraire, à la baguette, ce soir, à Mission encre noire, Nicholas Dawson et Alex Noël sont nos invités. Extrait:« Je ne suis encore jamais allé voir l'océan des arabesques ni les champs de la Palestine pour me reposer à l'ombre d'un olivier un après-midi après une récolte. Je n'ai jamais couru un matin dans les rues de Londres ou parcouru les collines fraîches de Ramallah pour déguster un thé à la menthe en récitant les poèmes de Darwich. Je n'ai jamais surveillé l'horizon du Moshav de Kfar Malal avec un fusil allemand ni attendu désespérément le réveil de mon père tombé dans le coma. Et pourtant, je comprends ce que c'est d'être un enfant déraciné qui rêve en couleur de prendre sa place dans ce monde trop grand, mystérieux et souvent absurde. Né au Rwanda, à quelques mois de la tragédie nationale de 1994, je suis depuis un exilé de ces terres qui ont pourtant façonné des générations et des générations de mes ancêtres. Malgré cette perte, à une dizaine de milliers de kilomètres de ces mille collines, je songe et réalise des histoires cinématographiques qui m'aident à valider mes sentiments uniques et pourtant partagés avec tant d'autres individus de ce monde. Je comprends ce que cela signifie d'être un.e adulte au passé lié à la guerre et au déplacement et qui préfère poétiser ses tourments à travers des fictions au lieu de les reproduire fidèlement. Je comprends ce que c'est d'être un homme-enfant d'expatrié.e.s dont le peuple a été persécuté et consumé par la haine jusqu'à devenir prédateur d'humains.»

    Émission du 28 février 2023

    Play Episode Listen Later Mar 1, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset. Oscar Jayack, un modeste romancier, ne pensait pas vraiment être lu par Rebecca Latté, une star de cinéma en fin de carrière, lorsqu'il publie un texte abjecte, sur Instagram. Et pourtant, sa réponse sous la forme d'une correspondance sera cinglante : Cher connard. Effacer sa publication n'y suffira pas, il lui admet son erreur. Elle n'a que faire de ses excuses mielleuses. Élevé dans les mêmes quartiers, être le frère de la meilleure amie de Rebecca dans les années 80, Corinne, n'y changera rien. Il a eu tort. Néanmoins, le dialogue va peu à peu s'instaurer. Ils ont en commun d'avoir grandi dans des banlieues ouvrières dont tout le monde se fout.  Dans ce roman épistolaire, se dessine en creux un portrait accrocheur de deux solitudes, celui d'une génération engluée dans l'héritage patriarcal des années post-soixante-huitardes. Chacun.e englué.e dans diverses dépendances à l'alcool et aux drogues, se prennent le mouvement MeToo de plein fouet. «La vengeance des pétasses» comme le dit Oscar, contre le fameux mâle blanc. Alors que Zoé Katana, une ancienne attachée de presse d'édition le dénonce à son tour dans son blogue féministe radical, Oscar montre un autre visage. Et puis il y aura la COVID. Le confinement fait déambuler Rebecca et Virginie Despentes dans les rues vides d'un Paris qui a disparu. Cette ville, qu'elles connaissent si bien, n'est plus. Virginie Despentes se livre plus que jamais ici sur ses amours et ses intoxications aux drogues. Il est toujours grisant de retrouver ce ton si particulier, un mélange d'esprit contestataire et de regard critique sur notre époque porté par une voix badass. À celles et ceux qui la trouve radicale, elle rétorque : «la féminité est une prison et on en prend pour perpet.» Si Cher connard peu paraître un roman de la réconciliation, ne soyez pas dupes. Ce livre est une maison, celle de toutes les féministes, une décharge avec des rats et d'autres mauvaises filles. Punk as always, Cher Connard par Virginie Despentes paru en 2022 aux éditions Grasset.  Extrait: « La peur de perdre sa respectabilité, ça, c'est bourgeois. Au sens péjoratif du terme. Dire qu'on est un artiste et vouloir être aimé, ça n'a pas de sens. Je suis actrice. Si personne ne m'aime, je disparais. N'empêche que je n'ai jamais privilégié l'amour du plus grand nombre à ma sincérité. Je ne suis pas un soda qu'on cherche à vendre à tous les enfants. Je ne me présente pas à une élection présidentielle, que je dois gagner en séduisant la majorité des citoyens. C'est mon courage d'être sincère que je vends. D'être précisément moi, que ça te plaise ou non. Ce qui fait qu'on m'a choisie plutôt qu'une autre pour de grands rôles, ce n'est ni ma plastique ni ma diction. C'est que j'ai le cran de ne pas ressembler à tout le monde. Je prends le risque de déplaire, ça fait partie du job. Tu ne peux pas marquer les esprits si tu crains d'être qui tu es. Ce n'est pas la situation qui te rend impuissant. C'est le flip que tes voisins de palier ne te saluent pas comme un notable. Tu peux invoquer ta naissance et parler du métier de tes parents pour te victimiser et justifier ta faiblesse. Mais on sait l'un comme l'autre que c'est une excuse. Les enfants riches sont comme toi. Tout le monde veut faire de la publicité aujourd'hui. C'est-à-dire produire des messages esthétiquement cohérents et qui s'adressent au client qui les commande. Qui se foutent de la vérité. Qui ne veulent que séduire, et jamais déranger personne. Vous voulez que votre art soit pris au sérieux mais vous ne voulez pas déplaire, ni être en danger.» Le génocide des Amériques. Résistance et survivance des peuples autochtones par Marcel Grondin et Moema Viezzer, paru en 2022 aux éditions Écosociété. Cette œuvre magistrale a été publiée en 2018 en portugais-brésilien, elle est désormais traduite en version française par les éditions Écosociété, agrémentée d'un chapitre abordant le génocide des Peuples Premiers du Canada. La rédaction en a été confiée à un historien innu, Pierrot Ross-Tremblay en collaboration avec l'avocate Nawel Hamidi. Il est impossible de comprendre le mal-développement socio-économique des pays latino-américains et caribéens sans retracer le chemin du plus grand génocide de l'histoire de l'humanité. La conquête du nouveau monde a décimé 90 à 95% de la population autochtones des Amériques. Et ce sur cinq grands espaces – Caraïbes, Mexique, Andes, Brésil et États-Unis – dans le but d'asservir et de piller l'ensemble des richesses qui s'étend des Amériques jusqu'aux îles du Pacifique. Ce livre est aussi bien un hommage aux Peuples résistant qu'un appel à la résistance et au réveil. Les blessures liées à la colonisation étant encore bien réelles aujourd'hui. Ce livre vous donne l'opportunité de relire l'histoire dépoussiérée des demi vérités et des gros mensonges, véhiculés par la version eurocentriste, appuyée par une culture populaire édulcorée. Cet essai dissèque les rouages bien huilés de la machine capitaliste coloniale, sur laquelle repose notre héritage actuel. Devant les chiffres effarants présentés ici, c'est surtout le moment d'apprendre dans ses pages à faire et à penser différemment. Cela signifie, notamment, d'apprendre à nous reconnaître en tant qu'habitant de la terre, notre maison commune. Et si les guerres de conquête d'aujourd'hui ressemble à celle d'hier, n'y-a-t-il pas urgence à changer? Comment? Un proverbe attribué aux nations Ute et Sioux d'Abya Yala, dans le nord du continent donne une réponse: «Ne marche pas derrière moi, peut-être/que je ne souhaite pas mener/Ne marche pas devant moi, peut-être/que je ne veux pas te suivre./ Marche à côté de moi...pour que nous puissions avancer ensemble.» Le génocide des Amériques. Résistance et survivance des peuples autochtones par Marcel Grondin et Moema Viezzer, paru en 2022 aux éditions Écosociété. Extrait: « L'assemblée des Nations unies vota le 9 septembre 1948 la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui fut ainsi défini: Un génocide s'entend de l'un quelconque de ces actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel: a) meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. » Poids Lourd par Daniel Bélanger paru en 2022 aux éditions Les herbes rouges. Un homme seul dans sa voiture double un camion chargé de porc qui file vers l'abattoir. Ce sont les premiers mots qui vont conduire le fil ténu des poèmes qui tiennent en équilibre autour de ce qui pourrait sembler être un rythme de blues. Cet homme aime la vie simple, boire un thé, guetter l'aube et ses oies qui cacardent, observer une femme qui se maquille devant son miroir, se rappeler au souvenir de son père qui redressait les clous comme on fait les mots croisés. Mais vivre c'est aussi craindre de se laisser déborder par l'empreinte néfaste du monde. De vivre malgré soi au centre de l'apocalypse tranquille d'une humanité qui part à vaux l'eau et qui s'en fout, un coup de fourchette à la fois. Car quoi qu'il arrive, C'est toujours le cochon que l'on tue pour manger. Comment faire pour que le poète chante encore, pour que le poète rêve encore en silence de retrouver la langue facile de l'enfance? Pour faire comme si tout allait bien, pour prétendre rêver mieux peut-être? Sous un soleil timide, à l'heure bleu de ses poèmes, Daniel Bélanger est auteur, compositeur, interprète, lauréat de nombreux prix. Les insomniaques s'amusent, Rêver mieux, l'Échec du matériel figurent parmi les albums marquant du paysage musical québécois. Poids lourd vient compléter la palette de l'artiste dont on retrouve le travail également au cinéma et au théâtre. Si ce recueil a des relents de purin et de sang, l'image du camion transportant des porcs à l'abattoir illustre bien l'angoisse de l'auteur devant un monde qui roule à tombeau ouvert vers sa finitude.« je suis un bâtard légitime/louvoyant entre la chanson et la livraison de marchandise/entre le slogan et le cochon.», clame l'auteur, loin de se prendre au sérieux, une certaine légèreté est possible malgré tout. Daniel Bélanger vous invite à une autre forme de voyage, à une autre aventure dans ce recueil réussie, Poids Lourd paru en 2022 aux éditions Les herbes rouges. Extrait: « Hier sur l'autoroute, j'ai doublé/un camion chargé de porcs. Il fonçait/visiblement droit à l'abattoir./Au passage, j'ai aperçu les bêtes,/oscillantes, silencieuses./J'ai passé mon chemin/comme on hausse les épaules./Je suis allé à la chanson suivante.// Dans un café,/un homme boit son thé./Quoique libre et aimé/il se sent captif./Puis un rayon/coule jusqu'à sa main./Il la réchauffe.»    

    Émission du 14 février 2023

    Play Episode Listen Later Feb 15, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 403. Mon fils ne revint que sept jours par David Clerson paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Fin juin, ce matin là, une mère retrouve son fils qu'elle n'a pas vu depuis dix ans, au chalet familial en Mauricie, situé en pleine forêt. Elle y vit seule depuis sa retraite, ne recevant que de rares visites. Une fois passée la surprise, elle reconnaît son Mathias, devant sa porte, même s'il est devenu un homme plus grand que dans ses souvenirs. Tandis qu'ils marchent vers une tourbière, un lieu de refuge depuis l'enfance, Il va lui raconter sa vie d'errance. Une obsession l'accable sans cesse. L'idée persistante qu'une matière blanchâtre lui occupe le crâne et coule dans son corps, comme si elle voulait l'étouffer. Incapable de trouver sa place dans un monde qui s'agglomère en une gigantesque banlieue, il ne pense encore qu'à fuir.  Pour sa mère, les journées sont belles en sa présence, malgré ce regard envoûtant de tourbière, qui parfois l'effraie. Comme la plupart de ses romans précédent, on retrouve chez l'auteur cette part d'étrangeté, de répétitions, de cycles où se combine un étrange cocktail de monstruosité, d'hallucination, d'égarement et de névrose qui plonge inlassablement le lectorat dans le doute et la curiosité. Je vous invite, ce soir, à glisser entre les branches, dans le chant assourdissant des rainettes et celui plus lourd des ouaouarons, je reçois David Clerson, à Mission encre noire. Extrait: « Le lendemain - troisième jour - il était de nouveau levé à mon réveil et je me demandai s'il avait dormi. De son expédition la veille à la tourbière il était revenu enchanté. Il souriait. Il peut sembler excessif, sinon caricatural, de l'écrire, mais je dirais que ses yeux brillaient. La mousse était belle ! dit-il. J'ai enlevé mes souliers. Mes pieds s'enfonçaient dans la sphaigne gorgée d'eau tiède. Des fourmis me couraient sur les jambes. Les moustiques se rassemblaient autour de ma tête. Les nuages s'accumulaient. Un vent puissant a traversé les arbres. Il a soufflé sur la tourbière. Je l'ai senti sur mon visage. Le ciel s'est obscurci au-dessus de la colline. J'ai entendu le tonnerre. Quand la pluie s'est mise à tomber je me suis réfugié sous les sapins. Mon t-shirt était détrempé. J'ai couru, j'ai cru me perdre. Mes pieds glissaient dans des flaques. Les branches me fouettaient. La pluie formait un voile. je me suis réfugié dans le creux d'un rocher. La pluie était chaude. La pluie était belle. Je n'avais pas froid. J'ai tiré la langue pour récupérer des gouttes qui tombaient. La pluie gorgeait le sol, déjà humide. Ailleurs la pluie gorgeait aussi la sphaigne. Il n'y avait plus de moustiques qui bourdonnaient.» Madonna, le déclin orchestré par Lucas Prud'homme-Rheault paru en 2022 aux éditions Varia. Madonna sera de passage à Montréal l'été prochain pour deux dates dans le cadre de sa tournée Celebration qui souligne ses succès des 40 dernières années. Je saisi l'occasion pour vous présenter un essai qui est une étude approfondie passionnante de l'œuvre de la Madonne, qui révèle certains aspects moins connus d'une artiste à l'écoute des soubresauts du monde qui l'entoure. Depuis quarante ans, l'artiste interpelle sans cesse son auditoire à coups de slogans qui percutent, d'allusions non déguisées et d'emprunts à Nietzsche, Wagner, Martin Luther King et d'autres, lui permettant d'investir des centre d'intérêts moins bien balisés que ceux de la musique pop. Madonna aime provoquer, depuis toujours, c'est dans son ADN. Elle serait même prête à tout pour rester la reine de la pop au nez et à la barbe de la concurrence. Jusque pourquoi pas orchestrer, elle-même, la mise en scène de son propre déclin. Je vous propose, ce soir, à Mission encre noire de partir sur les traces d'une icône de la musique pop, la Material girl, en personne, en compagnie de Lucas Prud'homme-Rheault. Extrait: « Devant la montée fulgurante de cette dernière au pouvoir, devant les emprunts répétés à son univers, Madonna contre-attaque, fait de Lady Gaga un autre pays, un territoire qui ne la concerne pas. Après le décompte, elle intègre tout bonnement à Express Yourself - sans même la créditer dans le livret de tournée - la chanson Born This way de Lady Gaga: « I'm beautiful in my way /'Cause God Makes no mistakes / I'm on the right track, baby / I was born this way / Don't hide yourself in regret / Just love yourself and you're set (...) Express Yourself / So you can respect yourself ». Pendant que Madonna repique ce qui lui a été volé, sur l'écran, un petit monstre rouge, un fame monster (personnification comique de Lady Gaga), dévore des conserves de soupe warholiennes agrémentées d'illustrations diverses: des ampoules (des idées), des cone bras, des pony tails blondes, des éclairs bowiesques. À la fin d'Express Yourself, Madonna frappe un peu plus fort, en intégrant. à la dernière minute, une autre chanson, cette fois provenant de son propre répertoire, She's Not Me, elle n'est pas moi: le message est clair.»

    Émission du 7 février 2023

    Play Episode Listen Later Feb 8, 2023


    Mission encre noire tome 37 Chapitre 402. Cocorico, les gars, faut qu'on se parle par Mickael Bergeron paru en 2023 aux éditions Somme Toute. Il est plus que temps de reconnaître que rien n'est figé dans une société, que les choses bougent, que les comportement évoluent. Qui aurait cru, il y a 20 ans, qu'un mouvement social sans précédent allait naître via, notamment, les réseaux sociaux. En effet, la première campagne hashtag Mee Too en 2017 a changé la donne. De Balance ton porc à #MoiAussi, ces campagnes ont révélé l'ampleur systémique de la violence commises à l'égard des femmes. Dans cet essai édifiant à plus d'un titre, Mickael Bergeron se propose d'abattre l'arbre qui cache a forêt, de débroussailler quelques clichés au passage et de pénétrer dans l'antre de la bête: la masculinité toxique. Il est temps en effet de nous prendre en charge, nous les hommes, de se dire ça suffit; changeons de disque. Osons enfin, nous parler des affaires qui dérangent : l'image de la virilité, la paternité, l'idéal masculin dans le sport ou dans les forces armées, les attentes dans les relations amoureuses ou dans la sexualité, dans les rôles professionnels ou sociaux, les sujets ne manquent pas. Loin d'être donneur de leçon, l'essayiste se met lui-même à nu, en multipliant les anecdotes personnelles et se garde bien de juger. Il est plus que temps de faire notre juste part aux côtés des féministes, qui elles, ne nous ont pas attendu pour s'affirmer. «Vous n'êtes pas tannés, les gars, de tout ce bordel» est-il écrit en préambule ? J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mickael Bergeron. Extrait: « Cette virilité version 2023 fait aussi écho à toute sortes de sous-entendus: les femmes ne savent pas se contrôler, elles sont trop émotives, des fois même carrément «hystériques», etc. Les gars, faut arrêter avec nos rêves de pouvoir. On ne contrôle rien dans la vie. Ou si peu, tellement peu. On contrôle une partie de nos réactions, de nos comportements, pour le reste, on peut juste apprendre à jongler avec. Comme dirait Mylène Farmer, tout est chaos. Le contrôle est une illusion. C'est de la grosse bullshit. On peut apprendre à gérer nos émotions, mais on ne peut pas contrôler ce qui déclenche nos émotions. On ne décide pas si une chose nous bouleverse ou non, mais on peut apprendre à gérer les peines et les douleurs. On peut apprendre à ne pas virer fou quand on souffre. On peut apprendre à réfréner notre colère quand un truc nous fait chier. On peut apprendre à faire durer notre énergie quand on sent une explosion de joie monter en nous. Mais on ne pourra jamais contrôler ce qui, à la base, nous fait chier, ce qui nous rend heureux, ce qui nous fait mal. La méditation ne sert pas à ne plus souffrir, mais à apprendre à gérer nos souffrances. C'est une nuance importante.» La vie fabuleuse des gens fabuleux par David Cloutier paru en 2022 aux éditions de la Maison en Feu. Que le rideau se lève sur Mado qui prend possession de la scène dans son célèbre cabaret à Montréal ! Elle regarde ce public d'hétéros de banlieue venu l'applaudir encore et encore. Pourtant, elle ne saurait dire, tant elle est célébrée dans son rond de lumière des spots, ce qui la rend triste ou heureuse ce soir là. Serait-ce l'absence subite de Léo, une jeune escorte survitaminée, celle de Mylène, cette comédienne qui aimerait vouloir danser seule comme ce voisin célibataire de son ancien quartier, ou peut-être est-ce la présence émotive de cette fille, Jessica, particulièrement éméchée, à la table près de la scène, qui semble toute retournée et perdue. Mado sourit. Après tout, comme disait Léo Ferré, le bonheur c'est du malheur qui se repose, alors il ne faut pas le réveiller. Pas sûr que la galerie de personnages qui inspire ce premier roman suivent ce conseil. L'auteur, nous régale de situations douces amères, de réflexions cocasses sur la vie des gens mornes, aligne les tirades sucrées salées. Notez toutefois que si ce livre n'est pas forcément destiné à un public facilement divertis et impressionnés du Québec et d'ailleurs(C'est dans le texte), un charme indicible nous ferre aux trajectoires, en apparence, banales de chaque protagoniste. Il se pourrait que ce premier roman puisse avoir l'effet de ces pilules du bonheur que s'enfile Léo, une sorte de béatitude qui peut parfois brûler l'estomac. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, David Cloutier. Extrait: « J'ai mal au ventre. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai bu l'eau du robinet automatisé de la salle de bain. L'eau était tiède. Eurk. Tous les gens dans les clubs dansent les bras dans les airs en regardant en direction du DJ Markus chose-bine comme si c'était un dieu. Ça commence à sentir le dessous de bras, oui. C'est niaiseux, de la musique électronique. Mon ami gai gros me dit que c'est une forme d'art qui mérite le respect. Moi, je dis que ce n'est pas parce que c'est une forme d'art que ça mérite le respect. Tout dans la vie est une forme d'art. Je respecte seulement les formes d'art qui me divertissent et qui ne sont pas prétentieuses. Je ne sais pas si les gens ont du plaisir pour vrai ou s'ils font juste semblant, en ce moment. Peut-être que pendant qu'ils ont les bras dans les airs, ils pensent à plein de choses dans leur tête. Ou peut-être que non. Peut-être qu'ils sont capables de décrocher, eux. Peut-être que ça ne leur prend pas plus qu'une petite pilule et de la musique répétitive pour taire la petite voix dans leur tête. Ils sont chanceux.»    

    Émission du 31 janvier 2023

    Play Episode Listen Later Feb 1, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 401. Le monde se repliera sur toi par Jean-Simon Desrochers paru en 2022 aux éditions Boréal. De prime abord, il serait possible de se demander comment lire ce monde pluriel qui se présente à nous. Comment se détacher du fil invisible qui relie les nombreux personnages pris individuellement, qui à force de rencontres, de coïncidences nous amènent à une lecture possible du monde d'aujourd'hui. Alors que Noémie, au sortir d'un mauvais rêve cherche encore ses mots et s'inquiète pour elle et sa fille, au chapitre suivant, celle-ci, à 12 ans, éconduit son premier amoureux, William, qui tente d'incarner un nouvel idéal de masculinité moins toxique. Au prochain chapitre, c'est sa professeure, Madame Claude qui en subira les conséquences. Elle découvre les rumeurs colportées à son sujet alors qu'elle apostrophe un idiot qui lui coupe la voie avec son VUS sur le pont en quittant Montréal, Pierre-Luc prendra toute une section de texte pour se venger...ainsi de suite. La galerie de portrait qui se déploie de Montréal à Tchernobyl, Paris, Philadelphie, Rio de Janeiro, Addis-Abeba, Christchurch et Chittorgarh, nous donne à lire les esquisses familières de trajectoires de vie qui sont autant d'étoiles filantes dans un ciel encombré et menaçant. L'auteur réussit le tour de force d'incarner plusieurs voix, plusieurs émotions, plusieurs destins de papier en mode mineur. Il en résulte un formidable casse-tête, à la mesure des moments de vie dérobés à la lucarne du monde en marche, nous offrant ainsi une profonde réflexion sur ce qui nous construit, sur les lieux qui nous habitent. Si le roman s'ouvre sur une mémoire qui flanche, il n'est pas garantie que le film réalisé avec un cellulaire au final y changera grand-chose. Le monde souffre d'un manque criant d'empathie. Il en meurt sans doute un peu chaque jour, à chaque chapitre ? D'ailleurs s'achève-t-il vraiment ce roman? J'accueille Jean-Simon Desrochers, ce soir, à Mission encre noire. Extrait: « Pierre-Luc est persuadé que, s'il avait gardé sa Mazda3 modifiée, cette femme au pick-up n'aurait jamais osé le couper. Depuis qu'il conduit une sous-compacte électrique, ces manoeuvres agressives sont devenues routinières. Ce pick-up surdimensionné, c'était la fois de trop. Que sa conductrice ait menacé d'appeler les policiers, soit, il comprend. Quand il explose, il est préférable de se tenir loin. C'était l'un des principaux reproches de son ex: « y a des moments, j'ai l'impression que t'es sur le bord de me fesser dessus...Tu fais peur.» Pourtant, Pierre-Luc n'a jamais levé la main sur personne, pas même à l'école primaire, où les garçons se battaient régulièrement. Il est seulement « un peu trop expressif », comme le soulignait feu sa mère. De retour derrière son volant, Pierre-Luc fulmine. Une idée lui vient. Cellulaire, photo, la plaque d'immatriculation du pick-up. Why not ? Soir, maison, ordinateur, musique (Tangerine Dream, Ricochet). Malgré un joint de MK Ultra, la colère s'encrasse, pas moyen de se concentrer sur sa partie de Minecraft où un creeper vient de détruire la moitié de son étable - tant pis, aussi bien quitter le jeu, texter «le gars » dont lui avait parlé son ancien revendeur de cannabis. Juste pour voir. Message texte, réponse, «le gars » est libre en ce moment. Petite marche de santé, air frais, pas grand monde au bar. Comme un parfait trope cinématographique, le gars est à une table, au fond. Signes de tête, prise de contact. « Donne-moi le numéro. Tu reviens demain. c'est trois cents piasses. Tu payes la moitié ce soir. Le guichet est là.».» La jeune fille des négatifs par Véronique Cyr paru en 2022 aux éditions Les Herbes Rouges. Alitée et en arrêt de travail depuis le 10 octobre 2017, Véronique Cyr vit une grossesse chaotique à l'hôpital Sainte-Justine. L'accouchement peut lui être fatal. Elle prend des notes, elle décide de porter ce projet d'écriture « La jeune fille des négatifs », son fils enfin endormi contre elle. Il en ressort des souvenirs, des récits et des témoignages mis en poème et en prose, autant de pistes qui déclenchent la récurrence d'une scène survenue vingt ans plus tôt. Nue sous la lumière crue, une jeune file pose devant un photographe. De ce long travail de réflexion et d'analyse, la césarienne d'urgence accomplie, les notes deviennent prose, qui deviennent lettre. Confrontée à la violence du scalpel, l'autrice convoque les voix d'autres mères, d'autres femmes qui ont dû se dresser devant la brutalité masculine. Au fil de l'histoire, s'ébauche une solidarité féminine, féministe, portée par une voix profonde et puissante. J'accueille Véronique Cyr à Mission encre noire. Extrait: « 5 avril 2018 - Centième jour au bloc 11, il nous en resterait une trentaine à faire (autonomie respiratoire et alimentaire et sept jours sans bradycardies). Je déplie mon ordinateur portable, j'ai une heure pour retourner à La jeune fille des négatifs dans le salon des familles tandis qu'Anthony, en peau à peau avec Henry, lui chante du Grateful Dead à l'oreille. Je m'installe en boule dans un coin de la pièce exiguë en essayant qu'on oublie ma présence ; un couple vit le deuil de sa petite de deux semaines dont j'ai entrevu l'identité sur un formulaire près du bureau d'accueil, c'était simplement indiqué; «bb Kirouac, arrêt cardiaque, conseiller spirituel avisé ». J'imagine Kerouac bercer la mini ange vagabonde au son du jazz céleste.»  

    Émission du 24 janvier 2023

    Play Episode Listen Later Jan 25, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 400. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année qui s'annonce. Une année que je vous souhaite riche en découvertes d'auteurices et d'œuvres inspirantes. Mission encre noire repart pour une saison d'hiver, la 400 ème pour être précis. Correlieu de Sébastien La Rocque paru en 2022 aux éditions du Cheval d'août ouvre le bal. Ce roman nous invite à rejoindre, la Vallée-du-Richelieu, près de l'atelier du célèbre peintre du Mont-Saint-Hilaire Ozias Leduc,et  plus particulièrement dans celui de Guillaume Borduas, un vieil ébéniste approchant les 70 ans. Formé à la vieille école, il accepte, malgré ses vieux principes, de recevoir en stage, Florence, qui veut reprendre le métier après avoir subi un accident de travail. Recommandé par la CSST, elle doit faire ses preuves, ce retour aux machines est progressif, après avoir été touché par une lame rendu folle dingue à plus de quatre mille tours par minute. Même s'il a toujours travaillé seul, elle le rejoint dans le silence d'un matin blafard au milieu des grésillements d'un vieux poste de radio et l'odeur des planches brutes de pin, de chêne rouge, de peuplier, d'érable ou de merisier. Comme chaque vendredi, elle devra faire la connaissance et refaire le monde avec les vieux mononcles, fidèles en amitié, de Guillaume, et grands consommateurs de caisses de bière. C'est dans le miracle de cet atelier et de ses correspondances sensorielles que Florence s'invite à découvrir un monde éternel, qui se meurt, fait de gestes communs à apprendre, à harmoniser son souffle au rythme d'une respiration à contre-temps d'une époque à bout-de souffle. Avons-nous affaire à de la nostalgie ou à une volonté de vivre autrement, sans faire trop de concession à une modernité dévorante ? Toujours est-il que l'écho de 2012 et du printemps érable s'immisce parfois entre les ramures du Mont-Saint-Hilaire et les odeurs de gasoil de motorisés gigantesques en balades. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sébastien La Rocque. Extrait: « Toutes les jeunes qui sortent de l'école d'ébénisterie veulent avoir une tite shop de même, faire des beaux meubles, pis gérer leurs p'tites affaires, mais je roule pas sur l'or, tsé. c'est ben beau, j'en ai eu, des stagiaires, mais y connaissent rien. Gars ou fille, même affaire. C'est qui qui va à ton école ? Des retraités qui se cherchent un hobby ou des jeunes qui savent pas quoi faire de leur corps. Va falloir que tu désapprennes ce que t'a appris. L'ébénisterie, c'est pas ça. J'ai pas de job à t'offrir, moi, mais je peux te montrer un métier. Il fouille sur la table, trouve une revue cachée sous une pile de chemises. S'arrêtant sur une page, il tapote une photo trois fois du doigt. - Checke ce que j'ai reçu dans malle. Canadian Interior. Qu'est-ce que t'as là dedans ? Un designer en habit, une designer en robe devant leurs créations, des bureaux en bois d'ingénierie. C'est du design en tabarnak, ça ! Du monde qui pense, qui dessine, that's it ! Toi pis moi, on existe pas ! » Samedi de Christian Robert de Massy et Éric Pessan paru en 2022 aux éditions Moelle Graphik. Voici toute une expérience de lecture, avec ce premier album de bande dessinée de Christian Robert de Massy, accompagné par les mots d'Éric Pessan. Ce qui frappe avant tout, dans cette ambiance de fin du monde, c'est avant tout le silence... et le mouvement. Une jeune femme médecin doit régler son histoire avec la mystérieuse femme-tortue, son ex-amante. Elle va nous guider dans le labyrinthe d'une expérience intérieure, initiatique, pour reprendre le contrôle de sa propre vie. Le personnage principal est alors plongé dans un univers mi-réaliste mi fantastique où elle fait la rencontre de créatures et de personnages surprenant.e.s. Arrivera-t-elle à ses fins? L'énigme nous conduit vers les bas-fonds de sa psyché ou bien s'agit-il, par extension, de ceux de notre monde en déliquescence? Des dédales qui sont autant de chemins et de fausses pistes à déjouer pour éventuellement accéder à une mue salvatrice. Présenté sous un format inédit, à l'horizontale, près de 30 cm de long, cet album fascine et demeure une véritable belle découverte de fin d'année. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, Christian Robert de Massy. Extrait: « À tâtons, son pied trouve le premier échelon, puis le suivant, elle descend. Il lui est très vite impossible de retenir sa respiration, elle inspire de grandes bouffées d'air chanci. La question du vertige ne se pose pas, pas plus que celle d'une chute possible. Le danger n'est pas la descente ni le trou, mais bien ce qui l'attend en bas et qu'elle n'a jamais eu le courage d'affronter. Échelon après échelon, elle s'enfonce au plus profond de la terre. Très vite, elle perd la notion du temps, les minutes deviennent des heures, Alina s'étonnerait presque de ne pas ressentir de la fatigue. elle ne pense plus à rien, ses mains attrapent les barreaux rouillés, ses pieds s'assurent qu'un nouvel échelon se trouve sous le précédent. Le métal est froid au contact de sa peau, un peu humide.»  

    Émission du 17 janvier 2023

    Play Episode Listen Later Jan 18, 2023


    Mission encre noire Tome 37 Chapitre 400. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette année qui s'annonce. Une année que je vous souhaite riche en découvertes d'auteurices et d'œuvres inspirantes. Mission encre noire repart pour une saison d'hiver, la 400 ème pour être précis. Correlieu de Sébastien La Rocque paru en 2022 aux éditions du Cheval d'août ouvre le bal. Ce roman nous invite à rejoindre, la Vallée-du-Richelieu, près de l'atelier du célèbre peintre du Mont-Saint-Hilaire Ozias Leduc,et  plus particulièrement dans celui de Guillaume Borduas, un vieil ébéniste approchant les 70 ans. Formé à la vieille école, il accepte, malgré ses vieux principes, de recevoir en stage, Florence, qui veut reprendre le métier après avoir subi un accident de travail. Recommandé par la CSST, elle doit faire ses preuves, ce retour aux machines est progressif, après avoir été touché par une lame rendu folle dingue à plus de quatre mille tours par minute. Même s'il a toujours travaillé seul, elle le rejoint dans le silence d'un matin blafard au milieu des grésillements d'un vieux poste de radio et l'odeur des planches brutes de pin, de chêne rouge, de peuplier, d'érable ou de merisier. Comme chaque vendredi, elle devra faire la connaissance et refaire le monde avec les vieux mononcles, fidèles en amitié, de Guillaume, et grands consommateurs de caisses de bière. C'est dans le miracle de cet atelier et de ses correspondances sensorielles que Florence s'invite à découvrir un monde éternel, qui se meurt, fait de gestes communs à apprendre, à harmoniser son souffle au rythme d'une respiration à contre-temps d'une époque à bout-de souffle. Avons-nous affaire à de la nostalgie ou à une volonté de vivre autrement, sans faire trop de concession à une modernité dévorante ? Toujours est-il que l'écho de 2012 et du printemps érable s'immisce parfois entre les ramures du Mont-Saint-Hilaire et les odeurs de gasoil de motorisés gigantesques en balades. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sébastien La Rocque. Extrait: « Toutes les jeunes qui sortent de l'école d'ébénisterie veulent avoir une tite shop de même, faire des beaux meubles, pis gérer leurs p'tites affaires, mais je roule pas sur l'or, tsé. c'est ben beau, j'en ai eu, des stagiaires, mais y connaissent rien. Gars ou fille, même affaire. C'est qui qui va à ton école ? Des retraités qui se cherchent un hobby ou des jeunes qui savent pas quoi faire de leur corps. Va falloir que tu désapprennes ce que t'a appris. L'ébénisterie, c'est pas ça. J'ai pas de job à t'offrir, moi, mais je peux te montrer un métier. Il fouille sur la table, trouve une revue cachée sous une pile de chemises. S'arrêtant sur une page, il tapote une photo trois fois du doigt. - Checke ce que j'ai reçu dans malle. Canadian Interior. Qu'est-ce que t'as là dedans ? Un designer en habit, une designer en robe devant leurs créations, des bureaux en bois d'ingénierie. C'est du design en tabarnak, ça ! Du monde qui pense, qui dessine, that's it ! Toi pis moi, on existe pas ! » Samedi de Christian Robert de Massy et Éric Pessan paru en 2022 aux éditions Moelle Graphik. Voici toute une expérience de lecture, avec ce premier album de bande dessinée de Christian Robert de Massy, accompagné par les mots d'Éric Pessan. Ce qui frappe avant tout, dans cette ambiance de fin du monde, c'est avant tout le silence... et le mouvement. Une jeune femme médecin doit régler son histoire avec la mystérieuse femme-tortue, son ex-amante. Elle va nous guider dans le labyrinthe d'une expérience intérieure, initiatique, pour reprendre le contrôle de sa propre vie. Le personnage principal est alors plongé dans un univers mi-réaliste mi fantastique où elle fait la rencontre de créatures et de personnages surprenant.e.s. Arrivera-t-elle à ses fins? L'énigme nous conduit vers les bas-fonds de sa psyché ou bien s'agit-il, par extension, de ceux de notre monde en déliquescence? Des dédales qui sont autant de chemins et de fausses pistes à déjouer pour éventuellement accéder à une mue salvatrice. Présenté sous un format inédit, à l'horizontale, près de 30 cm de long, cet album fascine et demeure une véritable belle découverte de fin d'année. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, Christian Robert de Massy. Extrait: « À tâtons, son pied trouve le premier échelon, puis le suivant, elle descend. Il lui est très vite impossible de retenir sa respiration, elle inspire de grandes bouffées d'air chanci. La question du vertige ne se pose pas, pas plus que celle d'une chute possible. Le danger n'est pas la descente ni le trou, mais bien ce qui l'attend en bas et qu'elle n'a jamais eu le courage d'affronter. Échelon après échelon, elle s'enfonce au plus profond de la terre. Très vite, elle perd la notion du temps, les minutes deviennent des heures, Alina s'étonnerait presque de ne pas ressentir de la fatigue. elle ne pense plus à rien, ses mains attrapent les barreaux rouillés, ses pieds s'assurent qu'un nouvel échelon se trouve sous le précédent. Le métal est froid au contact de sa peau, un peu humide.»  

    Émission du 20 décembre 2022

    Play Episode Listen Later Dec 21, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 399. La faute à Pablo Escobar par Jean-Michel Leprince avec une préface de Bernard Derome, paru aux éditions Leméac. Bogotà la mal encarada des villes sud-américaine se trouve en haut d'un plateau andin. Le restaurant de l'hôtel Tequendama, où Jean-Michel Leprince a pris ses habitudes, a volé en éclats, sous une bombe des FARCS. en 2002. Si comme le souligne l'ex-présentateur de nouvelles, chef d'antenne et animateur de télévision Bernard Derome, La Colombie est le deuxième pays le plus riche de la planète en matière de biodiversité, elle est aussi l'un des pays les plus inégalitaire et violent. Tout commence, pour Jean-Michel Leprince, sous les bruits d'hélicoptères, de ceux qui tentent d'arracher des dizaine de personnes à la boue meurtrière qui a englouti la petite ville d'Armero due à l'éruption du volcan andin Nevado del Ruiz le 16 novembre 1985. Armero représente un baptême du feu grave pour le reporter spécialisé en politique étrangère et en défense nationale au Parlement d'Ottawa pour la télévision nationale de la Société Radio-Canada. La Colombie et l'Amérique latine vont devenir pour lui, depuis 37 ans maintenant, le lieu de découvertes et d'aventures inédites. Car voilà, ce pays, non seulement, reste un des rare en Amérique latine à avoir presque toujours connu une gouvernance démocratique, mais il s'est également construit sur la violence, le narcotrafic et la corruption. Un nom revient sur toute les lèvres, bien sûr, Pablo escobar ; une ville aussi, Medellin, qui battait les records du monde de meurtres sous son règne. Les écrits restent, dit-on, voici le livre d'une vie, la somme de plusieurs reportages, d'entrevues de terrain, publiés ici, contextualisés, dans le but de témoigner le plus précisément possible d'un mythe, de l'influence d'un homme sur un pays tout entier voire au-delà. Le journaliste grand-reporter nous offre un récit palpitant qui nous fait fréquenter les bas-fonds du crime organisé à l'échelle continental. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Jean-Michel Leprince. Extrait:« La tragédie d'Armero, une semaine plus tard, a détourné l'attention du monde entier des assassinats commis au palais de justice et de ceux qui les ont permis. Le fils de Pablo Escobar révèle que son père amis ouvertement deux hélicoptères à la disposition des sauveteurs, interrompant ainsi pour quelques temps leurs livraisons de cocaïne. L'amnésie institutionnelle avait commencé et avec elle, le règne de l'impunité. Dans son livre The Palace of Justice, A Colombian Tragedy, Ana Carrigan écrit que la guerre a quitté Bogotà pour «retourner dans les campagnes, chez les indigènes, où on n'a pas besoin de se soucier de monuments historiques, d'archives ou de caméras de télévision, et où les victimes sont politiquement invisibles». Parallèlement, Maureén Maya conclut dans Prohibido Olvidar. Dos miradas sobre la toma del palacio de Justicia qu'il est désormais devenu «plus facile de tuer» en Colombie. Le règne de terreur de Pablo Escobar a déjà bien commencé, et il ne cessera pas de croître en horreur. Il va bouleverser l'histoire de la Colombie, et la violence qu'il inflige à son pays et au monde entier par ses méthodes innovatrices en matière de narcotrafic et de cruauté ne prendra pas fin avec sa mort en 1993, et se poursuit encore de nos jours.» Géants aux pieds d'argile par Alain Chevarier et Mark McGuire paru en 2022 aux éditions Moelle Graphik. C'est quoi le problème avec les hommes aujourd'hui? Lance un aîné assis sur un banc près d'un parc, qui observe l'attitude d'un père avec son enfant. Pat et Mathieu sont deux papas, qui tentent de vivre leur paternité autrement que les générations précédentes. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs, il leur faut se confronter au passé de leurs propres père et grand-père, tout en restant bien présent, dans le quotidien de leur famille. Ce qui ne se révèle pas si facile, les traumatismes ont transcendé les filiations. Si les mères poursuivent leur carrière, les hommes prennent en charge un quotidien traditionnellement réservé aux femmes. Pat est celui qui en souffre le plus. Il lutte contre une rage noire qui se faufile en lui depuis l'enfance. Personne n'y échappe, pas même sa propre famille. Ses parents se sont séparés et son père, ancien militaire, est un alcoolique notoire. Il devient urgent pour lui de trouver l'origine de cette colère pour sauver l'équilibre de son ménage. Voici une bédé chargée de rage, de colère, d'abnégation et d'acceptation qui devrait marquer, à n'en pas douter, cette année qui s'achève. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Alain Chevarier et Mark McGuire. Extrait:« Il est où là? - Dans un avion-cargo. - Ton père faisait quoi pendant la guerre? - Il nous donnait toujours la même réponse: il faisait pousser les légumes. - Regarde ça! - Je vois ; il était en train d'importer des trucs sous le manteau pour les fêtes? - Je pense qu'il faisait ça l'année longue. Ni l'oncle Sam, ni les viet-cong ne pouvaient ralentir ses activités. - Un magouilleur reste un magouilleur toute sa vie. - Ouf, ton père était tout un personnage. - Lui et mon grand-père se seraient bien entendus. Les allemands l'ont capturé quand ils ont envahi la France, pendant la deuxième guerre mondiale. Il était dans les Ardennes, ils se sont fait ramasser.»

    Émission du 13 décembre 2022

    Play Episode Listen Later Dec 14, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 398. Von Westmount par Jules Clara paru en 2022 au éditions La mèche. Aline pointe en direction de la fenêtre, elle glisse le doigt vers le Saint-Laurent. Pour le reste, la vue est magnifique, ce versant de la montagne cachera néanmoins, toujours le quartier de sa famille. Elle se souvient, il y a un an déjà, comme chaque matin, sous un ciel gris du mois de décembre par – 24, elle embarquait pour ses quinze minutes d'autobus obligatoire. Elle appréhendait de commencer un nouvel emploi, dans un kiosque du marché de noël du centre-ville de Montréal, pour servir du vin chaud. Il lui fallait être aimable, dire merci/thank you plusieurs fois par jour à des touristes plus ou moins agréables, en espérant un pourboire improbable. Sourire et répondre parfait! à un chef d'équipe autoritaire et escroc étaient de rigueur. Il fallait bien payer les factures, le loyer et penser à son futur. Précisément son avenir immédiat étaient sombre, sa relation amoureuse avec James battait de l'aile et l'ambiance familiale ne valait guère mieux. Grâce à son amie Jasmine, elle travaille désormais pour une richissime famille russe, les Von Westmount, de leur vrai nom les Kroubetzkoy, pour s'occuper de leurs enfants, Alexander, Nikolas et la terrible Clémentine. L'autrice profite allègrement de ce portrait moderne d'une jeune femme ambitieuse chez les riches, pour inciser le canevas de nos soumissions quotidiennes si nécessaire au maintien d'une société inégalitaire. Ce n'est pas parce que la plume espiègle de l'autrice s'amuse à nous jouer des tours, à braquer la langue de Shakespeare, ou que le récit s'agite dans tous les sens, en territoire bourgeois, que nous ne sommes pas au centre du récit. Chacun.e en prend pour son grade. La rage couve, les murs de Wesmount tremblent, le feu menace au loin, l'autrice nous invite au pire, un verre de champagne à la main, le vin du diable. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Jules Clara. Extrait:« C'est qu'Aline a tendance à se méfier des livres. À la base, elle se méfie de son père et, vu qu'il vénère la littérature, elle éprouve un grand scepticisme envers celle-ci. Moins pour les mots qu'elle déploie que pour son prestige. L'effet qu'elle produit chez les autres, la métamorphose performative qu'elle instaure de manière progressive. Par exemple, il y a chez les Von Westmount une quantité impressionnante de bibliothèques énormes et bien garnies. Quand les invités quittent le manoir, ils se disent que la famille Von Westmount est une grande famille. Érudite, lettrée. Ils réfléchissent - en parallèle - aux prochains livres à acquérir. L'intérêt d'Aline se pose sur un rouge qu'elle juge atypique. Toujours aussi curieuse, elle extrait l'ouvrage de sa rangée, le dépose avec douceur sur ses genoux. La découverte du titre la fait sourciller: The Red Book. Our Family's Album. Les armoiries de la famille Von Westmount sont dessinées au centre, avec les quatre parties qui les constituent, montrant un buffle ici, un aigle là. Rien d'inattendu. Aline tourne les premières pages et s'arrête à l'introduction officielle.» Dryade tome 1 et 2, Les envoûteurs et Les mandragores par Stéphanie Leduc/Laduchesse, parue en 2022 aux éditions Moelle Graphik. Attention, pour un public averti seulement !Mission encre noire aborde la Bande dessinée érotique, plus précisément L'Erotic Fantasy. Avec la destruction de la lune, la terre est soumise aux radiations néfastes du soleil, et en particulier à une forme d'énergie maléfique la luciférine. Dans le premier tome de la série, Les envoûteurs, le métabolisme des hommes est affecté, cette énergie les fait régresser en monstres dégénérés. Au contraire de celui des femmes qui refuse de l'assimiler pour devenir des femmes-plantes, des dryades. Une seule échappatoire pour la gente masculine, ils doivent s'accoupler avec des dryades pour libérer le plus possible de luciférine de leurs corps. Même si l'acte peut leur être fatal, en faisant l'amour, les dryades peuvent en absorber de grandes quantités. C'est le rôle des envoûteurs de les amener au paroxysme du plaisir dans les meilleures conditions. L'une des principale dryade, Mélina, vient de mourir. Cependant l'arrivée de Flore, une dryade tout aussi puissante va bousculer l'ordre des choses. Dans le deuxième volume, intitulé, Les mandragores, alors que les pouvoirs des radiations se sont étendus, la végétation disparaît à vue d'œil. La terre ressemble de plus en plus à un immense désert, peuplé de monstres violents. Flore découvre ses pouvoirs. Elle est la réincarnation de Mélina. Elle est capable de donner vie à des mandragores, des plantes carnivores qui se nourrissent de mutants. Leur influence s'étend dangereusement sur le monde en ruine. Leur règne s'accroît au point de pouvoir guérir des monstres. Théode et Dorik, les envoûteurs vont prendre Flore sous leur protection, d'autant plus qu'un étrange personnage, appelé, Le jardinier, fait son apparition. Vous l'aurez compris Mission encre noire se jette à corps et à cris, ce soir, dans un univers mythologique fascinant, un monde de plantes, de sexe et d'imaginaire ensorcelant et captivant. À l'heure où l'avenir de la planète se joue entre les mains de vestons cravate, je vous offre, le luxe, de pénétrer un avenir aussi incertain qu'envoûtant, celui des dryades en compagnie de Stéphanie Leduc.  

    Émission du 6 décembre 2022

    Play Episode Listen Later Dec 7, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 397. Un homme et ses chiens par Marc Séguin paru en 2022 aux éditions Leméac. Que faut-il donc pour qu'un homme se dise presque heureux ? Dans sa vie, il a eu ses chiens, Mujo son premier, il avait sept ans, son confident. Easter, Goose et Maya suivront. Dès ses 4 ans, il a souhaité la fin du monde. Ne sachant trop quoi faire de cette euphorie soudaine, il détruit ses modèles complexes pour pouvoir les reconstruire. Plus tard, il fuira le monde et ses conventions à travers les drogues, puis les livres. Il aura connu l'amour, à plusieurs reprises, malgré sa sauvagerie. Sans cynisme, il constatera son incapacité à partager son quotidien bien longtemps. Ce qu'il cherche est plus grand que soi, une façon de vivre qui pourrait taire sa colère intérieure. Il restera à Anticosti plusieurs années, puis sur l'île aux Naufrages. Il deviendra guide de chasse, avec ses chiens, pour accompagner de riches américains, des français ou des anglais. Néanmoins, la question demeure: que faire de ses forces obscures qui le bousculent ? Comment apaiser ses rapports amoureux ? Marc Séguin nous présente le portrait tout en nuances d'un homme qui s'inscrit en rupture de la société. Lui qui aimerait tant ajouter un chapitre de bonheur véritable à l'histoire de sa vie, même s'il juge le quotidien définitivement trop triste. Pourtant si l'humanité court à sa perte, à quoi cela sert-il de vouloir encore aimer, pour de vrai, en grand, jusqu'à la douleur peut-être? Si par un ciel clair, il est encore possible de voir des étoiles filantes aujourd'hui, parfois elle nous attire comme un mauvais rêve, loin du vide. Pour nous signifier que nous ne sommes pas seul au monde. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire Marc Séguin. Extrait:« Belle fille Easter ! Donne !» Et la chienne ouvrait la gueule pour laisser tomber sa quête, à bout de souffle, couverte de vase ou mouillée jusqu'au os, prête à recommencer. Avec dans les yeux un appel passionné et inconditionnel. Elle retournait s'asseoir au pied de l'homme à scruter le ciel et les moindres mouvements de son monde. Capable de déceler la nervosité des chasseurs. Aux aguets de tout possible. Avec l'idée certaine que son comportement appelait les oiseaux à tomber du ciel pour faire plaisir à son maître. La chienne regardait les yeux des guides et sentait l'exaltation. « Y a plus de vérités dans le désir que dans les faits», avait répondu Clara quand l'homme lui avait demandé ce qu'elle aimait le plus de son travail d'écriture. La femme préférait l'écriture du livre à son existence personnelle. Easter avait les yeux de Clara Sauvage en cette journée grise d'octobre. Pâles et gris, presque bleus. Du mauvais temps demain encore. Un chasseur avait un soir dit à l'homme qu'il aurait souhaité une seule fois dans sa vie être regardé comme sa chienne le regardait. « Toutes races confondues.» » L'angoisse d'être à jeun par Sara Robinson paru en 2022 aux éditions Triptyque. Esmeralda est constamment défoncée. Né de l'autre côté de la rivière des outaouais, elle vit dans une maison du Vieux-Hull avec sa grand-mère et sa tante handicapée. À force de consommer trop d'amphétamines, l'autrice endosse le personnage de Notre-Dame de Paris. Souffrant d'un syndrome de la personnalité limite, cette Esmeralda 2.0 décide d'écrire un roman pour avoir l'impression d'exister. Mais quoi écrire? Elle tape fort sur le clavier, Bukowski en fond d'écran, «find what you love and let it kill you». Décidément très attachée à l'oeuvre de Victor Hugo, Esmeralda s'attarde à parodier sa cour des miracles, ses protagonistes, pour exprimer avec panache, ses angoisses d'existence, ses nuits blanches, ses histoires d'amour fuckées, et l'héritage douloureux d'une adolescence vécue aux côté d'une mère intrusive. C'est avec un humour dévastateur que la narratrice nous conte sa passion amoureuse à sens unique pour Phoebus, un barman de seize ans son aîné, ses relations quasi incestueuses avec son meilleur ami Quasimodo, comme ses tentatives pour faire chavirer le cœur chaste de Frollo. Si sa démarche peut paraître puérile et pleine de poésie de cul, c'est dans le texte, attachez vos tuques, le roman se lit ligoté à la verve magistrale de sa narratrice, un verre de fort dans une main, un pétard à mèche allumé dans l'autre. Ça s'écoute fort, bien calé dans son fauteuil. Tu m'aimes-tu et boom boom de Richard Desjardins qui vibre quelque part dans la pièce. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara Robinson. Extrait:« Si vous avez lu Notre-Dame de Paris, vous vous rappelez sans doute le chapitre fucking plate que Victor Hugo a intitulé «Paris à vol d'oiseau». C'est pénible, il faut énormément de volonté et pas grand-chose d'important à gérer pour passer à travers. C'est long. C'est très, très long. C'est sûr que blabla ils n'avaient pas le cinéma à l'époque pour permettre de visualiser le décor dans lequel se déroulent les événements, blabla il faut tout remettre dans son contexte historique sinon c'est laid. Je soupçonne néanmoins Victor d'avoir signé pour un certain nombre de pages et d'avoir rajouté le chapitre «Paris à vol d'oiseau» APRÈS que presque tous les personnages sont morts, tellement c'est dull. Anyways, il décrit avec une minutie incontestable le Paris médiéval dans lequel évolueront les tragiques événements et, j'en conviens, ça mérite d'être mentionné, ne serait-ce que sur le plan historique. Mais tabarnac, est-ce réellement nécessaire de décrire la grosseur des corniches, la manières dont les vignes se rattachent aux barreaux de fer forgé encadrant les escaliers qui montent vers une façade de marbre? Qu'un oiseau ait été, à ce moment-là, en train de pondre un oeuf dans une de ces bien baroques corniches pendant qu'un villageois avec trois dents dans la yeule se crossait dans une chaumière aux murs de pierre, est-ce qu'on a besoin de le savoir ? Non. On s'en crisse.»    

    Émission du 29 novembre 2022

    Play Episode Listen Later Nov 30, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 396. Les allongées par Jennifer Bélanger et Martine Delvaux paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Les deux autrices confessent être prise en otage par des douleurs et des fatigues chroniques, si brutales parfois, à vous laisser le souffle court. Comment témoigner de ce qui échappe au regard, de ce qui ne se partage pas,voire jamais ? À quoi ressemble le monde vu d'un lit, cet étrange objet, lieu grave s'il en est, lieu de naissance, de passion, de désir, de mort, de souffrance et aussi d'oubli. Car voilà, comment peux-t-on avoir une vie quand on la subit couchée? Martine Delvaux et Jennifer Bélanger s'entourent d'autres femmes, écrivaines, artistes, amies, mères, filles, amantes et soignantes pour rendre hommage à toutes celles qui plient sans doute un peu plus chaque jour sous le poids de leur plaies et blessures ; les accidentées, les insomniaques, les survivantes et qu'on invisibilise encore trop souvent. Les voix de ces femmes qui luttent, se rebellent, s'arc-boutent devant un monde qui préfère les reléguer aux rôles de paresseuses, d'hystériques ou de martyres cinglent les pages de ce court essai. Même si leurs corps les obligent à ralentir, les deux autrices ne renoncent surtout pas à redonner une voix à celles laissées pour mortes. Pour toute une famille élargie de résistantes, il reste le rêve et l'écriture d'autres récits, j'accueille, à Mission encre noire, Jennifer Bélanger et Martine Delvaux. Extrait:« nous sommes tenues coupables parce que résistantes, parce que grévistes, parce que nous avons cessé d'être des soldates dans l'armée des bien portant.es, refusant d'avancer coûte que coûte sinon en tirant la maladie et la douleur vers l'écriture et donc aussi vers la vie //revenir à ces temps anciens, quand la fatigue des paysans.nes est une toile de fond et qu'elle découle de l'usage répété d'outils, la bêche et la sape pour les hommes, car jugées trop difficiles à manier pour les femmes, la faucille et le râteau pour ces dernières, comme en témoigne la toile de Jules bastien-Lepage La fameuse au repos //au japon on nomme Karoshi ce phénomène où des hommes en veston cravate meurent de fatigue d'avoir trop travaillé, arrêt cardiaque ou affaissement total dans les rues, leur tête contre les escaliers du métro ou à la sortie des bars, l'espace public devient un cimetière pendant que dans les foyers, les épouses fantômes sont elles aussi surmenées et emportées //on aime dire que le travail c'est la santé» À quoi jouons-nous par Rachel Lamoureux paru en 2022 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. À quoi jouons-nous, à écrire bien évidemment. Pour ce faire, l'autrice décide se confronter aux relations amoureuses, dans l'éblouissement des débuts comme au désespoir des échecs. Puisqu'elle refuse de vivre dans la lâcheté d'une rupture qui s'annonce, elle se résout à étreindre une réalité rugueuse une bouchée à la fois. Elle écoute ses mots à lui, l'autre, l'amant, malgré tout, puis se lasse. Elle choisit la solitude de l'écriture. Du côté aiguisé de sa plume, les poèmes fouillent la plaie, un temps, elle empêche la blessure de guérir. Car ce qui convient le mieux, c'est de se moquer des limites, de feindre la peur du vide, de badiner avec le vertige et sans doute l'ivresse, sinon le jeu n'en vaudrait pas la chandelle? Oui, l'autrice se présente, elle-même, dans le texte, rachel, accompagnée d'autres comparses, après de qui, elle emprunte, elle associe, elle coupe pour faire avancer le poème et mieux vous saisir dans l'éclat de sa langue nouvelle. À quoi jouons-nous, ce soir, avec qui ? J'accueille, celle qui dans un texte paru dans Moebius 172, se disait habitée par le sens de l'insurrection, Rachel Lamoureux est mon invitée à Mission encre noire. Extrait:« je n'ai pas eu besoin /d'essuyer mes pieds / la neige est dehors/mêlée au goudron /et ma déception / immémoriale // les corps s'enchâssent / nous nous ressemblons toutes / d'un minois l'autre / le doigt est fin l'ongle friable / le nez rond la bouche charnue / la chevelure peroxydée / nous avons l'allure / de femmes synthétiques / avec personne dedans // gentiment ce n'est possible / de te repousser je n'ai appris à dire / non que très tardivement / non & oui peut-être / je ne sais pas »

    Émission du 22 novembre 2022

    Play Episode Listen Later Nov 23, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 395. J'étais un héros de Sophie Bienvenu paru en 2022 aux éditions Le Cheval d'août. Yvan, 62 ans et Miche, sa colocataire-sa blonde, se retrouvent démuni.e.s aux urgences d'un hôpital pour recevoir un diagnostic sans appel. Yvan a passé sa vie à se détruire, Miche aussi d'ailleurs, étant devenue alcoolique comme lui. Il est tout seul, il l'a toujours été, sa vie aura été ça : un amas d'affaire ratées et d'occasions perdues. Ça fait 20 ans qu'il n'a pas revue Gabrielle, sa fille. Il ne lui a même jamais donner son numéro de téléphone.Que pourraient-ils se dire de toute manière? Pourtant dans le temps, il était son héros. C'est lui qui le dit. Son rire d'enfant faisait de lui un surhomme. Heureusement, aujourd'hui il lui reste encore un chat trouvé dans les poubelles et Miche qui l'ennuie. Il fait ce qui lui tente l'animal, il est libre, il est maître de son destin. Ça lui plaît ça, à Yvan. Rien n'est moins vrai. Sophie Bienvenu nous dévoile le portrait d'un homme blanc, d'un baby boomer, prisonnier des rôles qu'il s'est imposé. Il vient d'une génération qui se sait malhabile avec les émotions et qui préfère encore les silences ou les baisers de feu de l'ivresse pour colmater les cicatrices du passé. Enfant quand on a le goût de pleurer devant Lassie, de jouer avec les petites filles à la poupée, et, plus tard, de vouloir porter des pantalons rouges comme Bowie, ça marque quand même son homme. Que reste-t-il de tout cela au final? Comment enfin prendre la parole avec sa fille? Peut-on pardonner après si longtemps? Je reçois Sophie Bienvenu, ce soir à Mission encre noire. Extrait:« C'est Trevor qui m'ouvre. Je l'avais oublié, lui. Il paraît content de me voir, j'ignore toujours si c'est fake ou s'il est juste très gentil. Miche était de même, avant, mais il suffit que trop de marde s'amasse dans les craques pour que quelqu'un se fende et explose en plein de petits morceaux impossibles à remettre ensemble. Jeanine est mieux de faire attention. Mais bon, qu'elle s'arrange avec ses troubles, Jeanine. Quand Gab a dû partir de chez nous parce que je n'étais plus «un père adéquat», elle m'a appelé un soir de la semaine pour savoir comment j'allais et j'ai demandé à parler à sa mère. Je voulais la remercier d'avoir recueilli ma fille en attendant que je me remette. Jeanine a répondu:« Yvan...c'est ma fille aussi», et j'ai réalisé que je l'avais oublié. Une partie de moi refusait d'admettre que Gab soit à quelqu'un d'autre, du moins autant qu'à moi, mais j'ai malgré tout été soulagé. Je me suis vu au milieu d'un océan déchaîné, suffoquant à moitié, lâcher la corde qui me retenait à une grande plateforme. J'ai laissé le courant m'emporter avec un immense sentiment de liberté. Et, après ça, je me suis noyé.» Daddy Issues par Élizabeth Lemay paru en 2022 aux éditions Boréal. Cela fait quatre ans que ça dure. Le même rituel, il entre, il tire les rideaux, la rejoint dans le lit souverain, une baise de trente minutes, une autre demi-heure à discuter, il lui offre des livres, puis il s'enfuit vers sa famille, vers sa reine qui l'attend. Rencontré sur le boulevard St-Laurent, la narratrice devient la maîtresse d'un homme marié. Elle est sa deuxième femme, un amour clandestin, qui existe une fois par semaine. Il ne mesure pas sa chance, les hommes de son âge traînent d'habitude chez les prostituées. La narratrice, ici, est amoureuse. À l'attendre, souvent, elle s'abîme dans un rêve auquel elle ne croit pas elle-même, bien entendu. C'est un homme d'une autre génération, un silencieux, qui ne dit jamais «je t'aime». C'est une histoire banale, presque un classique du genre me direz-vous, sauf qu'ici, la langue se fait parfois politique, sauf qu'ici, enfin, la parole lui est laissée, à elle, la maîtresse diabolique, la sorcière subversive. À celle qu'on abandonne. À celle qui lit. À celle qui prend la plume. Si ce roman traite surtout des relations sulfureuses entre deux amants, la transgression sociale de l'expérience adultérine habite chaque ligne de ce livre. Si le sexe est aussi bon, comme dit l'adage, c'est meilleur parce que c'est volé. Alors mieux vaut opter pour cet amour bancal. C'est comme choisir l'idée d'un pays à venir, à force d'attendre l'improbable révolution, aimons-nous autrement. J'accueille. Ce soir, à Mission encre noire, Élizabeth Lemay. Extrait:« Le roi est revenu d'Italie. Nos corps se sont enfin retrouvés, comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. Ils se manquaient plus encore que nos âmes. Et j'ai pensé à cette mystérieuse filiation qui se créé entre les êtres par le sexe, à cette faculté qu'à le corps de se souvenir, plus encore que les êtres, que les hommes, j'avais oublié ce que c'était que d'aimer autant mon vieil amant et j'ai revisité sa peau que je connaissais par coeur, habitée du bonheur dans toute sa plénitude dont parlent les gens heureux. Leonard Cohen, venu de l'au-delà, ajoutait à la mélancolie ambiante et dansait partout autour de nous. Il nous épousait, une fois de plus, dans notre cause vaine. Tout est revenu à moi avec une telle fulgurance. C'est si faux, ce qu'on dit sur le temps qui amenuise les sentiments. Il me semble que, depuis le retour de mon roi, notre histoire a acquis une certaine stabilité. Une fois par semaine, je tourne nerveusement les pages d'un livre, couchée sur le ventre au milieu de mon grand lit blanc, et j'attends. Le plus souvent, je m'y installe avec Annie Ernaux parce que je sais qu'elle, elle aurait compris ce que je fais là, son livre à la main, un verre de vin dans l'autre, à attendre un homme.»

    Émission du 8 novembre 2022

    Play Episode Listen Later Nov 9, 2022


    Mission encre noire Tome 36, Chapitre 394. Niagara par Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Ici nous sommes en présence de la voix de la narratrice au pied des célèbres chutes, l'eau et ses remous se déchaînent. Elle guette encore au bord du parapet l'apparition improbable de la silhouette fantomatique de sa mère, morte depuis belle lurette, dérivant au long des rives des grands fleuves du continent américain. Car voilà, ce deuil, éveille en elle, un rêve insensé, que ce soit à partir des photos de son enfance, lors d'une première visite à Niagara en 1964, ou bien à la suite d'une citation de marguerite Duras, la narratrice voit encore et encore, le corps aimant disparaître sous les écumes et rejoindre les berges du Mississippi. Marquée par le séisme provoqué par cette perte, elle y puise une inspiration inédite, qui, sur le modèle de François-René de Châteaubriant, ou est-ce peut-être Flaubert, Mallarmé ou même Jeff Buckley et bien d'autres, lui permet d'élaborer de véritables Mémoires d'outre-tombe. Se dessine, alors, sous la plume espiègle et badine de l'autrice, un portrait tout aussi jouissif que douloureux, de ce qui fonde, il faut bien se l'avouer, un héritage littéraire. Plouf, donc, sillonnant le territoire nord américain des songes, Catherine Mavrikakis s'amuse à dégringoler ces chutes, car c'est à Niagara qu'elle contracté la maladie de la mort. De quoi s'agit-il au juste? J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Catherine Mavrikakis. Extrait:« Nous vivions à l'époque où les chutes pleuraient pour la planète, elles éclaboussaient de leurs larmes les berges. Elles aspergeaient les terres autochtones de leur propre douleur. Les chutes sanglotaient et plus personne n'allait les voir. On disait qu'elles rendaient malades. Leur beauté inquiète provoquaient un syndrome, celui de Niagara, qui fait l'objet de ce récit. Ceux et celles qui étaient contaminés par la magnificence du lieu prenaient conscience de la violence du temps qui passe. Pour ce virus, on n'a toujours pas mis au point de vaccin. Certaines créatures, sans que l'on comprenne pourquoi, le chopent à répétition. Les scientifiques s'interrogent. On chute, on chute...et on fait des rechutes...Je ne le sais que trop. C'est à Niagara que j'ai contracté à trois ans la maladie de la mort et je ne m'en suis jamais remise.» La scoliose des pommiers par Anthony Lacroix paru en 2022 aux éditions de la maison en feu. «Si vous ne comprenez rien à ce livre/oubliez-le/dans la salle d'attente d'une forêt». C'est un avertissement donné en en-tête du recueil de poésie qui interpelle, alors que le poète ajoute également en quatrième de couverture «je ne sais pas être poli autrement qu'avec les animaux sauvages». La scoliose des pommiers est un premier recueil de poésie écrit sur deux ans entre une période de pandémie et une autre de convalescence. On y parle d'angoisse, de mélancolie, de baseball, de botanique, de mauvaises herbes, de la fébrilité des os ou d'hôpital. Dans cette ville froide, où les culs-de-sac aboutissent à une usine, le corps est en lutte contre la maladie, l'assignation à résidence, l'ordinaire de la vie. Le poète attends l'étincelle qui le fera tomber amoureux d'une fleur qui ne soit pas issue de ses veines. Si Mission encre noire prend des allures de terrain de baseball, ce soir, prenons une marche jusqu'au stade, j'accueille un sérieux candidat au pitch, Anthony Lacroix est mon invité. Extrait:« encore cette nuit/deux triangles prenaient ma carotide en orage/pour ne pas te réveiller/j'ai prononcé mes doléances à voix basse/mais la sueur de mon dos/en a gardé les marques. Si je pouvais/j'abreuverais mes plantes trois fois/par jour/mais je n'ai aucun talent/quand il s'agit de confiner l'électricité statique/et ce qui pousse sur mes bras/ne ressemble en rien/aux réponses que tu cherches.»

    Émission du 18 octobre 2022

    Play Episode Listen Later Oct 19, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c'est pour son Mathurin qu'elle tremble. C'est pour lui qu'elle chante, c'est pour lui qu'elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d'air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d'une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s'uniront pour le pire car l'enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d'amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l'éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d'une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d'un fruit d'amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l'Eden. Faites gicler strass et paillettes, j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey. Extrait:« I want to wake up in the morning...With that dark brown taste...Je me lève de mon trône devant le train fissuré du miroir...Je tourne sur moi-même dans ma loge, m'arrête à nouveau devant mon miroir, dis-moi...Dis-moi dis-moi qui est la plus belle? Je prends la perruque de la tête tranchée sur le comptoir...J'aime glisser mes doigts dans les cheveux doux qui, pour l'instant, ne sont pas les miens...J'aime toucher ce qui n'est pas encore moi...Je pose la perruque sur ma tête...I want to see some dissipation in my face...Mes cheveux courts se font engloutir par la blondeur platine de la perruque...Tu phagocytes mes poux, Mathurin, dévores mes plantureux parasites...I want to see some dissipation in my face...Tu réchauffes mon corps esquissant des pas de danse sur mes talons hauts, au centre de gravité de ma loge...Je cambre les reins, me prépare à aguicher le tout-venant ruant dans les brancards à braguettes...Je sais dresser le gibet et nourrir le gibier...J'ai ce don qu'ont les fées de savamment couper les têtes, coiffer les plexus en colère, faire la fête sous les feux de la rampe...Ça y est, mon spectacle va commencer! Je relève mon bustier de paillettes sur ma poitrine absente, mon torse palpitant de jeune homme abattu, mon coeur...I wanna be evil...I wanna be mad...C'est le moment, Thierry, allez bonne nuit...Maman Candy est prête...» Territoire de trappe par Sébastien Gagnon et Michel Lemieux paru en 2022 aux éditions Triptyque dans la collection Satellite. Il était une fois dans le nord québécois, plus précisément à deux jours de marche de la rivière Mistassini, le long de la Platte. Léon revient passer Noël chez lui après une absence de quatre mois pour aller chasser avant l'expédition de trappe accompagné de Wilbrod, de Cyprien et de Reth, aussi nommé par les Innus, Asthen, l'esprit anthropophage. Ils rejoignent, un poste de traite moribond, à l'allure désincarné,  plus proche d'un assemblage de taudis rafistolés qu'autre chose. La plupart des habitants s'évertue à dissimuler leur passé et à attendre de mourir dans le froid. Léon avance vers chez lui, tout est à sa place à l'intérieur sauf l'essentiel : Rose, sa fille et Almas, sa conjointe ont disparu. Elles pourraient être sorti, sauf qu'ici, passé les dernières cabanes du village, confronté à la rivière non navigable et l'immensité de l'hiver, on n'y pense même pas. La carriole du curé Edmond qui s'annonce dans les hurlements de bourrasque ne lui dit rien qui vaille. Ajouté à cela, la canaille de maire du village qui paye ses dettes avant son arrivée. Rien ne colle parfaitement dans le tableau. Et l'hiver avance inexorablement. De ce point de vue, on pourrait s'attendre à un récit sinistre et déprimant. Pourtant pour un premier projet mené en commun, les auteurs déploie un humour froid et rageur pour décrire l'histoire d'un pays qui va changer de siècle. Pour l'instant seul les plus violents, les plus cyniques vont tirés leur épingle du jeu. Malheur, aux pourris, aux lâches, aux corrompus, aux moches et aux affreux, l'avenir leur est condamné. Un futur qui s'ébauche au féminin. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire les gagnants du prix du meilleur roman du salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Sébastien Gagnon et Michel Lemieux. Extrait:« Sur le poêle, le chaudron crépite de plus en plus à mesure que le feu prend de la vigueur et que l'eau gelée dedans fond. Léon plisse les yeux en inclinant l'ultime feuillet dans la lumière offerte par la porte ouverte du poêle. Les derniers mots gris pâle, tracés à la mine de plomb sur du papier grossier, sont pénibles à déchiffrer. Quand il y parvient, il découvre cette phrase en guise d'épitaphe: « J'ai bien hâte que mon père s'occupe de plumer toutes ces poules mouillées.» Le trappeur s'accroupit, brûle tranquillement chacune des pages, laisse les flammes sécher les larmes sur son visage débâti par les remords et la fureur. C'est sans aucun doute Ti-Paul, pressent-il, qui a fait disparaître Rose - une certitude puante comme la pisse du carcajou. Et une autre affaire empeste au moins autant: chacun des habitants de sa localité s'en lave les mains. S'il en est ainsi, alors tout le monde va devoir payer. Le feu qui dévore les mots de sa fille s'étend aux entrailles de Léon. Le cahier, en finissant de se consumer, devient une belle métaphore du tas de cendres qu'est devenue la vie du trappeur.»  

    Émission du 11 octobre 2022

    Play Episode Listen Later Oct 12, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 392. Que notre joie demeure par Kevin Lambert paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Céline Wachowski jette un regard circulaire sur les invité.e.s. sous l'immense lustre qui pend au plafond. Le Mont-Royal est à deux pas à vol d'oiseau, on pourrait le toucher. Lorsque l'on est une des femmes les plus influentes du monde, il faut se méfier du quand-dira-t-on, ce sont des choses à considérer. Surtout que le complexe montréalais Webuy est sur le point d'être inauguré. Pure produit des Ateliers C/W, situé au 305 rue Bellechasse, cet immense projet suscite bon nombre de critique au Québec. Cette femme de 70 ans qui anime une série culte sur Netflix, dont le portrait est croqué par Joan Didion dans le Harper's Bazaar, est l'icône d'un monde bourgeois qui évolue en vase clos. Un gotha qui s'ébroue loin de vous, loin de moi, loin de la rue où la menace gronde. Cette classe dominante montréalaise, Kevin Lambert la saisie ici dans toute sa démesure et sa décadence. Sauriez-vous dire pour autant de quoi ils/elles parlent? Comment envisagent-ils/elles la vie? De quoi sont faites leurs angoisses? L'écrivain dissèque les pensées de notre jet-set au scalpel, tout en faisant jaillir l'éternelle histoire d'un capitalisme avide et destructeur. S'agirait-il de son livre le plus politique ? S'agissant de la lame de l'auteur, elle est parfaitement aiguisée et son fil est empoisonné. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Kevin Lambert. Extrait:«Ce que Céline aurait aimé voir, c'est des gens qui se révoltent pour de vrai ; pas une gang de bobos qui trimballent leurs pancartes sérigraphiées, avec «POWER TO THE PEOPLE» dessus. Les dominés, les vrais dominés ont juste à tenir tête ; ils devraient arrêter de supplier les avocats et les médecins qui nous servent de gouvernants de sauver leur peau («on augmente le salaire des médecins», ajoute Rolande). Le peuple agit comme un enfant qui se laisse commander, c'est ça qui m'écoeure. Non, c'est pas moi, Céline Wachowski, qui va contester vos rénovictions pis faire respecter les normes du travail dans les usines.Les multimillionnaires que vous admirez tellement, que vous vénérez en secret peuvent bien donner tout leur argent à des bonnes causes, au bout du compte, ils vont jamais vous sauver - sa voix descend, emprunte une tonalité grave pour effectuer une remontée vibrante - qu'on arrête d'attendre le messie... Que le Québec se tienne pour une fois. On veut pleurer dans la rue, et par-dessus tout montrer qu'on pleure, sans trop brasser les affaires. On est trop attachés à la soumission, c'est confortable la soumission...» Les deuils transparents par Virginie Savard paru en 2022 aux éditions Triptyque.« Toutes les fois que je ne songe pas à la mort, j'ai l'impression de tricher, de tromper quelqu'un en moi. » Cette citation d'Emil Cioran, tirée de De l'inconvénient d'être né, ouvre ce recueil de poésie. Virginie Savard nous invite à faire l'expérience des deuils qui nous habitent, parfois nous fuient par défaut ou par négligence: une plante meurt, un astre s'éteint quelque part, une fourmi s'égare, des mots qu'on oublie, une catastrophe qui n'arrive pas encore, des rendez-vous manqués, des espèces disparues. Vous arrive-t-il de vous demander si ce pas que je viens de poser sur la pelouse serait le dernier ? Ou bien encore, cette nonchalance serait-elle fatale à un être plus minuscule que moi ? En regardant l'existence sur son versant fragile, l'autrice nous invite à revenir sur nos adieux définitifs, comme sur ceux qui nous ont échappé, à nos moments manqués et qui imperceptiblement nous colle encore au corps. Écoutez en vain ce qui meurt un peu plus chaque jour autour et avec nous, c'est déjà faire œuvre de philosophie et d'éthique. C'est sans doute aussi, faire preuve d'humilité et d'écoute envers le cycle du vivant. C'est peut-être là, sous vos yeux, dans cette lecture, une leçon de survie nécessaire, si nous voulons un futur. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Virginie Savard. Extrait:« Nous avons fabriqué nos propres dépotoirs/pièce par pièce/l'abondance et le confort sont des tortues qui s'étouffent/et des torrents étranglés/le poids des caprices/a dépassé celui du vivant (...) après nous il restera/un monde fluorescent/où des ours polaires maigres nageront/dans le polystyrène dans le bonheur/ils tenteront de se construire/un nouvel habitat avec les restants/de meubles Ikea de mélamine/de résignation/subsistera un hiver/brillant comme un néon/qui indique la sortie »

    Émission du 4 octobre 2022

    Play Episode Listen Later Oct 5, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 391. Glu par Clémence Dumas-Côté paru en 2022 aux éditions Les Herbes Rouges. Glu: nom féminin. Colle forte.Matière végétale visqueuse et collante, comme pour piéger les oiseaux. Personne importune, indiscrète. Il y a un peu de tout ça dans les liens qui relient Théo, Simon et la narratrice. Depuis sa séparation, elle s'occupe de Bébée, 2 ans, une semaine sur deux, qui pleure parfois, trop, pendant des heures. Ça lui arrive de l'oublier, de la laisser jouer avec un tesson de verre, de l'empêcher de sortir de sa chambre aussi. Ou peut-être est-ce le produit de son imagination. En revanche, un soir de mai, un mercredi pour être précis, un voisin, Simon, se laisse tomber du toit. Que s'est-il passé? Entre quelques promenades salutaires dans Parc-Ex, la nuit, et le long du chemin de fer, à côté du Parc Jarry, elle se découvre aimantée par cette histoire. Elle décide alors de retracer le chemin du voisin de son voisin mort, quelque part elle revit. Théo, pourrait lui donner des réponses aux questions qui l'obsèdent. Toutes sauf une: qu'est-ce qui la retient de commettre, elle aussi, l'irréparable? Son quartier, c'est Parc-Extension, depuis huit ans. Elle y vaque entre vêtements indiens à vendre et pâtisseries grecques en essayant de faire correspondre les morceaux brisés de son monde fissuré, en se branchant à cette imperceptible source, à cette Glu, pour refuser l'appel du vide. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, Clémence Dumas-Côté. Extrait:« Depuis que j'ai lu Le petit Chaperon rouge à Bébée, elle me parle de chair fraîche au lieu de peau. «Et le loup sentit l'odeur de la chair fraîche et s'approcha de la fillette qui cueillait des fleurs sauvages sur le bord de la route.» Bébée dit: «Veux Maman chatouille chair fraîche moi.» alors on joue longuement, parmi les couvertures. Je me vois à travers des éclats qui surgissent dans son visage, le temps d'une seconde. La terre fait un tour sur elle-même, encore une fois. Le loup a faim de la chair fraîche. Elle lui fait perdre la tête, au loup, elle lui donne envie de lâcher toute quête initiale pour en débusquer l'origine coûte que coûte et s'y relier. Je peux moi aussi ressentir cette faim, mais autrement. J'ai faim d'un cercle qu'on tracerait dans l'air avec le doigt. Je ne suis plus moi, je suis une loupe. Un jour, je glisse mon index sur les étagères poussiéreuses de l'échoppe de M.Sokoloff jusqu'à attraper une paire de gants en satin doré qui m'interpelle. Ils me happent. Je ne peux que les enfiler. Ils sont devenue accessoire. Alors, mes mains insérées en eux, je suis un peu moins affamée.» Bizarreries du banal, 13 histoires étranges par Éric C. Plamondon paru en 2022 aux éditions Sémaphore. Bizarre: qui est inhabituel, qu'on explique mal. D'un caractère difficile à comprendre, fantasque. Pour une première œuvre de fiction l'auteur n'a pas froid aux yeux. Comment à partir de situations qui a priori peuvent sembler ordinaires, un simple détails relevé au hasard, donne une porte d'accès inédite vers la fiction ou plutôt nous révèle une serrure par laquelle la plume de l'auteur va jouer au passe-partout. 13 histoires étranges estompent un instant le lien tangible qui unit les faits observés et la réalité pour mieux y revenir. Un type étrange, qui hésite à aller skier, et choisi la terrasse, pour relaxer. Qui cherche-t-il ?  est-t-il vraiment ce qu'il prétend être? Ce réparateur télé qui s'était juré de ne plus retourner chez cette vieille femme, hésite encore, pourquoi donc ? Il peut être périlleux de jouer avec le paranormal en particulier lorsque l'on choisi Miss Marple, l'héroïne d'Agatha Christie. Et si une paire de lunette d'un nouveau genre nous permettait de retrouver à coups sûr les objets égarés et plus encore, cela changerait-il la face du monde? 13 nouvelles singulières promettent de jouer les trouble-fêtes dans votre rythme de lecture. Si le doute s'installe, si le récit relève le défi de fustiger les attentes, c'est pour mieux en révéler les points de chute. Lorsque l'étrange se faufile au cœur du quotidien, j'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Éric C Plamondon. Extrait:« Il y avait déjà quelques semaines que je l'observais, et j'en étais persuadé: ce type parlait aux ascenseurs. Pas pour vrai, bien sûr, et pourtant il se positionnait toujours à l'avance et avec exactitude devant l'ascenseur qui ouvrirait ses portes en premier. Dans une tour de bureaux où six ascenseurs se font face, il est normal qu'on tombe parfois sur le bon, mais pas à tout coup. C'est impossible. Le jour où je l'ai remarqué pour la première fois, j'avais décidé de changer l'heure de ma pause, la cafétéria étant trop achalandée à mon heure habituelle. Je m'étais félicité de cette décision, car nous n'étions que trois à attendre l'arrivée d'un ascenseur au lieu d'une douzaine. Puis un type que je n'avais jamais vu est arrivé de la partie ouest de l'immeuble et a marché d'un pas ferme vers l'un des six ascenseurs. Nous nous sommes tous trois automatiquement rendus à ses côtés, croyant qu'il avait vu ouvrir les portes. Mais elles étaient closes.»  

    Émission du 27 septembre 2022

    Play Episode Listen Later Sep 28, 2022


    Mission encre noire Tome 32 Chapitre 390. J'habite une île par Rodolphe Lasnes paru en 2022 aux éditions Leméac. Montréal: 50 km de long, 16 km de large, 483 km carrés de superficie, 266 km de berges, deux millions d'habitants. Êtes-vous des îlien.n.e.s ? Quand avez-vous vu pour la dernière fois le bord de l'eau du fleuve Saint-Laurent? Avez-vous pris le temps de cheminer lentement sur ses berges, de humer ses parfums, d'essayer d'en saisir son ADN, son âme insulaire? Cette île-ville qui généralement néglige son fleuve et le dérobe à la vue de ses habitants, Rodolphe Lasnes l'a couru. Où est-il ce fleuve ? On ne l'entend pas. Pour en avoir le coeur net, il décide de faire son tour de l'île à Pied, d'une seule traite, sans retour à la maison, en sens inverse des aiguilles d'une montre. Départ du Vieux-Port, pour mieux remonter le temps, des origines vers l'est, puis rejoindre l'aval des rapides de Lachine vers l'ouest. L'homme du fleuve ne lâchera pas son eau des yeux. Rodolphe Lasnes vous propose ni plus ni moins de vous projeter en état de voyage, ici même, près de chez vous. Sac à dos léger, un carnet à portée de main, des bâtons et des chaussures de marche, avec en prime une paire de lunettes glacier qui lui permettent de ne jamais perdre le fil du temps, de l'histoire et des mots. Plus précisément, ceux de Pierre Perrault, des cageux de l'Abord-à-Plouffe ou de Réjean Ducharme qu'il garde avec lui au cours de son périple. Pourquoi faire le tour de l'île à pied me direz-vous? L'auteur vous répondra:« pour aborder les rivages, pour que les paysages se transforment en histoires». Je reçois Rodolphe Lasnes, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Un archipel, ça résonne comme un appel au lointain, une promesse d'exotisme. C'est Conrad Kirouac, un nom taillé pour l'écriture et l'aventure, qui baptisa dans sa monumentale Flore laurentienne «Hochelaga», celui dont l'Isle est le centre. Un hommage à la toponymie iroquoienne, qui d'un seul mot racontait l'histoire d'un barrage de castor géant réduit à néant par un dieu marchant vers l'amont, pour nommer les rapides de Lachine. Combien d'îles, d'îlots et de récifs dans l'archipel d'Hochelaga? Deux cents, deux cent trente-quatre, trois cent vingt ou trois cent vingt-cinq, personne ne s'accorde. Bien assez de toute façon pour se perdre dans un dédale de canaux et mettre pied sur des berges en se prenant pour un explorateur. L'île à l'Aigle, l'île au Diable, l'île aux Chats, l'île à la Truie, l'île à Pinard, L'île Claude, l'île à Thomas, l'île aux Canards, l'île Sunset, chacune son histoire, avec parfois la toponymie pour seule mémoire. Des îles privées, des îles désertes, des îles squattées, des îles cultivées, oubliées, préservées, interdites ou surpeuplées. Autant d'îles à habiter, autour desquelles s'abandonner à marcher.» La culture du divertissement, art populaire ou vortex cérébral? Par Sébastien Ste-Croix Dubé paru en 2022 aux éditions Alias. Cette présente édition est une réédition en version augmentée de l'ouvrage par en 2018 chez Varia. Qui de nos jours ne se permet pas un moment de relâche. On épluche Netflix, on allume la PS5, on déroule Facebook voire Instagram ou TikTok. Jusque là tout va bien ou à peu près. Si ce n'est que la journée se termine. Nous avons passé 3h30 de consommation télévisuelle, 1h40 de radio, 2h00 de réseaux sociaux, 1h00 sur YouTube, 30 min de jeux vidéo, une consommation totale de médias électroniques de 11h00 par jour par américain en 2016, à 12,5 au cours de la pandémie. Qu'est-ce donc qui nous pousse à tant à nous distraire, à rechercher le spectaculaire? Que se cache-t-il derrière notre surconsommation de divertissements en tout genre? Sébastien Ste-Croix Dubé s'inscrit dans la lignée de Guy Debord, de Jean Baudrillard, de David Foster Wallace, de Gilles Lipovetsky, voir Georges Lucas ou Noam Chomsky, pour tenter de définir ce que représente cette culture du divertissement. Et pourquoi pas, pour être à même de la comprendre et d'être capable de se prémunir contre ses effets néfastes. Nous rejoignons la lumière ou le côté obscur de la force, ce soir, aux côtés de Sébastien Ste-Croix Dubé, qui est invité à Mission encre noire. Extrait:« Qu'est-ce qu'un blockbuster? C'est un film à pop-corn. Mais encore ? c'est une production brillamment patentée pour être populaire et spectaculaire. Il s'agit d'y doser habilement l'action, les effets spéciaux, les vedettes, les stéréotypes, l'amour poignant et les fusils. J'ai travaillé dans un magasin de location de films dans un village lanaudois durant mon adolescence. J'ai même vécu la transition du VHS au DVD. Et ma fille connaît présentement la fin du DVD. Je mettais régulièrement au défi la clientèle de me trouver un film d'action ou d'aventures sans fusils sur la pochette, et personne n'y parvenait ! La sélection de ce club vidéo était évidemment orientée vers les superproductions. En fait, le fusil est un peu aux affiches de film d'action ce que le cumshot est à la pornographie. Il évoque un code archétypal du film à pop-corn. S'il y a un fusil, il y a de l'action. S'il y a de l'action, il y a forcément des moments de divertissement, à l'extérieur de la sphère psychologique des personnages.»

    Émission du 20 septembre 2022

    Play Episode Listen Later Sep 21, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 389. Le virus et la proie par Pierre Lefebvre paru en 2022 aux éditions Écosociété. Comment faire, oui comment réussir par se faire entendre alors que tout porte à croire que c'est impossible. Transposé sur scène  au Centre du théâtre d'aujourd'hui sur Saint-Denis à Montréal, du 30 novembre au 02 décembre 2022, cette lettre, Pierre Lefebvre l'adresse à un homme qui ne veut pas l'écouter. Ou du moins, par cette missive, l'auteur reconnaît son impuissance. Car, voyez-vous, tout les oppose, l'argent, la réussite, la domination ou le pouvoir ne lui inspire au mieux que de la haine et du dégoût. À l'heure où la campagne électorale bat son plein, ne ressentez-vous pas cette légère démangeaison, l'étrange bourdonnement du vide autour des débats médiatiques ? Y trouvez-vous votre place ? Mettons cartes sur table, ici, un homme n'ayant aucun pouvoir aimerait particulièrement s'adresser à ceux les possèdent tous. Pierre Lefebvre signe ici un texte magistral et indispensable. Si les mots ont encore une force, l'auteur saisie sa chance avec du style et du caractère. Ne vous y trompez-pas. Il serait malhabile de ne voir ici qu'une complainte de plus ; vous manqueriez l'essentiel. Quelque chose comme une déclaration d'amour, à la vie, à son mystère, à sa beauté. Je reçois, ce soir, Pierre Lefebvre à Mission encre noire. Extrait:« Mon incapacité à me faire entendre de vous est sans fond. Elle n'a pas de début, ni non plus de milieu ou de fin. On dirait un océan qui recouvrirait l'entièreté de la terre, une étendue de vagues sans rivages, ni d'un bord ni de l'autre. Ça ne ressemble à rien. Mon incapacité à me faire entendre de vous n'a pas d'égal, monsieur, même si ce n'est pas tout à fait juste: son égal, son miroir, c'est votre incapacité à m'entendre. C'est pourquoi il serait peut-être concevable d'espérer malgré tout une rencontre entre nous deux, si ce n'est un échange, comme si, plus ou moins secrètement, il y avait, en passant par ce versant-là des choses, de la solidarité, ou en tout cas de la connivence. Je ne vous atteins pas, vous ne me percevez pas, mais nos impuissances respectives s'accompagnent comme le chien, le maître, l'enfant, la mère, les nuages, la pluie. Pour le dire d'une autre manière, nos mains, nos grammaires ne se rencontrent pas, mais leurs ombres s'entremêlent et n'en forment qu'une seule. Mais de l'ombre au corps, du couinement au mot, comment on le fait, le chemin ?» Cinq filles perdues à tout jamais par Kim Fu avec une traduction de l'anglais par Annie Goulet paru en 2022 aux éditions Héliotrope. L'écho de l'hymne du camp de vacances, Au camp Forevermore résonnera encore longtemps aux oreilles de ces cinq filles âgées entre neuf et onze ans. Alors qu'elles quittent le rivage en kayak, ce jour de 1994 sur la côte nord-ouest du Pacifique, elles ne se doutent pas du cauchemardesque rendez-vous que leur réserve le destin. Au petit matin, après une nuit passée à la belle étoile sous la tente, sur une île isolée, guidées par leur monitrice, elle se retrouvent abandonnées. Si le récit de ces Cinq filles perdues au milieu de nulle part, constitue le fil conducteur, l'autrice, habilement nous convie à explorer les suites de ce traumatisme dans le continuum de vie de chacune d'entre elles. Cette tragique aventure initiatique, pour Nita, Andee, Isabel, Dina et Siobhan porte en quelque sorte, en elle, la suite du monde. Comment vont-elles surmonter cette faille originelle? Que dit de leur avenir ce qui se déroule en 1994 ? Brillamment mené, ce roman nous permet d'emprunter les sentiers tortueux de ces cinq schémas de vie, quitte à bousculer, au passage quelques certitudes. Je vous propose de visiter les coulisses de cette histoire en compagnie de sa traductrice, Annie Goulet qui est invitée, ce soir à Mission encre noire. Extrait:« Au bout de quinze minutes, Siobhan commença à avoir mal aux épaules et remarqua que des ampoules se formaient sur ses mains mouillées. Le kayak de jan filait avec la fluidité régulière d'une machine, comme un tapis roulant dans un aéroport. Siobahn s'arrêta pour se reposer un moment et jeta un regard en arrière. D'abord, elle vit Nita, qui donnait les mêmes coups de pagaie que Jan, nets et méthodiques, ses yeux plantés sur l'horizon plutôt que sur sa pagaie, contrairement à elle. Puis, derrière Nita, Siobahn repéra les kayaks des autres groupes, leur couleur fluo reconnaissable contre le gris-vert de l'eau, le gris brun de la terre et le gris-bleu du ciel. Certaines filles chantaient et jacassaient, leurs voix lointaines rappelant le pépiement des oiseaux. Le groupe de Jan opérait en silence. Le grand groupe, c'est à dire l'ensemble des campeuses de Forevermore, commençait à se disperser Siobhan trouva cette vision alarmante. Elle aurait voulu rameuter tout le monde.»

    Émission du 13 septembre 2022

    Play Episode Listen Later Sep 14, 2022


    Mission encre noire Tome 36 Chapitre 388. La cité Oblique de Christian Quesnel et Ariane Gélinas paru en 2022 aux éditions Alto. Mission encre noire est de retour ! Pour ouvrir cette nouvelle saison, rien de moins que Howard Phillips Lovecraft comme invité, dissimulé sous les traits de Christian Quesnel et Ariane Gélinas. Tendez l'oreille, les premiers grattements et les frottements de créatures étranges et primitives débordent déjà du cadre de ce podcast. À la lucarne de cette splendide bande dessinée, La cité Oblique, les deux auteur.e.s nous proposent de franchir les portes de l'univers formidable d'un géant de la littérature fantastique, inspiré.e.s par les voyages de celui-ci. Le créateur du Mythe de Cthulhu a, non seulement rendu visite, par trois reprises, à la ville de Québec, il en a également tiré sa propre version de l'histoire de la Nouvelle-France. Prenant la balle au bond, Christian Quesnel et Ariane Gélinas, s'accaparent cette matière première, les écrits de Lovecraft, pour revisiter et se réapproprier une passionnante histoire parallèle du Québec. À la limite du songe, du fantastique et du rêve, les peuples déchus ou oubliés qui grouillaient sur les terres d'Elkanah, retrouvent une existence dans l'âme craintive des hommes, grâce à ce splendide projet. Les territoires de ceux qui savent, s'ouvrent à celles et ceux qui sauront voir et écouter. À la faveur de la tombée de la nuit, je vous invite à rencontrer Christian Quesnel et Ariane Gélinas, ce soir, à Mission encre noire.  Extrait:« Épié par Elkanah et ceux-des-ailes-noires, Qartier érigea à Geizpe, « lieu de refuge ombrageux », une croix de 9 mètres portant le blason et le lys. Il donna un coup au flanc d'une terre qui jamais ne lui appartiendrait. Infligea une blessure à ce pays insoumis, vierge de la présence de ceux qui obéissaient aux dieux faibles. Ain de les punir pour leur intrusion, Elkanah et ses semblables les accablèrent du mal qui fait pourrir les gencives.» Les marins ne savent pas nager par Dominique Scali paru en 2022 aux éditions La Peuplade. Oyé, Oyé chèr.e.s concitoyen.e.s, savez-vous nager? Bien que cette fonction ne soit pas essentielle pour vous immerger dans ces pages, sachez qu'ils vous faudra rendre les armes et savoir échouer avec style sur les rives escarpées de l'île dYs : un bout de terre perdu au milieu de l'Atlantique au XVIII ème siècle. Le citoyen Joybbert, charpentier de la Marine issoise a déposé une requête pour une reconnaissance posthume en l'honneur de Danaé Berrubé-Portaguen dite Poussin pour son rôle joué dans le coup d'État de la Grande Rotation. Il faut avoir du courage pour être issoise ou issois. Un.e citoyen.n.e de ce nom se doit de faire ses preuves avant toutes choses pour accéder au Graal : vivre dans la cité fortifiée à l'abri des grandes marées d'équinoxe. Et Danaé n'en manque point, d'abnégation et d'audace. Son destin, ici conté, s'étale sur une lecture passionnante, foisonnante, bluffante de plus de 700 pages.  L'autrice invente une langue vernaculaire colorée et adopte les codes du roman d'aventures maritimes pour mieux nous charmer. Sirènes ou sorcières, le magnétisme des personnages opère à merveille pour un deuxième roman époustouflant de maîtrise. Destination le littoral déchiqueté de falaises nues, que seuls les oiseaux et les navires de faible tonnage peuvent approcher : l'île d'Ys, ce soir, à Mission encre noire, en compagnie de la citoyenne Dominique Scali. Extrait:« À tribord, au-delà de la pointe du Vieux, une bande de crépuscule rose surlignait le niveau de la mer. Droit devant la proue, ils embouquèrent l'étroit mais profond passage menant à la rade du port d'Ys. Côté est, une suite de protubérances rocheuses surmontées d'une batterie. Côté ouest, un tentacule semi-immergé qui prolongeait la paroi du goulet dans la baie comme un avant poste. Cette bande de gravier et de sable était le résultat de l'action des courants conjuguée à l'accumulation d'épaves échouées sur ses contreforts. On pouvait encore voir briller dans son épaisseur la bouche d'un canon enseveli, reflétant le soleil quand elle n'était pas camouflée par les algues. En creusant un trou en son centre, on eût réalisé que ce bras était moins une bande de terre qu'un ramassis d'échardes qui s'engraissaient toujours plus de leur propre action. Au fond de l'échancrure, un désordre de lampes, torches et bougies formait un amphithéâtre de lumières, la ville se découpant contre le ciel presque noir. Danaé resta éblouie, les bras serrés sous sa cape de lin.»

    Émission du 5 juillet 2022

    Play Episode Listen Later Jul 6, 2022


    Mission encre noire Tome 35 Chapitre 387. Le jeu du rêve et de l'action, étude du roman d'aventures littéraire de l'entre-deux-guerres français par Paul Kawczak paru en 2022 aux éditions Nota bene. Il y a deux ans déjà le roman Ténèbre de Paul Kawczak nous plongeait dans une aventure crépusculaire, envoûtante et gothique. La violence coloniale fait rage au cœur de la forêt impénétrable et menaçante du Congo, un épisode sombre, quasi génocidaire qui a fait 10 millions de mort. Ce roman magistral révèle une affection érudite pour un genre, l'aventure. Le présent essai est la version revue et corrigée d'une thèse de doctorat qui sent le soufre. L'entre-deux-guerre français prends le contre-pied de la production traditionnelle. L'aventure ressurgit chargée de violence et de tension érotique, à cette période, au détour d'un roman français qui l'avait négligé. Robert Louis Stevenson, Joseph Conrad, Blaise Cendrars, Joseph Kessel, André Malraux, Antoine de Saint-Exupéry, André Gide et bien d'autres deviennent, sous la plume savante de l'auteur, les personnages clés d'un temps glorieux où le roman d'aventure littéraire supplante le roman d'aventure traditionnel. Avertissement d'usage: il est bien possible que d'Artagnan succombe aux assaut érotiques de Xi Xiao, maître bourreau chinois, personnage fascinant de ténèbre, ce soir, à Mission encre noire, alors que je reçois, l'auteur, Paul Kawczak. Extrait:« Ce rapport de l'être de chair à sa propre finitude, rapport exacerbé par le désir d'aller outre sa condition, pose les bases d'un érotisme vers lequel tend toute cette étude. « De l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'approbation de la vie jusque dans la mort», écrit Georges Bataille dans L'érotisme (1957). L'érotisme de Bataille implique une violation généralisée des conditions du vivant et en cela appelle à la violence de la transgression des limites, violence de l'être qui fait violence et se fait violence pour s'éprouver. Violence de l'aventurier. Violence de Don Quichotte, premier aventurier moderne, qui se heurte au monde, à répétition, à la recherche d'une grandeur dont l'absence lentement tue. Le roman moderne, avec Don Quichotte, a établi son acte de naissance en séparant le personnage de ses rêves, en lui rappelant sa condition d'être de chair, en exacerbant son érotisme tout en en condamnant les manifestations, envoyant trois siècles plus tard un Julien Sorel à l'échafaud.» Chroniques de l'abîme et autres récits des profondeurs par Simon Predj, Charles Beauchesne et Pierre Bunk paru en 2022 aux éditions de l'homme. Âmes sensibles s'abstenir. De quoi parlent trois chums enfermés dans un cabane au fin fonds des bois, au plus creux d'un hiver abondant de froid et de neige ?  Ils discutent du royaume des morts bien sûr ! Ou plutôt, ils dégoisent de cet abîme qui leur tend les bras à quelques pas de leur bâtisse. Nietzsche disait: «si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde en retour.» Puisque les villes fantômes ne cesseront jamais de fasciner, les meurtres sordides non plus, les phares du bout du monde perdus et les voix d'outre-tombe obsédantes peuplent l'ordinaire des récits de ces trois passionnés d'histoires d'horreur, d'épouvantes et autres bizarreries. Cinq récits terrifiants vous attendent patiemment derrière le lustre d'une couverture forcément menaçante signée Pierre Brillault, alias Bunk. Cinq histoires illustrées et accompagnées par les personnages dessinés des auteurs eux mêmes, mis en scène, pour vous mener au bord de l'abîme. Ajouté à cela, des encadrés fort passionnant qui piochent allègrement dans la sagesse populaire, les faits historiques, les phénomènes étranges ou occultes pour étayer la flamme de votre panique. Ce n'est plus le moment de débattre, une porte grince, un murmure se fait entendre, «Nourris-moi...Nourris-moi...». Même s'il n'est pas minuit, je reçois, Charles Beauchesne et Simon Predj à Mission encre noire. Extrait:« Mortifié, Peter ne répond pas. Il reste là à fixer la fissure. Au bout d'un court moment, la lumière s'atténue jusqu'à s'éteindre complètement. Le bourdonnement dans ses oreilles s,arrête et le silence retombe dans la campagne. Était-ce seulement un rêve? Une illusion causée par son épuisement? Si oui, alors pourquoi y a-t-il encore ce grand trou à ses pieds? Peter a du mal à assimiler tout ce dont il vient d'être témoin. Il ferme le cercle de protection rapidement et éteint sa chandelle. Il s'approche du trou et se penche par-dessus pour voir à l'intérieur, mais il fait trop sombre. Il pousse une roche dans la faille avec son pied, et celle-ci disparaît dans les ténèbres. Il attend un bruit lui indiquant que la pierre a atteint le fond, mais cela ne se produit pas. Il rebrousse chemin et retourne dans la maison, auprès du feu. Préoccupé, il a du mal à fermer l'oeil. Il pense à ses parents, à cette phrase semblant être sortie des entrailles de la terre: «Tu as maintenant une dette envers moi.» Peter se réveille en sursaut. Il est passé midi. Il sort dans son champ pieds nus pour aller inspecter la crevasse à la lumière du jour. Il avance la tête au-dessus, en faisant bien attention de ne pas perdre pied. Il n'en voit pas le fond. L'abîme n'est que noirceur. Une odeur nauséabonde de putréfaction s'en échappe. Un frisson lui parcourt le corps. C'est alors qu'il remarque les jeunes pousses qui recouvrent sa terre.»

    Émission du 21 juin 2022

    Play Episode Listen Later Jun 22, 2022


    Mission encre noire Tome 35 Chapitre 386. L'urine des forêts par Denis Vanier paru en 2021, Nattes par Philippe Haeck paru en 2021, Sauterelle dans jouet par Marcel Hébert paru en 2022, Les laides otages par Josée Yvon paru en 2022 et Chambre Minimum par Frédéric Dumont paru en 2022 aux éditions Les Herbes Rouges. La récente ré-édition de ces trois livres me donne l'occasion d'inviter Roxane Desjardins, écrivaine et directrice générale des éditions les Herbes rouges. Publié en 1999, l'urine des forêts a valu le Grand prix du livre de Montréal à Denis Vanier. Dans cette nouvelle édition, Richard Suicide revisite les gravures réalisées par Gustave Doré pour l'enfer de Dante. Les laides otages de Josée Yvon est d'abord paru aux éditions Vlb en 1990. Un roman qui nous fait entrer par effraction dans un monde dément, d'une Amérique mal emmanchée. Préparez-vous à vous faire prendre à revers par la plume rageuse au talent aussi fou qu'effrayant de la poète québécoise. Philippe Haeck pour sa part pourrait faire tâche aux côtés de ce duo plutôt agité. Pourtant la voix de Philippe Haeck se détache, elle aussi, de la langue cuite des institutions pour conquérir ce qu'il nomme sa langue nattée. Cerise sur le sundae, Sauterelle dans jouet de Marcel Hébert s'ajoute à ma liste. Un livre qui contient son œuvre complète aux Herbes rouges, la maison d'édition co-fondée avec son frère François en 1968, sous forme de revue tout d'abord, pour devenir les éditions du même nom en 1978. Le dernier invité à la table de ce fantastique feu d'artifice, Chambre minimum par Frédérique Dumont paru en 2022 aux éditions les Herbes rouges. C'est avec brio que Roxanne Desjardins vous convie, ce soir, à Mission encre noire, à une exceptionnelle ballade VIP autour d'oeuvres majeures de la collection des Herbes rouges. Extraits: « Malgré tout je ne pouvais m'empêcher de jeter un coup d'oeil aux murs sans boutons, au parapluie qui est aussi bouleversant qu'un livre lorsqu'il est ouvert dans une chambre. C'est qu'un livre ça aide à regarder l'heure le plus naturellement du monde.» Marcel Hébert, Sauterelle dans jouet. « Il faut que mon écriture soit la plus complexe, la plus claire, la plus forte, la plus réelle, capable de tout dire pour que celles et ceux qui en ont besoin sachent la reconnaître et s'en servir pour travailler.» Philippe Haeck, Nattes. « Inconfortables, laides et malheureuses/elles se dissolvent/sans être transfuges/altérées de désir/consignées, minutées/ce bizarre d'égarement/pour manufacturer/peut-être une bouffonnerie/quelque chose a été artificiel/et pour se travestir encore/elles fantasment en habitudes/pensionnaires/d'ordre, de crachats, de cachot/pour désinfecter la lessive qui colle.» Josée Yvon, Les laides otages. « Pourquoi voyager si vite/dans le temps et la chair,/même à l'heure de l'intimité condamnée,/je me sens avoir pleuré/mais mes joues sont rudes/ et craquées dans le désert violent,/une perte de jouissance/roulant mes cigarettes au froid.» Denis Vanier, L'urine des forêts. « Ce n'est pas une chambre, ça n'a pas la portée d'un sol anodin, ce n'est pas un son détruit par la lumière, pourtant c'est ici que j'arrive à traduire mes gravats.» Frédéric Dumont, Chambre minimum.

    Émission du 7 juin 2022

    Play Episode Listen Later Jun 8, 2022


    Mission encre noire Tome 35 Chapitre 385. Les pénitences par Alex Viens paru en 2022 aux éditions Le cheval d'août. Lorsque Denis verrouille la deuxième serrure et met la clé dans sa poche, Jules regrette son choix. Elle s'est présenté à contre cœur devant l'appartement de son père après un silence de dix ans. Ce qu'elle tient dans la main, un objet lourd de conséquence et de tourment, pourrait bien réveiller le monstre. Elle doit le lui remettre. Ce qui devait être une visite rapide dérape dans un crescendo de violence bien connu. Résignée, elle doit affronter ce qui l'attend dans cette pièce mal ventilée. Denis et Jules se rejoue la scène d'un pitoyable théâtre mille fois répétée. Ceci en est l'apothéose finale. Jules ressuscite ses années noires. La séparation de ses parents, l'horreur qui s'immisce dans le petit quatre et demie de l'est de Rosemont, les deux sœurs souvent enfermées pendant des heures, les punitions et la fuite. Le ton monocorde de l'auteurice reste sec alors que son personnage se confronte à l'autorité imbécile d'un père aux abois. Portées par la voix de Robert Smith des The cure, le récit prend des allures de thriller virant au cauchemar. Pour un premier roman, on devient vite accroc à l'écriture vigoureuse d'Alex Viens, qui revisite sans complaisance sa propre histoire et règle quelques comptes au passage. Alex Viens est invité à Mission encre noire. Extrait:« Jules s'est rassise sur le divan, l'air sage. La porte pourrait s'ouvrir d'une seconde à l'autre. Elle est prête. Quand Denis sortira, il ira s'asseoir sur le sofa avec sa fille, lui dira que la crise a assez duré, qu'ils ne gagnent rien à rester coincés ensemble dans cette prison de mélamine. Jules espère que Denis devine à travers la porte la soudaine docilité de sa fille, et qu'il lui ouvre son coeur et ses bras pour l'inviter à se réconcilier, malgré tout, comme le font les gens équilibrés qui désirent se parler à Noël autour des crevettes cocktail. Pour rétablir le calme, il incombera à Jules de demander pardon en assumant seule toute l'agressivité de cette soirée, comme on le lui a appris. Elle endossera le rôle de petite fille sage et Denis constatera qu'elle a appris sa leçon, qu'il a eu raison de l'enfermer pour qu'elle reconnaisse enfin être à l'origine de l'alcoolisme rampant de Charlie et convienne que le corps de sa soeur broyé par la voiture n'était pas seulement un accident causé par un amour héréditaire de la bouteille, mais bien une conséquence directe de sa lâcheté. Jules répète mentalement son discours afin de le réciter de manière convaincante lorsque Denis lui demandera de s'excuser, comme il l'a toujours fait après avoir laissé ses filles réfléchir quelques heures dans leur chambre.» Moebius 173. «Je cultive je jardin de la furie» un numéro dirigé par Lula Carballo et Olivia Tapiero. Si cultiver, c'est remuer la terre, notre terre intime, notre passé, nos mythes, en gardant à l'esprit l'inévitable finitude des choses, cultiver, c'est également en récolter les fruits. Ce numéro dont la citation phare est tirée d'un vers d'Alejandra Pizarnik publié dans son recueil de poésie Poesia completa paru chez Lumen en 20211, évoque la fureur, ce sentiment de colère sans mesure, de délire, de frénésie qui s'emparent des plumes des auteur.i.c.e.s ici présent.e.s: Marie Audran, Amélie Bélanger, Aglaé Boivin, Nicole Brossard, Geneviève Dufour, Audrey-Ann Gascon, Alegria Gobeil, Marc-Olivier Hamelin, Rosy L. Daneault, Benjamin Lachance, Ayavi Lake, Rachel Larivière, Nathalie Vanderlinden. Nicholas Dawson nous donne accès à une visite inédite de l'atelier et à l'art de Manuel Mathieu, l'artiste en résidence. Marie-Célie Agnant est l'écrivaine en résidence, Luba Markovskaia s'empare de la rubrique Création. Blaise Ndala, celle de la lettre à un.e écrivain.e vivant.e. Les co-pilotes de ce nouveau numéro de la revue Moebius, Lula Carballo et Olivia Tapiero sont à Mission encre noire.  Extrait:« Mais regardez-la la fille avec sa langue morte sur son plateau. Regardez bien, car il y a quelque chose qui existe entre le texte de la fille qui a écrit le livre et cette histoire: ça s'appelle le carnaval. C'est comme le fracas: l'éditeur aime le carnaval, mais seulement dans les livres. Dans le livre merveilleux, il y a un gros carnaval au coeur d'une propriété au terme duquel tous les exploités prennent la fuite, parce qu'ils ont endormi la vigilance des patrons en leur faisant boire du whisky, et que ceux-ci se sont écroulés dans leur ivresse. Alors regardez bien la fille avec sa langue qui convulse sur son plateau. Si vous regardez de plus près, la fille n'est pas toute seule. Il y a plusieurs filles qui viennent de l'horizon et du soleil. Elles apportent des langues mortes et violettes sur des plateaux en argent qui font briller le désert. Elles sont nombreuses. Et ce ne sont pas que des filles. Comprenez: là, ce qui nous intéresse, c'est pas le fracas imprimé, c'est le fracas en off, le fracas en coulisse, le magma encore sourd, encore enterré, la convulsion. Ce qui nous intéresse, c'est le vrai fracas qui effrite vraiment la réalité contrôlée sur Instagram et vendue aux magazines, aux journaux et aux libraires. Regardez bien, car c'est imminent: il est maintenant question de transformer la sidération que provoque la vue de la langue arrachée sur le plateau, en action.» Marie Audran, Regardez-la la fille Moebius 173.

    Émission du 24 mai 2022

    Play Episode Listen Later May 25, 2022


    Mission encre noire Tome 34 Chapitre 184. La guerre est dans les mots et il faut les crier par Florian Grandena et Pierre-Luc Landry avec des illustrations d'Antoine Charbonneau-Demers, paru en 2022 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. Queer nous sommes, queer nous resterons. Florian Grandena et Pierre-Luc Landry se permettent de jeter un pavé dans la mare stagnante du conformisme ambiant de la société hétérroriste en écrivant ensemble un ouvrage plus que nécessaire. Ce livre est un coup gueule bien senti, un appel à la résistance queer qui fait du bien. Car il y a urgence. Vous trouvez que les mots sont trop forts, que j'exagère, vous n'avez encore rien lu. La bataille engagée sera langagière et sémantique ou ne sera pas. Ces deux universitaires, professeurs, chercheurs, débordés, fatigués et énervés prennent leur courage à quatre mains pour dénoncer les systèmes langagiers normatifs, autant dans le cadre de l'université, de la culture populaire, des médias, qu'au sein même de la communautés LGBT. Bien entendu l'univers des partis politique est scruté à la loupe, qu'il soit français ou québécois, et plus particulièrement lorsqu'il se revendique de positions idéologiques uber-conservatrices et néofascistes. Ce livre est un exercice de survie en milieu hostile. Voir le monde côté queer, c'est faire un choix politique, c'est faire acte de vie et de militantisme. Ne soyons pas dupes, si La guerre est dans les mots, il faut bien reconnaître que certaines positions défendues ici ne pourraient pas plaire à tout le monde. Si le livre s'achève sur ces mots: Aimons-nous. C'est que l'espoir existe. Ce soir, à Mission encre noire, je reçois Florian Grandena et Pierre-Luc Landry. Extrait:« Sachez que nous ne nous taisons jamais sans serrer les poings. Nous sommes des millions à le faire tous les jours: personnes racisées, femmes, gays, bisexuel.l.e.s, lesbiennes, personnes trans, personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap physique ou mental, Autochtones, Inuit, membres des Premières Nations, travailleur.euse.s du sexe, personnes en détention, migrant.e.s et réfugié.e.s, personnes sans domicile fixe, groupes marginalisés économiquement etc. La liste est longue des exclu.e.s du patriarcat hétéronormatif, de celleux que vous insultez au quotidien par vos gestes, vos paroles et votre fucking demeanor de dominant.e.s. Parfois, et c'est là qu'elles peuvent être surprenantes et fourbes, ces microagressions viennent d'individus animés d'intentions honnêtes (nous nous méfions souvent autant des bonnes intentions que de la tolérance). Nous n'avons pas de bonnes raison de perpétrer le silence, non. Entendez. Parce que nous parlons - nous écrivons. Nous sommes en train de dire les choses. Et quand nous aurons terminé, notre histoire vous appartiendra ; vous en serez responsable ; vous ne pourrez plus faire semblant, comme l'écrit Thomas King dans The Truth About Stories (2003)...Vous ne pourrez plus dire:« Ah, mais je ne savais pas...» L'ignorance n'est jamais une excuse. Entendez-nous.» Ennuagée par Alizée Goulet paru en 2022 aux éditions Triptyque. Le ventre gronde dans ce premier recueil. À force de le vider, de lancer son repas par les nuages, sur le chemin entre la cuisine et la salle de bain, Alizée Goulet confronte les bouleversements de ses troubles alimentaires. Ennuagée, l'autrice au prise avec ses orages intérieurs s'écoute faner. La maladie est une ombre qui revient visiter les lieux du désastre dans un monde matériel presque en ruine ou en train de sombrer. Pour survivre, Alizée Goulet s'intéresse au cri qui habite au centre de ses terreurs, à la peur de mourir de faim, angoissée de perdre l'unique lien qui la tient encore en vie, l'amour. Pourtant, elle ira au bout d'une certaine frayeur d'exister, d'altérer sa relation avec son amoureux.s.e, d'écouter sa thérapeute lui engendrer d'habiter le réel. Il lui suffirait, paraît-il, de capturer des pensées faciles pour entreprendre le matin. Malgré que depuis l'enfance son corps, ses os, sa chair forme une demeure fragile, prompt à s'écrouler, du profond des gouffres qui menacent de la submerger, une voix fragile, lucide et délicate énonce un verdict sans condition: Je m'adresse à qui je deviens, à ce qui pourrait devenir. Pour rebâtir mes écroulements. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, Alizée Goulet. Extrait:« Mes mains devant la lampe du salon, je joue avec l'ombre, la rappelle à moi. J'admire comme elle évolue, sans m'engager, indépendante de mes actes, de la quantité de mes défaites. J'aimerais partager un peu de ma matérialité avec elle, connaître ses voyages souterrains, en silence, son existence virtuelle.//Je maigris beaucoup dans mes rêves, les ombres me suivent, m'entourent, elles m'acceptent comme l'une des leurs.»

    Émission du 17 mai 2022

    Play Episode Listen Later May 18, 2022


    Mission encre noire Tome 34 Chapitre 383. Mille secrets mille dangers par Alain Farah paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Alain se marie. Le 07 juillet 2007. À ses côtés en la crypte de l'oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal il y a Virginie bien sûr, mais aussi son père, sa mère, Édouard, son cousin mécanicien. Tout le monde est là. Le plus beau jour d'une vie. Pour lui, pour eux, pour elle. L'absente. Celle qui meurt à la fin comme dans toute bonne tragédie, Myriam, l'amie, l'aimée. Alors que Shafik Elias parcourt la salle du regard à la recherche de son fils, à la fin de son discours, c'est toute une vie qui se déroule sous ses yeux. Le temps semble vouloir s'étirer indéfiniment, les secondes et les minutes comptent double deux fois lorsque l'auteur s'empare de ce qui se trame hors cadre autour de la cérémonie. Certes, Il y aura l'air sur la corde de sol de Bach, le chœur des fiançailles de Wagner, puis la Marche nuptiale de Mendelssohn. Pourtant, Alain le double de Farah, ne se présentera pas en mustang blanche, il se brisera une dent au mauvais moment, quant aux anneaux en or dix-huit carats, ils se trouveront quelque part entre la boîte à gants de la remorqueuse et le quatrième étage de l'Oratoire Saint-Joseph. Mille secrets mille dangers est le récit de la journée de mariage d'un homme, qui n'a rien d'ordinaire, malgré lui. La preuve, il ne connaît même pas son vrai nom. Pas encore. Tout ce qu'il a voulu oublier ressurgira au grand jour. Quelle aubaine pour un écrivain ! Il lui faudra raconter toutes les histoires; même et surtout celles qui fâchent. C'est drôle, tragique et surprenant. Assis sur la bol des toilettes, dans un char les yeux dans ceux de son père, Alain Farah renoue avec des scènes oubliées, il trouve le ton parfait, se joue du temps comme de la forme, il fait de la littérature. Je reçois, ce soir à Mission encre noire, Alain Farah. Extrait:« Depuis des mois, je me couche de bonne heure, mais ça ne change rien: chaque soir je me mets au lit et je suis pris de frissons, de tremblements. Les plinthes chauffantes ont beau rester allumées en permanence, le frimas recouvre peu à peu les vitres de la chambre. Bénédicte s'est réveillée tout à l'heure, elle saignait du nez. Vir et moi regardions le téléjournal, et je l'ai vue apparaître du coin de l'oeil, petite silhouette claire dans la quasi-obscurité du salon. Je saigne du nez, papa, m'a-t-elle dit, me montrant ses doigts tachés de rouge. J'ai pris un mouchoir, je l'ai trempé dans mon verre d'eau et j'ai aidé ma fille à se nettoyer. Ça saignait déjà plus. Aux nouvelles, c'était les attentats de Charlie Hebdo. Notre appartement n'a rien de spacieux, quelques pas séparent le salon de la chambre de Bénédicte. Je l'ai raccompagnée jusqu'à son lit. Avant que je ne l'embrasse et retourne suivre le reportage, elle m'a fait promettre que je n'allais jamais mourir. Je suis là, mon amour, je suis là. Elle a hoché la tête et ajusté ses couvertures. Enfin, elle a fermé les yeux. Je me suis penché pour poser mes lèvres sur son front. Toutes les  nuits, depuis des semaines, je me réveille transi. Je sens la panique revenir: je tremble. Je jette un coup d'oeil à mon radio-réveil: peu importe l'heure, le temps est suspendu. Peu importe si c'est par le truchement de cet appareil que j'ai appris la mort de René Lévesque, la chute du mur de Berlin, le début de la seconde guerre du Golfe, ou encore, l'automne dernier, l'assassinat, près du cénotaphe à Ottawa, d'un réserviste par un jeune homme décidé à faire le jihad, l'histoire pour moi est figée.» Les rêves du Ookpik par Étienne Beaulieu paru en 2022 aux éditions Varia dans la collection Proses de combat. Qu'est-ce que le territoire? Même si les langues européennes, parfois, manquent de mot, Étienne Beaulieu s'y essaie. Un ookpik, une sorte de hibou fabriqué à la main avec une peau de phoque. Cette peluche offerte par son père souvent absent, devient le catalyseur de la réflexion de l'auteur. Pour le ramener symboliquement dans son foyer d'origine, le Nunavik, Étienne Beaulieu se donne pour objectif de retrouver la trace des ancêtres, de leur rêves. Elleux seul.e.s pourront mieux définir ce qu'est la terre. Ce qu'elle représente pour nous. Porté par un rêve inédit d'orignal lors d'un séjour dans la réserve de Matane, l'auteur saisie le message: rien ne doit être détruit. S'ensuit une des nombreuses réflexions qui traverse cette méditation écologique. Les rêves du Ookpik se révèlent être un exercice plus que nécessaire en ces temps où notre relation à la terre, au pays, à la nation semble plutôt misérable. Parler du territoire, c'est ainsi aller à la rencontre de tou.t.e.s ceux et celles qui y vivent, de tous ces peuples qui le constituent. Des premières nations aux inuit mais aussi les Vikings, les Basques, les Bretons, les européens, les colons et bien d'autres voix enfouies dans le sol depuis des siècles. Ils se retrouvent dans ces pages pour témoigner d'un imaginaire de la terre en exil depuis trop longtemps. Pour ce faire nous allons parler de forêt, d'art, d'amour peut-être en compagnie d'Étienne Beaulieu qui mon invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Je ferai ici une sorte d'ethnologie de moi-même, une enquête sur ma tribu si infatuée d'elle-même qu'elle oublie d'où lui viennent ses prétentions. Notre rapport au territoire se révèle de la même façon: nous habitons sur une parcelle de terre qui en sait plus long sur nous que nous-mêmes. Bedagi ou Big Thunder, un Abénaki qui vivait au tournant du XXe siècle, essayait d'expliquer à des Blancs interloqués, au soir de sa vie, que les arbres parlent, que la terre est une mère qui guérit par son chant. Le discours scientifique nous a appris à nous méfier de ce genre de prétention guérisseuse et de ce que l'on qualifiait jusqu'à tout récemment d'animisme, en désignant avec dédain ces croyances supposément infondées. C'est maintenant la science qui nous apprend exactement le contraire et c'est Bedagi qui avait raison et tous les Autochtones avec lui: oui, les arbres parlent, ils communiquent par un réseau fongique souterrain, ils partagent des ressources par leurs racines, se préviennent du danger, élèvent les plus petits, ont des relations, oui, la terre guérit, elle a le secret de tous les maux du corps et de l'âme. Difficile aussi pour des Occidentaux rompus à la critique scientifique de comprendre que le sol n'est pas seulement plein d'organisme microscopiques et d'animalcules imperceptibles. Il est surtout plein de paroles et d'histoires millénaires qui dorment là sous terre en attendant qu'on les raconte, qu'on les chante, que le rêve leur donne vie et puissance.»

    Émission du 10 mai 2022

    Play Episode Listen Later May 11, 2022


    Mission encre noire Tome 34 Chapitre 382. L'incendiaire de Sudbury par Chloé Laduchesse paru en 2022 aux éditions Héliotrope dans la collection noir. Longtemps Emmanuelle fumera une cigarette accoudée à sa fenêtre, pour observer la rue et ses gens. Invariablement, Paul qui déteste respirer sa fumée secondaire, lui demandera de l'éteindre. Ielles résident dans un des quartiers les plus populaires de Sudbury, le Donovan, une sorte d'Hochelaga ontarien. Comme à son habitude, Emm, de retour d'un de ses contrats de design web pour des clients plus ou moins réglos, c'est presque devenu un rituel, descendra de l'autobus pour regagner le dépanneur au-dessus duquel elle habite. Elle entrera furtivement pour acheter un paquet de Du Maurier jumelé à un petit sac de Doritos et un paquet de Skittles. Quelques caresses plus tard pour Dog, le chat obèse de l'épicier, elle finira affalée sur son divan, pour brancher son écran, Love, sa série préférée, un verre de vodka à portée de main. Tout irait pour le mieux si ce n'est la disparition subite de son ancien amant, César Lascif, le mari de la docteur Herman, une notable en charge d'un programme de recherche bien particulier. Comble du hasard ou riche opportunité, une aînée à la main légère lui remet l'agenda de son ex, fraîchement dérobé. C'est d'autant plus intrigant que d'autres hommes manquent à l'appel ces derniers temps. Tout en se laissant bercer par La valse à Mille temps de Jacques Brel, il semblerait qu'elle soit la femme de la situation pour démêler les fils de cette étrange affaire. Dans l'anciennement nommée Sainte-Anne-Des-Pins, la gentrification menace et elle encourage les plus vils manant à s'emparer du pactole. Peuplé de personnages haut en couleur et saupoudré de l'humour caustique de l'autrice, ce premier roman hors Québec chez Héliotrope noir, fait mouche. Nous prenons la route vers les bords du lac Ramsey, pour rencontrer Chloé Laduchesse, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« L'agenda datait de l'année précédente. La page d'identification avait été laissée vierge, à l'exception d'un mauvais croquis de cube. Je tournais les pages, de plus en plus intriguée par cette écriture qui me semblait familière. Les rendez-vous étaient peu nombreux, changements de pneus, appels à passer, joutes amicales de soccer l'été, de hockey l'hiver. Beaucoup de signes, d'inscriptions codées ; une lettre seule, un symbole ; puis, vers le mois d'octobre, plus rien. Oui, je reconnaissais cette calligraphie, toute en petites majuscules aux traits nerveux ; le stylo à l'encre noire avait, en s'enfonçant dans le papier, gravé les mots, et les pages étaient ponctuées de bosses et de creux que j'aurai pu lire du bout des doigts. L'écriture d'une personne anxieuse. Créative. Secrète. Une personne qui n'a pas d'emploi. Qui évite la vérité. Ou, pour faire simple, qui ment. César. Ça ne pouvait être que lui.» Héroïne par Tristan Saule paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle noir. C'est le retour des Chroniques de la place carrée, un cycle de romans noirs débuté avec Mathilde ne dit rien paru en 2021 aux mêmes éditions Le quartanier. Cette place, souvenez vous, se trouve dans un quartier populaire, dans une ville moyenne de France. Même si elle boîte, Mathilde fait encore une brève apparition ici. Ce deuxième volet, nous présente d'autres facettes du quartier à travers une nouvelle panoplie de personnages. Laura est infirmière, à la vie amoureuse compliquée. Tonio, un petit dealer d'ecstasy à la petite semaine qui se retrouve devant l'affaire du siècle, un kilo d'héroïne en provenance de Belgique. Thierry, Zacharie, Idriss, Bolleg, le Manouche veulent tous se sortir de la misère et de l'ennuie. Or, le confinement de 2020 va changer sévèrement la donne. L'arrivée de ces stupéfiants menace l'ADN même du quartier. Subitement, un an après les événements de Mathilde ne dit rien, les habitants de Monzelle se trouvent pris dans la tourmente d'événements incontrôlables. Nous prenons la direction de la France, ce soir, à Mission encre noire, pour rencontrer Tristan Saule. Extrait:« On ne s'y fait pas. Une ville morte comme ça, qu'on soit à pied ou en bagnole, c'est quelque chose. Tonio a l'impression d'être le seul survivant d'une catastrophe. En un sens c'est vrai. À la télé, ils racontent que des gens meurent. Des centaines par jour. Ceux qui restent sont des survivants, non ? Tonio ne sait pas trop quoi penser de cette situation. D'un côté, il se dit que tout ça, c'est des conneries. De l'autre, il a un peu peur. Un tout petit peu. Il arrive au bas de l'avenue qui relie les Hauts au centre-ville historique. Les maisons sont de plus en plus grandes, les jardins de mieux en mieux entretenus. Sur les boulevards qui enserrent l'hypercentre, les propriétés sont cachées derrière de hauts portails en fer forgé que dépassent des arbres centenaires. Des cèdres majestueux, des chênes, des marronniers, et même un séquoia. Une voiture de flics débouche à l'angle d'une rue. Tonio s'accroupit. Putain, c'est quel genre de catastrophe qui épargne seulement lui et les bleus ? Il y a plus que ça, dans les rues, des bagnoles de flics, des ambulances et des pompiers. Des bleus, des blancs et des rouges. Vive la France !»

    Émission du 3 mai 2022

    Play Episode Listen Later May 4, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 379. Nous ne sommes pas des fées par Louise Dupré et Ouanessa Younsi paru en 2022 aux éditions Mémoire d'encrier. «Je mets mes pas dans les tiens, comme j'avance à l'aveuglette», dit l'une, «merci d'avoir changé ma vie» réponds l'autre en écho. Deux écrivaines décident de s'écrire comme on part en pèlerinage, pour s'abreuver l'une à l'autre, de leurs mots, pour allumer des «feux près du cœur». Ouanessa Younsi, née d'une mère québécoise et d'un père algérien, représente la nouvelle génération de poètes québécoises. Louise Dupré est l'autrice d'une œuvre considérable, rempli d'humanisme et de son désir de changer le monde. À travers ces textes et ces poèmes l'une et l'autre nous dégage un espace ou tout est possible. Ce recueil est à prendre comme une escale dans une conversation qui a débuté bien avant nous. Si l'une cherche des mots pour soigner des peines, l'autre dit Amour comme on ouvre ses fenêtres. Les poétesses vous partagent leur plaisir de vivre ensemble cette splendide correspondance poétique. Elles syntonisent leur voix à merveille pour mieux lancer à l'unisson leur cri du cœur. Si le monde est fou, la vie est à chercher dans ce quelque chose qui résiste : L'amitié, comme un long poème appris par cœur. Je reçois, ce soir, à Mission encre noire, deux sœurs de langues et de mots, Louise Dupré et Ouanessa Younsi.  Extrait:«Nous n'avons pas écrit/notre dernier poème/nous ne croyons plus aux fées/mais nous continuons/à espérer/espérer comme rire/chanter/allumer des feux/près du coeur/pour réchauffer/les larmes/ou tenir un enfant/par la main» Baldwin, Styron et Moi par Mélikah Abdelmoumen paru en 2022 aux éditions Mémoire d'encrier. Saguenéenne de naissance et Montréalaise d'adoption, Mélikah Abdelmoumen a quitté le Saguenay en 1976. En 1986, elle s'installe en France, à Lyon, pour une durée de 12 ans. En cette année 2015 où le discours raciste de Marine Le Pen se normalise. Nicolas Sarkozy est président de la république. Le 07 janvier, Nous sommes tous Charlie. Pourtant, à l'occasion d'un book club qui la sauve d'un sombre marasme, elle découvre une voix unique, qui lui parle d'elle, des autres, des blancs, des femmes, des arabes, de l'autre, des autres racistes. Une voix qui va tout changer. Le temps de se reconnaître dans«un sourire incroyable qui donne l'impression d'une joie pure», le destin se met en marche. Ce livre est l'histoire d'une amitié aussi improbable qu'exemplaire. Celle qui unit James Baldwin, un Noir descendant d'esclaves et un Blanc, un petit fils d'une propriétaire d'esclaves : William Styron. Baldwin, Styron et Moi raconte l'histoire de cette remarquable fratrie, comme celle de la trajectoire unique de Mélikah Abdelmoumen qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:«John H. Griffin, un homme du Sud qui aide les juifs et les Noirs. Ron Stallworth, un homme noir qui infiltre le Ku Klux Klan avec le soutien de ses collègues blancs et juifs. Abel Meeropol, un poète et professeur russo-juif qui sauve les enfants de deux Américains communistes exécutés, à qui on doit la plus grande chanson jamais écrite sur les lynchages des Afro-Américains. James Baldwin, un auteur afro-américains qui convainc un homme du Sud de se mettre le temps d'un roman dans la peau d'un esclave noir, changeant pour toujours son regard sur le monde...Et moi, Québécoise d'origine arabe, qui écris ce livre en humble hommage à l'auteur afro-américain qui a, toute sa vie, lutté pour l'égalité et les droits des gens de sa propre communauté, mais aussi ceux de la mienne.»

    Émission du 12 avril 2022

    Play Episode Listen Later Apr 13, 2022


    Mission encre noire tome 33 Chapitre 380. Armer la rage, pour une littérature de combat par Marie-Pier Lafontaine paru en 2022 aux éditions Héliotrope dans la collection K. La violence masculine ne connaît pas de répit! C'est une triste réalité que subissent des milliers de femmes quelques soient leur âge, leur ethnie, leur sexualité ou leur statut social. Marie-Pier Lafontaine imagine cet essai comme un combat, puisqu'une attaque est inévitable. Chaque phrase est un cri de rage lancé comme un uppercut à la face du monde. Car voilà la coupe est pleine, l'agression de trop sur le quai d'une station de métro de Montréal ravive chez elle le souvenir de ses traumas et autres flash-back de son enfance. Une histoire qui a servi de trame à la rédaction de son premier livre Chienne (2019 Héliotrope). Armer la rage c'est se donner les moyens de répliquer à ses agresseurs, de ne plus se soumettre à la loi sale et dégradante de la sauvagerie masculine pour citer Annie Ernaux. En boxe la posture à adopter est l'attaque. S'il y aura des plaies et des blessures, l'autrice vous assure que cela la propulse vers l'avant. Toutes les soixante-huit secondes un homme viole une femme aux États-Unis, toutes les dix-sept minutes au Canada. Puisqu'il faut prendre soi-même le droit de cogner la première, je reçois Marie-Pier Lafontaine, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Ce jour-là, j'ai su que je partageais les mêmes symptômes que des femmes qui, elles, n'avaient jamais été violées, que des adolescentes qui n'avaient même jamais été touchées: anxiété, crainte, hypervigilance, évitement, peur des ombres, méfiance systématique. Ces manifestations d'angoisse dans un monde régulé par la cadence de ses féminicides, où le nombre d'agressions sexuelles est élevé, où la violence misogyne est érotisé par la culture, ne surprendront jamais aucune femme trans ou cisgenre. Et surtout pas les femmes des Premières Nations et toutes les femmes de couleur. Nous savons toutes depuis notre plus jeune âge que nous pourrions être la cible d'attaques haineuses, que notre sécurité ne va pas de soi, qu'il faut la construire. Nous sommes nombreuses à connaître des survivantes agressées chez elles par des hommes de leur entourage, dans la rue. Des récits d'étudiantes harcelées par leur directeur de thèse. Un ancien professeur du primaire accusé de possession de pornographie juvénile. Une femme qui violente sa blonde. Nous avons entendu les histoires de viol qui se déroulent le long des pistes cyclables ou des voies ferrées. Nous savons que des cinéastes, des acteurs, des chanteurs, des humoristes agressent des dizaines et des dizaines de leurs admiratrices. Que des infirmiers abusent des personnes vulnérables et des handicapées dont ils ont la charge. Nous lisons aussi, des romans policiers. Nous sommes constamment soumises aux images de corps sortis défigurés des mains de conjoints narcissiques, démembrés, étranglés ou brûlés à l'acide. Les histoires de violence s'accumulent et les cadavres aussi. Les carcasses poignardées, les restes calcinés, les sacs mortuaires peuplent les scénarios de films d'horreur, les récits de tueurs en série, les traumas intergénérationnels, et s'ajoutent à toutes ces fois où l'on nous aura raconté la mort injuste et cruelle d'une enfant. Où on nous aura décrit les tortures qu'elle aura subies et sa disparition.» Mythologies québécoises sous la direction de Sarah-Louise Pelletier-Morin paru en 2021 aux éditions Nota Bene dans la collection Palabres, dirigée par Étienne Beaulieu. Née entre le débat constitutionnel et le référendum de 1995 sur l'indépendance du Québec, Sarah-Louise Pelletier-Morin, doctorante en études littéraires à l'UQAM, a grandi avec l'idée que le peuple québécois avait une identité forte et un caractère propre. Pour comprendre la culture québécoise contemporaine, au-delà des clichés habituels et autres lieux communs, la langue française, le code civil, le passé catholique, l'hiver, le Hockey, il fallait réfléchir autrement. Comment brasser la cage d'une culture québécoise qui se révèle aujourd'hui plus complexe et plurielle que jamais? Après avoir découvert et lu le recueil de 53 textes Mythologies (1957) de Roland Barthes, l'autrice décide de proposer à 35 autrices et auteurs de relever le défi d'étudier la société québécoise par le biais de ses mythes. De la ceinture fléchée de Biz en passant par le t-shirt de Catherine Dorion, les québécoises de Martine Delvaux ou le phallus défaillant des postmodernes de Frédérique Bernier, ces petits riens de nos vie quotidiennes, en apparences bien inoffensifs, en disent long sur l'évolution des mœurs. Pour être en phase avec les nouveaux enjeux qui annoncent la nouvelle décennie 2020, je vous propose d'accueillir Sarah-Louise Pelletier-Morin, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Le menu est fixe. Aller à la cabane implique de ne pas penser de se laisser guider jusqu'à la fin de la partie, d'avoir confiance, d'avoir foi dans le chef, la serveuse, les convives. C'est une expérience de communication séculaire. Les plats sont déposés au centre de la table et on pige, on ne commande pas son petit plat, on ne commande pas tout court, ce qui change considérablement le rapport d'autorité habituel des restaurants. La serveuse s'occupe de nous puisqu'elle nous sert, c'est un rapport maternel, elle demande qui veut un verre de lait. Si on ne veut pas de tel plat, on attend le suivant. C'est un lieu pour être accueilli, c'est l'hospitalité québécoise incarnée, où seul ordre est celui de la forêt, qui a toujours été dans l'imaginaire occidental le lieu de la perdition, où il fait bon retourner de temps à autre pour se retrouver. Quand on s'assoit à table, on se corde serré et c'est compliqué de se lever sans faire lever les voisins de gauche et de droite, alors on reste assis et on mange. Les épaules se touchent, on mange vraiment ensemble, pour une rare fois. Les tables sont alignées comme dans une cafétéria scolaire, c'est un retour au camp de vacances le temps d'une soirée, avec la discipline en moins. On mange trop, on transgressait jadis le carême, mais on n'y pense plus, on mange du cochon, beaucoup de cochon, du gras de cochon frit, craquant dont la saveur grandit avec le blasphème de son nom, le carnaval québécois est ici, les fêtards se vautrent dans l'impur tout en s'enduisant de l'idéal de pureté sirupeux.»  

    Émission du 5 avril 2022

    Play Episode Listen Later Apr 6, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Tome 379. Le programme double de la femme tuée un recueil de poésie de Carole David paru en 2022 aux éditions Les Herbes Rouges. Pour la plupart de celles et ceux qui lisent pour la première fois un livre de Carole David, le choc est puissant. Dans Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles (2010, Les Herbes Rouges), par exemple, on y croise bien des fantômes. De Sylvia Plath, d'Anne Sexton, de Jacques Chirac à Paul Valéry, des pieuses domestiques à Jean Seberg et son Herald Tribune, beaucoup y partagent une réalité augmentée pas toujours des plus confortable. On y trouve aussi bien l'Amérique du nord comme l'Italie dans ses livres, pays d'origine de sa famille immigrée, dans ce qu'elles ont de banal, de médiocre voire d'effrayant. Dans ce recueil, alors que la canicule estivale écrase Rome, l'écrivaine visite la ville. Dans les rues, à la gare ou au musée, en plein jour comme dans les ténèbres d'un tableau, la capitale déroule ses histoires, ses mille tragédies, son visage de mort au sourire édenté. Comme de fait, ici ou là surgissent une nouvelle fois des fantômes, ces femmes assassinées, violentées, méprisées, que la mémoire populaire a presque définitivement effacé. L'écrivaine s'offre alors un face à face sans concession, à un exercice de mémoire d'outre-punk, à circuler parmi les tombes, les monuments et les mythes fabriqués, comme l'Illustre la page de couverture: un joint se consume dans un cendrier posé sur une image pieuse. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, une figure incontournable de la littérature québécoise, Carole David est mon invité. Extrait:« Indolents, les fils du Caravage/servent des proies liquides/sur des tables/princes déchus à rebours/décorés, indifférents/je les remercie par leurs prénoms/lorsque la nuit arrive/je demeure chaos/ma petitesse est sans bruit» Pas besoin d'ennemis par Julien Guy-Béland paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Une mise en garde ouvre les pages de ce livre :« ici sont abordées des questions liées à la santé mentale, à la toxicomanie, aux violences conjugales et sexuelles ainsi qu'à d'autres violences systémiques.» En fait, ce texte est la résultante de plusieurs démarches de l'auteurice: Trois suivis psychothérapeutiques pour traiter son anxiété sociale, ses dépendances et ses troubles relationnels. L'attente, interminable, parfois, d'une place dans un service d'aide en dépit des coupes budgétaires et autres mesures d'austérité des gouvernements qui a conduit Julien Guy-Béland à prendre la plume. Comme le suggère l'avertissement en tête du livre, le ton est sans concession, voire à fleur de peau. Il n'est donc pas étonnant d'y trouver une charge bien senti contre un système de soins thérapeutiques qui souffre d'un manque de ressources flagrant. Julien Guy-Béland témoigne, le plus honnêtement possible, d'une période de vie de toxicomanie active. Le livre est un brûlot anti système à plus d'un titre, dans son écriture inclusive, dans sa dénonciation des méfaits du capitalisme qui préfère faire du fric au détriment de la santé mentale du plus grand nombre, mais surtout, il propose, une série de confessions douloureuses, un regard transparent sur l'expérience d'une vie marginalisée. Je vous invite à rencontrer ce soir, à Mission encre noire, Julien Guy-Béland. Extrait:« Février 2021. Evan Rachel Woods, Ashley Walter, Sarah McNeilly, Ashley Lindsay Morgan et Gabriella dénoncent les agressions psychologiques et physiques de Brian Warner, plus connu sous le nom de Marilyn Manson. Ce dernier nie tout. Pourtant, dans son autobiographie publiée en 1998, lui-même décrivait de nombreuses violences commises envers ses conjointes et des fans. «La violence motivée par la haine des femmes est profondément inscrite dans notre culture, et les hommes non seulement peuvent en commettre sans craindre de conséquences, mais leur misogynie leur sert souvent à mousser leur célébrité et gonfler leur fortune. (...) Marilyn Manson n'est que le dernier d'une longue série d'hommes qui étaient plus francs qu'il n'y paraissait.» Nous sommes bien placés pour ne pas être surpris, puisque notre groupe post-hardcore conceptuel, Skip the Foreplay, qui se réappropriait le spires côtés de la culture pop, évoluait dans une scène connexe à Manson. Nous n'avions pas d'informations à propos de ce cas particulier mais it works according to design. Ô, je le savais même à l'époque, que notre projet était wack, même si je me le rationalisais en me disant que notre registre était ironique. J'ai pilé sur mes valeurs pour du pouvoir, en collaborant avec d'autres gens prêts à faire n'importe quoi pour du pouvoir. Le second degré a le dos large. trop de mauvais humoristes nous l'ont rappelé récemment. «Ces gars font ce qu'ils font pour la même raison qui m'a mené en prison: le pouvoir», dit un des roadies de la scène principale du Warped Tour, en référence aux bands pour lesquels il travaille, dans un documentaire filmé l'été où on y a participé.»

    Émission du 22 mars 2022

    Play Episode Listen Later Mar 23, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 378. Voyages en Afghani par Guillaume Lavallée paru en 2022 aux éditions Mémoire d'encrier. Un peu après le 11 septembre, l'auteur, Guillaume Lavallée se fait offrir une bourse pour écrire une thèse sur la vie de l'étrange et fascinant Djemal ed-Din al Afghani, le père supposé de l'islamisme. Emporté par sa passion, l'idée se perd sur les routes qui le conduisent en reportage au Pakistan, au Soudan, en Afghanistan, au Yémen, en Syrie, au Liban, à Gaza. Au cours de ces périples, un nom revient sans cesse dès qu'il s'agit de parler de philosophie, de religion ou de réfléchir sur l'islam: Djemal ed-Din est sur toutes les lèvres. Après l'attaque de la mosquée de Québec, dans l'arrondissement de Sainte-Foy, lieu de naissance de l'auteur, celui-ci décide de se lancer sur les traces d'un homme qu'il qualifie lui-même d'étrange alchimie entre Socrate, James Bond et Che Guevara. Voyages en Afghani, est un livre qui s'ouvre sur les désordres d'une époque, la fin du 19 ème siècle. Un livre d'aventure, érudit et documenté, pour s'imiscer dans les débats qui animent les mondes musulmans et occidentaux, depuis Avicenne et Avéorrès. Téhéran, 1er Mai 1896, le Chah d'Iran vient d'être assassiné, je vous invite au voyage, à remonter le temps, ce soir, à Mission encre noire en compagnie de Guillaume Lavallée. Extrait:« Et pourtant, Djemal ed-Din a peut-être été le premier grand penseur musulman à s'engager dans une réinterprétation profonde des textes coraniques. Défenseur d'une approche critique de l'islam, l'homme tient de la légende. Une légende toujours vivante dans quelques cercles d'Iran, d'Afghanistan, de Turquie, d'Égypte, de Gaza, mais qui s'est évanouie en occident. Demandez «Djermal ed-Din al-Afghani» à votre libraire, et vous n'aurez en guise de réponse que haussement d'épaules, mines interloquées et fronts plissés. Vous ne trouverez rien. Ou tout au plus des notes en bas de page de livres jaunis et esseulés sur les rayons. D'ailleurs, dites simplement que vous cherchez un philosophe arabe ou d'un pays musulman. On vous proposera sûrement un énième ouvrage sur le péril djihadiste, quelques grands romans arabes contemporains, une traduction du Coran, de la poésie du maître soufi Rumi et peut-être un invendu écorné d'un philosophe médiéval comme Ibn Rushd (plus connu sous son nom latinisé d'Averroes) ou al-Farabi. Mais vous ne trouverez pas, ou très difficilement, de grands penseurs des deux derniers siècles. Et pourtant, tout ça bouillonne. Nous multiplions les débats télévisés sur l'islam et la modernité, mais songeons rarement à y convier des penseurs arabes ou musulmans modernes. Des penseurs qui lisaient Montesquieu, Rousseau et autres catalyseurs de progrès en plus de leurs prédécesseurs en terre d'islam.» Pour une écologie du 99%, 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme par Frédéric Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier et Alain Savard paru en 2021 aux éditions Écosociété. Depuis la sortie de ce livre, la pandémie n'en finit plus de finir, des convois de camionneurs ont bloqués la ville d'Ottawa et d'autres endroits au Canada, une guerre a été déclarée et ajoutez à cela, l'accélération de la crise écologique. Voilà autant d'arguments pour avoir de bonnes raisons de nous inquiéter de l'avenir proche, comme le soulignent les trois auteurs de ce livre. L'humanité est confronté à des gouvernements, qui, dans leur ensemble, jouent la carte de l'autruche et baigne dans un climato-optimisme béat qui nous promet des lendemains qui chantent. Faisons fi, du chant des sirènes, celles qui croient encore que la transition douce vers un capitalisme vert nous sauvera de la fatale déroute. Or c'est précisément la raison d'être de ce livre, visant à déconstruire et à jeter un regard lucide sur les mythes véhiculés par cette dangereuse illusion. Je vous propose de découvrir un cours accéléré et nécessaire d'autodéfense contre l'économie du capitalisme et les stratégies politiques pour le dépasser. 2020 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans l'histoire, et rien qu'au Québec les VUS représentent, à eux-seuls, 70% des véhicules vendus. Comment faire face? Comment bâtir un mouvement écologiste populaire? J'accueille Frédéric Legault, ce soir à Mission encre noire. Extrait:« Aujourd'hui, à l'heure d'inégalités de richesse inédites dans l'histoire humaine, il serait illusoire de croire que la croissance du gâteau augmente le sparts de chacun. Les mécanismes de redistribution de la richesse ont été mis à mal par les gouvernements successifs depuis les années 1970 en occident. Résultat, la croissance, même famélique, se traduit aujourd'hui surtout par l'accroissement de la richesse du 1%. Mais pire que cela, le gâteau, même très mal partagé, est durablement empoisonné. L'effet de l'accumulation capitaliste, comme nous l'avons dit, c'est la croissance du poids écologique de l'économie. Aucune croissance n'est possible sans base matérielle: notre monde habitable a des terres arables étroites, de l'eau potable en quantité limitée, un ciel bientôt saturé de GES, des minerais non renouvelables rares, une biodiversité fragile aux pertes irréversibles, etc. C'est pour cette raison qu'une croissance «verte» est au mieux une illusion, au pire une supercherie (voir mythe 8). Comme une croissance infinie dans un monde fini, qu'elle soit «verte» ou «propre», est une équation impossible.»  

    Émission du 15 mars 2022

    Play Episode Listen Later Mar 16, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 377. Prendre lieu de Karine Légeron paru en 2022 aux éditions Leméac. Les mains qui courent sur le bois sec et gris, fatigué de vent, de soleil et de sel de la mer pourraient aussi bien appartenir à Kelig Le Floch, à la veuve du capitaine Hugh Talbot Burgoyne ou bien encore à ce fils venu accompagné son père pour disperser les cendres d'un grand-père basque disparu trop tôt. Car voilà, Iels veulent voir cette côte monstrueuse, cette terre d'Espagne, nommée la costa da Morte, sur la côte galicienne, avec son rivage exposé directement à l'océan, là où commence le royaume des morts. Il suffirait, dit-on, de poser son front sur un rocher pour entendre les voix des nombreux naufragé.e.s. Les époques, les identités, les personnages s'agglomèrent et s'entrelacent, en autant de masques, derrière lesquels se dissimulent les sentiments de l'autrice. C'est la voix du passé, qui traverse cette écriture habile et sensible. En Galice ou ailleurs, l'autrice écrit sous influence. Celle des gens et surtout celle des lieux qui charrient des souvenirs: ceux de l'enfance, des paysages marins, ceux qui inspirent, à Montréal, autour du Carré Saint-Louis, ceux qu'on laisse derrière soi, malgré-nous, une maison familiale, un ancien amant. La mémoire s'égarera, sans doute, en quête de rituels à jamais disparu où l'éclat du réel reprend son dû. Érigé dans une perspective géopoétique, ce recueil est une invitation à découvrir nos territoires intimes, à traverser ces endroits qui nous bouleversent, à lutter contre les éléments et pour l'autrice, y puiser une formidable énergie créatrice qui lui fait dire: «Moi, minuscule mais tellement forte, Tellement vivante.» J'accueille, ce soir, Karine Légeron à Mission encre noire. Extrait:« Je suis rentrée. C'est ce que je dis maintenant, que je suis rentrée, comme on rentre à la maison ou chez soi, comme on revient à quelque chose de primordial. J'habite la ville et elle m'habite, nous en sommes là. J'ai parfois le sentiment qu'elle m'occupe tout entière, comme on est habité par une musique indélogeable ou une passion, et qu'elle me définit un peu ; ce sentiment m'autorise à rentrer à Montréal. Mais d'autres jours elle me rejette, et je m'y sens étrangère. Déplacée. Ces jours-là, je n'ai nulle part où rentrer. Je suis revenue depuis près d'un mois et Montréal me repousse. Entre là bas quitté et ici pas encore retrouvé, j'ai l'impression de vivre dans la fissure d'un entre-deux. Je ne retrouve pas ma place, mes repères. Ce qui coulait, fluide, accroche et contrarie. M'assaille, presque. j'avais oublié à quel point tout est bruyant, ici. L'océan ne se tait jamais, lui non plus, mais son bruit est répétitif et apaisant, à l'opposé du vacarme ininterrompu que génère la ville. Tout parle, tout hurle, tout m'agresse.» La revue Moebius 172, dirigée par Jennifer Bélanger et Alex Noël. «Il faut que tu ruines tout» est la citation-thème de ce nouveau numéro. Elle est tirée de L'amour à peu près de Dionne Brand (traduction de Nicole Côté), paru en 2017 aux éditions Triptyque. Comme à son habitude, la revue littéraire québécoise nous prouve encore une fois toute la richesse et la diversité des formes et des écritures d'ici. Si le contexte de la pandémie se débloque doucement, le poids de l'actualité mondiale, et en particulier l'ajout de celui de la guerre en Ukraine, tombent à propos pour encadrer la lecture de cette nouvelle édition. Les imaginaires des auteurices regroupé.e.s dans ce numéro 172 attestent de la gravité d'un monde qui part à vau-l'eau ou témoignent des ruines qui érodent leur quotidien. Que trouve-t-on au milieu des décombres ? Comment survivre aux violences qui nous assaillent encore au présent ? Comment réinventer les liens familiaux ou amoureux sur une terre dévastée? écrire sur les ruines, c'est penser à l'après, c'est aussi faire éclater les cadres établis, comme faire grandir en soi l'insurrection nécessaire pour pasticher rachel lamoureux, présente dans ce numéro. Jennifer Bélanger et Alex Noël sont invité.e, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« ma mère ne sait pas que la solitude qui nous accable est souvent celle que l'on s'est faite. elle ne sait pas que j'ai hérité de ses définitions déficientes, de ses mécanismes mortifères, que j'ai payé très cher des spécialistes afin de nommer en moi tout ce qui venait de là, d'entourer la crevasse d'un ruban jaune, de la condamner comme une zone inhabitable. il est possible, semble-t-il, si l'envie nous prend de vivre, de contourner ces lieux qui nous ont fondé.e.s, d'éradiquer en soi ce qui minait notre identité, car, vraiment, il est difficile de penser que l'on mérite respect et tendresse quand, de soi, l'on ne perçoit que cette béance faite de ressentiment d'inquiétude et de colère. je pensais que j'étais malade, malade de l'esprit, que mon corps déraillait, me trahissait, qu'il devait exister un remède à cela, une chimie du cerveau, une médication, une étiquette, un rien qui saurait justifier ce trouble, cette incohérence, cette aberration que je traînais un peu partout, en classe, au lit, à la table, ce corps de rien brûlant d'une hargne qui m'a fait connaître le sentiment d'injustice hors de toute loi. je suis au-delà de la loi, de l'ordre, je suis un enfant du chaos, car un parent absent est sans autorité, un parent qui n'accourt pas dans les moments de détresse se départit de toute crédibilité dans les moments d'allégresse. un parent qui n'agit pas en parent est illégitime. un parent négligent, avare ou calculateur est un parent destitué. je suis un enfant anarchique, un enfant révolté, à ne pas m'éduquer, l'on a fait grandir en moi l'insurrection.»    

    Émission du 1 mars 2022

    Play Episode Listen Later Mar 2, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 376. Corps rebelle, réflexions sur la Grossophobie par Gabrielle Lisa Collard autrice du blogue Dix Octobre paru en 2021 aux éditions Québec Amérique. Depuis l'année où le blogue Dix Octobre a été lancé, Gabrielle Lisa Collard a constaté plusieurs changements. L'industrie des régimes a perdu de sa crédibilité, une communauté soudée a vu le jour et une éditrice lui a demandé de publier ses textes dans un livre. L'aventure de Dix octobre (la date de sa fête) a débuté le 09 mai 2016 pour s'achever au printemps 2020. Si ce livre existe, ce n'est surtout pas pour vous dire quoi faire, mais plutôt pour constater la triste vérité. Il faut le reconnaître: nous sommes tout.e.s grossophobes. Nous entretenons activement des préjugés négatifs qui mènent invariablement à une forme d'apartheid anti-gros. Pour le dire autrement, le corps est notre pire ennemi. Ceci étant dit, la grossophobie est partout. Comme si être gros était inacceptable. L'autrice le déclare haut et fort, il n'y a rien de mal à l'être, personne ne choisit de le devenir. Vous avez le droit d'être gros. Il est urgent de prendre conscience d'un phénomène encore tabou, qui nous ronge en profondeur. Nous retournons le miroir vers nous, ce soir, à Mission encre noire, Gabrielle Lisa Collard est notre invité. Extrait:« On se sent mieux quand on pèse moins, aussi temporaire cet état soit-il, est-ce que c'est vraiment en raison du poids en moins, ou plutôt des effets bénéfiques de l'activité physique, du renforcement positif, des compliments, d'une saine alimentation, de l'approbation de nos pairs et du sentiment d'enfin avoir le droit d'exister et de s'aimer ? Parallèlement, savez-vous ce qui nuit concrètement à la santé ? La honte, la stigmatisation, la grossophobie médicale, les troubles alimentaires, les problèmes d'image corporelle et le stress, qui ont tous en commun d'être infligés aux personnes grosses par leur entourage et leur environnement. Pas par leur poids. Prendre soin de sa santé et maigrir sont deux quêtes radicalement différentes ; la première étant un choix personnel que chacun peut aborder de la façon qui lui convient et la seconde, boring as fuck. Vouloir maigrir, c'est boring. Les régimes sont d'un ennui mortel. Hiérarchiser les corps selon leur taille, comme si mince égalait forcément plus beau, plus en santé ou plus acceptable ? Yawn. On est tellement plus que notre apparence.» Ce qui nous lie, l'indépendance pour l'environnement et nos cultures, un collectif d'auteurices paru en 2021 aux éditions Écosociété sous la direction éditoriale de Sol Zanetti, avec des textes de Natasha Kanapé Fontaine, Catherine Dorion, Andrès Fontecilla, Ruba Ghazal, Christine Labrie, Alexandre Leduc, Émilise Lessard-Therrien, Vincent Marissal, Manon Massé, Gabriel Nadeau-Dubois, Michael Ottereyes. L'ensemble du corps des députés de Québec solidaire au complet se prête à un exercice de pré-campagne électorale. Chacun.e réaffirment dans de très courts textes, son adhésion au projet indépendantiste. Comme le souligne Natasha Kanapé Fontaine, en avant propos, il y a urgence à se rassembler derrière un projet commun d'envergure, tourner vers l'écologie, les cultures et la solidarité pour ralentir les effets des changements climatiques. 25 ans après le référendum de 1995, faire du Québec un pays, n'est pas un slogan, mais bien un appel au dépassement collectif vers un projet de société porteur d'espoir, pour un plus grand nombre de personnes et qui aura l'ambition de renouer avec tous les peuples ainsi que toutes les cultures présentes sur le territoire québécois, avec les peuples autochtones. Il est temps de faire l'histoire et non de la subir. Il est temps de rêver, comme l'écrit notre invité, Sol Zanetti, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Lorsqu'on laisse la culture s'assécher, lorsque le ciment se fissure, c'est l'aliénation qui gagne nos peuples. Désunis, nous nous laissons déposséder. Nous devenons soudainement étrangers à nous-mêmes, modelés par les décisions des autres. Qui prendra les décisions qui mouleront notre avenir ? Qui décidera de ce que nous allons devenir comme peuples ? Et si la réponse était simplement: nous ? Rêver, en politique, c'est se projeter dans un horizon qui dépasse parfois ce que l'opinion de la majorité d'une époque donnée considère comme possible. Les rêves politiques sont les locomotives du progrès de l'humanité. Sans eux, nous serions condamnés à la stagnation. En cette ère de bouleversements climatiques, plusieurs doutent que nous arriverons à préserver les écosystèmes essentiels à notre survie comme espèce et une trop grande part de nos dirigeants semblent considérer impossible de mettre en place les mesures minimales pour y arriver. C'est une posture dangereuse. Le Québec ne doit surtout pas capituler et sombrer dans le pessimisme ; nous résigner à une vision trop étroite de ce qui est «possible» ou «réaliste» nous serait fatal. Nous devons à tout prix, comme d'autres l'ont fait avant nous, écouter notre audace en nous projetant au-delà de ces limites. En d'autres mots: Il y a urgence de rêver.»

    Émission du 15 février 2022

    Play Episode Listen Later Feb 16, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 375. Western Spaghetti par Sara-Ànanda Fleury paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Et vous dans quelle vie vivez-vous? Interpelle Turtle dans la première des huit nouvelles qui compose ce recueil. On a beau être blanche, polie et maquillée, il faut bien nourrir sa famille malgré son compte bloqué. Arnold, lui, doit composer avec un beau-père, ancien alcoolique qui a viré évangéliste. Montréal ne devait être qu'une escale de 24 heures pour Mohamed, un jeune artiste d'origine kabyle, qui raffole de sa lumière. La ville est tellement belle. Doit-il partir ou bien rester? Trois enfants se posent même question. Ils vivent à leur manière un été brûlant sur la péninsule Bruce, entre la baie Géorgienne et le lac Huron. Une danseuse française de passage à Montréal avec sa petite famille, en profite pour revisiter son quartier préféré et ses fantômes. Un homme veuf découvre sur une série de diapositives inconnues, la double vie de sa femme décédée. Il décide de provoquer son ancien amant en duel. Wendy et Greg, deux professeurs d'urbanisme à l'université de Victoria confient l'entretien de leur maison, en leur absence, à un jeune couple improbable, qui déteste la vie ordinaire. Laura et Paul Habitent la réplique exacte d'un chalet Suisse sur l'avenue Rockland à Montréal. Leur permettra-t-il de lutter contre vents et marées. Ces admirables nouvelles révèlent les vies secrètes des familles, les trahisons, la force du lien qui les unit. Chaque expérience de vie, aussi banale soit-elle, vous rappelleront un quotidien ou des situations qui vous ressemblent étrangement. J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara-Ànanda Fleury. Extrait:«Les enfants d'ici sont initiés à la terreur. On n'invente rien, finalement, on ne fait qu'attiser les frayeurs déjà tapies dans les coins, derrière les portes et sous les lits, logées là au fond du ventre. On pétrit ces images-monstres comme des figures de pâte à sel, et il n'en faut pas plus aux habitants de la péninsule pour croire aux bêtes qui dorment dans les cavernes sous les lacs, et qui parfois remontent à la surface pour réclamer leur dû. Ainsi les années passent. Les enfants restent. Peu d'entre eux essayeront de quitter ce territoire, et encore moins nombreux sont ceux qui tenteront de traverser le lac. Tout le monde ici sait naviguer, mais personne ne sait naviguer aussi loin, ou s'ils l'ont su, ils ont appris à l'oublier. Comme le reste.» Orange Pekoe par Benoît Bordeleau paru en 2021 aux éditions de la maison en feu. C'est à travers le regard de l'enfant, que Benoit Bordeleau, réinvente le territoire de ses souvenirs. Il se remémore le défunt grand-père, les lieux habités, les objets déposés ici et là. Chaque fragment d'écriture est l'occasion d'investir un territoire nouveau et de lutter contre les engrenages de l'oubli. L'auteur redécouvre ainsi un immense plaisir à arpenter les mots, à déambuler parmi les choses, à nommer les gestes, à mettre ses pas dans ceux de son grand-père, comme dans ceux des gens ordinaire croisés dans un décor autrement plus urbain. Dans Orange Pekoe, on marche le quotidien, pas à pas. On flâne. La mémoire de l'adulte se confronte aux souvenirs de l'enfance. Délicatement, l'auteur déplie un à un des morceaux choisis d'une vie solitaire en héritage, alors rangés dans de petites boîtes de photographies. La mémoire, on la porte sous le larynx. L'écriture donne la mesure du désordre. Benoît Bordeleau est invité, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Assis dans berçante, le grand-père essaie de se souvenir à quand remonte sa connaissance de celles et ceux qui peuplent l'autour. Aucune date, aucun événement notable ne surgit à sa mémoire. Dans le recoin des petites souvenances ne lui reviennent que des grilles noires sur papier gris, parsemées de tâches bleues. Calendriers, mots-cachés? Il ne sait pas et alors il fait savoir - à qui veut l'entendre - qu'il vaut mieux avoir sous le capot des miettes d'engrenages que d'avoir dans l'oreille le ronflement constant d'un bétail depuis longtemps disparu (...) L'encombrement tient de la citadelle. Il met à disposition les fragilités - la vôtre, la mienne - et les fait s'unir, le temps de mettre l'eau à bouillir.»  

    Émission du 8 février 2022

    Play Episode Listen Later Feb 9, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 374. Morel de Maxime Raymond Bock paru en 2021 aux éditions Le Cheval d'août. La première image de ce roman n'existe déjà plus, c'est celle de la page de couverture, le pont Jacques-Cartier étalé en construction. Nous n'appartenons pas à cette photo, nous sommes de ceux et celles qui empruntons le pont, depuis toujours, depuis l'oubli, depuis le futur. Pour un gars du faubourg à m'lasse cela veut dire autre chose. Ce quartier, ces maisons autour du pont, vont être rasées de près. La famille Morel, nous relie à ce quotidien ordinaire, celui des grand chantiers ouvriers, des églises, des funérailles, des ruelles, des usines désaffectées, des épiceries du coin, celui des sans-voix. Jean-Claude Morel, cet ouvrier anonyme aura creusé le métro et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, fait surgir des autoroutes, pourtant sa demeure, sur la rue Notre-Dame sera taillée en pièce et sa famille expropriée. Sa petite-fille Catherine veut faire parler le sang, elle libérera la parole, car toute cette violence ça ne s'oublie pas. Maxime Raymond Bock raconte cette histoire, vu de l'intérieur, un fondu enchaîné sur la métamorphose de Montréal au 20 ème siècle. Il est notre invité ce soir à Mission encre noire. Extrait:« -Tu dis que ta vie est plate. Tu dois te sentir seul, aussi. Mais je suis certaine que t'as des beaux souvenirs. Tu pourrais m'en raconter un, pour commencer. Morel se garde de soupirer. Il est en effet seul avec ses souvenirs, qui ne se montrent jamais que dans le désordre. Un enchevêtrement de scènes imprévisibles qui se succèdent les unes les autres par accident, ainsi fonctionne la mémoire, avec culs-de-sac, histoires en suspens, intrigues irrésolues et disparitions inopinées, déclencheurs impromptus, relations profondes soudain devenues superficielles. Tant de détails pour tant de trous noirs. Et s'ils sont durs, ces souvenirs, c'est que la vie l'est elle-même, voilà une des rares choses desquelles il est certain, et cette certitude n'est pas sans issue d'une parole divine ni celle de quelque mortel que ce soit, mais de sa propre expérience. Si le passé a été vécu dans la difficulté, comment y revenir avec le sourire? Peut-être grâce à la sagesse. Ce mot si commun dont il ne saisit pas tout à fait la signification, sinon quand elle concerne les enfants dociles.» Quelques découvertes de lecture de confinement: Le chien de Akiz, traduit de l'allemand par Brice Germain paru en 2021 aux éditions Flammarion. Un roman truculent, drôle, on pourrait dire gargantuesque qui nous fait découvrir les arrières cours de restaurants prestigieux à travers un personnage énigmatique: le chien. Un jeune homme qui, lit-on, partage, avec Grenouille de Patrick Suskind, un destin des plus sordide. Solak par Caroline Hinault paru en 2021 aux éditions Rouergue Noir. Un polar de saison, pour celles et ceux qui aiment les huis clos tendus, où planent une menace sourde et cruelle: l'hiver éternel du cercle polaire. Vous serez pris dans les glaces dans un environnement sans pitié. Caroline Hinault vous saisie jusqu'à l'effroi pour ce premier roman, un vrai petit bijou qui ne déçoit pas jusqu'à son dénouement. Une guerre sans fin de Jean-Pierre Perrin paru en 2021 aux éditions Rivages/Noir. À travers le destin croisé de trois hommes, Jean-Pierre Perrin, grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient, rend un hommage, non seulement à une région martyre, la Syrie, mais également aux victimes. beaucoup de ces pages sont bouleversantes d'humanité. Vous serez emportés par ces trajectoires de vie folles, au milieu des bombes. À mi-chemin du polar, du thriller et du roman de guerre, cette histoire n'est pas sans évoquer d'autres descentes au coeur des ténèbres chez Joseph Conrad ou dans le froid réalisme du reportage de guerre cher à Joseph Kessel.    

    Émission du 1 février 2022

    Play Episode Listen Later Feb 2, 2022


    Mission encre noire Tome 33 Chapitre 373. Les ombres filantes de Christian Guay-Poliquin paru en 2021 aux éditions La Peuplade. Je vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2022. Et pour entamer nos cycles de rencontres d'écrivaines et d'écrivains d'ici et d'ailleurs, commençons par une panne d'électricité géante, celle qui paralyse le pays depuis les trois premiers romans de Christian Guay-Poliquin. Le protagoniste de ce troisième volet avance seul, sac au dos, blessé à un genou, à travers une forêt hostile en direction du camp de chasse où sa famille à trouver refuge. Il se sait menacé. L'homme va faire la rencontre d'Olio, un orphelin d'une douzaine d'année, auquel il va finir par s'attacher comme à un fils. Loin du monde, ils vont unir leur force pour déjouer les obstacles qui ne manqueront pas de surgir. Fort du succès populaire et critique du Fil du kilomètre paru en 2014 et de celui aussi prestigieux du Poids de la neige paru en 2016 aux éditions La Peuplade, un roman couronné par les Prix du Gouverneur Général, le Prix littéraire des collégiens et traduit dans une dizaine de langues, Les ombres filantes annonce une fortune tout aussi équivalente. Je vous propose de remonter les temps anciens et de tomber sous le règne de la forêt, ce soir, à Mission encre noire en compagnie de Christian Guay-Poliquin. Extrait:« Je regarde mes mains noircies par l'huile. Elles me rappellent une vie passée, enfouie, comme le pétrole sous la terre et le temps des dinosaures. Avec la panne, je pensais que mon métier allait s'éteindre en même temps que la lumière des raffineries et des stations-services. Rien de tel finalement. Le vieux monde est tenace et, partout où j'irai, j'ai bien peur qu'il y ait toujours des moteurs à réparer. Je me ressaisis et m'attarde à la génératrice. Même problème avec le carburateur. J'évalue les scies à chaîne, pareil. Je réfléchis. C'est probablement à cause de l'essence qui s'évente. Malgré tout le stabilisateur qu'ils ont mis dans les jerricans, c'est inévitable. Pour l'instant, ça peut encore aller, mais dans quelques mois, toutes ces belles réserves de carburant ne serviront plus à rien, sinon à étrangler les moteurs.» Impromptu de Catherine Mavrikakis paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Europe, je t'aime, moi non plus. Dans un court roman, Catherine Mavrikakis entreprend de décrire les liens affectifs qui nous rattachent au Vieux Continent et à sa «grande culture». Distillé d'une bonne dose d'humour et d'une pincée d'ironie, ce texte nous narre la rencontre surprenante entre une jeune étudiante spécialisée en littérature allemande et son professeur Mueller-Stahl, au détour d'un distributeur de billet de banque. Bien emprunté sur la manière d'utiliser le dit guichet automatique, le vieux professeur lui emprunte quelques billets. De façon assez étonnante, les tribulations nées de cette rencontre hasardeuse vont se révéler cruciales pour Caroline Akerman-Marchand . Catherine Mavrikakis en profite pour tourner en dérision ce quelque chose de la condescendance européenne qui perdure encore aujourd'hui, dans les rapports qui se tissent entre l'Europe et les autres continents, en particulier ici, au Québec. Cette satire, qui n'épargne ni les uns/unes ni les autres, permet également de se moquer de l'admiration béate des intellectuels québécois et nord américains. C'est un point de vue qui n'est pas sans rappeler le long soliloque rageur du troisième roman de l'autrice, Fleurs de crachat, dont les premières lignes vibraient de défi. Pour en savoir plus, je reçois Catherine Mavrikakis, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« C'est donc avec un immense espoir, celui d'une vie meilleure, que je me rendis à son bureau, le lendemain de ma rencontre fortuite à la banque avec le professeur Mueller-Stahl. J'avais tant à lui dire et à lui demander...Mais il avait vraisemblablement oublié notre rendez-vous et mes 50 dollars. Je revins le vendredi et me présentai à nouveau le lundi. Ce jour-là, une secrétaire bien aimable et surtout très présente, malgré les remarques de Mueller-Stahl sur l'université et son personnel, me dit que le professeur ne reviendrait qu'en septembre, qu'il était parti en Europe faire de la recherche. Je ne revis mon professeur qu'à la rentrée. Il accepta de diriger mon mémoire à condition que je cite Schlegel. Je continuais de travailler mon allemand, nous conversions dans la langue de Goethe, et ici l'expression est bien littérale, puisque je m'adonnais au Hochdeutsch sorti tout droit des textes du XIXe siècle, du romantisme et du préromantisme. Néanmoins, je n'eus jamais le courage de demander à Karlheinz Mueller-Stahl mes 50 dollars. C'était une somme importante pour moi qui n'avais pas un sou. Mais comment demander au spécialiste de la littérature romantique de penser à ma situation financière? À mes 50 dollars, il ne songea bien sûr jamais.»

    Émission du 14 décembre 2021

    Play Episode Listen Later Dec 15, 2021


    Mission encre noire Tome 32 Chapitre 372. Jusqu'au dernier cri de Martin Michaud, une enquête de Victor Lessard, parue en 2021 aux éditions Libre expression. Au milieu d'une violente tempête, le sergent détective Victor Lessard, enfourche une Honda CR250M Elsinore, il passe en première et actionne le levier d'embrayage pour une course poursuite des plus mémorable au cœur des paysages sauvages englobant la route de la Baie-James. Car voilà, suite à l'assassinat de trois membres d'un puissant cartel de trafiquants d'opium, un précieux colis a été dérobé aux trafiquants qui n'entendent pas à plaisanter. L'enquête déraille rapidement, lorsqu'un homme en fuite, prend huit personnes en otage dans une mine de Matagani. Alors qu'il accompagne Jacinthe Taillon dans la salle d'attente d'un hôpital, à la demande de la GRC, Victor est le seul individu à qui le criminel veut s'adresser. Les deux enquêteurs du SPVM se retrouvent précipités dans une chasse à l'homme haletante, sur les traces de l'auteur du triple meurtre. Embarquez dès ce soir avec moi vers le Nord-du-Québec, histoire de renouer avec les deux inséparables enquêteurs Lessard et Taillon, de croiser Yogi Berra, Scotty Bowman, Victor Hugo, Christopher Walken, Fellini, et bien d'autres, sans oublier bien sûr la montre Hamilton héritée de son mentor Ted, un gant de baseball fétiche et le So what de Miles Davis. J'accueille ce soir, à Mission encre noire, le maître du thriller québécois, Martin Michaud. Extrait:« Victor sentit un craquement sous les semelles de ses bottes élimées. Il s'arrêta et en identifia la cause: il venait de marcher sur des éclats de verre. Il comprit alors pourquoi il n'apercevait toujours pas le haut de l'escalier: des ampoules avaient été sciemment brisées pour plonger l'endroit dans la pénombre. Alors que Victor reprenait son avancée, une certitude s'imposa à son esprit: Le déclencheur de ses pensées négatives avait été la simple mention de son frère, qui le ramenait en arrière, au coeur de son passé, et lui nouait l'estomac. Victor tourna brusquement la tête vers sa droite, là où un grondement bientôt assourdissant secoua la tour, faisant frémir les murs: un hélicoptère survola le site avec fracas, puis le bruit s'amenuisa jusqu'à s'éteindre. Il montait les dernières marches quand une des portes doubles en haut de l'escalier s'ouvrit lentement vers l'intérieur, sans un bruit. Le sergent-détective inspira à fond de nouveau et franchit l'encadrement avec circonspection ; il avança à tâtons dans l'obscurité de la pièce, dont il distinguait vaguement les contours. La porte se referma brutalement dans son dos, une silhouette apparut dans sa vison périphérique et une voix tonna.»   Les gouffres du Karst, une enquête d'Alexandre Jobin par André Jacques, parue en 2021 aux éditions Druide. En 2005, rien n'empêche Alexandre Jobin de voyager en Italie ou en Croatie, du moins pas encore. Le retraité de l'armée canadienne, antiquaire à ses heures perdues, est appelé à la rescousse par le service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) alors qu'un meurtre perpétué dans une zone industrielle proche du parc Jarry dévoile une sombre affaire de trafic d'armes et d'œuvres d'art. L'opération visant à démanteler le réseau criminel a mal tourné. La découverte de l'identité du mort, un ancien camarade d'unité lors de deux déploiement dans les Balkans, achève de convaincre Alexandre Jobin. De Montréal en passant par Trieste et Dubrovnic, le personnage fétiche de l'auteur s'immerge de nouveau dans un passé à l'odeur infecte, qui le mènera les yeux remplis d'effroi aux bords des gouffres du Karst. Il y retrouvera fatalement une vieille connaissance, qui, jusque là, hantait seulement ses cauchemars. Au son lointain du chant du Muezzin, et de quelques détonations, la sulfureuse Pavie, l'assistante toute dévouée de Jobin, Isabelle Ménard, Le vieux Sam Wronski, l'ignoble Dragomir Broz et bien sûr la charmante Chrysanthy Orowitzn marquent de leur présence le studio, ce soir. André jacques est invité à Mission encre noire. Extrait:« La pluie a repris. La nuit est tombée. Circulation moins dense sur Van Horne. Presque aucun piéton. Alexandre n'a pas mis l'éclairage, n'a pas installé le trépied ni l'appareil photo. Simplement écarté un peu le rideau. Depuis trois heures, il observe le Zadar, les allées et venues des clients habituels qu'il commence à reconnaître: le vieux avec sa canne, les deux colosses aux allures de débardeurs. Le jeune Josip ne s'est pas pointé. Bien! Il a compris. Ni Petar Horvat d'ailleurs. Moins bien! Mais Baldo Broz est arrivé, seul, il y a environ une heure. À moins qu'il n'ait emprunté la sortie du bureau à l'arrière, il devrait être encore à l'intérieur. Deux clients, les débardeurs, sortent. Un peu chancelants. On commence à éteindre l'éclairage dans le bar. Si Baldo doit sortir ce sera dans les minutes qui viennent. Alexandre referme le rideau, met son blouson et la casquette des Expos. Vérifie de la main gauche si l'arme est toujours bien en place, coincée dans son dos par la ceinture de son pantalon. Puis, il dévale l'escalier, ouvre la porte de derrière, court vers l'avant par la ruelle. se blottit dans l'ombre au coin de l'immeuble et attend de nouveau.»

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