Nos correspondants et envoyés spéciaux sur le continent africain vous proposent chaque jour en deux minutes une photographie sonore d'un événement d'actualité ou de la vie de tous les jours. Ils vous emmènent dans les quartiers ou dans les campagnes pour vous faire découvrir l'Afrique au jour le jo…
Ce mercredi 1er octobre, c'est la rentrée scolaire pour les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants au Tchad. Mais certains n'ont pas eu droit aux vacances : ce sont les élèves des écoles coraniques, appelés Mouhadjirines dans le pays. Souvent, ils viennent de très loin, quittent leur famille et rejoignent une école coranique. La plupart ont recours à la mendicité pour payer l'accès à cette école. Pour offrir un meilleur encadrement et une meilleure intégration à ces Mouhadjirines, ainsi que des perspectives, le Secours islamique France (SIF) a lancé le programme pilote « Tawde ». Il est présent dans l'ouest du pays, dans la région du lac, mais aussi à Ndjamena, dans sept écoles coraniques. C'est l'heure de la pause pour Yacoub et ses camarades. Il n'a que 15 ans, mais il étudie dans cette école coranique depuis ses deux ans : « Tôt le matin, on a le cours coranique, et vers 8 heures, on passe au cours séculier. Mais je suis encore obligé de mendier. Ça me permet de me nourrir, sinon je ne trouve pas toujours de quoi manger. Et tous les vendredis, je verse 100 FCFA à l'école coranique. » Plus tard, Yacoub rêve de trouver un travail. Il aimerait intégrer un bureau de l'administration tchadienne. Pour les accompagner dans leurs projets, plusieurs professeurs du SIF enseignent le français, par exemple, mais des activités créatives et ludiques sont aussi prévues. Elles sont assurées par Djibril Hissène Mouhammad, l'animateur communautaire : « Les enfants aussi ont besoin de temps pour s'amuser. On a tous été à l'école. Et on a été à l'école coranique. Moi, j'ai fait la mendicité pendant trois ans, avant de regagner l'école. Et aujourd'hui, je travaille. Et il y a tant de milliers d'exemples dans le pays. » À écouter aussiTchad: comment améliorer la prise en charge des enfants des écoles coraniques? Tous les jours, au moment des cours séculiers, des repas et des encas sont distribués : « On a mis des intrants alimentaires à leur disposition pour qu'ils aient de quoi se nourrir. Au lieu de mendier, ils apprennent ici et, en même temps, ils ont de quoi à manger. » Impliquer la communauté pour mieux intégrer les enfants Autre élément pris en compte par le SIF : l'intégration au sein de la communauté du quartier. Lassine Doumbia, coordinateur programme au sein du SIF : « Le programme a mis en place pas mal de petits comités communautaires. Ouvrir la gestion de l'école à la communauté d'accueil facilite l'acceptation de l'école et l'acceptation des enfants. Dans la majeure partie des cas, l'exclusion de ces enfants est liée au fait que les gens ne comprennent pas trop leur mode de vie pour se nourrir – généralement, la mendicité. Tout ceci, on y travaille par des sensibilisations qu'on donne au prorata à des personnes qui sont de la communauté. » Le programme « Tawde » est encore un projet pilote, mais déjà plus 2 000 enfants en bénéficient. Objectif : réussir à intégrer les écoles coraniques dans le système éducatif formel. À écouter aussiLe Tchad face au fléau des enfants mendiants
En RDC, à la frontière avec la Zambie, environ 700 femmes de Kasumbalesa assurent le transport manuel des marchandises des petits commerçants. On les appelle les femmes « wowo ». Si leur travail est vital pour l'économie locale, il se fait dans la précarité et sous la menace permanente de violences. De notre correspondante de retour de Kasumbalesa, Dès le matin, les femmes « wowo », chargées de sacs de farine, de packs de biscuits, de lots de boissons sucrées pesant parfois de plus de 30 kilos, sont dans le couloir piétonnier de Kasumbalesa et dans la zone neutre. Un sac sur sa tête, Anto vient de braver les différentes barrières du couloir : « Il y a trois barrières. À la sortie de la Zambie, je paye 500 francs congolais. Au couloir, je donne 1 000 francs congolais et un peu plus loin, je débourse encore 1 000 francs congolais. Une fois en dehors du couloir, d'autres agents des services publics nous attendent. Des fois, je négocie avec eux et ils me laissent passer. » Des attouchements et des humiliations Au-delà de ces tracasseries, certaines femmes subissent des violences verbales de la part des agents publics. Jacquie, jeune femme veuve, rencontrée à la sortie du couloir piétonnier, témoigne : « On m'insulte souvent. Ces agents me disent. Pourquoi es-tu ici ? Où est ton mari ? Est-il incapable de te nourrir ? Bon, je n'en ai rien à faire, on supporte parce qu'ils ne connaissent pas ma situation. » D'autres subissent même des agressions sexuelles, déclare Régine Mbuyi, une autre femme « wowo » : « Lorsqu'un agent m'interpelle parfois, il me demande des faveurs sexuelles pour laisser passer la marchandise. Il arrive également que pendant la fouille, ces agents se permettent des attouchements jusque sur les parties intimes. C'est humiliant… » Les femmes « wowo » de Kasumbalesa n'ont aucune protection sociale ni de recours légal. L'Association des femmes actives dans le commerce transfrontalier (AFACT) dénonce une situation alarmante. Solange Masengo est la présidente : « Dans la zone de la Comesa, le Marché commun de l'Afrique orientale et australe, nous voyons les femmes assurer le transport transfrontalier sans problème. Mais ici, chez nous, ces femmes discriminées, elles sont chassées. Il y a des filles qui ont été humiliées et déshabillées, et nous avons des preuves. On a aussi des femmes qui ont été fouettées publiquement. Lorsque l'association veut intervenir, on nous demande de laisser la situation comme ça. Pourquoi la femme ne peut pas faire un travail de son choix ? » Pour l'heure, nous n'avons pas réussi à avoir la réaction du maire de Kasumbalesa et même du sous-directeur de la douane. Les femmes « wowo » quant à elles, continuent de porter le commerce frontalier sur leurs épaules malgré la fatigue et les humiliations. À lire aussiFemmes «wowo», ces forces invisibles du commerce transfrontalier entre la RDC et la Zambie [1/2]
À Kasumbalesa, à la frontière entre la Zambie et la RDC, se vit un trafic parallèle, loin des grands camions et des formalités douanières. Chaque jour, plusieurs centaines de femmes congolaises transportent sur leur tête, ou leur dos, des marchandises pour traverser la frontière Zambienne. On appelle ces femmes « wowo », en référence aux camions chinois de la même marque. Notre correspondante a suivi quelques-unes de ces femmes. De notre correspondante de retour de Kasumbalesa, À Kasumbalesa, deuxième poste frontalier plus important de la RDC, elles sont là, à quelques mètres des files interminables de camions : des femmes portant de lourdes charges sur la tête et le dos, qui franchissent le couloir piétonnier. Ce sont les femmes « wowo » raconte avec sourire Alphonsine, l'une d'elles : « Je suis en mesure de faire passer la charge de tout un camion. Nous sommes les mamans "wowo", c'est l'image des camions qui transportent des charges importantes. Nous travaillons en équipe. S'il faut décharger le camion, nous le faisons et puis nous transportons la cargaison jusqu'à la destination au Congo, selon les instructions du propriétaire. » Selon l'association des femmes actives dans le commerce transfrontalier, elles sont près de sept cents, tous âges confondus, qui exercent ce métier. Les petits commerçants, eux, ne s'affichent pas dès qu'ils confient la marchandise aux femmes « wowo ». Témoignage de Régine Mbuyi, une autre transporteuse : « Le petit commerçant vient acheter toute sorte d'articles, du jus, de la farine de froment, de l'huile végétale… Il me sollicite pour faire traverser ces produits. S'il est de bonne foi, il me donne aussi l'argent pour payer la douane et d'autres services publics. Mais s'il n'a rien, je dois me débrouiller. » À la sortie de la frontière côté congolais, quatre femmes arrivent chacune avec cinq packs de boisson sucrée d'environ 30 kg sur sa tête. Coût de transport, 1 500 francs congolais par course, soit moins d'un dollar. La recette journalière de chacune est de près de 5 dollars. Ces femmes doivent transporter environ une tonne. Pour y arriver, c'est la course contre-la-montre, explique Keren pendant qu'elle range les packs : « Chacune de nous a une quantité qu'elle doit transporter. Moi, j'ai 25 packs. Le commerçant a acheté 100, ce n'est pas beaucoup. Bon, on y va pour la dernière course. » Les services de douanes, quant à eux, ne voient pas d'un bon œil cette activité des femmes, car elle favoriserait un manque à gagner quotidien de près de 3 000 dollars. Pour Malaxe Luhanga, président des petits transporteurs transfrontaliers, il faut formaliser cette activité : « On peut appliquer le système de groupage selon la catégorie des marchandises et qu'elles soient taxées officiellement. On peut adopter ce système qui est admis par les pays membres du Comesa pour faciliter les transactions et la taxation par les services publics. » En attendant, des centaines des femmes « wowo » de Kasumbalesa poursuivent leur activité de manière informelle. À lire aussiLa frontière entre la Zambie et la RDC rouvre après plusieurs jours de fermetures
En Guinée, plus d'un an après le procès des accusés du massacre du 28 septembre 2009, et ce verdict historique qui a vu la condamnation de huit personnes, dont l'ex-président Moussa Dadis Camara à vingt ans de prison pour crimes contre l'humanité, les familles de victimes réclament d'urgence l'ouverture du procès en appel. Pour l'heure, seuls 334 sur plus de 700 victimes recensées ont été indemnisés, tandis que le principal accusé Dadis Camara a bénéficié d'une grâce et a quitté le pays. Notre correspondante s'est rendue dans les locaux de l'association des Victimes Parents et Amis du massacre du 28 septembre 2009, à Conakry. De notre correspondante en Guinée, Plongée dans le jugement du 31 juillet 2024, un document de près de trois cents pages. Asmaou Diallo, qui dirige l'Association des Victimes Parents et Amis du massacre du 28 septembre 2009, est perplexe. Sur les près de 800 victimes recensées, et qui se sont portées partie civile au procès, moins de la moitié a obtenu un droit à réparation.« Je vois les victimes qui ne sont pas prises en compte m'appeler à longueur de journée, me dire : "Qu'est-ce qu'on va faire ?". Je réponds d'abord, moi-même, mon fils n'a pas été pris en compte dans le processus. On se demande : est-ce que maintenant, après les 334, est-ce qu'il y aura une continuité pour les victimes qui ne sont pas prises en compte ? », réagit Asmaou Diallo. Asmaou, qui a perdu son fils en ce jour terrible du 28 septembre 2009, comme les autres familles de victimes, a donc interjeté appel, pour que la justice réexamine les cas des victimes oubliées. Mais plus d'un an après, rien, elle s'inquiète, d'autant plus depuis la grâce accordée en mars 2025 au principal coupable, l'ex-président Moussa Dadis Camara. À lire aussiGuinée: deux mois après la grâce de Moussa Dadis Camara, une mission de la CPI à Conakry « J'ai été dévastée par la nouvelle de sa grâce au point de tomber malade » Aïcha qui fait partie des 109 femmes reconnues victimes de viol, et qui a obtenu réparation de la part de la justice guinéenne, se souvient exactement de ce qu'elle a ressenti le 28 mars 2025, jour de la libération de Dadis : « J'ai été dévastée par la nouvelle de sa grâce au point de tomber malade, et depuis je ne me sens plus en sécurité, car une personne m'a appelée de Kankan et m'a dit qu'elle m'avait reconnue sur une photo. Elle m'a menacée, depuis je suis terrifiée par la libération de Dadis Camara. » Souleyman, blessé le 28 septembre 2009, est également membre de l'association qui vient en aide aux victimes, confirme ce sentiment d'une justice restée à mi-chemin : « La justice avait commencé d'une bonne manière, jusqu'à la condamnation, tout le monde était content. La libération de Dadis Camara, a été un coup de massue qui est tombée comme un couperet sur la tête des victimes. Cela a vraiment changé le visage de la justice. Les autres victimes, qui attendent l'appel pour être indemnisées, maintenant, on ne sait pas s'il y aura même cet appel avec la libération du principal auteur. » Du côté du ministère de la Justice, on se veut rassurant. Un procès connexe après l'inculpation de quatre nouveaux accusés l'année dernière doit s'ouvrir prochainement. Aucune date n'a pour l'heure été rendue publique. À lire aussiProcès du massacre du 28 septembre 2009 en Guinée: vérités judiciaires et zones d'ombres
Depuis le 18 septembre, de jeunes auteurs de bande dessinée, illustrateurs et animateurs présentent leurs œuvres à l'Institut français d'Abidjan. Une initiative du collectif nouveau-né, Lumia, l'Union des Métiers de l'Illustration et de l'Animation. Et une vitrine nécessaire, dans un secteur encore balbutiant, où les opportunités d'édition manquent. Reportage de notre correspondante à Abidjan, Les expositions ne sont pas rares à Abidjan. Mais celles consacrées à la bande dessinée, beaucoup plus. Pendant un mois, une vingtaine de jeunes artistes présentent des illustrations grand format, des planches de BD et même de courts films d'animation diffusés sur des écrans. À l'initiative du projet, l'illustrateur Nandy D. Diabaté, auteur de BD et directeur artistique des studios d'animation Bouya : « Le but est de faire voir leur talent, puisqu'ils sont hyper-talentueux, et de montrer ce que les jeunes font aujourd'hui : quelles sont les tendances, quels sont les styles graphiques qui dominent ? Créer une connexion entre eux, des éditeurs, des studios d'animation, pour qu'ils comprennent que c'est ce qu'il faut là, maintenant, à la Côte d'Ivoire, ce type de création. Il ne faudrait pas qu'on soit en retard sur notre temps, parce qu'on a déjà beaucoup de retard dans ces métiers-là. En vrai, en Côte d'Ivoire, on n'en vit pas. » La Côte d'Ivoire ne compte aucune maison d'édition de bande dessinée à proprement parler, regrette l'un des exposants, Stéphane Guy Lago, illustrateur et graphiste : « Il n'y a pas une industrie de la bande dessinée ici, donc il y a beaucoup à faire. Il y a beaucoup d'appréhension à imprimer de la bande dessinée ici, à éditer de la bande dessinée. Les maisons d'édition ne maîtrisent pas assez le marché ivoirien, en fait. On a vu plusieurs œuvres éditées, sans citer de nom, qui n'ont pas eu le succès qu'elles méritaient, parce qu'il n'y avait pas la bonne stratégie. » « On veut vraiment avoir des histoires qui nous ressemblent » Pourtant, la demande locale est là, insiste Polver, un autre exposant, illustrateur et auteur de BD : « Les gens se sont mis à consommer des produits qui venaient de l'étranger, parce que si tu es fan de bande dessinée en Côte d'Ivoire, et que tu n'as pas de bandes dessinées ivoiriennes, tu vas acheter peut-être des mangas, ou des webtoons, ou des comics. Ce qu'on a compris, c'est qu'il y a bien un marché qui existe. C'est juste qu'il n'y avait pas encore de produit adapté. On aime ça, mais on n'en a pas assez. Donc c'est l'occasion d'en faire ! » Le collectif Lumia prépare justement le lancement d'un magazine en auto-édition, Case 225. Un bimensuel, qui où seront publiées uniquement des BD écrites par et pour les Ivoiriens. Bilhal Ouattara, responsable marketing aux studios Bouya, et auteur de BD lui aussi : « On veut vraiment avoir des histoires qui nous ressemblent. Je travaille beaucoup sur des histoires traditionnelles, ou des histoires qui s'inspirent du folklore ivoirien. Parce que je trouve que sur le plan culturel, on n'a pas assez de représentation. Moi, ma BD dans Case 225 va parler des Gouros et de leurs alliés. Donc, on va faire de notre mieux pour montrer aux gens qu'il y a de l'intérêt, c'est juste que les histoires et les dessins n'étaient pas adaptés. » Lumia ambitionne de publier le premier numéro de Case 225 début 2026. En attendant, l'exposition Impact Frame restera visible à l'Institut français jusqu'au 18 octobre. À lire aussiCôte d'Ivoire: le dessin de presse face aux fake news, lors du Festival Cocobulles
Au Congo-Brazzaville, la mode revient à une peau sans éclaircissant. Il y a plusieurs années, les jeunes étaient tentés de se faire blanchir l'épiderme à l'aide de produits. La pratique a largement reculé ces derniers temps, à cause, notamment, des conséquences de ces produits, mais aussi parce que la tendance est à la beauté naturelle aujourd'hui. Reportage de notre correspondant à Brazzaville, Il est midi. Nous sommes devant l'école des beaux-arts de Moukoundzi Ngouaka, dans le premier arrondissement de Brazzaville. Son sac accroché au dos, Alioty, la quarantaine révolue, marche, en pensant à ce phénomène de blanchiment de la peau. Il se rappelle de ses origines. « Ce phénomène, on le constatait davantage avec les gens de la diaspora. C'est surtout ceux de la diaspora, quand ils revenaient, ils se blanchissaient la peau », témoigne-t-il. Les jeunes filles et les garçons restés au pays, à Brazzaville et dans l'intérieur du pays, ont pris le relais, en enduisant leurs visages de différents produits. Pour le sociologue Éric Aimé Kouizoulou, la pratique d'éclaircissement de la peau vient de loin : « Ce sont les effets psychologiques qu'a eus la colonisation sur les colonisés que nous sommes. On nous a poussés à penser que la peau blanche était la meilleure », affirme-t-il. Au fil du temps, les produits et autres pommades utilisés ont pourtant eu des effets néfastes : certains hommes ou certaines femmes ont déclenché des cancers de la peau ou ont vu apparaître des taches indélébiles sur leur visage. Jadis habitué de ces produits, Didier Clotaire, fonctionnaire, a préféré renoncer par précaution : « Parce que j'ai vu les conséquences. Tu peux être malade facilement. Tu peux attraper une sale maladie de la peau. Ça détruit la peau et ça pousse quelqu'un à vieillir, avec le soleil. Il y a beaucoup de conséquences. Ça n'est pas bien de faire cela. On doit rester tel qu'on est », argumente-t-il. Chimène, 25 ans, prodigue conseils et met en garde les uns et les autres : « Je leur conseille de ne pas se décaper [la peau]. Mais, s'ils se décapent, quand ils vont devenir "bizarres", ça leur regarde » lance-t-elle. Du bio pur, du mixa ou du coco pur sont autant de laits mis par les jeunes congolais, pour maintenir leur teint. Observateur de l'évolution de la beauté congolaise, Bazin Mboungou parle d'un retour à l'authenticité : « Cette fois-ci, nous remarquons que les jeunes filles et les jeunes garçons reviennent à leur peau d'origine, de naissance. La peau de leur race. C'est encourageant, le retour à l'originalité. Il n'y a pas de race au-dessus d'une autre », analyse-t-il. Cela fait au moins une dizaine d'années que l'usage des produits éclaircissants a diminué à Brazzaville. À lire aussiDépigmentation volontaire, une mode dangereuse
Au Cameroun, une part importante de la campagne électorale se joue désormais sur les réseaux sociaux. Des influenceurs assument publiquement leurs choix politiques pour convaincre les électeurs, certains allant jusqu'à rejoindre officiellement des équipes de campagne. Mais ce déplacement du débat vers les plateformes numériques s'accompagne d'une prolifération de « fake news ». De notre correspondant à Yaoundé, « Dans le monde numérique, je pense qu'il ne faut pas se prendre très au sérieux à la base. » Valery Ndongo est humoriste et présentateur télé bien connu. Dans son podcast, il donne la parole à des personnes qu'il rencontre dans la rue : « La plupart des questions que je pose aux gens dans la rue, c'est de savoir si, un, ils sont au courant qu'il y a une élection au Cameroun, et ensuite, est-ce qu'ils peuvent dire pour qui ils vont voter ? » Un candidat a cité son nom, Cabral Libii pour ne pas le nommer, comme étant un de ses soutiens ? « Ça, ce n'est plus un secret pour quelqu'un. Je l'ai dit, je l'ai annoncé, je l'ai publié, j'ai mis sa photo, j'ai partagé ses publications et je vais continuer à le faire. » La politique à l'heure des réseaux À quelques kilomètres de là, Yvanna Besseke, ancienne Miss Cameroun France, tient une réunion avec son équipe. L'influenceuse, qui ne se sépare jamais de son téléphone, a été choisie par Hiram Iyodi, le benjamin des candidats, comme porte-parole : « Ma génération aujourd'hui est hyper connectée, il faut pouvoir amener la politique justement là où elle est. Parce que lorsqu'on veut parler à une population, il faut pouvoir parler avec ses codes. Et aujourd'hui, la population camerounaise est composée à 75% de personnes de moins de 30 ans. » On l'interroge : fait-il des contenus qui parleraient plus facilement à cette génération Z ? « En réalité, on adapte les contenus par rapport à la plateforme. Vous verrez qu'on ne communique pas pareil sur TikTok que sur Twitter, parce que la cible n'est pas la même. Mais, effectivement, oui, il faut pouvoir s'adapter aux codes. Il y a les codes sur TikTok, il y a des musiques qui fonctionnent bien, pour pouvoir adapter ça à la politique. » Prolifération de fausses infos Cette bataille de l'attention favorise aussi la circulation de fausses informations, comme l'explique Chedjou Kamdem, expert en communication digitale : « Les contenus émotionnels, polémiques ou spectaculaires circulent plus vite, même s'ils sont faux. Ce mécanisme est exploité par ceux qui veulent manipuler en diffusant des rumeurs, en modifiant des images, des vidéos, ce qu'on appelle les "deepfake". Ou encore en créant des récits alternatifs pour influencer des électeurs. Le danger, c'est qu'une fausse information bien construite peut atteindre une audience massive avant d'être corrigée. Il est indispensable que chaque citoyen développe un réflexe critique en ligne. » Avec environ cinq millions d'utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux, selon l'Institut national de la statistique, le Cameroun vit sa première présidentielle véritablement digitale.
Direction la Centrafrique pour le dernier volet de notre reportage consacré à la réserve naturelle de Chinko au sud-est du pays, dans la préfecture du Mbomou. Depuis de nombreux siècles, les autochtones vivent essentiellement de l'agriculture, la chasse, la pêche, la cueillette et l'exploitation minière. Interdire à ces communautés de pratiquer leurs activités quotidiennes dans le cadre de la conservation s'avère être un combat difficile. Présente dans la localité depuis 2014 (grâce à un accord de partenariat avec le gouvernement centrafricain), l'ONG African Parks a initié plusieurs projets visant à sensibiliser, éduquer et impliquer notamment les communautés riveraines de l'aire de conservation de Chinko, dans une gestion durable. De notre correspondant de retour de Kocho, Dans les broussailles qui longent la piste d'atterrissage de la base de Chinko, quelques hyènes déambulent. À quelques jets de pierre de là, une troupe de babouins investit les arbres. Réchauffés par les premiers rayons du soleil, les plus jeunes et même les adultes se lancent dans des courses, sauts et jeux de balançoires... Mermoz Bizon, responsable de l'aménagement territorial à African Parks, monte dans un petit avion de surveillance pour aller à la rencontre des communautés : « Je suis censé travailler avec les communautés locales. Nous avons mis en place plusieurs associations pour faciliter les tâches en termes de gestion communautaire des ressources naturelles qui sont autour de l'aire de conservation de Chinko. Nous avons des activités comme Acadja, qui soutient la production durable du poisson pour la communauté locale. Nous mettons en place des ateliers avec des scieurs artisanaux pour la production du bois de manière artisanale et durable. Nous travaillons aussi avec les maraîchers et les agriculteurs dans le domaine de la transformation d'huile de palme, la saponification et beaucoup d'autres activités. » À lire aussiCentrafrique : Chinko, la renaissance de la réserve naturelle [1/3] Dans le Mbomou, une centaine d'ethnies vit autour de l'Aire de conservation de Chinko (ACC) avec une grande diversité culturelle. Adja Kalthouma, maire de la ville de Nzako, plaide en faveur des autochtones qui dépendent essentiellement de la chasse, la pêche et la cueillette : « Ces dernières années, l'équipe de Chinko a délimité la réserve naturelle, nous avions été sensibilisés sur l'importance de la conservation que nous trouvons très pertinente. Mais nous voulons aussi des retombées concrètes à Nzako. » Prendre conscience des enjeux de conservation De jour en jour, de nombreux riverains prennent conscience des enjeux de conservation. Mais d'importants défis s'imposent encore, selon Ghislain Boukar, colonel des eaux et forêts : « La transhumance transfrontalière est l'une des difficultés majeures. Nous sommes toujours confrontés à un afflux d'éleveurs venus du Soudan. De l'autre côté, nous avons aussi nos frères centrafricains qui sont des braconniers locaux qui ne cherchent pas à respecter les principes et les orientations que nous leur donnons. Nous avons également le cas des pêcheurs. Au lieu de respecter la limite de la zone des conservations, ils ont l'habitude de s'infiltrer dans le parc. Ces difficultés existent au quotidien, mais nous sommes également là pour les sensibiliser et continuer à toujours insister. » Pour une gestion durable et apaisée de Chinko, African Parks et le gouvernement centrafricain placent les autochtones au cœur de leurs actions. Plusieurs projets de développement économique ont été mis en place. Thomas Bala est président du groupement des apiculteurs du village Fadama : « Nous sommes déterminés à protéger cette réserve naturelle. Mais nous voulons aussi bénéficier des efforts de conservation. C'est comme ça que nous avons mis en place ce groupement de production du miel avec le soutien de Chinko. Nous produisons en grande quantité et on n'a plus le temps d'aller détruire les aires protégées. » À lire aussiCentrafrique : les écogardes du parc Chinko [2/3] Depuis 2022, un projet de lutte contre la déforestation a été mis en place à travers la conservation de carbone. Cette initiative a permis d'obtenir des crédits carbone achetés par des entreprises. L'argent généré est injecté d'une part à la gestion de la réserve naturelle, et l'autre part est destinée à la mise en place des programmes de développement durable en faveur des riverains.
Située au sud-est du pays, la réserve naturelle de Chinko est en phase de restauration depuis 2014, après plusieurs décennies de crises sécuritaires qui l'ont presque décimée. Aujourd'hui, les écogardes, encore appelés rangers, sont en première ligne pour protéger la faune et la flore issues de cette aire de conservation d'une surface estimée de plus de 30 000 km2. Le travail de ces hommes et femmes, recrutés pour la plupart dans les villages périphériques, est très important dans la chaîne de préservation des écosystèmes, la régénération de la faune et le développement socio-économique des communautés locales. De notre correspondant de retour de Kocho, 6h30, les écogardes sont déjà en colonne par deux dans leur zone de rassemblement pour définir le plan de la journée. Chacun porte un sac lourd, rempli de fournitures de premiers soins, de matériel de sauvetage, de nourriture et d'eau, une tente et des appareils de communication. Mathurin Davis Ndallot est responsable de la lutte anti-braconnage : « Notre quotidien ici, c'est la surveillance 24 heures sur 24, sept jours sur sept à travers nos équipes de terrain que nous utilisons. Au sein de la communauté, nous avons des hommes de confiance qui nous fournissent des informations en temps réel pour nous permettre de prendre de l'avance sur les braconniers et les éventualités. » À lire aussiCentrafrique : Chinko, la renaissance de la réserve naturelle [1/3] Chaque unité est ensuite dirigée vers les zones de contrôle par des véhicules tout terrain. L'endroit est isolé et logistiquement très difficile d'accès. Ce matin, une unité de lutte anti-braconnage (LAB) est en patrouille au cœur de l'aire de conservation. En tenue de camouflage, les écogardes marchent lentement au milieu d'une végétation très dense. Le chef d'équipe balaye le sol du regard, à la recherche des traces de braconniers : « En tant que rangers, nous faisons des patrouilles régulières pour protéger nos forêts, nos rivières et la faune. Nous faisons aussi le comptage des traces des animaux, la maintenance des salines et nous veillons également au respect du code de gestion des aires protégées de Chinko. » Bientôt, la saison des pluies va laisser la place à une période compliquée pour l'équipe de contrôle, selon Mathurin Davis Ndallot : « En début de saison sèche, les pasteurs du nord du Sud-Soudan descendent en Centrafrique. Leur arrivée crée beaucoup de stress dans nos activités. C'est pourquoi nous avons mis en place une équipe de sensibilisation des acteurs de transhumance appelée Tango, et Échos que nous utilisons pour aller sensibiliser les communautés et les éleveurs afin de leur montrer leur limite et l'importance de la conservation. » « Nous sommes là pour changer les mentalités » À l'approche de la rivière de Kocho, Mathurin Davis Ndallot ordonne à son équipe de se taire et d'avancer discrètement. Sous un soleil accablant, il vérifie avec ses jumelles militaires s'il n'y a pas de pêcheurs dans le coin : « On utilise également des caméras Traps, qui est un dispositif que nous plaçons dans la forêt et qui permet de faire des photographies de la faune et flore sans intervention humaine. Ces caméras sont placées à des endroits stratégiques et sur les salines afin de contrôler le mouvement des espèces que nous protégeons, pour faire également le contrôle général et l'infiltration des braconniers. » Au milieu des fauves, de mille et un dangers, les écogardes se déploient plusieurs jours, à pied, en pirogue motorisée et parfois en avion de surveillance, selon le chef d'équipe : « Le but de nos patrouilles n'est pas forcément de faire la guerre. Nous sommes là pour changer les mentalités et appeler à la préservation de cette réserve naturelle. » En cas de récidive ou de résistance, les braconniers et les exploitants illégaux de la forêt sont arrêtés et traduits en justice. À écouter aussiCentrafrique : Chinko, impliquer les communautés riveraines [3/3]
En Centrafrique, la réserve naturelle de Chinko, située dans la préfecture du Mbomou, au sud-est du pays, incarne l'un des récits de restauration de biodiversité les plus inspirants. Ces trente dernières années, les crises sécuritaires à répétition et le braconnage ont eu de graves conséquences sur la faune et les ressources naturelles. Afin de sauver ce patrimoine, le gouvernement centrafricain et l'ONG African Parks ont signé en 2014 un accord de gestion durable du parc. Cette convention, renouvelée en 2020 pour une durée de 25 ans, instaure une politique de conservation des ressources naturelles et du développement communautaire. De notre correspondant à Kocho, Ce matin, le brouillard se lève, s'enroule puis disparait au-dessus de la réserve naturelle de Chinko... Le grognement rauque d'un phacochère signale la présence des visiteurs. En petits groupes de quatre ou de cinq, ces phacochères, aux pelages gris, brun et noir, se nourrissent d'herbes, de racines, d'écorces et de fruits. Debout à quelques mètres de ces mammifères, Ghislain Boukar, colonel des eaux et forêts, fait l'inventaire des espèces disparues : « Il a eu un effondrement considérable de toutes les espèces confondues. En disant cela, je fais allusion aux buffles, aux carnivores comme les lions, les grands mammifères comme les pachydermes, les éléphants et autres. Nous avons aussi des espèces telles que les rhinocéros, les girafes qui ne sont plus dans le parc. » Toutefois, la réserve naturelle de Chinko abrite aujourd'hui des espèces comme le lycaon, le lion, le léopard, le chimpanzé, l'éland de Derby, plus de 400 espèces d'oiseaux, 100 espèces de poissons d'eau douce et beaucoup d'autres encore. À lire aussiCentrafrique : Chinko, une réserve à préserver au milieu d'une zone de conflit La vision du gouvernement centrafricain et d'African Parks consiste à réintroduire, avec le temps, les espèces qui n'existent plus. Mermoz Bizon, responsable de l'aménagement territorial à African Park Chinko, explique : « Cela a une importance capitale, car un jour, nous, nos enfants et nos petits-enfants, auront la chance d'avoir autour de nous des animaux sauvages. Tout ce qui est potentialité en termes de faune, flore et ressources aquatiques, représente une richesse inestimable. On doit faire en sorte que cette richesse ne nous quitte pas. Notre combat aujourd'hui est de permettre à ce que les communautés locales puissent en bénéficier. » Engagement local et éducation à l'environnement Quand on survole les 30 500 km² en avion de surveillance et d'observation, l'immense étendue sauvage de Chinko offre une belle vue sur les montages, les rivières et les cours d'eau. Les défis actuels consistent à empêcher des chasseurs, des pêcheurs et même des éleveurs, de pénétrer dans les zones de conservation. Pour Ghislain Boukar, colonel des eaux et forêts, « la transhumance transfrontalière est l'une des difficultés majeures. Ces pasteurs viennent du Soudan et mettent le feu dans la brousse, juste pour avoir de nouvelles poussées d'herbes, ce qu'ils jugent très intéressantes pour leur bétail. Ils commettent aussi des abattages illicites de nos arbres et de nos espèces. Ils pratiquent également le braconnage en tuant aussi nos espèces. Quand ils repartent au Soudan, ils les revendent là-bas. » Pour relever ce défi, l'équipe mène plusieurs activités réparties en trois axes : l'engagement, l'entrepreneuriat et l'éducation à l'environnement, selon Mermoz Bizon, responsable de l'aménagement territorial à African Park Chinko : « Nous avons mis en place un guide d'éducation à l'environnement qui est censé enseigner aux enfants dès le bas âge ce qu'est l'environnement, ceci pour leur permettre de comprendre tout ce qui les entoure, pour pouvoir l'impliquer dans leurs habitudes. Nous appuyons aussi l'inspection académique de Bangassou pour tout ce qui est soutien à la mise à niveau des enseignants tout autour de l'aire de conservation de Chinko. » Pour garantir une gouvernance participative de cette réserve naturelle, un plan d'aménagement du territoire de Chinko est en cours de validation par le gouvernement centrafricain et ses partenaires.
À trois mois de l'ouverture de la CAN et à cinq ans de la Coupe du monde co-organisée par le Maroc, le vieux débat sur les incivilités ressurgit dans le royaume. Selon un sondage publié en mai, seuls 3% des Marocains estiment que le niveau de civisme dans l'espace public est élevé. L'enquête a entraîné dans son sillage la publication d'une avalanche d'articles qui disent tous la même chose : si le pays va briller grâce à ses infrastructures flambant neuves durant ces grands évènements sportifs, son image risque de souffrir du chaos qui règne encore dans ses rues. De notre correspondant à Casablanca, Un vieil immeuble des années 1930. La cour immense est traversée chaque jour par des centaines de personnes. Il n'y a pas un papier qui traîne par terre. Mohammed est le gardien de l'immeuble : « Les gens jettent leurs mégots, les épluchures de fruits, les emballages. Eux, ils jettent et moi, je ramasse. Je ne peux pas faire autrement. Moi, je suis gardien. À l'origine, mon travail, c'est juste de surveiller la porte. » Mais Mohammed se retrouve à faire le ménage : « Je souffre, je suis fatigué. Ce n'est pas normal, c'est la honte, franchement. » Le manque de propreté, c'est ce que dénoncent justement la majorité des sondés dans l'étude du Centre marocain pour la citoyenneté (CMC). Un millier de personnes interrogées sur toute l'étendue du royaume. Ils sont 70% à alerter sur le harcèlement des femmes et 60% à s'alarmer des infractions au Code de la route. « On vit dans l'anarchie. Il n'y a pas de respect. S'il y en avait, tout ça n'existerait pas. » Nawal habite à quelques mètres, avec ses deux enfants, dans un appartement situé juste au-dessus d'un bar. « La nuit, il y a des bagarres, les gens urinent dans la rue. Ça klaxonne tout le temps. Qu'est-ce que tu peux attendre de la nouvelle génération qui grandit dans cet environnement ? » L'incivisme, un fléau quotidien Des centaines d'articles ont été écrits dans la presse marocaine depuis la publication du sondage du Centre marocain pour la citoyenneté. Nawal, elle, se sent abandonnée par les autorités. Avec d'autres résidents, elle a organisé plusieurs « sit-in » pour réclamer la fin des nuisances, mais ça n'a rien donné pour l'instant : « On a fait des réclamations, on a été à la wilaya, on a même pris un avocat, mais on n'a eu aucun résultat. On ne sait pas si c'est un problème d'éducation ou si les gens s'en fichent tout simplement. Ils sont totalement inconscients. Sur la voie publique, ils ne respectent rien. » Les causes de l'incivisme font l'objet de toutes les hypothèses dans les médias marocains et les mesures qui permettraient d'améliorer la situation aussi. Si rien n'est fait, estiment-ils, c'est le « soft power » du Maroc qui risque d'être entravé.
Au Tchad, on approche de la fin de la saison des pluies et cette année les précipitations à N'Djamena sont en baisse par rapport à l'année passée. Moins de dégâts, mais la capitale tchadienne entre dans une nouvelle phase : celle des risques d'inondations fluviales. Dans le 9ᵉ arrondissement de N'Djamena, l'un des plus pauvres de la capitale tchadienne, les habitants autour de la digue surveillent de près la montée des eaux des fleuves Chari et Logone. De notre correspondante à N'Djamena, Il a fallu parcourir quelques kilomètres à moto sur la digue pour arriver au quartier Kabé, le quartier le plus exposé aux inondations du 9ᵉ arrondissement. Ici, quelques 8 000 personnes habitent entre le Logone et la digue. « Chaque année, la zone est inondée. On est seulement dans l'eau. Quand ils ont fait les digues, l'eau va et vient. Mais cette année, on ne sait pas encore, raconte Kelly Nganda, une habitante de Kabé. J'ai peur même si l'eau de pluies n'est pas arrivée à nous. Je suis contente. Mais maintenant, j'attends l'eau salée. Est-ce qu'on va fuir ? On va rester ? Je ne sais pas encore. » À lire aussiTchad: la capitale Ndjamena n'est pas épargnée par les inondations Les habitants craignent la même catastrophe que l'année derrière Vont-ils fuirent, vont-ils rester ? C'est la question que se pose, Acyl Fassou Toukouna porte-parole de l'association Agir qui vient en aide aux sinistrés dans le 9ᵉ arrondissement. Régulièrement, il vient vérifier le niveau de l'eau dans la digue. « Le niveau d'eau est à 5,80 mètres et comparativement à l'année dernière, à la même date, nous étions à 6,11. Donc il y a une différence de plus d'un mètre. Donc pour le moment ça monte, mais pas avec une grande pression. Déjà, avec ce niveau, nous pensons que la menace n'est pas assez imminente, mais néanmoins, nous, nous restons encore sur nos gardes parce que ce n'est pas fini. » Mais pour Mangué Zoubé Nedjou, militaire et habitant de Walia, le souvenir des inondations de l'année passée sont encore vifs. « Nous sommes exposés. L'année passée, ici, tout était inondé. L'année dernière, l'eau était arrivée jusque-là. Il y a la marque sur le mur de la maison. L'année passée, à cette heure-ci là, l'eau était pleine déjà. On a eu beaucoup de pertes matérielles. Les maisons sont cassées, les rues englouties, même les animaux. On a beaucoup perdu des chèvres, même les volailles, tout est parti. On a eu beaucoup de pertes. Il faut que l'État fasse les digues au bord du fleuve, sinon cette année, on aura le même problème. Donc la solution, il faut que l'État fasse la digue au bord du fleuve. Comme ça on sera épargné. » À lire aussiLe Tchad sous les eaux: l'ONU craint une crise humanitaire Les prochaines semaines vont être décisives. La décrue ne devrait pas avoir lieu avant novembre.
Le fonds intitulé The hidden years of music, soit « les années cachées de la musique », est l'une des plus grosses collections d'enregistrements et de documents du pays qui relatent la vie musicale sous l'apartheid, en particulier dans les années 1970-1980. Tout cela a été rassemblé, à l'époque, par un passionné. De notre correspondante à Stellenbosch, Cet enregistrement de Johnny Clegg et Sipho Mchunu à leurs débuts fait partie des pépites dont le fonds des hidden years of music regorge. La conservatrice, Lizabé Lambrechts, a travaillé plusieurs années sur cette collection pour la réorganiser et en superviser la numérisation : « Il y a plus de 7 000 enregistrements sur vinyles, environ 30 000 photos, et quelque chose comme 7 à 8 tonnes de documents. Donc ce sont vraiment d'énormes archives. » Ce trésor musical est désormais conservé à l'université de Stellenbosch, mais aussi en ligne, et on le doit à un homme : David Marks, compositeur, chanteur, ingénieur du son et producteur, qui a enregistré des heures et des heures de concerts. David Marks au festival de Woodstock de 1969 « David a travaillé au festival américain de Woodstock de 1969. Il y a rencontré Bill Hanley, qui lui a donné une partie du matériel de sonorisation pour le ramener en Afrique du Sud. Cela a permis à David d'organiser de grands concerts en plein air. Et il a enregistré tous ces événements, pris des photos, gardé les posters, et c'est comme ça que ces archives sont nées. Laissez-moi vous jouer un petit extrait… David a commencé à organiser ces concerts « Tribal Blues » à partir de 1971, et c'était parmi les seuls, en Afrique du Sud, à être interraciaux, en plein pendant l'apartheid. Donc c'étaient vraiment des moments magiques, imaginez comment cela devait être incroyable. » Lizabé Lambrechts conserve avec elle une petite partie de ces archives, pour achever son travail. Certains éléments ne sont pas toujours en bon état, car David Marks les a gardés dans son garage, sur la côte Est très humide. « Laissez-moi voir si je peux ouvrir ça ... Vous pouvez sentir cette légère odeur ? C'est une bobine du festival de musique pop de Monterey que David projetait lors de cafés-clubs qu'il organisait à Johannesburg et à Durban. Il voulait partager des films et de la musique pour que les gens connaissent ce qui se fait dans le monde. » De la contre-culture musicale face à l'apartheid Pour les chercheurs universitaires comme Ashrudeen Waggie, qui travaille sur les concerts organisés en Afrique du Sud pendant la période de boycott culturel, ce sont des documents rares : « C'est une très bonne source pour moi. Je pense que cela permet de mettre en avant une partie de l'histoire qui est restée cachée sous l'apartheid, donc c'est important. » Cette collection permet donc de redécouvrir la contre-culture musicale qui s'est construite face à l'apartheid et un pan de la résistance culturelle de l'époque. À lire aussi«Soweto Blues» de Miriam Makeba: une voix contre l'apartheid
À l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud, pour contourner le contrôle de l'État raciste sur les archives, des militants en exil lancent Saha, une collecte d'archives militantes de la vie quotidienne : pamphlets, affiches de meetings, t-shirt de partis anti-apartheid... Aujourd'hui installées à l'Université de Wits, à Johannesburg, elles représentent un trésor précieux pour comprendre la lutte quotidienne de l'époque à travers des héros de tous les jours, et non pas seulement à travers des personnages célèbres tel Nelson Mandela. De notre correspondant à Johannesburg, Ce trésor se trouve au sous-sol de la bibliothèque. Après un petit escalier sombre, il y a une porte en métal, le bruit de la climatisation, puis de grandes allées d'archives. « Saha a été créé à la fin des années 1980 par des militants anti-apartheid en exil pour mettre leurs documents en sécurité, pour les mettre à l'abri du régime d'apartheid », raconte Arianna Lissoni professeur d'histoire, spécialiste de la lutte anti-apartheid et directrice des archives de Saha. « Nous avons plusieurs collections de photographies, plus de 4 000 affiches, des autocollants, des pin's. Nous avons aussi une très grande collection de t-shirts de la lutte. Ils se trouvent tous dans ces boîtes que vous voyez là. Là, on a des t-shirts du parti communiste, énumère Arianna Lissoni. Dans cette autre boîte, c'est un t-shirt avec le visage de Matthew Goniwe, un activiste assassiné par le régime. C'était sûrement pour ses funérailles, car il est écrit "Hamba kahle, comrade", ce qui signifie "Au revoir camarade", en zoulou ». Ces témoins du passé sont uniques. Comme cette cassette placée dans un grand tiroir : un enregistrement précieux qui raconte la vie quotidienne sous l'apartheid. « C'est une interview de Vesta Smith, une femme originaire d'un township métisse de Soweto. Et pour autant que je sache, il n'y a aucun autre enregistrement d'elle ! », s'enthousiasme l'historienne. À lire aussi30 ans plus tard, l'ombre des crimes de l'apartheid continue de planer sur l'Afrique du Sud À présent, le défi, c'est de faire connaître ces figures parfois oubliées pour raconter la vie de tous les jours. D'une collecte de militants en exil au départ, Saha est aujourd'hui devenu un réel vecteur d'éducation en Afrique du Sud. « Vous avez ici le mur de nos publications. Là, c'est "Entrer à Tembisa", parce que les gens connaissent Soweto ou Alexandra, mais que l'histoire du township de Tembisa n'a pas vraiment été documentée, souligne Arianna Lissoni. Il y a donc eu ce projet, en partenariat avec une photographe, des historiens et des membres de la communauté, pour raconter cette histoire méconnue ». Une volonté d'éduquer qui se heurte, parfois, au manque de moyens. Si Saha s'efforce de lancer de nouveaux projets pour rendre ces archives encore plus accessibles, en utilisant le digital par exemple. Souvent, les aides financières, notamment de l'État, viennent à manquer. À lire aussi«Soweto Blues» de Miriam Makeba: une voix contre l'apartheid
D'abord plateforme du trafic de drogue mondial, le Kenya est devenu ces dernières années un marché de consommation émergent. D'après le dernier rapport de Nacada, l'Autorité nationale pour la campagne contre l'abus d'alcool et de drogues, un Kényan sur six consomme des substances illicites. Les populations les plus vulnérables sont les plus pauvres, comme à Kibera, le plus grand bidonville d'Afrique. De notre correspondante à Nairobi, C'est à l'âge de 13 ans que Rollins Odiero Odhiambo a démarré son chemin vers l'addiction : « J'ai commencé par l'alcool illicite. Quand j'étais en primaire, ma mère en vendait pour subvenir à nos besoins. Puis, j'ai commencé à fumer de la marijuana. À l'université, des amis m'ont traîné dans la drogue. Certains ont mis des pilules dans mes verres d'alcool ». D'après Nacada, l'Autorité kényane pour la campagne contre l'abus d'alcool et de drogues, les médicaments détournés représentent la deuxième drogue la plus consommée chez les étudiants du secondaire. Il s'agit d'anxiolytiques ou d'opiacés. L'accès à ces médicaments est extrêmement simple, selon Fauzia Ithambo, ancienne consommatrice : « Une femme nous vend les médicaments dans le quartier. Je crois qu'elle travaille dans une pharmacie. Les pilules coûtent 40,50 ou 20 shillings, soit quelques centimes d'euros. Elles sont bleues, jaunes ou blanches. Prendre ces drogues, c'est très commun. Il y a des familles où le père, la mère, et même les enfants se droguent ». À lire aussiKenya: entre trafics et cartel mexicain... et si le pays devenait un producteur de drogues? Dans les rues de Kibera, une dose de crack coûte 150 shillings, soit moins d'un euro. Félix Kokonya est le fondateur d'Akili Bomba, une organisation qui aide les jeunes à sortir de la drogue. Lui-même en a consommé pendant près de trente ans. Pour lui, il n'y a pas de secret : si les prix sont bas, c'est parce que la demande est là : « Les drogues sont facilement accessibles car beaucoup de gens ont été poussés à consommer. Les dealers proposent une première dose à un pris très bas. Il y a des milliers de clients chaque jour. Si chacun achète trois ou quatre doses à 150 shillings chaque jour, cela représente beaucoup d'argent ». En 2017, le Kenya s'est doté d'un protocole national de soins aux addictions. Mais malgré cela, dans la rue, les programmes de soins et de prévention sont quasi inexistants, selon Hilda Odiaga, membre d'Akili Bomba :« Au Kenya, il n'y a que l'argent qui puisse vous aider à sortir de la drogue. Ceux qui organisent la prévention sont souvent des hommes politiques, durant leur campagne électorale. Mais une fois réélus, ils oublient ces programmes et leurs bénéficiaires. Il n'y a donc pas beaucoup d'aides qui viennent du secteur public », explique-t-elle. D'après Nacada, la moitié des consommateurs de drogue au Kenya ont entre 10 et 19 ans. À lire aussiKenya: la consommation de drogue toujours en hausse, avec des victimes de plus en plus jeunes
Cinquante ans après avoir été tourné, « Kaddu Beykat » - « Lettre paysanne » en français -, le film de la réalisatrice sénégalaise Safi Faye décédée en 2023, est en cours de restauration. L'événement est d'importance, ses films étant introuvables ou alors dans un très mauvais état de conservation. Uniquement diffusées dans le circuit des festivals, les œuvres de Safi Faye demeurent largement inconnues du grand public bien qu'elle fût la première femme d'Afrique subsaharienne à réaliser un long métrage. « J'ai choisi le monde paysan parce que je suis paysanne, parce que mon père a été un peu à l'école, et ma mère jamais. Ce sont des paysans. Ils sont venus en ville pour travailler et j'ai voulu mettre l'accent sur ce monde qui, à lui seul, peut sauver l'Afrique et le mener à son autosuffisance alimentaire. On n'a pas d'industrie, on n'a pas de pétrole, donc il faut cultiver pour que les enfants qui naissent puissent manger à leur faim », raconte Safi Faye, en 2010. Elle évoque alors sa conception du cinéma après avoir filmé l'Afrique au plus près de sa réalité. Son film « Lettre paysanne » a été tourné avec les habitants de son village natal. « Safi est une réalisatrice ancrée dans sa réalité. Contrairement à ses compatriotes cinéastes qui filmaient la ville, elle, elle a préféré le rural, tous ses films parlent de la ruralité. On n'oublie pas que Safi est ethnologue, rappelle la critique de cinéma Fatou Kiné. "Lettre paysanne" a permis à Safi de s'intéresser à ce qui se passe dans son terroir, cette filmographie qui, aujourd'hui, nous sert beaucoup pour mieux connaître la société rurale, et qui reste d'actualité. » À lire aussiJean Rouch, maître sage, maître fou En 1975, le film de Safi Faye, surnommée « la mère du cinéma africain»», a été projeté au festival de Berlin. Il y remporte un grand succès, mais sera interdit lors de sa sortie au Sénégal. Baba Diop, critique de cinéma, explique : « On était à l'époque de Senghor et ce dont il parlait - notamment le saupoudrage au DTT des paysans qui n'arrivaient pas à payer leurs impôts - était téméraire, il fallait le faire. Le film a donc surtout circulé en Europe, dans le milieu underground, les cinéclubs et les cinémas alternatifs. Quand j'étais étudiant en France, on l'a effectivement beaucoup regardé, étudié et partagé. C'est un cinéma du terroir. [Safi Faye] était une personne très engagée dans la cause paysanne et, malheureusement, son film a été censuré à sa sortie au Sénégal, tout comme "Lambaaye" de Johnson Traoré, qui parlait de la corruption ». En 2023, le festival des Trois continents, à Nantes, en France, a rendu hommage à Safi Faye en projetant neuf de ses films, dont « Kaddu Beykat ». Dans un article publié à l'occasion, il est écrit : « Ce monde paysan déborde jusque dans le destin des personnages, jusque dans les jeux des enfants, jusque dans la ville où errent les hommes. Venue elle-même de l'ethnologie, Safi Faye renverse le regard habituellement distancié du cinéma ethnographique en posant sur ses images, fermement et discrètement, sa propre voix, celle d'une fille de paysans qui nous dit : "Regardez chez moi comment on travaille, comment on vit". » À lire aussiFocus sur le festival des 3 continents à Nantes
Ses vidéos sur TikTok et Instagram cumulent des centaines de milliers de vues : en Éthiopie, Tomas Hailu, alias Tomy Pluss, est une star des réseaux sociaux. Coach sportif, il a notamment popularisé l'Eskista Fitness, une sorte de zumba éthiopienne mêlant musique et mouvements traditionnels avec des rythmes actuels. Marlène Panara l'a rencontré dans sa salle de sport, à Addis-Abeba. De notre correspondante en Éthiopie, Dans la salle éclairée par des néons jaunes et roses siglée Ethio Dance Fitness, une cinquantaine de personnes bougent au rythme de la musique. Tomas Hailu - que tout le monde ici appelle Tomy, son pseudo sur les réseaux sociaux - donne le tempo dans le micro. Khalid, originaire du Somaliland, vient au cours plusieurs fois par semaine : « C'est très amusant, les gens sont sympas. J'aime aussi l'ambiance qu'il y a ici. J'adore l'Ethio Dance Fitness, je n'ai jamais pratiqué une activité aussi géniale ». Tomy Pluss a fondé son concept et ouvert sa salle de sport il y a cinq ans. Les débuts n'ont pas été faciles. « Avant que je ne me lance, personne n'y croyait. Pendant trois mois, il n'y avait personne. Je faisais de mon mieux, j'essayais, mais je n'avais pas de clients », se souvient-il. Puis, grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux, Ethio Dance Fitness a fini par attirer de plus en plus d'individus séduits par cette discipline originale. Rendre le fitness amusant « Pour certaines personnes, le fitness, c'est ennuyeux. Donc, on le rend amusant, on y intègre de la zumba et des danses culturelles. En Éthiopie, il existe plus de 18 danses régionales différentes issues de la culture oromia, tigréenne, guragi, afar, de Gondar, etc. Donc j'ai pris tout cela. Ainsi, les gens ne s'ennuient pas pendant l'entraînement : ils s'amusent, ils se détendent, et ils adorent ça ! Maintenant, on essaie de promouvoir notre culture dans le monde entier et notre plateforme en Europe, aux États-Unis, en Afrique, et dans les pays arabes », raconte Tomy Pluss. Une partie de ses adeptes vient aussi pour raisons de santé. Avant de passer la porte de sa salle de sport, il y a un an, Anna, mèches blondes attachées en queue de cheval, était en surpoids : « J'ai beaucoup maigri : avant, je pesais 96 kilos. Depuis que je viens ici, j'en ai perdu presque 40. C'est génial d'être ici, car c'est très divertissant, on s'amuse beaucoup en s'entraînant. Et alors que je ne savais pas danser avant de venir, maintenant, c'est le cas. J'ai pris confiance en moi, c'est super ! », s'enthousiasme-t-elle. Lors du dernier festival de fitness organisé à Adwa, dans le nord du pays, le cours donné sur scène par Tomy Pluss a attiré plus de 9 000 personnes.
À Madagascar, une nouvelle affaire de conflit foncier se joue à deux pas de la capitale. Aux abords de la Tsarasaotra, la rocade de 13 km de long reliant Antananarivo à son aéroport international, d'immenses travaux de remblais dans la plaine rizicole ont démarré à la mi-juillet et avancent à une vitesse impressionnante. Le projet ? Pour les habitants de la zone, c'est un mystère. Aucun panneau ne précise sa nature. Les agriculteurs qui assistent à l'enfouissement de leur unique source de revenus sous des millions de mètres cubes de terre sont dévastés et appellent à l'aide. De notre correspondante à Madagascar, Il est minuit. Le balai des camions-bennes qui déversent des tonnes de terre rouge pour combler les rizières dans la plaine du Betsimitatatra vient troubler la quiétude de la nuit. Une vingtaine d'engins se relaient sans interruption. Et quand on demande à un ouvrier ce qui se construit ici : « J'n'en sais rien ! », répond-t-il. « Nous, on nous a juste dit : "Remblayez les rizières !" ». Ces immenses terrains rizicoles, à quelques kilomètres seulement de la capitale, attisent l'intérêt d'entrepreneurs immobiliers qui avancent à visage masqué. Pour tenter de leur résister, 1 200 agriculteurs se sont regroupés en association pour faire valoir leurs droits. « Ces rizières, voilà 50 ans qu'on les exploite. C'est le décret 63-467 de 1963 qui nous en donne le droit. Selon le droit foncier malgache, une terre qui est exploitée pendant plus de cinq ans revient à ses exploitants », explique Jean-Baptiste Ranaivoson, membre de l'association Laniera Mamoukatra-secteur 12 en lutte depuis 10 ans. « Le problème, depuis la construction de la rocade et de l'autoroute, c'est que nos terrains sont très convoités. Depuis quelques années, on découvre que l'État malagasy a délivré des titres fonciers à des gens dont on ne connaît pas l'identité, mais qu'à nous, il n'en a pas donné. On se sent spoliés », s'indigne-t-il. Selon l'association, ces titres fonciers achetés sont aussitôt revendus à la chaîne à des prête-noms avertis. En quelques mois seulement, les terres auraient changé de mains plusieurs fois. Résultat : il est à présent très difficile pour les paysans de prouver leurs droits. L'association a relancé la machine judiciaire : huissiers, pôle anticorruption, référé auprès du tribunal de première Instance. « Ces terres, ce sont nos seuls héritages » Le visage irréversiblement mutilé de Carolia Andrianantoandro témoigne de la détermination de l'adversaire. « Sauf que le fait qu'on se révolte, ça dérange », déclare-t-elle. Le 8 août dernier, quelques jours après le dépôt de plainte, la secrétaire générale de l'association a été violemment agressée à son domicile. Un homme lui a porté onze coups de couteau à la tête et au cœur. « J'ai failli mourir. C'est vraiment une tentative d'assassinat. En partant, celui-ci m'a dit : "Arrête ça, tu parles trop". Mais moi, je ne veux pas m'arrêter », raconte Carolina. « Je suis paysanne, mais une paysanne qui a étudié. Je veux aider les gens contre l'accaparement de nos terres. Je ne veux pas qu'elles servent à la spéculation immobilière, mais à nourrir mon pays. » « Le gouvernement dit qu'il veut lutter contre la pauvreté, mais dans cette situation, ce sont les riches qui semblent avoir tous les droits contre nous, les paysans. Ces terres, ce sont nos seuls héritages, ce qui nous permet de vivre et de faire vivre les générations à venir », renchérit Jean-Baptiste Ranaivoson. Contacté, le gouverneur de la région, Analamanga Hery Rasoamaromaka, a révélé qu'il s'agissait d'un projet présidentiel. Un partenariat d'investisseurs publics privés, précise-t-il, pour la construction de « bâtiments administratifs » et d'un parc solaire, notamment. Interrogé sur le litige foncier, le gouverneur s'est dit étonné. « Des vérifications seront faites auprès des cultivateurs » et « des panneaux expliquant le projet seront installés la semaine prochaine », promet-il. À lire aussiMadagascar: multiplication des conflits autour de l'accès à la propriété foncière, les lanceurs d'alerte dans le collimateur
Troisième et dernier reportage de notre série dans le nord de l'Ouganda, à l'occasion de l'audience par contumace de confirmation des charges contre Joseph Kony à la CPI. Le leader de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA – acronyme en anglais) est accusé de crimes de guerre et crimes contre l'humanité pendant le conflit qui a ravagé le nord de l'Ouganda entre la fin des années 1980 et le milieu des années 2000. Depuis, le groupe armé s'est exporté dans d'autres pays d'Afrique centrale. Fin 2023, 134 anciens membres, incluant femmes et enfants, ont été rapatriés de Centrafrique vers l'Ouganda. C'est le plus grand retour de repentis de la LRA ces dernières années. Après un an et demi en centre de réhabilitation et l'obtention d'une amnistie, les anciens rebelles sont retournés à la vie civile depuis quelques mois, dispersés dans plusieurs petits groupes dans la région nord du pays. Reportage dans le district de Pader, au nord de l'Ouganda Devant une maison en briques entourée de champs de sésame, de maïs et de soja, Walter Okot fait sécher les dernières récoltes : « Quand je suis arrivé en Ouganda, j'ai eu le sentiment de revenir à la maison. J'étais très heureux. On recommence à peine notre vie, mais c'est bien mieux que ce qu'on vivait avant de revenir. » Derrière le rideau d'entrée, l'ancien rebelle a entreposé son vélo et quelques ustensiles de cuisine, parmi les biens accumulés depuis son retour en Ouganda… Les cinq membres de son groupe ont tous passé entre 20 et 30 ans au sein de la LRA, avant de quitter l'unité principale de Joseph Kony : « C'était en 2018, nous devions le rejoindre au Darfour où il était à l'époque. Il n'avait déjà plus beaucoup de soldats. Mais on a entendu des rumeurs d'exécutions et d'arrestations parmi les rebelles, c'est ce qui nous a poussé à partir. » À écouter aussiOuganda: aux origines de Joseph Kony [2/3] Le retour des repentis en Ouganda Les rebelles s'installent alors à Mboki, à l'est de la Centrafrique, jusqu'à leur rapatriement en 2023. Enlevé par la LRA adolescent, Thomas Onayo, 45 ans aujourd'hui, reprend ses repères dans sa région natale, où il a pu revoir une partie de sa famille : « Ils m'ont accueilli et m'ont assuré que j'étais toujours le bienvenu à la maison. Tout le monde était heureux et m'a embrassé, mais ma mère m'a expliqué la situation de la famille. Beaucoup de nos terres ont été vendues, et ils survivent sur le peu qu'il reste. » Pour éviter les conflits familiaux, accompagnés par des ONG, les repentis ont reçu des terres, des maisons et des formations pour les aider dans leur réintégration. Jimmy Otema, de l'organisation Terra Renaissance : « On les a formés pour les activités qu'ils ont choisies, mais aussi sur leurs compétences sociales. Avec les chefs traditionnels, nous avons fait en sorte qu'ils soient accueillis par les cérémonies traditionnelles de réconciliation. Et puis, nous organisons parfois des réunions entre les anciens LRA et les communautés voisines. » Un processus de réintégration lent et progressif, destiné à mener à l'indépendance économique des repentis, qui attendent la finalisation de leur atelier de menuiserie pour pouvoir commencer à travailler. À écouter aussiEn Ouganda, le regard des victimes de Joseph Kony sur la nouvelle procédure de la CPI [1/3]
Deuxième épisode de notre série dans le nord de l'Ouganda. Ce mardi 9 septembre, la CPI ouvre une audience inédite de confirmation des charges par contumace contre Joseph Kony, le chef du groupe armé de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA – acronyme en anglais), groupe qui a mené pendant presque deux décennies, jusqu'au milieu des années 2000, une guerre civile contre le président Yoweri Museveni. Traqué depuis l'émission d'un mandat d'arrêt par la CPI en 2005, mais toujours introuvable, le fugitif, prophète autoproclamé, est accusé de crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans un conflit qui a causé la mort d'au moins 100 000 personnes selon l'ONU. Reportage dans son village natal, à Odek, dans le nord de l'Ouganda Lakoc Pa Oyo grimpe l'escalier pour monter le bloc rocheux surplombant les cultures de maïs autour du village d'Odek : « Ici, on est à Got Awere. C'est la montagne où Joseph Kony venait chercher de l'eau sainte. » Au sommet, de l'eau s'amasse à proximité de l'antenne récemment installée. Le voisin d'enfance de Joseph Kony se rappelle les débuts de la rébellion. Après le coup d'État de l'actuel président Yoweri Museveni en 1986, son ancien ami se présentait comme un prophète appelant à la protection de la communauté locale des Acholis : « Nous avions peur que Museveni, qui avait pris le pouvoir à des Acholis, viendrait se venger. Alors les Acholis devaient partir au combat pour l'en empêcher. Et puis, ça nous rappelait le coup d'État contre Milton Obote d'Idi Amin Dada, qui avait ensuite mené des massacres contre nous. » À écouter aussiEn Ouganda, le regard des victimes de Joseph Kony sur la nouvelle procédure de la CPI [1/3] Dans une région marquée par les violences communautaires suivant les multiples coups d'États post-indépendance. Lakoc Pa Oyo rejoint pendant huit mois la LRA : « On se battait, mais c'était plus dur pour nous. Il y avait plusieurs groupes rebelles, et ceux qui auraient dû se regrouper s'entretuaient, alors j'ai décidé de partir. » Seules quelques motos empruntent la piste en terre qui traverse le village, pas épargné par le groupe armé. En 2004, le commandant de la LRA, Dominic Ongwen, y mène une attaque sanglante. Assis sur un banc devant sa boutique, Banya Wilson, élu local pendant la guerre, défend comme beaucoup à Odek le chef rebelle enfant du village : « Tout n'était pas de sa faute ! Il n'a jamais voulu les massacres ou les enlèvements. Mais quand il envoyait ses commandants, ces derniers menaient leurs propres missions, c'est ça qui se passait. » Pour le commerçant, la justice doit aussi passer par un retour de Joseph Kony dans son village natal : « Le juger en son absence, ce n'est pas une justice. C'est comme si on ne jugeait personne. Il faudrait réussir à l'amener ici, que les gens puissent entendre ce qu'il a à dire, et l'entendre leur demander pardon. » Les habitants attendent surtout les réparations annoncées par la CPI suite au procès de Dominic Ongwen. 52 millions d'euros répartis dans la région entre plus de 50 000 victimes et des projets communautaires. À lire aussiOuganda: des victimes d'un ex-seigneur de guerre mitigées suite aux indemnisations promises par la CPI
C'est une première à la Cour pénale internationale. Vingt ans après le mandat d'arrêt émis contre lui en 2005, une première audience de confirmation des charges est prévue par contumace du 9 au 11 septembre dans l'affaire concernant le chef présumé de la LRA, l'Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony. Traqué depuis 20 ans entre l'Ouganda, la RDC, la Centrafrique et le Soudan, Joseph Kony est suspecté de 36 charges de crimes de guerre et crimes contre l'humanité au cours du conflit sanglant mené par la LRA dans le nord de l'Ouganda de la fin des années 1980 au milieu des années 2000. À Gulu, principale ville du nord, les survivants du conflit attendent le début de cette première procédure. De notre correspondante à Kampala, Dans les bureaux du réseau des Victimes et enfants de la guerre à Gulu, tous les membres se préparent à suivre à la radio l'audience de la Cour pénale internationale (CPI). Parmi eux, Ochaya Bosco Ojok, resté pendant sept ans en captivité au sein de l'Armée de résistance du Seigneur, la LRA. « Après m'avoir enlevé, ils ont aussi enlevé mon frère qu'ils ont tué devant mes yeux, et c'est pour ça que je suis toujours autant en colère. Il faut qu'ils continuent la procédure, et qu'on obtienne des réparations pour toutes les années perdues en captivité », espère-t-il. En cercle, dans le jardin de l'association, les avis des survivants sont partagés. Est-il pertinent de poursuivre une procédure sans le principal intéressé ? Aucun doute pour Brenda Angom, enlevée par la LRA à l'âge de sept ans : « La procédure contre Joseph Kony est très importante, encore plus que celle contre Dominic Ongwen, car il est le chef et que Dominic Ongwen avait, lui aussi, été enlevé. C'est enfin une audience contre la bonne personne, celle responsable des atrocités en Ouganda, et même pour mon propre enlèvement, je lui en veux encore. » Deux décennies après la fin du conflit qui a ravagé le nord du pays, seuls deux commandants de la LRA ont été jugés et condamnés : Dominic Ongwen à la CPI en 2021 et Thomas Kwoyelo en Ouganda en 2024. Mais après 20 ans de traque, Stella Lanam, survivante, doute de voir un jour Joseph Kony derrière des barreaux. « Est-ce que c'est raisonnable de commencer une procédure en l'absence de Joseph Kony ? S'il ne revient pas, qu'est-ce que va faire la CPI ? On va suivre l'audience, mais ce qu'on veut en tant que victimes, c'est que les responsables rendent des comptes et que justice soit faite », estime-t-elle. Une justice que l'audience de confirmation des charges par contumace doit accélérer, espère Nobert Dacan, directeur de l'ONG Foundation for Justice and Development Initiative (FJDI), basée à Gulu : « Prenons ce qu'on peut pour l'instant. Cela fait des années qu'on cherche à arrêter Kony, mais sans succès. Est-ce que ça veut dire qu'on doit attendre ? Des victimes meurent de vieillesse tous les jours. S'il y a l'opportunité d'une procédure de ce genre, c'est déjà ça. » Une première procédure que l'activiste salue. Mais avant d'éventuelles réparations aux victimes ou condamnation, Joseph Kony, doit d'abord être arrêté et remis à la CPI. À lire aussiOuganda: des victimes d'un ex-seigneur de guerre mitigées suite aux indemnisations promises par la CPI
Direction la Centrafrique, à la rencontre des Pygmées Akas, une communauté vivant dans la forêt équatoriale avec un mode de vie millénaire fondé sur la chasse et la cueillette. Longtemps marginalisés et discriminés, ces Akas veulent désormais changer le cours de leur histoire. Pour y parvenir, ils ont mis en place une association baptisée One Color Mënë Oko (« unis par le sang », en français) et mènent des actions dans l'objectif de valoriser leur mode vie et de défendre leur droit. Dans leur siège du village de Nzila à 15 km au sud-ouest de Bangui, ils pratiquent la pisciculture, le maraîchage et enseignent la pharmacopée traditionnelle. De notre envoyé-spécial à Nzila, Veste et baskets noires, jean bleu, Dridemonomotapa Zendicongoso n'a pas du tout le code vestimentaire traditionnel du peuple Aka, mais il maîtrise les gestes, les attitudes et la posture des Akas. Poste radio qui grésille dans la main droite, il circule entre trois bassins d'environ 30 mètres sur 10. « Dans ces bassins, on a les carpes blanches et les carpes rouges. Elles sont très succulentes et font beaucoup d'œufs qui se multiplient rapidement. On a aussi les silures que nous appelons des Ngoros. C'est une espèce de poissons authentiques de notre communauté, depuis l'époque de nos grands-parents. Ça fait trois ans, qu'on n'a pas touché à ce bassin. Si j'ouvre ce bassin, il ne faut pas que quelqu'un de jaloux soit à côté. C'est une fierté, en tout cas, de l'Afrique », raconte-t-il. Pour perpétuer la connaissance de leur mode de vie, ils ont installé un musée au cœur de cette forêt de Nzila. C'est dans cet édifice en terre battue, au sol argileux, que les Akas conservent précieusement leurs objets. Des écorces, peaux de bêtes, cornes, pierres taillées, ils côtoient des traces modernes de leur culture. « Ce siège social comprend l'agroalimentaire généralisé. La littérature sans frontières. On a aussi des poésies. On élève des poulets à titre de développement humain. Nous avons au moins 2 000 pieds d'avocatiers mise en terre et plus de 2 000 pieds de papaye industrielle », détaille-t-il. « Les Pygmées sont les plus discriminés au monde » De la forêt à la ville, Nafissatou, une pygmée Aka de 15 ans, a troqué la vie de cueillette pour apprendre à lire et à écrire. Aujourd'hui, en classe de troisième, elle rêve de devenir médecin : « Dans la forêt, le matin, quand on se réveille, on part ramasser des chenilles avant d'aller chercher de l'eau et des fagots. Nous cherchons aussi les feuilles de maniocs et les gnetums. Dans la forêt là-bas, il n'y a pas d'école. Mais depuis que je suis en ville, je pars à l'école, car j'ai l'ambition de devenir quelqu'un afin d'élever le niveau de notre éducation. Dans l'avenir, je veux devenir docteur. » L'association One Color Mënë Oko fait partie d'un programme mondial de soutien aux peuples autochtones regroupant les Yanomamis du Brésil et les Aborigènes d'Australie. Dridemonomotapa Zendicongoso se bat pour la renaissance des droits des Akas. « Les Pygmées sont les plus discriminés au monde. Ils n'ont pas de valeur, pas d'initiatives. J'ai monté cette structure pour prouver la capacité des peuples autochtones à être relancé. Il est temps de refaire beaucoup de choses. L'homme qui est la créature de Dieu doit être celui qui est vivant, jouissant de tous ses droits », explique-t-il. Aujourd'hui, les 30 000 Pygmées Akas de Centrafrique se battent pour leur bonne intégration sociale. À lire aussiLes Pygmées, communautés dans les griffes de l'Histoire
Hay Mohammadi est un quartier mythique de Casablanca qui a fourni au Maroc certain de ses grands artistes contemporains, comme le groupe de musique Nass El Ghiwane. Populaire et rebelle, Hay Mohammadi a été dans les années 1960/1970 un foyer de création et un lieu où le Maroc se réinventait. Cinquante ans plus tard, après des bouleversements majeurs comme la destruction des bidonvilles et l'arrivée d'un nouveau personnel politique, le quartier s'est endormi. De notre correspondant à Casablanca, À lire aussiMaroc: le quartier de Hay Mohammadi, l'incubateur du groupe Nass el Ghiwane [1/2]
Il y a des quartiers qui, par leur apport politique, économique ou culturel, marquent l'histoire de pays entier. Au nord-est de Casablanca, le quartier de Hay Mohammadi, avec ses bidonvilles et ses usines, a servi de pépinière à plusieurs générations d'artistes. Parmi eux, Nass el Ghiwane, le groupe mythique des années 1960. Avec ses textes engagés et sa musique issue de différents répertoires traditionnels, il déferle sur le Maroc des « années de plomb ». Alors que la répression s'abat sur les opposants, Hay Mohammadi va produire ses plus grands artistes. De notre correspondant à Casablanca, À lire aussiMaroc: «Chikha», l'histoire d'un art et d'une résistance
En Sierra Leone, le conseil municipal de Freetown est à l'initiative d'un important projet de reforestation urbaine. Baptisé « Freetown the Treetown » – « Freetown la ville des arbres » en français –, il vise la plantation de cinq millions d'arbres dans la capitale sierra-léonaise d'ici 2030, avec l'aide de ses habitants. La grande innovation de ce projet est le suivi numérique de chaque plante enregistrée dans une base de données, avec l'objectif de faciliter, à l'avenir, leur monétisation sur le marché international des crédits carbone. De notre envoyée spéciale à Freetown, Une dizaine de « trackers » courbés au-dessus de la vase prennent en photos les pieds de mangrove qui poussent face à la communauté pauvre de Congo Town. Depuis ce quartier informel bâti sur des remblais de terre et d'ordures, Saibatu Nabie Sandy surveille leur travail de loin : « Nous avons planté cette mangrove en 2022, explique-t-il. D'abord, nous avons planté 40 000 arbustes, puis de nouveau 40 000, donc presque 80 000 arbres ! Les huîtres ou les poissons aiment les mangroves, mais tout avait disparu. Maintenant, comme la mangrove a grandi, on commence juste à les voir revenir ». Porté par le conseil municipal de la capitale sierra-léonaise, le projet de reforestation urbaine de Freetown met l'accent sur le suivi de chaque arbre. Car planter ne suffit pas : il faut savoir combien de plantes survivent.« D'abord, on doit télécharger l'application Treetracker. Chaque arbre a un numéro spécifique pour l'envoi des informations à nos analystes, ce qui permet au conseil municipal de suivre l'évolution des mangroves », poursuit Saibatu Nabie Sandy. 1,2 million d'arbres ont été plantés jusqu'à présent à Freetown : des arbres fruitiers et forestiers, des plantes médicinales et des mangroves. Chacun est géolocalisé et suivi sur plusieurs années par les « trackers », grâce à la collecte de données numériques. À lire aussiComment convaincre les jeunes Africains de se lancer dans l'agriculture ? « Chaque arbre est représenté » Dans les locaux du conseil municipal, Bineta Binia fait partie de l'équipe chargée de vérifier et de valider les données qui remontent du terrain : « On utilise la plateforme Greenstand pour tout enregistrer. Les données sont transférées directement dès qu'un arbre a été tracké dans l'application mobile. Moi, je vérifie les arbres un par un. Il faut que la photo soit nette, qu'on voit les racines dans le sol. Et si ce sont de jeunes pousses, on doit voir leur numéro d'identification. On doit aussi avoir des infos sur le type d'arbre dont il s'agit ». Cette base de données rend le processus transparent et traçable et donc plus attractif pour de potentiels investisseurs sur le marché international des crédits carbone. « Déjà, ces informations servent à instruire les citoyens sur ce projet, expose Ibrahim Kamara, analyste pour « Freetown the Treetown ». Ensuite, cela nous renseigne sur le taux de survie des arbres : c'est important pour pouvoir monétiser tout ça sur le marché des crédits carbone. Les investisseurs auront besoin de connaître la densité de cette forêt urbaine. Sur cette carte interactive, chaque arbre est représenté. » L'objectif de « Freetown the Treetown » est de séquestrer 100 000 tonnes de carbone d'ici à 2030 en restaurant 5 000 hectares, soit environ cinq millions d'arbres plantés. À lire aussiSierra Leone : « Freetown the Treetown », reboiser contre les catastrophes climatiques [1/2]
Le réchauffement climatique a des effets profonds sur la ville côtière de Freetown, en Sierra Leone. L'urbanisation galopante et anarchique et la déforestation massive ont fragilisé les sols et rendu la capitale particulièrement vulnérable face à l'érosion côtière. Les quartiers les plus pauvres sont les plus exposés par les inondations et les chaleurs extrêmes. Pour faire face à ces phénomènes extrêmes, le conseil municipal de la capitale a lancé l'initiative « Freetown the Treetown », qui vise à planter cinq millions d'arbres à travers la ville d'ici 2030. De notre envoyée spéciale à Freetown, Un petit pont en béton enjambe une rivière encombrée de détritus, au milieu du bidonville de Kroo Bay. De chaque côté de la route, les habitations sont serrées entre les flancs d'une colline et l'océan. Helen se tient devant sa maison, dont l'entrée est surélevée : « Vous voyez, quand la pluie arrive, elle nous déborde… Ce pont est complètement bloqué par les déchets et l'eau ne s'écoule plus, c'est ça qui crée des inondations ! » Une partie du quartier de Kroo Bay est construite sur des remblais de terre déposés directement sur la couche de déchets plastiques charriés par l'océan. « Nous sommes très affectés par le changement climatique... Vous voyez bien que les structures sont mal construites ici », poursuit Helen. « Quand il n'y avait pas encore toutes ces constructions sur les collines, on ne voyait jamais d'inondations ici, raconte Abbas Kamara, l'un des chefs communautaires de Kroo Bay. Mais à cause de la déforestation et de la production de charbon, il y a des inondations. La population a augmenté, il y a beaucoup d'ordures... C'est difficile de faire face à tout ça. Dès qu'il pleut beaucoup et que c'est la marée haute, nous sommes complètement inondés. Mais depuis 2020, le conseil municipal a lancé un projet pour restaurer la mangrove le long des côtes et replanter des arbres pour empêcher l'érosion. » À lire aussiReforestation : oui, mais pas n'importe comment Planter cinq millions d'arbres d'ici 2030 Abbas Kamara travaille aussi comme « tracker » pour le conseil municipal de Freetown dans le cadre de la campagne « Freetown the Treetown », en français « Freetown, la ville des arbres », un programme de reforestation urbaine qui vise à faire pousser cinq millions d'arbres d'ici 2030, soit 5 000 hectares de forêt urbaine et de mangroves. Amos Vandy Saaty est le coordinateur de cet ambitieux programme : « Vous téléchargez une application sur votre téléphone. Automatiquement, on vous alloue un périmètre avec des arbres à surveiller. Vous êtes envoyés sur le terrain, vous ouvrez l'application, vous prenez une photo de l'arbre. Vous sauvez cette information dans votre téléphone et vous nous la transmettez. Puis, c'est enregistré dans une base de données vérifiée. » Les trackers, comme les travailleurs journaliers, sont rémunérés : « Nous employons justement les gens qui coupaient les arbres pour fabriquer du charbon. Parmi les 1,2 millions d'arbres que nous avons planté, il y 275 000 pieds de mangroves. Il y a des manguiers, des pommiers... Et puisn sur le site du glissement de terrain mortel survenu en 2017 à Freetown, nous avons replanté une forêt de 100 000 arbres », poursuit Amos Vandy Saaty. « Freetown the Treetown » prépare maintenant une entrée sur le marché international des crédits carbones. L'enregistrement de chaque arbre dans une base de données numériques devrait faciliter la monétisation de ce vaste projet participatif, qui a reçu de nombreux prix internationaux. À lire aussiSierra Leone : huit ans après les coulées de boue meurtrières à Freetown, « les gens construisent sans penser au danger »
Dans la région du Tchologo, dans le nord de la Côte d'Ivoire, les habitants de Kong tentent de valoriser leur patrimoine historique et religieux. Au cœur de la ville, figure la mosquée de style soudanais, classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Mais aussi plusieurs vestiges du passé colonial. De notre envoyée spéciale à Kong, La case de Binger se trouve au cœur du centre-ville de Kong. C'est une maison faite de briques en argile, partiellement détruite et envahie d'herbes-hautes. Selon les habitants, l'explorateur français Louis-Gustave Binger aurait séjourné à Kong à deux reprises à partir du 20 février 1888. Les habitants l'auraient logé dans une case. Ce site a été conservé, car ce passage rappelle la position stratégique de Kong au XIXème siècle. « Kong était un carrefour commercial très important par où transitait presque tout : de l'or, du poisson sec, de la kola, explique Lucien Bogbé-Prévost, un guide touristique. Kong avait atteint une certaine prospérité, de sorte qu'elle était convoitée par plusieurs puissances occidentales. Et pendant son séjour, Gustave Binger a eu à signer plusieurs pactes avec la population locale. Parmi lesquels, on peut citer un pacte commercial. Il y avait également le pacte de la reconnaissance de l'islam en tant que religion. » Au cœur du quartier Sirakoro, une stèle blanche, entourée d'arbustes. Il s'agit de la tombe de Moskowitz, un explorateur venu ici en 1894 pour alerter le colon français de la présence des Britanniques dans la région. Cette sépulture est entretenue par une habitante. C'est une marque de reconnaissance, selon Lucien Bogbé-Prévost : « Il était considéré comme un sauveur. Donc s'il décède à Kong, c'est normal qu'on l'enterre à Kong. C'est une manière de lui rendre hommage. » Signe de ces migrations et de l'islamisation du nord ivoirien, la grande mosquée, de style soudanais, de Kong : c'est une mosquée en terre, avec des charpentes en saillie. Construite au XVIIème siècle, cette mosquée a été détruite à trois reprises, notamment lors d'une offensive lancée par Samory Touré en 1897. Depuis, l'édifice a été reconstruit par les habitants. Bafétigué Konaté est le président du comité de gestion de la grande mosquée. Tous les trois ans, les habitants procèdent au crépissage de cet édifice : « Il faut prendre une argile rouge. Il y a par ailleurs, un arbre en brousse, appelé foulougou. On coupe. On remplit trois ou quatre barriques. On mouille. Et on laisse reposer quelques jours. Ça devient ensuite comme du caoutchouc. On utilise cette matière à l'intérieur et à l'extérieur de la mosquée. » La grande mosquée est classée au patrimoine de l'Unesco. Mais les visites sont encore timides. La faute, à l'insécurité : en 2020 et en 2021, deux attaques meurtrières affectent Kafolo, non loin de Kong. Depuis, l'armée ivoirienne sécurise les départements du Nord ivoirien. Et des cadres locaux s'organisent pour relancer les activités culturelles. Parmi eux, Bamoussa Ouattara, 1er adjoint au maire et initiateur d'un festival célébrant la renaissance de Kong : « La Côte d'Ivoire a vécu une période de crise, une dizaine d'années et tout cela a impacté le tourisme. Mais ceci étant, la crise est derrière nous. Il n'y a aucun problème de sécurité à Kafolo. Les populations ont renoué avec leur train-train quotidien. Il y a même de grands travaux qui s'y déroulent. Donc, je pense que tout cela ne peut être possible que s'il y a la sécurité. » Cet acteur politique local espère notamment développer le tourisme religieux. À lire aussiCôte d'Ivoire: la réussite de la relance du parc de la Comoé [1/2]
Le parc de la Comoé, au nord de la Côte d'Ivoire s'étend sur près d'un million d'hectares. Cette réserve de la biosphère est une des zones protégées les plus vastes d'Afrique de l'Ouest, où se mêlent savane arborée et des ilots de forêt. Ce parc avait un temps été classé patrimoine en péril, en raison des activités illicites qui ont mis en danger sa faune et sa flore. Par ailleurs, l'insécurité à la frontière avec le Burkina Faso et les attaques à caractère terroriste qui ont affecté Kafolo en 2020 et en 2021, ont entamé l'image de la région, classée zone rouge par les chancelleries occidentales. Mais depuis trois ans, les autorités ont sécurisé le nord du pays. La relance de ce parc illustre cette reprise progressive des activités. En 2023, l'Unesco l'a d'ailleurs sorti de sa liste du patrimoine en péril, estimant que les objectifs de conservation de sa faune avaient été dépassés. De notre envoyée spéciale à Bouna, La voiture de touriste roule au pas sur une piste qui traverse le parc. Très rapidement, une famille de bubales fait son apparition. Jean-Luc est impressionné : « Je n'ai jamais été aussi proche d'animaux sauvages, en liberté comme ça quoi… En plus, elles ne sont même pas apeurées. J'ai l'impression que je peux descendre, aller les toucher. » Au moment des différentes crises politiques qui ont secoué le pays, le parc de la Comoé a perdu une grande partie de ses animaux, à cause notamment du braconnage. En 2012, l'Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR), a lancé une reprise en main de ce site. Grâce à plusieurs financements de l'État et de la coopération allemande, l'OIPR a acquis deux ULM et des avions pour assurer une surveillance du parc. « On salue cette présence forte de la coopération allemande, qui dès la survenue de la crise, après la décision du patrimoine mondial, a mis en place un fonds de dotation, pour nous permettre d'avoir les effectifs, d'avoir le matériel, d'avoir les équipements et de tout de suite, faire les activités de surveillance, explique le colonel Roger Kouadio, le directeur du parc de la Comoé. Les gens comprenant que l'autorité de gestion était sur place, les activités illégales ont commencé à régresser. Et cela s'est vérifié avec tous les inventaires aériens qu'on a pu faire et qui ont montré que les activités illégales étaient réduites. » À lire aussiTourisme en Afrique: la Côte d'Ivoire mise sur le tourisme vert [4/5] Résultat : les espèces qui avaient disparu, comme les chimpanzés et les éléphants, ont recolonisé le parc de la Comoé. Grâce à des caméras, les chercheurs ont pu constater leur présence. « En 2013, on n'a même pas pu observer l'éléphant. J'utilise maintenant les caméras trappe. En 2016, on était autour de 60 individus. Et lorsque nous avons fait l'inventaire l'année passée, on était autour de 150 individus, raconte Colonel Amara Ouattara, le chef du service du suivi écologique. Les résultats de 2022 montrent que nous sommes passés de 8 000 individus pour les bibales, à 17 000 individus. Pour les cobes de Buffon, on est passé de 9 000 individus, à près de 10 000 individus. Donc, vous voyez, presque toutes les espèces phares du parc sont passées du simple au double. » Pour réduire les activités illicites, il a fallu surtout impliquer les populations environnantes. Mamadou Koné est animateur rural : « On sensibilise plus sur la pratique de l'orpaillage clandestin, qui favorise la délinquance juvénile et l'utilisation du mercure et du cyanure, qui sont des produits très toxiques pour la santé. » Parmi ses projets phare, le parc de la Comoé compte réintroduire des lions, à partir de 2027, pour attirer des touristes et dynamiser la recherche. À lire aussiEn Côte d'Ivoire, le trafic de grands félins alimenté par la médecine traditionnelle
On connaissait la Côte d'Ivoire pour le zouglou et le coupé-décalé, plus récemment pour le rap, mais beaucoup moins pour le rock. Et pourtant, « Stabilise Rentabilise » a créé la surprise en début d'année en devenant viral sur les réseaux sociaux ivoiriens. Coup de chance ou coup de maître ? Ses auteurs, Arii Siguira et Toto le Banzou, qui préparent un album, espèrent poser les jalons d'un nouveau genre appelé « Rock Ivoire ». De notre correspondante à Abidjan, Inutile de chercher le sens des paroles, ce n'est pas l'essentiel. Si « Stabilise Rentabilise » est devenu un hit instantané, c'est grâce à sa mélodie entraînante et à l'excentricité de ses deux jeunes chanteurs venus du rap, Arii Siguira et Toto Le Banzou : « La recette de ce hit ? On a juste apporté la bonne énergie. On a travaillé. Et tout s'est passé naturellement », en explique un. L'autre enchaîne : « Ce morceau, c'est un morceau à plusieurs couleurs… Un peu de pop, beaucoup de vibes africaines, parce qu'on a parlé un peu de baoulé dedans, un peu d'anglais, aussi du français, et notre petite touche ivoirienne. Raison pour laquelle ça s'appelle du rock Ivoire, du rock à l'ivoirienne. » Face au succès, le duo et leur équipe ont changé de direction artistique, pour s'orienter vers des projets rock. Mais en gardant le même processus de création que pour un morceau de hip-hop : tous les instruments sont virtuels, et la musique est élaborée en studio, avec une boîte à rythme, explique leur beatmaker et compositeur Keelam : « De nos jours, on utilise plus les samples, parce que c'est des jeux déjà composés : la guitare électrique, le piano, les synthés. On réfléchit à la structure de la production avec l'artiste. Il y a du djembé, des tamas, des shakers. Plusieurs instruments africains. J'ai essayé de faire un style hors du commun, qui est à la fois ivoirien et américain. On compte rester là-dessus, essayer de marier ça avec d'autres styles, tout en restant dans le rock. » Après ce premier succès, Arii et Toto le Banzou vont devoir réitérer l'exploit pour que leur carrière décolle. Et même s'il sait que le public les attend au tournant, leur producteur et manager Khaled Touré est confiant : « Quand tu fais un hit, le prochain son, c'est la confirmation. C'est ça qui prouve que tu as vraiment travaillé. Il y avait un peu de magie, mais c'est un projet qui était vraiment travaillé. On sentait que ça allait forcément faire quelque chose, vu que c'est un genre de musique qu'on n'a pas forcément l'habitude d'entendre ici. » Tous les quatre travaillent désormais sur un album. Ils annoncent déjà des concerts et même un court-métrage. À lire aussiDerrière les hits du rap ivoire, une nouvelle génération de producteurs
Nous nous rendons aujourd'hui dans les campagnes de Centrafrique, où les villages restent caractérisés par l'architecture des cases, habitations traditionnelles faites à base de matériaux naturels collectés dans la forêt. C'est le cas par exemple au village de Bobangui, dans le sud-ouest du pays. Dans cette localité, les cases symbolisent l'héritage culturel et participent à la création d'un paysage architectural unique. Mais aujourd'hui, ces bâtisses font face au défi de la modernité. Si certains continuent de préserver les modes de construction traditionnels, d'autres cherchent à améliorer les anciennes méthodes. Le village de Bobangui, en Centrafrique, semble perdu au cœur d'une forêt dense de la Lobaye. Vu d'en haut, il est dessiné sur un terrain plat d'une forme rectangulaire. Une fois passée la barrière en bois qui se trouve à l'entrée, des centaines de cases traditionnelles sont visibles. Ici, c'est la concession de Grégoire, un cultivateur. Âgé d'une quarantaine d'années, il est en train de construire sa propre case : « Ce style de construction, nous l'avions hérité de nos ancêtres. Comme vous le voyez, nous sommes en train d'implanter des poteaux en bois solides dans le sol, avant de développer le mur en terre battue. Cela nous permet de stabiliser et de protéger la case contre la pluie torrentielle et les vents violents. » Pour l'avancement des travaux, les enfants sont chargés d'apporter la paille, le raphia et le bambou utilisés pour le tressage de la toiture. Les femmes, elles, puisent de l'eau pour la confection des briques en terre pétrie : « C'est un travail à la chaîne très complémentaire. Nous, les hommes, nous nous occupons de l'élévation des murs et des travaux de finition tels que le crépissage, le damage du sol, l'embellissement des murs et le tressage de la toiture. Nous utilisons des matériaux 100% naturels issus de la forêt. Ici, on transforme la nature brute sans aucun objet moderne. » À lire aussiTata Somba: un habitat traditionnel à préserver « Ce type de maison est adapté pour accueillir tout le monde » Ces cases sont généralement divisées en deux chambres et un salon. Selon Nicodème, un habitant de Bobangui, elles sont conçues de manière à valoriser la solidarité, la proximité et l'amour du prochain : « Notre société est constituée de familles nombreuses. Les membres de familles issus de différentes générations vivent ensemble soit dans la même maison, soit dans la même concession. C'est pourquoi ce type de maison est adapté pour accueillir tout le monde. Une maison de ce type peut avoir une durée de vie de vingt ans avant que nous ne songions à en construire une autre. » Mais aujourd'hui, à Bobangui, certains habitants s'inspirent des normes de construction occidentales pour améliorer la fabrication des cases. Wilfried en fait partie : « J'ai utilisé des tôles, des briques et des ciments pour construire cette maison. Dans ce contexte actuel dominé par le changement climatique et les inondations, il nous faut des maisons solides construites par des maçons compétents. Comme source d'énergie, j'ai installé des panneaux solaires qui me permettent d'avoir un poste téléviseur et de quoi recharger mes appareils. C'est une maison de quatre chambres. » Mais une chose est sûre : à Bobangui comme dans les autres villages du pays, avoir une maison est synonyme de responsabilité et de liberté. À lire aussiTchad: l'architecture traditionnelle disparaît-elle?
En Côte d'Ivoire, comment imaginer l'architecture du futur ? Alors que le dérèglement climatique pousse la profession à repenser la construction vers plus de durabilité et moins d'émissions de CO2, la future génération d'architectes voit cette contrainte comme une occasion d'être plus respectueux de l'environnement, mais aussi de réaffirmer une identité africaine. Reportage avec les étudiants de l'école d'architecture d'Abidjan.
Comment faire connaître l'architecture et la construction en Côte d'Ivoire ? Le pays compte moins de 250 architectes inscrits à l'ordre – un pour 130 000 habitants environ, soit environ 60 fois moins qu'en France. Pourtant, plusieurs jeunes professionnels tentent de mettre en valeur leur métier et son utilité, des vulgarisateurs et influenceurs dont l'objectif est d'inspirer la future génération d'architectes et de convaincre le public sur l'utilité de leur profession. À lire aussiÀ Abidjan, des passionnés transmettent l'histoire architecturale oubliée du Plateau [1/3]
En Côte d'Ivoire, le patrimoine architectural reste méconnu des habitants d'Abidjan. Le quartier administratif du Plateau recèle pourtant de petites perles, avec des immeubles emblématiques comme « La Pyramide », dessinée par l'Italien Rinaldo Olivieri, aujourd'hui abandonnée. Alors que le quartier est un chantier permanent, de jeunes architectes ivoiriens tentent de préserver la mémoire des bâtiments. Reportage dans une promenade organisée par une association, la PAACIV. Une dizaine de randonneurs remontent le temps et les rues du Plateau. « Au Plateau, on a de l'art déco, on a une période post-coloniale, on a une période coloniale, on a même de l'architecture contemporaine, expose Ben Mohammed Kouyaté, le guide de la visite. On va le voir avec les tours. Chaque bâtiment s'illustre parce qu'il est le fruit d'une époque. » Le futur architecte décrit les techniques de construction, notamment comment les bâtiments de la rue du commerce ont été conçus à la fin de l'époque coloniale pour atténuer la chaleur tropicale, à l'image des anciennes galeries Peyrissac. « Le fait de pouvoir entrer sur l'angle, le retrait des portes qui permet de ne pas avoir d'ensoleillement direct… On n'a pas de chaleur, c'est typiquement une sorte d'architecture bioclimatique. Et ils avaient pensé leurs bâtiments de sorte qu'il y ait de la ventilation naturelle à l'intérieur », retrace-t-il. Au Plateau, l'architecture est aussi politique. En 1962, le Français Henri Dufau a construit le palais présidentiel de Félix Houphouët-Boigny, avec son toit concave inspiré du tabouret Akan, symbole de souveraineté. « Le nouveau palais présidentiel est construit sur les décombres de l'ancien palais du gouverneur. Et symboliquement, Houphouët-Boigny le fait pour dire que "nous sommes indépendants" et que nous pouvons choisir des choses par nous-mêmes », poursuit Ben Mohammed Kouyaté. L'architecture comme témoin de l'histoire Un siècle d'urbanisme résumé en trois heures de balade : l'occasion de contempler l'architecture tropicale du Plateau Sud, les tours du quartier administratif, le siège de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, ou encore l'hexagone imposant de béton et de verre de 62 mètres de haut, signé Michel Goli Kouassi. On passe également devant le siège du premier architecte ivoirien ; l'impressionnant immeuble de la Caistab [caisse de stabilisation des prix des produits agricoles, NDLR], un gratte-ciel de plus de 100 mètres de haut conçu au plus fort du « miracle ivoirien » par le Français Robert Boy ; ou encore l'emblématique « Pyramide », chef-d'œuvre brutaliste de l'Italien Rinaldo Olivieri. Au milieu des nouvelles constructions et du chantier permanent du Plateau, ces immeubles anciens sont parfois oubliés. « Les nouveaux bâtiments sont mis en avant un peu au détriment des anciens bâtiments, selon Leïla Sangaré, architecte installée depuis un an à Abidjan. C'est un nouveau souffle du Plateau, une nouvelle image du Plateau, mais il ne faut pas non plus oublier ce qui était là avant. » Le prix du mètre carré est très élevé au Plateau, autour d'un million de francs CFA. Les projets immobiliers neufs prennent de la place, ce qui, pour l'architecte Issa Diabaté, doit poser question : « Qu'est-ce que l'on préserve, qu'est-ce que l'on peut laisser partir ? Parce que la ville a aussi besoin de se transformer... Donc oui, c'est intéressant pour l'histoire de laisser des traces… Mais il faut aussi laisser de l'espace pour les générations futures puissent se réapproprier des espaces existants. » L'histoire architecturale du Plateau se poursuit. La Tour F, gratte-ciel futuriste de 420 mètres, sera inaugurée en mars 2026. À lire aussiCôte d'Ivoire : au musée des Civilisations, l'emplacement du tambour parleur montré à la France
Une nouvelle vague du cinéma soudanais a émergé depuis 2019, portant les fruits de ce qui a été amorcé en 2010 comme un renouveau du mouvement cinématographique au Soudan. Quelques films remarquables ont précédé et accompagné la chute du régime d'Omar el-Béchir. La révolution artistique était déjà en marche. Parler des arbres, le documentaire de Suhaib Gasmelbari a été tourné d'une manière indépendante et sans autorisation préalable du pouvoir en place. Ce pouvoir avait fermé les salles de cinéma pour plaire aux islamistes. Il a exclu toute aide à la production. Pourtant, le jeune cinéma a pointé son nez et a fait sa sortie au grand jour, en même temps que le Hirak, le mouvement de la population dans les rues de Khartoum. En février 2019, le premier film de Suhaib Gasmelbari, Parler des arbres, est récompensé du prix du meilleur documentaire à la Berlinale. Son réalisateur accompagne avec tact quatre cinéastes soudanais de l'ancienne génération, qui essaient de projeter des films à travers le pays malgré l'interdiction imposée par le pouvoir. Et cette génération ne cesse de récolter des prix et annonce ainsi la naissance d'une nouvelle ère du cinéma soudanais. La même année, Tu mourras à 20 ans, d'Amjad Abou Alla, un premier film également, poétique et puissant, est projeté à la Mostra de Venise. Il sera très bien accueilli par les critiques. Depuis, une série de films marquants se fraient une place sur la scène internationale. Goodbye Julia de Mohamed Kordofani est l'exemple le plus parlant. Il a été projeté au Festival de Cannes en 2023 dans la compétition « Un certain regard ». Il a eu le prix de la mise en scène, ainsi que le prix parallèle de la liberté, avant de récolter au total 62 prix. Il raconte la déchirure du Soudan, à travers l'histoire de deux femmes au moment de la séparation du Soudan du Sud : « Le Soudan est un pays qui a toujours été intellectuellement fermé. Il a été toujours présent dans les bulletins d'informations avec des images d'atrocités et de destruction. Depuis notre indépendance, on passe d'une guerre à l'autre… Je pense que l'une des raisons du succès de mon film, est le fait qu'il soit mondialement apprécié, c'est parce que je montre le quotidien et la vie du citoyen. Cela donne au spectateur un accès au côté humain d'un Soudanais et permet de comprendre les dynamiques qui conditionnent ses relations avec les autres ». Les femmes ont fait leur entrée massivement dans le domaine. Elles expérimentent à leur tour cette liberté acquise. Sara Suliman, explore dans son documentaire Corps héroïques (2022), un thème jadis tabou : « Dans Corps héroïques, nous évoquons les corps et les mouvements du corps dans le mouvement féministe soudanais. Il était très important pour moi d'utiliser le mot corps dans le titre. C'est un mot sur lequel il y a beaucoup d'objection. Lors des entretiens pour le film, j'ai senti que les invitées de l'ancienne génération ont été un peu gênées de l'employer. Elles avaient des réserves, avec toujours ce sentiment que le corps implique un seul sens, celui de la sexualité. Il était donc très important de mettre fin à ses réserves et de changer toutes les choses négatives liées à ce mot. Il est très important de libérer les mots avant de libérer le corps ». Le conflit soudanais de 2023, a contraint cependant de nombreux cinéastes à s'exiler. Sara Suleiman vit actuellement à Londres. Mohamed Kordofani est à Bahrein, où il finalise l'écriture de son second film. Quant à Amjad Abou Alla, qui l'a produit, il est au Caire et travaille également sur deux nouveaux films. L'un d'eux se passe à Khartoum et se déroule sur une seule journée. Le nouveau cinéma soudanais est un cinéma d'espoir. L'espoir est son dénominateur commun. Au-delà des films, l'espoir est la devise la plus chère au peuple soudanais. À lire aussiL'émergence d'un cinéma soudanais depuis la Révolution [1/2]
La production du cinéma dans les pays africains était intimement liée au mouvement de libération de ces peuples. Les films produits depuis cette époque ont, selon les spécialistes, participé à changer l'image mentale que les autres peuples avaient de l'Afrique, mais alors que des réalisateurs comme le Sénégalais Ousmane Sembène et ses collègues conduisaient cette voie du cinéma puisant dans le réel de leur pays, le cinéma au Soudan est resté enfermé dans le cadre de la production officielle de l'État. C'est pour cela que la production du cinéma a été très limitée et son influence minime. Aujourd'hui, une nouvelle génération de cinéastes a pris le relai et tente tant bien que mal de parler, de réveiller un art qui s'endormait. À lire aussi«Talking about trees», ou les fantômes du cinéma soudanais À lire aussiFipadoc: «Soudan, souviens-toi», une jeunesse en lutte, documentée par Hind Meddeb
Dernier volet de notre série à la découverte du phénomène vinyles au Kenya. Dans les années 1970 et 1980, Nairobi, la capitale, était une plaque tournante de la musique : les artistes de la région venaient pour enregistrer et faire presser leurs disques. Aujourd'hui, plus d'usine de pressage dans le pays, mais certains musiciens ont tout de même décidé de sortir leurs albums en vinyle. Séduits par le son malgré le coût et les difficultés logistiques. De notre correspondante à Nairobi, La musique s'échappe du tourne-disque et résonne dans le studio de Blinky Bill à Nairobi. De son vrai nom, Bill Selanga, il fait partie des artistes contemporains les plus renommés au Kenya. Et a choisi de faire presser ses deux albums en vinyle. « Le son est plus chaud. Et puis, quand je travaille sur l'ordinateur, j'ai parfois l'impression que mon album n'existe que dans le vide. Avoir une copie physique entre les mains, c'est différent. Je me dis : " Waouh, j'ai travaillé dur et j'ai réussi à produire ça". J'adore. Blinky Bill collectionne les vinyles, d'artistes africains surtout. Il dit se sentir plus proche d'eux en ayant leurs disques entre les mains. Un sentiment que semblent partager ses fans : « Dès leur sortie, mes vinyles sont rapidement en rupture de stock. Je pense que c'est en partie parce que peu d'artistes en produisent. Et puis, les gens qui aiment ma musique apprécient aussi, je crois, ce format, notamment l'aspect artistique de l'album. Je pense qu'ils reconnaissent le travail qui a été accompli. » Le Kenya n'a plus d'usine de pressage de vinyles. Pour obtenir ces disques, il faut donc se tourner vers l'étranger. Blinky Bill les a fait presser en France et Maia Lekow en Australie. Sentiment d'être dans un magasin Son groupe, Maia & the Big Sky, fait ce qu'elle appelle de l'afro-fusion. C'est lors d'une tournée en Australie qu'elle a décidé de faire presser ses albums sur place. Environ 3 000 exemplaires. Un processus, elle le reconnaît, coûteux, mais une expérience que Maia ne regrette pas. « Il n'existe aujourd'hui qu'un nombre limité de copies, et je trouve ça très chouette. Ce que j'aime aussi beaucoup avec l'idée de sortir de la musique sur vinyles, c'est que ça m'évoque ce sentiment d'être dans un magasin et de fouiller parmi les vieux disques. Mes vinyles sont éparpillés un peu partout dans le monde, alors j'espère qu'un jour, dans plusieurs années, quelqu'un tombera dessus et se dira : "Oh, je ne connais pas cette artiste, je ne connais rien du Kenya" et cette personne nous découvrira. » Aussi bien Blinky Bill que Maia Lekow remarquent un intérêt croissant pour les vinyles au Kenya. Il y a des fans qui veulent faire tourner les disques sur leurs platines. Et ceux qui les collectionnent comme des objets d'art. À lire aussiLe Kenya en vinyle: les pépites de la musique kényane [2/3]
Suite de notre découverte du phénomène vinyles au Kenya. Lundi 18 août, nous étions dans le plus connu des magasins de disques de la capitale. Ce mardi 19 août, plongée dans le passé, à l'écoute des artistes kényans qui ont fait vibrer les platines. De notre correspondante à Nairobi, « La pire chose quand on cherche un vinyle en particulier, c'est qu'on ne le trouve jamais au moment où on le veut », déclare Sam. Chez lui, le salon est petit, mais les étagères, du sol au plafond, débordent de vinyles. Il les collectionne depuis plus de 20 ans. Sa passion a débuté par nostalgie des sons de son enfance. Aujourd'hui, il en a fait son métier. Il est DJ sur tourne-disques. Son surnom : Sam Tha Digga. Sa collection est diverse, et inclut bien sûr les classiques kényans. « Là, c'est une chanson qui s'appelle "Kothbiro". C'est du luo, ça veut dire "la pluie qui arrive". Ce groupe, Black Savage, expérimentait avec plein de choses. C'est l'époque où, pour moi, les musiciens étaient sérieux », ajoute-t-il. Au début des années 1950, une usine de pressage de vinyles s'est installée à Nairobi. Les trois décennies qui ont suivi ont vu un essor de la production musicale dans le pays. Les maisons de disques se sont multipliées, attirant des artistes des pays voisins. Puis, les cassettes sont arrivées, et l'usine a fermé. Aujourd'hui, les vinyles de musique kényane sont devenus précieux. Sam le reconnaît, les collectionner n'est pas le plus facile : « Dans un magasin de vinyles au Kenya, on trouve beaucoup de musique occidentale, notamment des années 1980, de la musique country aussi, et bien sûr de la musique africaine mais surtout congolaise, car c'était très populaire quand j'étais jeune. La musique kényane, en revanche, est plus rare. Je pense que c'est parce que beaucoup de vinyles ont été jetés ou abîmés. La plupart des collections kényanes n'ont pas été très bien conservées. » Les collectionneurs chérissent donc leurs vieux exemplaires. Grâce à sa double platine, Sam passe d'un disque à un autre : « Là, c'est un groupe de l'ethnie Kamba, près des Kikuyu, les Ndalani 77 Brothers. » Sam a un rêve : parcourir le Kenya pour enregistrer les musiques traditionnelles des plus de 40 ethnies kényanes. À lire aussiLe Kenya en vinyle: l'emblématique magasin Real Vinyl Guru [1/3]
Cette semaine, RFI vous emmène à la découverte du phénomène des vinyles au Kenya. Trois épisodes pour parler de ceux qui les vendent, des artistes kényans qui ont fait vibrer les tourne-disques ou de ceux qui les remettent à la mode. Ce 18 août, focus sur une boutique mythique de Nairobi, Real Vinyl Guru, véritable archive du vinyle africain cachée dans le dédale du Kenyatta Market. De notre correspondante à Nairobi, C'est une plongée dans l'histoire de la musique sur vinyles qui s'offre aux visiteurs de Real Vinyl Guru. Comme avec ce 45 tours d'un groupe kényan des années 1970, choisi avec soin par Gaturi Rugami. Surnommé Jimmi, il est le fondateur de la boutique : « La langue ici, c'est du kikemba. C'est une chanson des Kilimambogo Brothers, c'est de la bonne musique. » Les murs débordent de disques. Il y en a plus de 10 000, estime Jimmi. Aujourd'hui âgé de 64 ans, ce passionné a ouvert sa première boutique à Nairobi en 1989. Lorsque les cassettes sont arrivées et que les magasins se débarrassaient de leurs disques, il a tenu bon. Et a même fait des kilomètres pour les récupérer. « Avec ma Peugeot 404, je suis allé en Tanzanie, en Ouganda, presque jusqu'à Addis-Abeba. Si les distances étaient plus longues, je prenais le bus ou le train. Je m'arrêtais dans chaque petite ville. Quand je trouvais des vinyles, je les payais et je les laissais sur place, puis je poursuivais mon périple. Sur le chemin du retour, je les récupérais tous. C'était comme une chasse, parfois difficile, car il fallait aller dans des zones un peu dangereuses. Mais il fallait bien traquer les vinyles, parce qu'eux ne viendront pas vous trouver tout seuls ! », se souvient Jimmi. Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, la collecte est plus facile. Jimmi connaît bien les disques qui remplissent les rayons de sa boutique. Il extrait un autre artiste kényan, une légende de son époque, Musaimo wa Njeri : « Celui-là, la langue est du gikuyu, c'est de la musique un peu traditionnelle mais pas vraiment du benga. » Désormais, Jimmi se fait aider de ses enfants, qui ont repris le flambeau de la boutique. Son fils, Rufus, répare aussi des tourne-disques. Il a hérité de la passion paternelle : « Bouger le bras du tourne-disque, entendre le craquement puis la musique... C'est autre chose. Même la qualité du son est meilleure. Il suffit d'avoir une bonne platine avec des vinyles en bon état pour profiter de la plus belle musique possible. » Son père, Jimmi, dit écouter des vinyles chez lui tous les jours. Du jazz africain, du blues ou de la musique traditionnelle... À lire aussiPourquoi le vinyle refait tourner les têtes
Dans ce nouvel épisode de notre série d'été consacrée aux « délices du continent », nous partons pour Casablanca, à la découverte d'un sandwich populaire. Ce dernier convoque, pour des générations de Marocains, l'enfance, la plage, les vacances d'été… Vendu autour d'un euro, il est emblématique de la culture toujours très vivante de la street food à la marocaine. La suite vous est contée par Matthias Raynal. Il s'appelle le « thon o'lahrour », littéralement « le thon et le piment ». Ce sont les deux ingrédients phares de ce sandwich marocain. Mais il y en a d'autres… Sur son comptoir mobile, Imad, 36 ans, prépare des thon o'lahrour depuis treize ans : « Le plus important, c'est le pain ! Le croquant, le croustillant, c'est ça le secret ! ». Il poursuit : « Premièrement, le thon ne va jamais te rendre malade. Deuxièmement, c'est léger, c'est bien quand il fait chaud. Troisièmement, c'est le sandwich de toutes les générations, il convient à la fois aux petits et aux grands. » Voilà la recette du succès, qui ne s'est jamais démentie au fil des années. Kenzi vient de sortir du bureau. Elle prend sa pause déjeuner avec des copines : « Mmmmm, c'est très très bon, c'est mon enfance… Ce sandwich, tu le trouves à la plage, au stade, dans la rue, à côté des écoles… » Hicham, 43 ans, en est déjà à son deuxième thon o'lahrour ce midi : « On oubliera jamais ce sandwich, il fait partie de l'histoire. Le jour de l'Aïd, quand tout est fermé, il y a toujours un gars dans le quartier qui profite de ce moment pour se mettre à vendre des sandwichs, car le jour de la fête, les gosses reçoivent un peu d'argent de poche, quelques dirhams qui sont aussitôt dépensés ». À lire aussi« Cuisines d'Afrique du Nord » : recettes et récits intimes d'une identité retrouvée Parasol et sable fin, voilà le décor que préfère encore le thon o'lahrour. Imad reprend : « Il n'y a pas un Marocain qui est parti à la plage et qui n'a pas mangé ce sandwich. C'est un pan de la culture balnéaire au Maroc. » Ce monument de la street food marocaine a évolué à travers le temps : « Par exemple, il n'y avait pas de pommes de terre avant. Certains en ajoutent désormais, ils mettent aussi de la charcuterie halal, des sauces, du fromage… Son avantage, c'est qu'on n'a jamais marre d'en manger. Tous les jours, du lundi au vendredi, j'en mange deux au déjeuner. » Et si vous voulez goûter à ce fameux sandwich fait avec passion par Imad, sachez que son stand se trouve en centre-ville, sur la place Zellaqa. À lire aussiLes délices du continent en Côte d'Ivoire: l'alloco [9/10]
Neuvième épisode de notre série d'été sur les délices du continent… Avez-vous déjà goûté à l'alloco ? Ce snack est composé de banane plantain coupée en dés ou en rondelles et frite dans l'huile de palme, jaune ou rouge. En zone rurale, l'alloco se mange sur le pouce, tel quel ou avec de l'œuf, pour une somme modique. Mais en zone urbaine, à Abidjan en particulier, les « allocodromes » sont devenus des lieux de restauration assise, prisés des classes aisées. Reportage dans l'un des plus anciens, l'allocodrome de Cocody, une institution de l'alloco, avec notre correspondante Marine Jeannin. De notre correspondante à Abidjan, À l'extérieur, les chaises en plastique n'ont pas changé depuis les années soixante, et dans le marché couvert, où on prépare les fritures et les grillades, les mêmes recettes se transmettent entre les vendeuses de génération en génération. Démonstration avec Ruth, l'une de ces cuisinières : « On épluche la banane, on met dans l'assiette. On prend le couteau, on découpe la banane. Doucement, petit petit, voilà… Et quand tu as fini de découper petit petit, tu allumes la bouteille de gaz… ». On reconnaît un bon alloco à sa couleur, qui témoigne d'une cuisson maîtrisée. Et si la banane est choisie à maturité, il aura à la fois le goût sucré recherché et une bonne texture en bouche. L'alloco est particulièrement prisé des « jeunes chocos », le surnom donné aux jeunes des classes aisées, qui viennent à l'allocodrome après les cours, pour le goûter, explique Tantie Franceline, qui tient l'une de ces échoppes : « La majorité, c'est les étudiants qui viennent avec leurs copines… Ils viennent manger alloco à partir de 16h, souvent… Ce sont les chocos qui viennent manger [alloco]. C'est un peu ça ! ». À lire aussiUn goûter ivoirien, ça vous dit ? Parmi les clients, Emmanuelle Grâce Yao N'Guessan, étudiante en finances-comptabilité, venue partager un goûter avec son ami. Et qui cherche à retrouver dans l'alloco le goût de son enfance : « Hum ! On partait à la maison, et j'ai pensé que j'avais une folle envie de manger alloco. Donc, on est venus. Ah ! Alloco, c'est la vie hein. Et ça faisait longtemps que je n'avais pas mangé de l'alloco. Ma maman vendait alloco même, quand j'étais petite. Moi, j'aime tellement alloco ! C'est très bon, très, très bon. En tout cas, c'est doux. La banane plantain, c'est délicieux ». À l'origine, l'alloco était pourtant une recette de récupération, explique le manager de l'allocodrome de Cocody, Manheni Kouleon, inventée pour valoriser les fruits trop mûrs : « Nos mères, nos grand-mères ont créé ce mets à la base pour ne pas perdre le produit… À partir de ça est né l'alloco. Chaque 16h, le petit goûter, la petite grignote. Alloco 100 francs, alloco 50 francs…Ça, c'était à l'époque. Et aujourd'hui, on voit des allocodromes partout. Avec plusieurs grillades de poulet, de poisson : alloco-poulet braisé, alloco-poulet frit, alloco-poisson frit… L'alloco passe avec tout ce qui est grillade, c'est ce qui est intéressant dans ce mets-là ! ». La banane plantain frite n'est pas propre à la Côte d'Ivoire. Plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre en consomment aussi, et en revendiquent la paternité. Mais bien sûr, à Abidjan, on jure que l'alloco ivoirien est le meilleur du continent ! À lire aussiLes délices du continent au Sénégal: beignets et fatayas, les reines de la street food [8/10]
Au Sénégal, c'est LA douceur la plus populaire et que l'on trouve partout, dans la rue, à la plage ou à la maison, il y a toujours quelque part des beignets. La pâte est un simple mélange d'œufs, de farine, de lait et de sucre, mais tout est dans le dosage et l'amour qu'on y met. Reportage à Dakar dans une petite boutique (Maramy) du centre-ville qui en produit des centaines chaque jour… Le téléphone ne cesse de sonner dans la petite boutique de Mame Bousso. Devant la vitrine où s'exposent des beignets alléchants, des boîtes avec ruban s'entassent, prêtes à accueillir les beignets des grandes occasions. Ndeye Fatou, vendeuse en chef : « Ça, ce sont des doubles boli qu'on doit livrer ! Ce sont des beignets ! Les beignets, c'est ce qui marche le mieux... (rires), les clients viennent tous les jours pour acheter, machallah ! ». Ces jours-ci les commandes s'enchaînent. Baptême, fin de ramadan ou magal de Touba, les beignets accompagnent toutes les grandes fêtes au Sénégal, mais aussi le petit déj, comme pour ce monsieur venu acheter un assortiment pour sa famille : « Les beignets sont trop bons ici, c'est pour ça que je viens ici à chaque fois… Tout est bon ! ». Dans la vitrine, des beignets en forme de cœur, d'autres saupoudrés de coco, de forme torsadé ou le plus cher, le beignet keumeukh... Et l'ingrédient secret qui explique le succès. Ndeye Fatou : « Notre beignet, on ne mixe pas avec de l'eau, du beurre, du lait et de l'huile, on mélange ». Sans oublier les œufs, la levure, la farine de blé et le sucre, plus ou moins dosés suivant la sorte de beignet et les préférences de chacun. Et pour le pâtissier de cette boutique, le meilleur c'est : « Pour moi, c'est le keumeukh (rires) c'est le meilleur, mais il faut déguster ! ». Du haut de ses 12 ans, Ndeikhane Gueye, habituée de la boutique, car elle vit au-dessus, a un autre avis : « Quand je mange les beignets, c'est quand je suis désespéré, ce sont les donuts mes préférés ». En cas par excellence, petit déjeuner ou goûter… au Sénégal, chacun a donc son beignet préféré, même le Premier ministre qui a donné un shoot de popularité au beignet Dougoup, à la farine de mil. Alors bon appétit et à vous les beignets ! À lire aussiLes délices du continent au Cameroun: la sauce jaune du taro que l'on aime manger le dimanche
Depuis peu, le taro sauce jaune, un plat traditionnel de l'ouest Cameroun, occupe une place de choix dans l'alimentation des jeunes des grandes villes camerounaises. Ils se retrouvent désormais les dimanches dans des lieux de réjouissance, autour du concept « Dimanche Taro ». Des nouvelles habitudes autour de ce plat autrefois consommé dans un cadre familial ou au cours de cérémonies, comme nous le raconte notre correspondant à Daoula. À lire aussiLes délices du continent: en Guinée, le konkoé, plat typique du pays à base de poisson [6/10]
Suite de notre série sur les spécialités culinaires africaines. Aujourd'hui, on se rend à Conakry, où notre correspondant nous fait découvrir le konkoé, le nom local du mâchoiron, un poisson pêché au large des côtes guinéennes. Il est séché puis préparé et servi avec du riz. Un plat typique de la région Basse-Guinée qui fait le bonheur de tous les Guinéens. De notre correspondant à Conakry, En face de la direction générale des douanes de Conakry, dehors sous un chapiteau orange, Aïssata prépare le konkoé chaque jour. Les marmites alignées devant elle, certaines pour la sauce rouge, et le poisson, d'autres pour le riz, elle fait face à l'afflux de clients : « Pour préparer, il faut laver le konkoé, chauffer l'huile rouge dans la marmite, mettre le konkoé dedans, puis mettre les condiments : oignon, tomate, piment et puis bien préparer. Si c'est bien préparé, c'est délicieux ! C'est comme ça que je fais. C'est le plat préféré en Guinée parce qu'il y a beaucoup de vitamines. Si mon restaurant était mieux situé, j'aurais encore beaucoup plus de clients. » La plupart des clients prennent des plats à emporter, mais quelques-uns sont installés sur les tables sous un chapiteau. Parmi eux, Bérété. Le konkoé est de loin son plat préféré : « C'est très doux, raison pour laquelle quand je me couche, parfois dans mes rêves, je vois du konkoé que je suis en train de manger. Quand je me réveille, je vais automatiquement acheter konkoé. Et quand j'en mange, je me sens à l'aise, je me vois très gros et puis robuste, ajoute Bérété en riant. Il y a deux choses que j'aime sur cette terre : le Real Madrid et le konkoé. » Tous les Guinéens adorent cette spécialité de la Basse-Guinée, tout le monde aime ce poisson fraîchement pêché, insiste Koumassi, un autre client : « En Basse-Côte, c'est très consommé. Parce que ça te donne envie de manger des produits de la mer. Et surtout, quand il est bien préparé comme on le prépare chez les Soussous. On se moque entre nous, Peuls et Malinkés, en disant " Tu ne vas plus retourner en Haute-Guinée, tu as mangé le konkoé " ou " Tu ne vas pas retourner au Fouta, tu as mangé le konkoé ". Le konkoé, c'est une sauce de la Basse côte, mais actuellement tous les Guinéens consomment. » Même si le konkoé est un peu plus cher que les autres plats, comme la viande, le restaurant d'Aïssata ne désemplit jamais. À lire aussiLes délices du continent: le ti'hilo, un plat familial qui gagne en popularité en Éthiopie [5/10]
Suite de notre série qui vous emmène à la découverte des délices du continent, ces plats qui font saliver rien qu'à l'évocation de leur nom. Pour le cinquième épisode, nous allons ce matin en Éthiopie. Au menu : le ti'hilo. Originaire de la région du Tigré, ce plat familial n'est pas le plus connu du pays, mais il est de plus en plus populaire. On peut désormais le trouver dans l'intégralité de l'Éthiopie, y compris dans la capitale, Addis-Abeba. De notre correspondante à Addis-Abeba, Au cœur du quartier de Haya Huwlet, le restaurant Kiros détonne. Sur les tables, pas de traditionnel shiro, cette purée de pois cassés dégustée au quotidien par les Éthiopiens. Ici, le ti'hilo est à l'honneur. « On a décidé de faire du ti'hilo car il y a encore peu d'établissements qui proposent ce plat ici », explique Melka, charlotte blanche sur la tête, qui officie en cuisine. Le restaurant fait le bonheur de Bisrat, un client occasionnel est né à Mekelle, mais habite à Addis-Abeba depuis quelques années. « Le ti'hilo est un plat traditionnel, particulièrement dans la région d'Adigrat, dans le Tigré. Mais aujourd'hui, on peut trouver le ti'hilo ici, dans quelques bons restaurants d'Addis. Ce sont devenus des endroits très reconnus », estime-t-il. Les mains plongées dans la farine d'orge qui sert de base aux petites boulettes beiges, l'un des éléments principaux du plat, Melka détaille la recette : « Une fois qu'on a pétri la pâte, on fait le selsi, un mélange d'oignons, de tomates, d'huile et de poivrons. À côté, on prépare le sejo, une purée de pois cassés. Ça, c'est le ti'hilo qu'on fait pendant le jeûne, sans viande. » En salle, le ti'hilo est servi avec une petite touche cérémoniale : une serveuse se charge de confectionner les boulettes et les dépose ensuite sur un grand plateau en métal recouvert d'injira, galette éthiopienne présente à chaque repas. Les clients piquent ensuite les boulettes avec un bâtonnet en bois, avant de les tremper dans le selsi. Une tradition qui réveille à chaque fois, chez Bisrat, un peu de nostalgie. « Manger du ti'hilo, surtout quand je suis à Addis, me rappelle ma région, le Tigré, sa culture et plein d'autres choses. Quand je commence à goûter le ti'hilo, cela me ramène là-bas, chez moi », confie-t-il. En dehors des périodes de jeûne végétarien, très suivi par les chrétiens orthodoxes en Éthiopie, le ti'hilo se déguste aussi avec de la viande de bœuf. À écouter aussiÉthiopie, aux limites de la terre nourricière
Suite de notre série qui vous emmène à la découverte des délices du continent, ces plats qui font saliver rien qu'à l'évocation de leur nom. Pour ce quatrième épisode, nous allons ce matin en Tunisie, pour savourer le mleoui. Cette crêpe de semoule, aux origines berbères, est devenue une institution dans la street food (cuisine de rue). Peu coûteux et rassasiant, le sandwich s'achète dans des gargotes de quartier et se décline en différentes versions, selon les garnitures que l'on met à l'intérieur. Pour certains amateurs, trouver le meilleur mleoui à Tunis est une activité très sérieuse. De notre correspondante à Tunis, Yasser Hana, restaurateur palestinien vivant en Tunisie, est un fan de street food. Sur les réseaux sociaux, il en a fait sa marque de fabrique en tant que créateur de contenus, et le mleoui est son sandwich préféré. « Un mleoui, avec deux fromages, un peu de harissa et de thon », commande-t-il avec précision chez Mleoui Mahbouba, une gargotte tenue par deux sœurs depuis trente ans. « Un truc simple sans chichis, deux fromages triangle, un peu de harissa, des oignons et du thon. Pas d'omelette, pas d'olives, pas de mayonnaise pour ne pas gâcher le goût de la pâte, pour savourer le goût de chaque ingrédient seul, pour avoir dans la bouche une expérience homogène », explique-t-il. Car ce qui fait la force du mleoui, c'est sa simplicité : une crêpe épaisse à base de semoule, comme l'explique Mahbouba, qui travaille la pâte juste avant de la cuire. « La pâte, on la fait le jour même. Un peu de sel, de la semoule fine et un peu d'huile et le tour est joué. Je la remue comme ça, on la laisse reposer quelques minutes, et ensuite, on cuit le mleoui et on ajoute la garniture. C'est très frais et instantané. » Le prix, qui ne dépasse pas un euro, et toutes ses différentes garnitures en font l'un des sandwichs préférés des Tunisiens. Un sandwich qui évoque une certaine nostalgie, selon Yasser : « Le consommateur basique, il est très fidèle à son mleoui de quartier ou au mleoui dans la ruelle où il a grandi. » À quelques encablures, un jeune de 30 ans, Fahd, a ouvert sa propre boutique où il vend des mleouis déclinés dans une recette qui s'inspire de la version marocaine, le msemen, où l'on ajoute un peu de beurre et de farine. « À chaque fois, on ajoute un ingrédient et finalement, on a trouvé la bonne recette et la bonne combinaison de ces ingrédients-là », estime-t-il. « Les Tunisiens disent souvent qu'ils n'aiment que la nourriture de leur mère, mais c'est vrai que pour ces produits de street food, on préfère aller dans la rue. Surtout le mleoui. Je pense qu'il n'y a pas un Tunisien qui ne mange pas le mleoui une seule où deux fois par semaine », explique-t-il. Il propose aussi une version de la pâte au pesto ou épicée. Des variantes qui fonctionnent puisqu'il a gagné le Torchi Food Award 2024, une compétition qui récompense le meilleur de la street food tunisienne. À lire aussiTunisie: la richesse du patrimoine culinaire encore méconnue
La suite de notre série sur les délices du continent, ces plats qui font saliver rien qu'à l'évocation de leur nom. Au fil des années, les restaurants de grillades se sont multipliés dans la capitale centrafricaine, Bangui. Viandes de bœuf, chèvre, poisson, mouton, porc ou encore cabri... Ces viandes sont grillées partout dans la capitale et les odeurs alléchantes embaument les bords des avenues. Les Banguissois et la consommation de viande grillée, c'est une longue histoire d'amour. À lire aussiSérie «Dis-moi à quoi tu joues»: le Ngbaba en Centrafrique, «un jeu pour développer une forme de solidarité»
Suite de notre série qui vous emmène à la découverte des délices du continent. Au menu : le plat emblématique autour du lac Kivu, entre le Rwanda et l'est de la République démocratique du Congo : les sambazas ou isambazas. Ce sont de minuscules poissons, traditionnellement pêchés à la lumière de lampes de pompage. Frits ou en sauce, en plat ou en snack à partager, ils font le délice des habitants proches des rives du lac et des voyageurs. C'est notamment l'assiette incontournable des restaurants de la ville de Gisenyi, à l'ouest du Rwanda. Reportage de notre envoyée spéciale de retour de Gisenyi, au bord du lac Kivu.
C'est un plat emblématique de la capitale congolaise, Kinshasa : le poulet mayo. Il se déguste sur le pouce en début de soirée en discutant avec amis et collègues. Une recette 100% kinoise qui se mange aussi bien dans les terrasses de la cité que dans les restaurants chics du centre-ville. À lire aussiCongo-Brazzaville: le patrimoine culinaire à l'honneur pendant une semaine
C'est un sport qui fait vibrer tous les Sénégalais : la lutte avec frappe, (« lamb » en wolof). Chaque combat dans l'arène nationale à Pikine, en banlieue de Dakar, suscite un engouement national. Des dizaines de milliers de spectateurs et téléspectateurs suivent les aventures de leurs lutteurs préférés. Mais au-delà du sport, la discipline représente aussi un véritable pan de la vie sénégalaise.
Jadis simple jeu de pied pratiqué par les jeunes filles au clair de lune ou à l'école, le nzango est désormais devenu une discipline sportive organisée, pratiquée par les femmes. Le Congo-Brazzaville a même créé une Fédération. Et la transformation semble réussie. De notre correspondant à Brazzaville, À l'entrée de Mpila, quartier est de Brazzaville, sur un terrain nommé Zig-Zag, deux équipes de nzango se font face. L'Union sportive de Brazzaville et les Diables noirs, se livrent à un match officiel sous un soleil brûlant. L'animation est chaude. Onze sportives sont sur le terrain. Le jeu consiste en une série de petits sauts, un pied en avant, les points sont attribués en fonction des pieds présentés par les adversaires. Une joueuse gagne par KO lorsqu'elle terrasse six joueuses adverses. « J'aime pratiquer le nzango parce que c'est une discipline qui me fait bouger tout le corps, confie cette trentenaire. Le nzango me fait transpirer et me permet de me libérer. Bref, le nzango me rend très à l'aise. » Le jeu puise ses origines pendant la période coloniale. Au Congo-Brazzaville, certaines sources disent qu'il permettait aux jeunes femmes de se distraire pendant la construction du chemin de fer Congo-océan dans les années 1920 et 30. Après un passage à vide, le nzango a dû être modernisé et codifié pour être relancé. « Il ressort ceci : que le nzango fut un jeu de divertissement dans notre pays avant les indépendances (en 1960). À partir de 1980, il ressort que ce jeu commençait à perdre sa valeur. En 2004, nous avons des règles que nous avons rédigées et codifiées, puis nous avons enregistré le dossier industriel du nzango à l'OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle, NDLR) au Cameroun », explique Titov Guillaume Mpassi, l'un des experts de ce sport. Pour Sophie Aminata Cissé, présidente de la Fédération congolaise de nzango, l'organisation de ce jeu traditionnel a porté ses fruits et le sport est désormais très populaire : « Aujourd'hui, sur le plan national, nous avons plus de 103 affiliées au niveau des ligues et au niveau de la Fédération. Je vous citerais Nzila Zoulou, Amis 6, le Port autonome de Pointe-Noire et bien d'autres. La popularité vient du fait que nous nous sommes appropriées cette discipline, au départ, étant un jeu que toute jeune fille a eu à jouer dans son cursus scolaire. » Quant à Antoine Mvou, amoureux du sport, il lui prête longue vie : « Le problème du nzango c'était la naissance, mais la vie du nzango restera éternelle. Avant nous, il y en a eu, maintenant, il y a et après nous, il y en aura ». Au Congo, seules les femmes jouent au nzango. À lire aussiCongo-Brazzaville: «La rumba congolaise, les héroïnes», au Festival panafricain de musique
Le Dambe, sport traditionnel le plus ancien au Nigeria, est aussi le plus populaire. Cet art martial mêle musique, rite animiste, et se rapproche de la lutte et de la boxe. Malgré de nombreuses variantes, sa forme originelle a été développée dans les communautés haoussa au Xe siècle, selon des chercheurs. RFI s'est rendu à Kano pour se rendre compte du phénomène Dambe qui génère des millions de vues sur les réseaux sociaux et qui provoque une passion folle aussi bien au Nigeria, qu'au Niger ou au Tchad. De notre envoyé spécial à Kano, Les coups pleuvent entre ces deux combattants de Dambe, deux jeunes colosses dont le bras droit est enveloppé par un bandage du coude jusqu'au poing, et la main gauche, paume ouverte, sert de garde. Sifflet à la bouche et chemise jaune fluo, l'arbitre Abdullahi Sanisa reste placide malgré la violence des coups. « Nous accordons aux boxeurs autant de temps nécessaires pour combattre. En tant qu'arbitres, nous ajustons la durée du match en fonction de la dureté des coups donnés et reçus. Avant que les combattants se reposent entre chaque round », explique-t-il. À base de coups de poing, mais aussi de pied, le combat en quatre rounds cesse s'il n'y a plus d'activité, quand l'un des participants ou un officiel demande l'arrêt du combat. Ou bien si la main, le genou ou le corps d'un participant touche le sol. Dogon Kallyu est une star du Dambe à Kano. Même sans combattre, cet athlète à la taille enserrée par des amulettes déclenche l'hystérie du public de cette arène. « Je combats au Dambe pendant environ un mois, puis je me repose durant six mois avant de reprendre le combat afin de maximiser ma force. Nous utilisons des fétiches dans ce combat de Dambe. Tous les moyens sont bons pour réussir et gagner », confie-t-il. Le Dambe remonterait au Xe siècle, sous forme de combat rituel, au nord du Nigeria avant de se répandre au Niger et au Tchad. Au départ, pratiqué lors des fêtes des moissons, cet art martial est devenu un sport plus organisé dont les meilleurs éléments peuvent gagner jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros. Le promoteur Muhammad Bashir Sarki anime, micro en main depuis près de dix ans, une compétition de Dambe très suivie en ligne. « Nous enregistrons généralement environ un million de vues en 24 heures et au moins 5 000 personnes se déplacent pour assister aux combats. Au Nigeria, chaque État organise le Dambe », détaille-t-il. Le Dambe sera-t-il présent un jour aux Jeux olympiques ? C'est le rêve fou que caresse Muhammad Bashir Sarki, et des millions de fans au Nigeria. À lire aussiCAN féminine 2025: le Nigeria renverse le Maroc et remporte le dixième titre de son histoire