Nos correspondants et envoyés spéciaux sur le continent africain vous proposent chaque jour en deux minutes une photographie sonore d'un événement d'actualité ou de la vie de tous les jours. Ils vous emmènent dans les quartiers ou dans les campagnes pour vous faire découvrir l'Afrique au jour le jo…
Le Dambe, sport traditionnel le plus ancien au Nigeria, est aussi le plus populaire. Cet art martial mêle musique, rite animiste, et se rapproche de la lutte et de la boxe. Malgré de nombreuses variantes, sa forme originelle a été développée dans les communautés haoussa au Xe siècle, selon des chercheurs. RFI s'est rendu à Kano pour se rendre compte du phénomène Dambe qui génère des millions de vues sur les réseaux sociaux et qui provoque une passion folle aussi bien au Nigeria, qu'au Niger ou au Tchad. De notre envoyé spécial à Kano, Les coups pleuvent entre ces deux combattants de Dambe, deux jeunes colosses dont le bras droit est enveloppé par un bandage du coude jusqu'au poing, et la main gauche, paume ouverte, sert de garde. Sifflet à la bouche et chemise jaune fluo, l'arbitre Abdullahi Sanisa reste placide malgré la violence des coups. « Nous accordons aux boxeurs autant de temps nécessaires pour combattre. En tant qu'arbitres, nous ajustons la durée du match en fonction de la dureté des coups donnés et reçus. Avant que les combattants se reposent entre chaque round », explique-t-il. À base de coups de poing, mais aussi de pied, le combat en quatre rounds cesse s'il n'y a plus d'activité, quand l'un des participants ou un officiel demande l'arrêt du combat. Ou bien si la main, le genou ou le corps d'un participant touche le sol. Dogon Kallyu est une star du Dambe à Kano. Même sans combattre, cet athlète à la taille enserrée par des amulettes déclenche l'hystérie du public de cette arène. « Je combats au Dambe pendant environ un mois, puis je me repose durant six mois avant de reprendre le combat afin de maximiser ma force. Nous utilisons des fétiches dans ce combat de Dambe. Tous les moyens sont bons pour réussir et gagner », confie-t-il. Le Dambe remonterait au Xe siècle, sous forme de combat rituel, au nord du Nigeria avant de se répandre au Niger et au Tchad. Au départ, pratiqué lors des fêtes des moissons, cet art martial est devenu un sport plus organisé dont les meilleurs éléments peuvent gagner jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros. Le promoteur Muhammad Bashir Sarki anime, micro en main depuis près de dix ans, une compétition de Dambe très suivie en ligne. « Nous enregistrons généralement environ un million de vues en 24 heures et au moins 5 000 personnes se déplacent pour assister aux combats. Au Nigeria, chaque État organise le Dambe », détaille-t-il. Le Dambe sera-t-il présent un jour aux Jeux olympiques ? C'est le rêve fou que caresse Muhammad Bashir Sarki, et des millions de fans au Nigeria. À lire aussiCAN féminine 2025: le Nigeria renverse le Maroc et remporte le dixième titre de son histoire
Suite de la série qui vous emmène à la découverte des sports traditionnels sur le continent africain. Pour ce septième épisode, RFI vous emmène en République démocratique du Congo, où le catch est un sport populaire agrémenté de pratiques mystiques vaudous. De notre correspondante à Kinshasa, En RDC, le catch, c'est toute une histoire. De la lutte classique, on est passé, dans les années 1980, au catch avec comme particularité le caractère spectaculaire, mystique et exhibitionniste des catcheurs. Une formule qui a fait recette et remplie des stades du pays pendant plusieurs années. Coiffée d'une crête, visage recouvert de talc ou encore canne en main imprégnée de « pouvoirs mystiques », chaque catcheur choisit son style pour se démarquer des autres ou pour marquer son territoire. Le spectacle, c'est la particularité du catch congolais. Ici, la technique n'assure pas forcément la victoire. Le fétiche et les gris-gris jouent aussi leur rôle. « On ne peut pas faire de catch sans fétiches. Le catch a ses réalités. On a compris qu'une fois catcheur, on doit avoir quelque chose », raconte Ilunga Puma, alias Le Zulu. « Je me bats souvent avec mes voisins pour mesurer leur force. Mon coup de grâce, à moi, c'est une gifle mélangée au gri-gri. Je sais comment l'utiliser pour gagner », ajoute Rambo. Comment le catch classique a-t-il basculé au catch traditionnel ? Bertelemy Okito, ancien secrétaire général aux sports, a assisté à la genèse de cette version de la discipline : « On a inventé cette histoire de fétiche pour donner de l'ambiance au catch. Cela s'appelait toujours catch à l'époque. Il n'y avait pas deux sections. Quand nous avons en 2011 promulgué la loi sportive, on a mis deux types de catch. Le catch classique et le catch congolais. » Edingwe dit Moto na Ngenge, considéré comme père du catch traditionnel avec fétiche, a de son vivant régné et terrorisé tous ses adversaires avant de tomber sur Le Zulu, catcheur évoluant à Mbujimayi. « J'ai toujours utilisé beaucoup de clé. Je l'avais coincé avec une clé et c'était terminé. On avait compté jusqu'à trois et il avait perdu le combat », raconte Ilunga Puma. Avec la mort d'Edingwe, le catch a perdu sa figure la plus connue en RDC. Aujourd'hui, faute de producteurs, les spectacles se font de plus en plus rares. À lire aussiFootball: Dieumerci Mbokani, légende de la RD Congo, prend sa retraite
En Centrafrique, la course de pirogues est un sport sacré chez les riverains, pratiqué en grande pompe dans les quartiers et villages situés au bord de la rivière Oubangui, au sud-ouest de la capitale Bangui. La course de pirogues permet généralement aux différentes communautés de se confronter pacifiquement sur l'eau. Chaque année, une compétition est organisée sur la rivière Oubangui pour commémorer le 1er décembre, la fête nationale du pays. De notre envoyé spécial à Modalé, Au village de Modalé, à 30 km de la capitale de Centrafrique, dans la Lobaye, le chef organise de temps en temps des courses pour sélectionner les meilleurs piroguiers en vue de représenter le village. Aux abords du quai de Lakéré, 10 pirogues en bois sont sur la ligne de départ. Chaque embarcation est composée de 12 rameurs, dont trois remplaçants. Les équipes n'ont pas de gilets de sauvetage, mais se distinguent par leur maillot. Quand le top est donné, les pirogues s'élancent à vive allure, cadencées par des coups de pagaies. « La course de pirogue représente notre identité remarquable. Notre village a déjà enregistré 15 victoires aux compétitions nationales. Nous sommes nés et avons grandi au bord de l'eau. C'est pour dire que la course relève de notre domaine. Cette course locale est importante afin de préparer notre équipe aux compétitions à venir. Nous nous préparons depuis trois mois », explique avec enthousiasme Constant Charbardo, l'un des organisateurs. Les équipes doivent parcourir 500 mètres avant d'arriver au point de départ où les vainqueurs seront distingués. La compétition se déroule sous les regards attentifs d'une centaine de spectateurs curieux. Manuella Tondo est l'une d'entre eux. « La course de pirogue, c'est un vrai moment de bonheur et de partage. Il faut être là pour savourer ce qui se passe. Cela me donne aussi envie de participer. Regardez vous-même comment les gens sont mobilisés. C'est une source de cohésion, car presque tous les habitants du village sont là », se réjouit-elle. Les piroguiers sont encouragés par moult chants et acclamations. Finalement, c'est l'équipe des Martyrs de Modalé qui a remporté la manche. Âgée d'une trentaine d'années, Malcom Dagbia, l'un des piroguiers, mesure 1,95 mètre. Ses coéquipiers le surnomment Goliath. « À la base, je suis un pêcheur et c'est ce qui fait ma force. Les mots me manquent pour décrire ce que je ressens. Cette victoire représente le fruit de notre dur labeur. C'est un sport très technique et physique. On s'est bien entraîné et chacun de nous est conscient de son rôle », déclare-t-il, ému et encore essoufflé. Dans ce village, la plupart des piroguiers sont des pêcheurs. Bien que son équipe occupe la dernière place, Hector Nadji est sûr d'être sélectionné : « On fait cette course pour la fierté de notre village. Je félicite les équipes qui ont occupé les meilleures places, elles ont fait un bon départ. J'ai une équipe jeune et la plupart ne savent pas encore bien nager, c'est pourquoi elles ont ramé avec prudence. Mais ces jeunes représentent l'avenir de notre village. Je suis un guerrier, j'espère que les organisateurs vont me sélectionner. » Selon la direction des sports traditionnels, une fédération dédiée aux courses de pirogues sera créée cette année pour permettre à la Centrafrique de participer aux compétitions internationales. À lire aussiSports traditionnels: le festival Êlê, plus qu'une course de pirogues en Côte d'Ivoire [3/10]
Au Soudan du Sud, la lutte est de loin le sport le plus populaire du pays, loin devant le foot ou le basket. Un sport ancestral, qui permet aux communautés de se réunir et d'apaiser leurs relations. Nous sommes allés dans l'un des hauts lieux de la lutte sud-soudanaise, l'une des régions qui produit de véritables champions redoutés dans le pays : le Jonglei. À Bor, la capitale régionale, les lutteurs confirmés entraînent les lutteurs en formation trois fois par semaine. De notre envoyée spéciale à Bor, Florence Miettaux Baignée de la lumière chaude et rasante de fin d'après-midi, une foule s'est formée autour de dizaines d'hommes vêtus de jellaba aux motifs floraux qui dansent et chantent au rythme des percussions traditionnelles. Atem Duot Atem, un habitant de Bor, est venu assister au spectacle : « Ces jeunes sont issus de différents villages autour de Bor et ont différentes activités en dehors de la lutte. Certains sont étudiants, d'autres sont gardiens de troupeaux ou encore commerçants. Leurs chants parlent de la lutte et sont une façon de montrer leur force et l'unité de leur groupe. La lutte favorise la paix entre les communautés, car elle rassemble des jeunes de différents clans ». « Nés avec la lutte dans la peau » Les danses et les chants répétés en cercle sont la première partie de l'échauffement. Les lutteurs ponctuent leurs danses en croisant leurs bâtons en bois sculpté comme des épées. Certains arborent une grande plume dans leurs cheveux, d'autres se sont décorés les bras et le visage de motifs dessinés à l'aide de cendre. Guguei Mamer Kuei, 25 ans, étudie les techniques de laboratoire à l'université John Garang à Bor. Mais sa passion, c'est la lutte : « Si je gagne aujourd'hui, ma famille et ma communauté vont être très contentes ! Car dans notre société, nous nous mesurons les uns aux autres. Donc, si vous gagnez aujourd'hui, ce sera au tour de votre communauté d'être célébrée. Ils vont célébrer votre victoire et cette joie permet de maintenir une bonne santé mentale. Nous sommes nés avec la lutte dans la peau. Très jeunes, comme ces gamins là-bas, vous commencez à pratiquer jusqu'à avoir assez de force pour pouvoir progresser ». Une transmission entre générations L'un des dix meilleurs lutteurs de Bor, Bior Machar, 26 ans, est pleinement conscient de la transmission de ce sport entre générations : « Vous commencez à un très jeune âge, à partir d'environ 7 ans, et vous pratiquez jusqu'à 25 ou 30 ans, car vous arrêtez la lutte une fois que vous vous mariez. C'est alors au tour des jeunes lutteurs de monter en puissance, car ce n'est pas nous qui avons inventé la lutte, c'est un sport qui existait déjà avant notre naissance. Il faut donc la transmettre. Mes propres petits-enfants continueront cette tradition. Car c'est notre patrimoine, nous ne pouvons pas l'abandonner. Maintenant, je vais danser. Allons danser ensemble ! » Les lutteurs de Bor espèrent voir leur sport se professionnaliser à l'avenir. Afin de pouvoir prendre part à des compétitions internationales et se frotter en particulier aux lutteurs du Sénégal. À lire aussiSports traditionnels: le morengy, le sport de combat qui fait vibrer Madagascar [4/10]
C'est un sport de combat traditionnel malgache qui fait vibrer villes et villages du grand nord de l'île chaque dimanche. Le morengy, c'est son nom, serait apparu dès le XVIIᵉ siècle, sur la côte ouest de Madagascar. Un sport de frappe et de force brute hérité de rites initiatiques, où les combattants, sortes de gladiateurs des temps modernes, jouent leur honneur... et leur salaire à chaque apparition. Ici, pas de gagnant officiel : le public est maître, la victoire se joue à coups de cris et d'applaudimètre. Coup de projecteur sur cette pratique en mal de reconnaissance. Pieds nus, vêtus d'un simple short, torses enduits de vaseline et mains simplement bandées, deux combattants s'affrontent au centre de l'arène en terre battue. Autour d'eux, une foule en délire hurle, boit, mâche du khat et danse, sur les rythmes effrénés de Salegy diffusés par une sono aux décibels saturés. Au bord de la piste, Omar Bongo, 31 ans, s'apprête à en découdre. Visage constellé de cicatrices, biceps saillants parés de gris-gris, la star de Diego Suarez, capitale du morengy, raconte comment elle s'est fait happer par ce sport il y a une décennie. « Avant, je pratiquais la boxe anglaise. Mais ça ne rapportait pas assez d'argent, alors que dans le morengy, il y a de gros contrats. Parfois, je peux gagner jusqu'à un million d'ariary (200€) par combat. Dans ma vie, j'aime bien le morengy parce qu'il y a de l'argent à se faire. Et ça me permet de faire vivre ma famille. » Une pratique qui ne fait pas l'unanimité S'il est interdit de frapper son adversaire à terre, tous les coups sont permis ou presque, faisant du morengy un sport décrié dans certaines zones de l'île où il n'est pas pratiqué. Mais pour Thierry Saidani, le maître d'Omar Bongo, il est temps de faire évoluer les mentalités : « On a toujours classifié et qualifié le morengy comme un sport de sauvages alors que c'est un sport de respect. C'est un sport d'humilité, une tradition ancestrale malgache. Il faut qu'il soit hissé au rang de sport national ». À plus de 1 000 kilomètres de là, dans la capitale, Max, 28 ans, semble comme électrisé, seul sur son écran de téléphone. « Allez, allez, vas-y, vas-y, allez, fonce ! Double bolo, ne recule pas ! Tu es courageux ! » Chaque fin de semaine, c'est le même rituel pour cet originaire du nord, fan de morengy. « Qu'importe ce que ça doit me coûter en termes de crédits data, je regarde tous les dimanches soir sur mon téléphone les plus beaux combats du jour dans l'île, parce que j'aime trop ce sport. Ça me donne l'impression d'être là-bas... Ce que j'adore par-dessus tout, c'est quand les combattants s'affrontent poings contre poings, qu'ils ne fuient pas malgré les coups... Le morengy, c'est pratiqué au nord, c'est vrai. Mais dans n'importe quelle région, vous trouverez du public qui dépense son argent pour regarder les combats ! Il est temps que ce sport rende célèbre Madagascar ! » Un sport traditionnel malagasy, que beaucoup aimeraient professionnaliser pour mieux faire reconnaître l'île... à l'image de la lutte sénégalaise. À lire aussiSports traditionnels: le festival Êlê, plus qu'une course de pirogues en Côte d'Ivoire [3/10]
Tous les ans, des dizaines d'équipes convergent à Adiaké, à 100 km d'Abidjan, dans le sud-est de la Côte d'Ivoire. Objectif : devenir les champions lors du festival Êlê, une compétition disputée sur la lagune Aby juste avant la saison des pluies. Plus qu'un sport, c'est une question de fierté villageoise pour les participants. De notre envoyé spécial à Adiaké, Huit pirogues turquoise s'élancent. À grands coups de pagaie, les équipages fendent l'eau. Leur but : terminer premier à l'issue de deux allers-retours, 1 200 mètres. Une course en ligne d'aviron, en beaucoup plus physique. Au bout, les Anges de Kakoukro s'imposent. Les cinq rameurs en maillot orange s'écroulent sur le rivage. Eric le capitaine est aussi heureux qu'à bout de souffle. « Ce n'est pas un jeu. C'est un très bon sport. Cela fait du bien, c'est un niveau sportif comme le foot, c'est aussi bon, j'aime cela », confie-t-il, en reprenant haleine. Il y a de quoi. En Côte d'Ivoire, les courses d'Adiaké attirent jusqu'à 20 000 spectateurs pour les finales. Ce succès populaire prend ses racines chez les Agnis. « C'est une vieille tradition. Elle intervient au moment de l'année où on arrête la pêche pour pouvoir permettre aux poissons de se reproduire. Pour ne pas laisser les pêcheurs oisifs, on organise des courses de pirogue. Cela permet de resserrer les liens entre les différents villages et nous permet également de régler les problèmes des différentes communautés », explique Tahi Kassi, l'un des chefs de cette communauté de pêcheurs. La course de pirogue représente plus que du sport pour les concurrents. Une question d'orgueil, notamment pour Tahi Kassi : « C'est un honneur, parce que traditionnellement les villages sont célébrés pendant toute une année jusqu'à la prochaine trêve. » « Cette année, on doit rentrer à la mairie de Grand-Bassam avec le trophée. C'est très important, car on a fait un long voyage [60 kilomètres, NDLR] pour venir à Adiaké. Ce n'est pas la ville d'Adiaké qui nous plaît, ce n'est pas la lagune qui nous plaît, nous sommes venus ici pour prendre le trophée. Cela va changer beaucoup de choses, cela va nous donner l'honneur », témoigne Joël, marin. Lui et son équipe sont venus de Bassam pour gagner. Pour l'emporter, certains s'entraînent donc toute l'année. Mais plus que la compétition, c'est surtout une identité qui est préservée pour Tahi Kassi : « Cela redonne de la vigueur à la culture. C'est très important pour la communauté Agni. » Cette année, le trophée est revenu aux Anges de Kakoukro pour la sixième fois. Les terreurs de la lagune Aby sont champions jusqu'à la prochaine édition du festival Êlé. À lire aussiAfrobasket féminine 2025: avec le retour de Kariata Diaby, la Côte d'Ivoire rêve plus grand
On poursuit notre série dédiée aux sports traditionnels. On part aujourd'hui pour le Maroc, où une pratique très ancienne continue de déplacer les foules : la tbourida, appelée en français la fantasia. Chevauchant des montures richement harnachées, des cavaliers tout aussi élégants simulent une charge militaire. Elle se termine en apothéose par un tir coordonné de fusils à poudre noire. Des concours de fantasia sont toujours organisés au Maroc pour désigner les meilleures troupes du royaume. L'un d'entre eux s'est tenu récemment à Bouznika, à 40 kilomètres de Rabat. De notre envoyé spécial à Bouznika, Des gradins ont été montés le long d'une piste en terre. C'est là que les troupes de fantasia vont s'affronter à tour de rôle. Bouchta, 65 ans, a fait plus de 300 kilomètres pour assister à cette compétition de tbourida, ainsi qu'on appelle ce sport en dialecte marocain. « C'est devenu un sport très populaire, un spectacle aimé de tous. Normalement, même pour un match de foot, il n'y a pas tout ce public », raconte-t-il. Chapeaux de cowboy ou, plus traditionnels, chapeaux en paille tressée, des personnes de tout âge et de tout milieu social assistent à ces concours où règne une ambiance de fête. « Dans chaque mariage, on amenait des chevaux avant. S'il n'y en avait pas, les gens étaient tout simplement moins nombreux à venir. La tbourida, c'est la colonne vertébrale de chaque grande occasion, comme les circoncisions, les fêtes religieuses », détaille Bouchta. Le coup d'envoi de la compétition est donné. Un premier passage conclu par les premiers tirs de fusils à poudre noire. La détonation fait vibrer les corps. La fantasia est un spectacle très codifié. Les gestes des cavaliers doivent être synchrones. Chaque passage est évalué par un jury installé en bout de piste. « Quoi qu'il arrive, tu ne peux pas t'arrêter. C'est une addiction. Tu ressens beaucoup de choses pendant ces concours de tbourida, de la fierté pour toi-même, pour la troupe. C'est un sentiment indescriptible. Mais il y a toujours de la peur, ça, c'est nécessaire. Quand tu pars à la guerre, il y a forcément de la peur et du stress », confie Simohammed, qui pratique ce sport depuis qu'il a sept ans. Il en a 40 aujourd'hui. Mais la fantasia, selon ce dernier, c'est aussi beaucoup d'amour : « Chez les gens passionnés de tbourida, la relation avec le cheval est plus importante encore que la relation qu'ils entretiennent avec leurs enfants. Ils doivent passer du temps avec leur animal, faire son entretien. C'est une relation divine… » Les cavaliers ne font ça que pour la beauté du geste. On ne gagne pas encore sa vie, au Maroc, grâce à la tbourida. À lire aussiMort du footballeur Ahmed Faras, ex-capitaine et légende du Maroc
En Ouganda, un nouveau type de catch local gagne en popularité ces dernières années, devenant même une sensation virale sur internet. Le catch ou lutte, non pas dans une salle, sur des mousses de protection ou une toile, mais dans un ring de terre et de boue. Une discipline et un sport développés au niveau local, le « soft ground wrestling » (« lutte sur sol mou »). Reportage dans le centre d'entraînement à Mukono, à une vingtaine de kilomètres à l'est de Kampala. De notre envoyée spéciale à Mukono, Quelques centaines de spectateurs sont autour d'un ring de boue installé au milieu d'un champ. La présentatrice annonce les premiers combattants. Parmi eux, George Wamala, 23 ans. Son nom de scène : « Bullet » (« balle » en anglais). « On s'entraîne tout le temps : des pompes, des squats, pour avoir la force de soulever nos adversaires. On s'entraîne aussi pour la sécurité, pour apprendre comment rouler ou comment exécuter les mouvements sans blesser l'adversaire », confie « Bullet ». Prises aériennes depuis la corde ou le coin du ring, sauts périlleux, projections, etc. Sous les cris du public, en quelques instants, les catcheurs sont recouverts de la terre abondamment arrosée avant le début du match. « Être dans la boue, ça nous donne encore plus d'énergie. C'est incroyable de commencer en étant tout propre sur soi et de finir par ne faire qu'un avec cette boue. Cela montre qu'on a apprécié à la fois le match, mais aussi notre terre », explique Justin Omadi, le « Géant de l'Est », est l'un des principaux combattants du centre d'entraînement. Le « soft ground wrestling » est un sport, mais aussi un spectacle de plus en plus populaire en Ouganda et ailleurs, avec plusieurs centaines de milliers d'abonnés sur les réseaux sociaux et plusieurs millions de vues cumulées. Un engouement partagé par les combattants. « On vient de cette terre (boue), et on s'entraîne sur cette terre. C'est pour ça que j'adore ce sport, et c'est aussi en même temps une promotion de notre pays. Il y a une réponse positive qui nous donne de la force, parce qu'à chaque fois que je rentre dans le ring, j'entends le public crier. Et ça nous rappelle que cette boue n'est pas juste dédiée à la culture, mais qu'il y a tellement d'autres choses qu'on peut développer grâce à cette terre », estime le « Géant de l'Est ». Un catch ougandais porté par le fondateur et directeur du centre d'entraînement, Daniel Bumba, ancien traducteur en luganda des championnats de catchs américains. « Nous croyons que le catch va conquérir l'Ouganda dans les prochaines années. Les Ougandais adorent ça parce qu'avant tout, c'est très divertissant, et ça ne trahit pas leur culture et leurs valeurs. Nous utilisons simplement ce que nous avons ici, et ils croient en nous pour devenir les principaux catcheurs de toute l'Afrique. Et nous conserverons notre boue, car c'est notre identité », affirme-t-il. À chaque match, des équipes de cameramen capturent les combats les plus impressionnants pour exporter ce catch à l'ougandaise qui a reçu la visite de Mason Madden de plusieurs catcheurs professionnels américains. À lire aussiDe la lutte au MMA, la nouvelle aventure de Zarco, star de la lutte sénégalaise
Suite et fin de notre série consacrée aux objets de pouvoir du continent. Le dernier épisode ce matin nous emmène au Ghana, premier pays d'Afrique subsaharienne à avoir déclaré son indépendance, en 1957. À sa tête à l'époque : le premier président Kwame Nkrumah, figure du panafricanisme. Il s'est servi du Kente, le pagne traditionnel ghanéen, afin d'envoyer au monde entier un message d'unité, d'indépendance et de liberté du continent africain. De notre correspondant à Accra, Sur le cliché en noir et blanc disposé dans la bibliothèque de Samia Nkrumah, deux hommes sourient à l'objectif : son père, Osagyefo Kwame Nkrumah, premier président du Ghana, et Ahmed Sékou Touré, son ami et homologue guinéen. Quand ce dernier arbore sur la photo veste de costume, chemise et cravate, Kwame Nkrumah, lui, porte le Kente, un des pagnes tissés traditionnel ghanéen. Pour Samia Nkrumah, le Kente porté par son père revêtait aussi une signification éminemment politique, à destination de ses homologues occidentaux. Un message anticolonialiste, assumé à même le corps par le biais du pagne tissé que Kwame Nkrumah portait lors de ses déplacements internationaux. « C'est parce qu'il pensait qu'il n'y avait rien de plus important que de se montrer avec. Cela dit au monde qui nous sommes, notre style, nos systèmes de connaissances autochtones, notre terre, détaille la fille du premier président ghanéen. C'était naturel pour nous de porter le Kente lors de certaines occasions. Mais le porter en dehors du Ghana, dans ces arènes internationales, c'était presque révolutionnaire, radical. Ainsi, il prenait position : l'Afrique indépendante est en train de se soulever, et que nous souhaitons faire des partenariats sur un pied d'égalité, à armes égales. » À lire aussiKwame Nkrumah: le vrai panafricanisme se vit Porté au Ghana depuis au moins quatre siècles, le Kente est un tissu chargé de sens. Alors, pour sa première venue au siège des Nations unies en 1960, Kwame Nkrumah a décidé d'emmener avec lui un Kente nommé « Tikro Nnko Adjina », que l'on peut traduire par « deux cerveaux valent toujours mieux qu'un seul ». Un pagne bleu aux motifs dorés, rouges et verts, dont la confection a été confié au maître tisserand Andrew Asare. Une fierté racontée aujourd'hui par son fils, Kwasi Asare : « Le Kente est un habit si puissant. Celui qu'Osagyefo Kwame Nkrumah a présenté portait ce message : l'indépendance du Ghana ne signifie rien sans l'indépendance de tout le continent africain, d'où cette signification "deux têtes valent mieux qu'une". D'une certaine manière, il cherchait également à dire que par l'ONU, tous les États doivent s'unir pour ne faire plus qu'un. » Un message sous forme de Kente, qui est resté exposé pendant plusieurs décennies dans le hall du siège de l'ONU, aux yeux du monde entier. À lire aussiGhana: l'héritage politique de Kwame Nkrumah source de débat au Parlement
Un chasse-mouches en queue de lion devenu l'un des symboles les plus marquants du pouvoir de Kamuzu Banda. Médecin formé en Occident, le père de l'indépendance du Malawi cultivait pourtant l'image d'un chef profondément enraciné dans les traditions locales. Un nationaliste culturel assumé, qui n'apparaissait jamais sans cet accessoire singulier - à la fois outil cérémoniel, signe d'autorité et instrument de mise en scène politique. Il le brandissait partout. Lors des cérémonies officielles, des rassemblements politiques, ou même à sa descente d'avion… Le fouet à queue de lion ne quittait jamais Hastings Kamuzu Banda. À l'image de son costume trois-pièces à l'anglaise ou de son chapeau homburg, porté à la manière d'un Winston Churchill, cet accessoire faisait partie intégrante de sa silhouette présidentielle. Le chercheur Chikondi Chidzanja de l'université de Stellenbosch s'en souvient : « Lorsqu'il se rendait au palais, il était dans une voiture décapotable et agitait son fouet à queue de lion. Pour nous, enfants des écoles, c'était un moment d'excitation. On répétait : “Aujourd'hui, on va voir Kamuzu Banda !” » Mais ce n'était pas un geste improvisé, souligne l'historien John Lwanda : « La main droite partait vers la gauche, puis vers le haut, puis vers la droite… Ce n'était pas un geste lancé au hasard, comme tu ferais lors d'un match de foot ». Le fouet servait aussi à projeter l'image d'un libérateur, explique Chrispin Mphande, enseignant à l'université de Mzuzu : « On l'appelait le Lion du Malawi. Certains allaient jusqu'à le voir comme un Messie, surtout après sa nomination à vie dans les années 1970. Le fouet symbolisait ce pouvoir : celui de l'homme qui a vaincu le colon et libéré le pays ». À lire aussiOù en est le Malawi 60 ans après son indépendance? Un symbole de pouvoir, mais aussi d'identité. Formé aux États-Unis et au Royaume-Uni, Kamuzu Banda voulait paraître comme un dirigeant enraciné dans les traditions africaines. Chikondi Chidzanja : « Kamuzu, il avait étudié en Occident, mais pour ne pas être perçu comme un étranger, il devait aussi incarner l'Africain. Alors le fouet est devenu le symbole de cet ancrage culturel ». Dès 1962, l'objet apparaît dans ses mains. Il lui aurait été offert par un autre père de l'indépendance, le Kényan Jomo Kenyatta. Mais sous le régime à parti unique de Kamuzu Banda, nul n'était autorisé à le porter, sauf lui. John Lwanda : « On ne pouvait pas se promener avec un fouet en disant qu'on était guérisseur. On se faisait arrêter ». Aujourd'hui encore, l'objet fascine. Il en aurait existé plusieurs : en poils de buffle, de lion ou de cheval... Mais la dernière version est bien connue, affirme l'historien John Lwanda : « Le dernier fouet était une vraie queue de lion, avec un manche en ivoire ». Cette version a été confiée à l'université de médecine qu'il a fondée, la Kamuzu University of Health Sciences. Elle est encore utilisée lors des remises de diplômes. Un enseignant la passe au-dessus des têtes des jeunes médecins, comme pour balayer l'ignorance, et consacrer leur entrée dans le savoir. Une manière de prolonger, dans le rituel universitaire, la portée symbolique d'un objet devenu emblème du pouvoir.
Aujourd'hui, intéressons-nous au bonnet d'Amilcar Cabral. Le dirigeant indépendantiste, originaire du Cap-Vert, qui a mené la lutte pour l'indépendance dans le maquis de la Guinée-Bissau, est connu pour cette coiffe qu'il portait très souvent. Ce qui est moins connu, c'est que ce bonnet portait un message essentiel pour la lutte du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), et qu'il a servi à abriter des protections magiques. C'est devenu une image iconique. Le célèbre indépendantiste Bissau-Guinéen Amilcar Cabral coiffé de son bonnet « Suwiya » aux motifs caractéristiques. Ce bonnet, selon la tradition du mouvement indépendantiste de Cabral, le PAIGC, lui a été remis par Toumani Seidi, un paysan de Morès, dans le nord de la Guinée-Bissau. Le chef indépendantiste l'a alors adopté pour ressembler à un mandingue de la région de Oio. Avec un objectif bien précis : faire oublier ses origines capverdiennes, rallier à lui les populations rurales... Comme le raconte le fils de Toumani Seidi, Keba Seidi : « Cabral fut obligé de porter le bonnet, car à cette époque de la mobilisation pour la lutte armée, les gens étaient très réticents. Ils considéraient Cabral comme un Portugais. Et mon père, Toumani Seidi, avait peu d'arguments pour convaincre sa communauté. Il a donc trouvé une astuce : habiller Cabral comme un mandingue, en lui faisant porter un bonnet. C'est d'ailleurs son propre bonnet qu'il a remis à Cabral. "Pour convaincre ma communauté, lui a-t-il dit, je te ferai porter ce bonnet de laine". Ainsi, tu seras vu comme un pur Guinéen, car on n'a jamais vu un Blanc porter un bonnet, encore moins un capverdien, pendant 500 ans de présence coloniale. Qui dirait que Cabral n'est pas un pur Guinéen en voyant un bonnet solidement vissé sur sa tête ? » À écouter aussiAmilcar Cabral et Maria Helena, de l'intime au politique Le bonnet est également devenu au fil de la lutte le réceptacle de protections mystiques. Mario Sissoco, historien et responsable des archives du PAIGC : « À l'issue de la majorité, il avait introduit un petit grigri dans le bonnet. C'est le bonnet, avec ce contenu, qui le préservait de toute trahison, de tout complot, des balles de l'ennemi. Il était invulnérable ». Mario Sissoco rappelle que le soir de son assassinat, le 20 janvier 1973 à Conakry, Amilcar Cabral était allé à une réception diplomatique et ne portait donc pas le bonnet. Y a-t-il par ailleurs un lien entre la coiffe de Cabral et le soutien que la République Tchèque apportait à l'époque à la lutte du PAIGC ? Deux faits sont troublants. Un bonnet traditionnel tchécoslovaque qui porte le nom de Smiovka ressemble fort à celui de Cabral… Par ailleurs, la documentariste Violette Deffontaines, qui enquête sur cette histoire, a retrouvé des archives mentionnant l'envoi par Prague de bonnets aux maquis du PAIGC. VidéoQue reste-t-il de l'héritage de Amílcar Cabral ? ► Webdocumentaire : des documents exceptionnels sur le leader anticolonial Amilcar Cabral
Notre série sur les objets du pouvoir fait escale aujourd'hui en Éthiopie. Durant plusieurs siècles, un objet a accompagné systématiquement les souverains du pays alors en déplacement avec les membres de la Cour : l'ombrelle. En quoi cet objet, qui sert d'abord à se protéger du soleil, est-il plus politique qu'il n'y paraît ? Alula Pankhurst sélectionne deux ouvrages de sa bibliothèque personnelle. En feuilletant les pages du premier livre, l'historien tombe sur une photo de l'empereur Ménélik II. Le souverain, qui a régné sur l'Éthiopie de 1889 à 1913, se déplace à dos de mule, entouré de sa cour, et est protégé du soleil par une ombrelle, qu'un de ses sujets tient pour lui. Alula Pankhurst explique comment cet objet a permis aux souverains éthiopiens d'asseoir leur pouvoir : « L'ombrelle fait partie de tous les objets sacrés. Tous ces objets sont une façon pour la royauté d'exprimer leur pouvoir non seulement dans le contexte national, mais aussi lorsqu'il y a des ambassadeurs qui viennent de l'étranger, des voyageurs. Donc, ils les reçoivent dans le contexte où le fait qu'ils soient souvent à l'extérieur et au soleil, avec des ombrelles, tandis que les personnes qui viennent ne le sont pas, déjà ça créé une certaine relation de pouvoir. » Ahmed Hassen Omer, historien lui aussi, confirme, photo de Ménélik II à la main : l'ombrelle est un attribut royal qui distingue l'empereur de ses sujets : « Il n'y a pas de Cour royale en Éthiopie sans grand parapluie. Même s'il n'y a pas de soleil, on regarde le roi ou l'empereur avec son parapluie. S'il y a des cérémonies locales, c'est toujours le symbole du pouvoir. Lui, il est au milieu avec son grand parapluie. » Ahmed Hassen Omer fait aussi remarquer que la symbolique de l'ombrelle se retrouve dans l'iconographie de l'Église orthodoxe d'Éthiopie : « L'Église et le roi s'organisent pour diriger le pays. Donc, parapluie pour l'Église, parapluie pour le roi. » Dans sa bibliothèque, Alula Pankhurst confirme : « Les prêtres ont toujours des ombrelles, surtout lorsqu'ils sortent pour des processions. Et évidemment, c'est quelque chose qui démontre la différence entre eux et le reste non seulement du peuple, mais des nobles. » Haïlé Sélassié est le dernier à avoir utilisé l'ombrelle, jusqu'à sa chute en 1974.
À Dakar, la voiture présidentielle de Léopold Sédar Senghor est exposée dans un état impeccable, plus de 40 ans après la fin de son mandat. Symbole de pouvoir, de prestige et de protocole, cette Mercedes noire raconte, à sa manière, un pan de l'histoire politique du Sénégal. Dans la cour du musée des Forces armées, à Dakar, une Mercedes noire, encore rutilante, repose à l'ombre. C'est l'ancienne voiture officielle de Léopold Sédar Senghor. Tout y est encore fonctionnel. Monique Diouma Ndour est guide au musée. « Chaque matin, le chef de garage fait le tour, il nettoie, il vérifie que tout marche bien. » Les guides la connaissent par cœur. Parmi les trois véhicules d'anciens présidents exposés ici, c'est celle qui attire le plus de visiteurs : « Je peux regarder à l'intérieur ? On l'appelait la voiture aux rideaux rouges. » À l'intérieur, rien n'a bougé depuis le départ du premier président sénégalais en 1980 : velours rouge, boiseries cirées, petit téléviseur Panasonic, et une vitre rétractable pour séparer le chauffeur des passagers. Une vraie limousine d'apparat : « Le toit ouvrant, pour haranguer les foules. » Pour Senghor, ce choix d'un véhicule luxueux n'était pas anodin. Une grosse berline européenne, symbole de modernité et de puissance à l'époque. Abdou Ndong, également guide au musée : « C'était un véhicule de luxe. À l'époque, tout le monde n'avait pas ça. Mercedes, c'était une marque prestigieuse, une industrie de pointe. » Pourtant, selon les proches du président-poète, ce passionné de vélo était plutôt détaché des possessions matérielles. Pas vraiment amateur de voitures. Mais sur le terrain, cette Mercedes impressionnait. Jean-Pierre Langellier, journaliste et biographe de Senghor, se souvient d'une scène de campagne électorale en 1978, la première campagne multipartite du pays : « Je me souviens de Wade qui faisait campagne sous un arbre… Et puis Senghor arrive avec son cortège… c'était impressionnant. » Senghor avait opté pour une version semi-blindée, contrairement à ses successeurs dont Abdoulaye Wade qui choisiront des véhicules entièrement blindés en phase avec les exigences sécuritaires de l'époque. Aujourd'hui, les voitures de Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade sont exposées au musée, offertes en 2012 par Macky Sall.
Notre série sur les objets de pouvoir s'intéresse dans cet épisode à la soutane de l'abbé Fulbert Youlou, le premier président du Congo-Brazzaville indépendant. Homme d'Église, mis à l'écart par le Vatican pour son engagement politique et ses mœurs, il continuera cependant à porter la tenue religieuse. Suivant un calcul très politique. Fulbert Youlou a revêtu la soutane, parce qu'il a effectivement été prêtre. Mais l'usage qu'il en a fait ensuite, après avoir été interdit de célébrer la messe, est devenu éminemment politique. Au moment de son entrée en politique, au milieu des années cinquante, la soutane devient un vêtement de prestige, mais aussi, comme l'explique l'historien Jean-Pierre Bat, une façon de capter à son profit le vote de populations marquées par les mouvements messianiques et le souvenir des résistants à la colonisation. « Il va essayer de cristalliser sur sa soutane tout le capital magico-religieux. Il va donc lancer toute une campagne "Kiyunga-la Soutane". Il va y avoir, à l'initiative d'un de ses conseillers, M. Vincent, qui est un spécialiste de l'anti-communisme, une campagne photographique mettant en scène Fulbert Youlou. Il est en permanence revêtu de sa soutane noire, qui fait le lien entre tous ces espaces politiques », explique-t-il. À lire aussi1. Spéciale Archives d'Afrique - Fulbert Youlou (1/10) Des légendes miraculeuses se diffusent alors. L'une d'elles, selon l'historien congolais Joachim E. Goma-Thethet, a pour décor les chutes de la Loufoulakari, où le résistant kongo Boueta Mbongo avait été décapité par les colons : « La légende dit que l'abbé Fulbert Youlou, après s'être recueilli là, entre dans la Loufoulakari avec sa soutane et il en ressort complètement sec. Donc l'abbé Fulbert Youlou établit une filiation avec les anciens résistants anticoloniaux de la région du Pool ». Ce sont en fait de véritables pouvoirs magiques qui sont prêtés à cette soutane, comme le raconte le documentariste Hassim Tall Boukambou : « Le président Fulbert Youlou était censé tourner à l'intérieur du pays, emprunter le chemin de fer Congo-Océan, et pris par le temps, il n'a pas pu s'arrêter dans toutes les gares. Les populations de ces gares riveraines étaient persuadées que le train de Fulbert Youlou s'était envolé, tout simplement, avait survolé ces gares, et certaines personnes affirmaient à l'époque que le train avait été vu dans le ciel. Et tout cela grâce aux pouvoirs de Fulbert Youlou, incarnés notamment par sa soutane ». À lire aussiAu Congo avec Hassim Tall Boukambou, chasseur d'archives La signification politique que Fulbert Youlou attribue à sa soutane est d'ailleurs très fluide. En novembre 1961, au palais de l'Élysée, il la décrit plutôt comme un symbole de son attachement à la culture française : « Le costume civil que portaient avant moi MM. les présidents Diori et Maga, la soutane que je porte aujourd'hui, sont en eux-mêmes, je le crois, une déclaration d'appartenance à la civilisation française ». L'évolution des soutanes de Youlou symbolise en tout cas la transformation de son pouvoir. Arrivé au sommet de l'État, il revêt une soutane blanche à l'image de celle du pape, qui créera quelques embarras protocolaires. À la recherche de luxe, enfin, il se fait confectionner des soutanes de couleur chez le grand couturier Dior, des soutanes qui deviendront le symbole de la dérive de son régime.
En République démocratique du Congo, il faut remonter le temps jusqu'au 24 novembre 1965, date à laquelle Mobutu a pris le pouvoir. Mobutu, c'était la toque léopard, l'abacost – célèbre costume congolais – mais aussi la canne. Pour le maréchal, c'était à la fois un signe d'autorité et un objet pour valoriser la culture traditionnelle du pays. Dans les rues de Kinshasa, Mobutu reste l'homme à la toque de léopard et à la canne. Sculptée en bois ou en ivoire, la canne incarnait son autorité. André-Alain Atundu Liongo, dernier chef des renseignements sous Mobutu, se souvient : « Je crois qu'en revenant de cette tournée, où je lui étais présenté pour la première fois, dans l'avion, il était détendu. Il a enlevé son costume. Mais dès qu'on a atterri, il a mis son costume, sa toque et sa canne. C'était un autre homme. Il ne blaguait plus. Il revêtait et incarnait l'autorité. La canne c'est l'autorité et la sagesse ». Pour ce proche collaborateur de Mobutu, la canne était plus qu'un objet d'apparat. « Lorsqu'il était debout, qu'il nous attendait avec impatience, il toquait sa canne. Lorsque la canne était sur la table, il était mécontent. Ça servait aussi à indiquer ses états d'âme ». À lire aussiRDC: Mobutu, grandeur et décadence du «roi du Zaïre» Au Congo, la canne incarne le pouvoir coutumier et mystique. Elle est taillée d'un seul bloc de bois. « Les traditions dans la chefferie... Il y a un arbre précis que l'on détermine. Ça n'est pas n'importe quel arbre. Il détient une force naturellement, explique Jean-Paul Kwungusugu, chef coutumier dans la province du Haut-Lomami. Les gens, quand ils voient le président de la République, on lui remet tout ça par les chefs coutumiers. Attention, le président de la République n'est pas simplement présent par la constitution, les ancêtres sont avec lui. D'ailleurs, c'est ce qui a favorisé les dictatures ». La canne a fait de Mobutu le roi du Zaïre pendant plus de 30 ans, mais elle a aussi servi à faire valoir une culture congolaise au lendemain des indépendances. « Au retour, il se comportait non seulement comme un chef d'État moderne, mais comme un chef traditionnel, indique Placide Mumbembele, professeur de politique mémorielle. Cela s'est davantage consolidé avec sa politique de recours à l'authenticité, afin de pouvoir, comme il le disait lui-même : être soi-même, c'est-à-dire être Zaïre Roi, avec toutes ses traditions ». Mobutu possédait une trentaine de cannes, selon ses proches. Elles sont toutes conservées au Maroc, chez celle que les Congolais appellent maman Bobi, la veuve du maréchal. À lire aussiRDC: comment le président Mobutu a récupéré l'image du héros national assassiné Patrice Lumumba [3/3]
Cet été, RFI vous emmène à la découverte des objets de pouvoir, des objets qui sont devenus des symboles de l'autorité de certains hommes d'État ou d'acteurs politiques du continent. Dans cet épisode, nous allons au Kenya pour parler du chasse-mouche, qu'avait adopté Jomo Kenyatta. Il est devenu le premier président du pays le 12 décembre 1964, un an après l'indépendance, et l'est resté jusqu'à sa mort, le 22 août 1978. Les images d'archives le montrent brandissant son chasse-mouche, un accessoire fait à partir d'une queue de vache qui fait sens pour sa communauté, les Kikuyus, mais qui l'aide aussi à affirmer sa position de chef d'État. De notre correspondante à Nairobi, Mai 1963, élections générales au Kenya. Jomo Kenyatta est alors le leader de KANU, le parti en tête. Il est photographié jubilant, brandissant son chasse-mouche. « Kenyatta était toujours avec son chasse-mouche, raconte Anaïs Angelo, historienne à l'académie des sciences de l'Autriche, et autrice d'un livre sur l'arrivée au pouvoir et la présidence de Jomo Kenyatta. C'est un objet qu'il apportait avec lui partout où il allait et que l'on retrouve aussi sur toutes les représentations de Kenyatta que ce soit des photos, des statues... Ça fait partie de son personnage politique ». Cet objet, selon cette historienne, a permis à l'ancien président de renforcer son image d'homme proche du peuple : « Dans sa manière de gouverner, il a un rapport très personnel. Ce n'est pas quelqu'un qui investit énormément par exemple dans les médias. Par contre, il va dans des cérémonies collectives, locales... il visite souvent les gens. Et je pense qu'il faut prendre le chasse-mouche comme quelque chose que tout le monde a, qui est quelque part assez banal, assez traditionnel, mais qui est crédible ». À lire aussiJomo Kenyatta, défenseur des droits des Kikuyu (1&2) Dans la culture kikuyu, dont est originaire Jomo Kenyatta, le chasse-mouche permet d'éloigner les insectes, mais il est aussi utilisé pour saluer ou asperger de l'eau bénite lors de cérémonies. Ce sont les hommes qui s'en servent, les plus âgés de la communauté. C'est aussi cet ancrage culturel qu'a voulu montrer Kenyatta, affirme James Nene, secrétaire général du Conseil des anciens Kikuyus : « Traditionnellement, le chasse-mouche permet d'établir un statut d'ancien au sein de la communauté. Aucun ancien ne sortait sans son chasse-mouche. Jomo Kenyatta respectait et suivait la culture kikuyu. Il utilisait donc le chasse-mouche comme un moyen d'identification, à sa culture et à son statut. Cela complétait son image d'ancien et d'homme d'État ». Une image qu'il a soigneusement construite dès 1938, quand il choisit de s'appeler Jomo Kenyatta. « Jomo Kenyatta a inventé son personnage, il a inventé son nom, remarque Anaïs Angelo. C'était quelqu'un qui n'était pas nécessairement prédit pour faire de la politique. C'était un jeune, dans une société kikuyu qui respecte la séniorité. Pour affirmer son autorité politique, il s'est créé un personnage de sage, d'ancien ». En plus du chasse-mouche, il adopte également un chapeau traditionnel Luo, une des plus importantes communautés au Kenya. Et celle dont est originaire celui qui deviendra son rival, Oginga Odinga. À lire aussiKenyatta vs Odinga: début et fin d'une guerre dynastique au Kenya
Notre série de reportages sur les objets de pouvoir en Afrique se poursuit. En Guinée, le premier président du pays, Ahmed Sékou Touré, se distinguait par un objet qui semble anodin : un mouchoir blanc, qu'il agitait devant les foules. Retour sur cet accessoire essentiel, dont la signification est débattue jusqu'à aujourd'hui. De correspondant à Conakry, L'image a marqué la mémoire des Guinéens. Sékou Touré en boubou agite son mouchoir blanc devant la foule lors d'un discours, ou à travers la vitre de sa Cadillac. Cette pratique n'est venue qu'après l'indépendance du pays, se souvient Madifing Diané, qui fut directeur des services de sécurité du premier président de la Guinée : « Il a vu dans sa maturité que le blanc est symbole non seulement de la pureté de l'âme, il est le symbole de la vérité. Le blanc, c'est aussi le symbole de la conviction sur ce qu'on entreprend. Des mouchoirs blancs, il en avait des dizaines. Chaque fois qu'il sortait, on pouvait en mettre deux ou trois avec lui. » Madifing Diané a lui-même conservé quelques-uns de ces mouchoirs. Il insiste pour dire que Sékou Touré était un pieu musulman, ce mouchoir ne serait donc pas un symbole mystique. Avant de choisir l'exil pour fuir la dictature, Boubacar Baldé a vu Sékou Touré agiter son mouchoir blanc. Pour lui, c'était avant tout un moyen de rallier les foules : « C'était un instrument d'hypnotisation des foules. Parce que Sékou Touré aimait être aimé, il adorait ça. Ça participait à sa séduction. Les foules pensaient même qu'il y avait de la magie dans ça. Ça faisait partie de ses outils de communication. » « Ce mouchoir incarnait une fonction mystique » Dans une ambiance de complot permanent où les dirigeants se sentaient menacés par des puissances étrangères, ce mouchoir avait aussi une fonction de protection, estime l'historien Mamady Bamba : « Ce mouchoir blanc incarnait une fonction mystique. Une fonction mystique parce que, pour le sens commun en Guinée, Sékou Touré n'était pas un homme ordinaire. Pour nous, ce mouchoir avait un caractère de protection de l'homme. Protection non seulement contre les forces maléfiques. Donc, il faut être protégé contre ces esprits, à travers les hommes peuvent s'infiltrer par des pouvoirs mystiques. » Ce symbole du mouchoir blanc a réapparu dernièrement. Le général Mamadi Doumbouya l'a brandi à plusieurs reprises, dans l'objectif clair d'établir une filiation avec le président de la première République.
RFI vous propose de découvrir dix objets de pouvoir qui ont marqué l'histoire du continent africain. Des objets employés par les acteurs politiques pour asseoir leur légitimité et leur autorité. En Centrafrique, le 4 décembre 1977, le président Jean-Bedel Bokassa se couronnait empereur dans le Palais du Couronnement, lieu spécialement construit pour la circonstance. Lors de ce couronnement, un objet précieux a capté tous les regards : le trône. Un objet massif d'environ deux tonnes, fabriqué par le Français Olivier Brice. Il a coûté près de 2,5 millions de dollars, soit 1,5 milliard de francs CFA. Ce trône, lubie du président-empereur, représentait un objet de pouvoir, destiné à frapper les esprits, en Centrafrique et au-delà des frontières. Un groupe de jeunes jouent au basketball dans le Palais des Sports de Bangui, autrefois appelé le Palais du Couronnement. Ce gigantesque gymnase retrace l'histoire de l'empire centrafricain. On y voit non seulement le parquet, les gradins, la salle de presse, mais aussi cet impressionnant écran situé sur l'aile gauche. C'est ici que le trône de l'empereur Jean-Bedel Bokassa a été installé le 4 décembre 1977. L'historien Maurice Guimendego se souvient de ce qu'il a vécu à l'époque : « La forme ressemble à un aigle gigantesque qui déploie ses ailes. L'aigle que l'on voyait représentait un aigle royal, symbole de la force, symbole de la majesté. » L'image de ce trône imposant a marqué à l'époque les 5 000 invités venus des quatre coins du globe : « Dites-vous que vous avez en face un aigle qui déploie ses ailes sur quatre mètres d'envergure et trois mètres de hauteur et puis à l'intérieur, on a creusé une espèce de voûte, une place en structure métallique. Le trône dégage quelque chose d'impressionnant, capable de loger l'empereur dans toute sa majesté. » À lire ou à écouter aussiIl y a 40 ans, la chute de l'empereur Bokassa « Incroyable Bokassa » Direction le sous-sol du Palais des Sports. Après le couronnement, certains objets précieux dont le trône ont été entreposés ici. Les yeux brillants d'émotions, Gabriel, 75 ans, l'un des cuisiniers de l'empereur Bokassa, revoit la vidéo et les photos du trône sur sa tablette : « Ah Bokossa sur son trône, mais quelle splendeur ! J'aime cette image parce qu'on le voit debout pour dire son serment. L'image est très intéressante, car elle nous laisse découvrir l'intérieur du trône en velours rouge, dans le ventre de l'aigle. Incroyable Bokassa ! » Affalé dans un fauteuil en rotin sous sa véranda, Patrice Zemoniako joue de la guitare, en interprétant un morceau des années 1970. Âgé de 80 ans, cet ancien journaliste et maire de Bangui explique que Jean-Bedel Bokassa voulait imiter le trône et le sacre de Napoléon Ier, car il était fasciné par l'empereur français : « Il a conçu son trône et la cérémonie de cette manière pour être le Napoléon de l'Afrique centrale et celui de la République Centrafricaine. C'est comme ça que Bokassa a créé l'armée centrafricaine pour combattre ceux qui s'opposaient à son pays. La philosophie du développement économique, politique, social et culturel de Bokassa doit être un modèle pour nous aujourd'hui. » Après le renversement de Bokassa, en septembre 1979, le sous-sol du palais du couronnement a été vandalisé. Aujourd'hui, il ne reste du trône que l'armature qui est abandonnée sur un terrain vague.
Quelles sont les aspirations de la jeunesse comorienne ? Dans l'archipel, 53%, plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, selon la Banque mondiale, qui estime que le taux de pauvreté devrait passer de 38 à 36% de la population en 2030. Une perspective moyennement enthousiasmante. Cinquante ans après l'indépendance, à quoi rêve la jeunesse comorienne pour son avenir ? Rester et construire ou partir. De notre envoyé spécial de retour de Moroni, Ben Abdourahmane a 29 ans, une femme et un bébé d'un mois et demi. Ils vivent à Mitsoudje, 15 km au sud de la capitale Moroni. Sa vie ne prend pas la direction dont il avait rêvé, mais il ne baisse pas les bras : « Je suis parti à Madagascar faire des études de droit et en Sciences Po, je n'ai pas échoué. Mais finalement, je n'ai pas pu terminer mes études à cause des moyens financiers. J'avais des rêves, j'avais des envies, mais ce n'est pas ce que la vie m'a réservé. Aujourd'hui, je me suis lancé dans l'agriculture. J'ai une vache et je cultive aussi de la banane, du manioc. À l'avenir, j'aimerais ouvrir une entreprise dans l'agriculture, la transformation. J'aimerais que mes produits soient valorisés dans le national. Ça peut marcher. » Kaviani Moumini, 27 ans, travaille dans une pharmacie de M'Beni, dans le nord-est de l'île de Grande Comore, qu'il se verrait bien quitter : « Je gagne un peu. Je me sens moyennement bien. Si j'avais la possibilité ou l'occasion de partir à l'étranger pour gagner ma vie, je le ferais. Ici, aux Comores, la situation est très difficile. Je ne gagne pas suffisamment. Je te le dis, j'ai envie de partir. On peut partir là-bas, en France, comme on ne gagne rien ici, on préfère partir ailleurs. » Hachmy Oumar Ousseini, 21 ans, sera bientôt diplômée de l'Université de Moroni : une licence en soins obstétricaux. Née sur l'île d'Anjouan, elle compte encore voyager. Mais pas pour émigrer : « J'aimerais vraiment aller à l'étranger faire une spécialité échographiste, par exemple puéricultrice. Il n'y a pas de formation aux Comores. Pour le faire, il faut aller à l'étranger. J'aimerais bien aller en France, au Sénégal ou au Maroc. Le but, c'est de revenir et de participer à l'évolution du pays. Il manque plein de choses ici. C'est à nous d'apporter ce savoir à notre pays. » Un enthousiasme qui contraste avec la résignation de bien des Comoriens, usés par des années d'immobilisme : Hachmy Oumar Ousseini, elle, se veut résolument optimiste et constructive. À lire ou à écouter aussiComores: 50 ans après, sans Mayotte, une indépendance incomplète [1/4] À lire ou à écouter aussiComores: 50 ans après l'indépendance, l'accès à l'eau s'est dégradé [2/4] À lire ou à écouter aussiComores: 50 ans après l'indépendance, l'hôpital de M'Beni compte sur ses propres forces [3/4]
Les Comores célèbrent ce dimanche 6 juillet le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Parmi les nombreux défis auxquels restent confrontés les Comores, celui de l'accès aux soins : les financements gouvernementaux sont minimes, les hôpitaux manquent cruellement de médecins et de matériel, de sorte que les Comoriens qui le peuvent vont largement se faire soigner à l'étranger. M'Beni est à environ 75 km au nord-est de la capitale Moroni, sur l'île de Grande Comore. La très mauvaise route qui y mène est actuellement rénovée par une entreprise chinoise. L'hôpital compte sur ses propres forces pour tenter de répondre aux besoins des populations. De notre envoyé spécial de retour de M'Beni Avec 44 consultations et trois interventions chirurgicales : la journée du Dr Nizar Ahamada est bien remplie. Comme d'habitude. Les Comores, près d'un million d'habitants, ne comptent que deux urologues, deux chirurgiens pédiatriques, le second est arrivé il y a quelques mois, selon les chiffres du nouveau Syndicat national des médecins comoriens (Synamec), dont le Dr Nizar est également secrétaire général. Il note une amélioration, pour les ORL par exemple, mais tellement insuffisante. En cause, principalement, l'absence de formation et les salaires : « Au moment où on parle, l'hôpital de Hombo à Anjouan traverse ses problèmes avec six mois de salaire pour les contractuels non payés sur les gardes. Mais aussi, il y a un problème indiciaire parce que les salaires sont vraiment trop bas, donc ça n'encourage pas. Tout le monde travaille pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Ce qui fait que certains médecins ou bien agents de la santé vont partir sur les pays voisins ou bien à l'île Mayotte pour travailler. C'est quelque chose qui est déplorable. » Aux Comores, ce sont les hôpitaux qui se financent principalement et qui se gèrent. Le directeur du centre médico-chirurgical de M'Beni, Abdourahim Mbaé, explique que 60% de son budget provient des soins, payants, de l'hôpital. Les bailleurs internationaux contribuent à environ 30% du budget de l'hôpital, le gouvernement : 10% seulement. Atteindre 100% d'autonomie en électricité Le matériel est un problème crucial. La diaspora de M'Beni en offre régulièrement à l'hôpital, mais les pannes sont fréquentes. Alors après avoir financé la formation d'un anesthésiste – il en manquait un – l'hôpital a financé celle d'un ingénieur bio-médical. Abdourahim Mbaé : « Nos appareils tombent en panne, on a des difficultés à les réparer et les réparations coûtent cher. Donc, on a eu l'idée de transformer le salaire en bourse et puis voilà. Il est formé, il a son atelier sur place, il est formé au Togo et il va réparer tous nos instruments de laboratoire, du bloc opératoire, de la radio, de l'imagerie médicale. Tout cela, c'est la formation qui va faire. » Les coupures d'électricité récurrentes peuvent avoir de lourdes conséquences. Là encore, le directeur Abdourahim Mbaé a pris les choses en main : « Pour contourner le délestage de la société nationale, on s'est doté par nous-mêmes des groupes électrogènes à nous, il y a aussi des panneaux solaires. Notre intention, c'est d'avoir à 100% une autonomie d'énergie 24 h sur 24. » Un ambitieux projet de Centre hospitalier universitaire national est en cours : la construction du CHU El-Maarouf à Moroni, la capitale, a commencé il y a huit ans. Le chantier accumule les retards, mais le projet suscite beaucoup d'espoirs. À lire aussiComores: 50 ans après l'indépendance, l'accès à l'eau s'est dégradé [2/4] À lire aussiComores: 50 ans après, sans Mayotte, une indépendance incomplète [1/4]
Les Comores célèbrent ce dimanche 6 juillet le cinquantième anniversaire de leur indépendance. RFI propose à cette occasion une série de reportages et d'entretiens. Dans la capitale Moroni, et a fortiori dans le reste de l'archipel, l'accès à l'eau reste une préoccupation pour les Comoriens. La situation a même empiré entre deux générations. De notre envoyé spécial de retour de Moroni, « Là, on est dans ma cuisine, c'est le robinet. Voilà, tu vois que ça ne donne rien… rien du tout. C'est très gênant même, surtout quand on a eu une famille nombreuse. Si l'eau manque, comment vivre aisément ? C'est impossible. » La famille d'Ibrahim Selemane habite dans le quartier Bacha, au cœur de la capitale. À deux pas, même la borne fontaine publique qui garantissait auparavant de l'eau aux ménages les plus démunis est aujourd'hui à sec. Les Nations unies ont installé quelques citernes en plastique dans la ville, où les ménagères viennent remplir des bidons, qu'il faut ensuite porter. Sinon, une seule solution, pour ceux qui le peuvent : payer. « Tu vois, je suis obligé de remplir de l'eau ici. J'ai une énorme bassine. Une bassine que vous voulez acheter. Il faut remplir de l'eau pour pouvoir laver la vaisselle ». - Et où achetez-vous, l'eau ? « Il y a des voitures qui passent ici. On nous fait vendre à 200 francs le jerrican de 20 litres. » Et pour Ibrahim Selemane, de l'eau, il doit en acheter beaucoup : « Pour la préparation, laver les assiettes à la cuisine, à la douche, laver les vêtements, tout cela nécessite beaucoup d'eau quand même. Ça devrait être un service public. On nous le vend, mais on n'a pas le choix. » À lire aussiGrave pénurie d'eau à Moroni, aux Comores: «l'eau c'est la vie» Nasrat Mohamed Issa préside la Fédération comorienne des consommateurs. Elle-même a rénové la cuve que son père avait installée sur le toit de la maison familiale, qu'il avait cessé d'utiliser, et qui se révèle à nouveau indispensable. Après 50 ans d'indépendance, elle tire un triste bilan : « La situation s'est dégradée et se dégrade. Moi, je suis née avant l'indépendance, il y avait de l'eau dans les robinets. Ma fille, que j'ai eue en 2001, il y a des enfants de cette génération-là qui ne voient pas de l'eau courante. Il y a des infrastructures qui doivent être remises à neuf ou s'adapter à la population qui grandit. Parce que, en 50 ans, la population continue à grandir, les habitations continuent à pulluler. On nous chante plusieurs projets, il y a même des inaugurations, mais au bout, ça n'arrange pas les choses. » Les autorités se veulent pourtant rassurantes : Houmed Msaïdié, ancien ministre et conseiller spécial à la résidence : « Il y a des projets concrets. On voit les travaux qui se font pour régler cette question de l'eau à Moroni et ailleurs d'ici 2027. On travaille pour que 63% de la population comorienne ait accès à l'eau directement chez elle. On est en train d'installer les infrastructures nécessaires pour cela. » Plusieurs projets sont en cours, soutenus par les partenaires internationaux des Comores. À lire aussiComores: 50 ans après, sans Mayotte, une indépendance incomplète [1/4]
Les Comores célèbrent ce dimanche 6 juillet le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Les Comores, c'est historiquement un archipel de quatre îles : Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. Sauf que cette dernière île est restée un département français, que l'État comorien revendique encore et toujours. Les Comoriens les plus engagés pour le retour de Mayotte estiment que leur gouvernement, malgré sa position officielle, est trop complaisant avec Paris. De notre envoyé spécial à Moroni, On pourrait poser la question mille fois dans les rues de Moroni sans que la réponse varie : le retour de Mayotte au sein de l'État comorien est une cause nationale. En 1974, la France demande aux Comoriens par referendum s'ils veulent l'indépendance. Près de 95% répondent « oui », mais à Mayotte, le « non » l'emporte à plus de 63%. Les indépendantistes considérant que le scrutin vaut pour l'ensemble de l'archipel, Paris décide de le prendre en compte île par île. L'année suivante, Paris reconnaît l'indépendance des Comores, à l'exclusion de l'île de Mayotte. Depuis, les gouvernements comoriens successifs ne cessent de le marteler : « Mayotte est comorienne. » Aujourd'hui encore, Houmed Msaïdié, ancien ministre et conseiller spécial à la présidence en charge des questions politiques, parle d'un « objectif stratégique » : « Cet abus de la part des autorités françaises à un moment donné de notre histoire fait qu'aujourd'hui, il y a des Mahorais qui ne connaissent pas les Comores. Ça fait 50 ans qu'on s'est séparés. Maintenant, c'est le moment. On est pour des discussions sérieuses avec la France, mais surtout, on est pour la discussion directe entre nos frères de Mayotte et les autres îles. Il faut qu'on essaie d'identifier ce qui peut nous rassembler. L'objectif des Comores est clair et net : c'est l'intégrité territoriale. » À lire aussiAux Comores, des manifestants s'opposent à l'entrée de Mayotte à la Commission de l'océan Indien Mais cette position officielle ne convainc pas tous les Comoriens. Depuis 50 ans, l'Union africaine et les Nations unies reconnaissent l'appartenance de Mayotte aux Comores, contre la position française. Mais le sujet s'est progressivement effacé, car Moroni et Paris, loin de s'affronter sur la scène internationale, sont des alliés : échanges économiques, programmes de développement... Le docteur Mohamed Monjoin est le président du Comité Maore, qui milite pour « la fin de l'occupation coloniale française à Mayotte ». Il affirme : « Il est temps d'arrêter le dialogue bilatéral, il n'a rien apporté de bien. Notre force, c'est le soutien international. Moroni doit mettre Mayotte à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations unies. Il faut qu'il y ait une discussion et un vote sur la question de Mayotte, cela n'a pas été fait depuis 30 ans par les différents gouvernements successifs. C'est le bâton et la carotte. Le gouvernement comorien craint un coup d'État. Aux Comores, il y a eu beaucoup de coup d'État fomentés par la France, qui vous dit que c'est fini ? Et il reste bien sûr la petite carotte : l'aide au développement. » Cinquante ans après, les Comoriens célèbrent donc une indépendance que tous jugent inachevée. À lire aussiMayotte et les Comores, fragments d'une histoire partagée
Site emblématique de la mémoire africaine et première destination touristique du Sénégal, Gorée attire chaque jour des centaines de visiteurs. Mais derrière ses façades colorées, l'île classée au patrimoine mondial de l'Unesco fait face à une dégradation alarmante de ses bâtiments historiques. Entre humidité, matériaux inadaptés et manque de financements, entretenir et restaurer ces édifices s'avère un véritable défi. De notre correspondante à Dakar, Chaque jour, les chaloupes venues de Dakar déversent leur flot de visiteurs sur l'île de Gorée. Ils viennent admirer ses ruelles paisibles, vestiges de l'époque coloniale. Certaines maisons datent du XVIIIe ou du XIXe siècle. Mais derrière la carte postale, de nombreux bâtiments tombent en ruine. C'est le cas de l'immense palais du gouverneur. « Les murs en pierre sont montés à la chaux. Mais quand on les répare avec du ciment, ça ne tient pas… Avec l'humidité, ça se dégrade. Et il n'y a pas d'entretien », regrette Xavier Ricou, architecte et conseiller municipal à Gorée. Beaucoup de bâtiments appartiennent à l'État qui manque de moyens pour assurer la restauration de son patrimoine. Une solution serait donc de nouer des partenariats avec des investisseurs privés. Certains aimeraient transformer le palais du gouverneur en hôtel de luxe, mais les discussions sont bloquées. « Les investisseurs demandent qu'on leur cède aussi l'ancien hôpital voisin. Mais ce bâtiment est occupé par des squatteurs qu'on ne peut pas expulser », affirme l'architecte. Xavier Ricou réclame un véritable plan de sauvegarde pour l'île de Gorée – qui figurait sur la toute première liste du patrimoine mondial de l'Unesco en 1978 – à l'image de ceux exigés aujourd'hui pour les nouveaux sites inscrits. En attendant, il restaure patiemment sa maison familiale, qui date de 1880. À lire aussiSénégal : près de Dakar, les habitués de Ngor savourent son entrée au club des plus belles baies du monde Mais pour les habitants, rénover coûte cher. Oumar Sy, goréen depuis trois générations, restaure justement une maison. « Rien que la charpente, c'est 20 000 euros. Il faut faire venir les matériaux, et tout le reste... », relève-t-il. Annie Jouga, architecte et ancienne élue de Gorée, demande des mesures d'accompagnement de l'État pour restaurer et construire sur l'île : « Il faudrait privilégier la pierre de basalte pour les Goréens, parce que c'est obligatoire. Accompagner aussi bien au niveau du coût d'extraction qu'au niveau du coût de transport... Inciter les gens à rénover pour qu'ils aient par exemple moins d'impôts à payer. » Des projets d'appui voient malgré tout le jour : la Banque mondiale finance actuellement des remblais de pierre pour renforcer le littoral et freiner l'érosion. À lire aussiNouveaux noms de rues au Sénégal : l'histoire africaine a été « occultée par cette toponymie venue d'ailleurs »
En République démocratique du Congo, dans le territoire de Mahagi, à l'est du pays, le paludisme est endémique. La maladie demeure l'une des plus grandes tueuses en RDC, qui reste le deuxième pays africain le plus touché après le Nigeria. Si la vaccination a bien été introduite fin 2024, elle n'est pas encore arrivée dans le territoire enclavé de Mahagi. À Angumu, le service pédiatrie de l'hôpital ne désemplit quasiment jamais. Pour l'heure, aucune date de campagne n'a été fixée dans la région. De notre envoyée spéciale de retour de Angumu
En République démocratique du Congo, dans le territoire de Mahagi, à l'est du pays, le paludisme est endémique. C'est pourquoi l'ONG Médecins sans frontières étudie les moustiques depuis 2020 dans la zone de santé d'Angumu. L'objectif ? Mieux les connaître pour adapter les mesures pour lutter contre la maladie. Une maladie qui reste l'une des premières causes de mortalité dans la région, notamment infantile. De notre envoyée spéciale de retour de Angumu. À lire aussiRDC: à Angumu, l'unique service de la région qui soigne les troubles mentaux
Dans cette zone montagneuse et enclavée, sur les rives du Lac Albert qui fait frontière entre la RDC et l'Ouganda, un seul hôpital soutenu par l'ONG Médecins sans frontières, à Angumu, prend en charge les patients qui souffrent de troubles mentaux. Dans cette région, les besoins sont pourtant colossaux. La région, où aucun groupe armé n'a jamais attaqué grâce à la rivière Kakoye que les habitants disent magique, accueille des dizaines de milliers de déplacés. De notre envoyée spéciale de retour de Angumu, « Moi, je suis Emmanuel Umerambe Watum, je suis superviseur des activités santé mentale. » Ce psychologue clinicien de formation nous fait faire le tour du service de psychiatrie : « Cette salle, c'est pour observer les malades. Il y a un malade que nous avons récupéré pour l'amener l'hôpital, car il était enchaîné. Ça fait aujourd'hui trois semaines qu'il est chez nous et nous avons pu le déchaîner. » Si la famille de ce malade l'a enchaîné pendant 16 ans, c'est parce qu'aucun centre spécialisé n'existait dans la région avant 2022, date de l'ouverture de ce service. Roseline amène son frère pour la troisième fois. « Tout a commencé par des troubles de la parole. Mon frère a commencé à dire "il y a des gens qui me poursuivent". Après, il a voulu tuer sa fille aînée, il a voulu l'égorger. Les gens qui étaient là ont réussi à sauver cet enfant. Et après, il s'en est pris à une chèvre et il l'a découpée en morceaux avant de la jeter dans la brousse. » Tous les cas ne sont pas aussi sévères. Certains souffrent de dépressions ou de troubles chroniques, liés notamment à des traumatismes. L'hôpital se situe à proximité de zones en conflit et la région accueille de nombreux déplacés, rappelle-le docteur Françoise Bema, directrice de l'hôpital : « Nous avons suivi des formations dans ce domaine, et nous avons des capacités. Il n'y a pas moins de 200 malades actuellement et c'est MSF qui nous aide pour les médicaments. Et après le départ de MSF, comment se fera l'approvisionnement des médicaments ? Parce qu'il y a encore la guerre et la population n'est pas encore en mesure de se prendre en charge. Alors leur demander d'acheter les médicaments, ce sera difficile. On craint que beaucoup de patients arrêtent leur traitement. » Selon le ministère de la Santé, au moins 20 millions de Congolais souffraient en 2023 de problèmes de santé mentale. À lire aussiEn Ituri, les fantômes du passé resurgissent
Focus sur la lutte contre le trafic de drogue. En Côte d'Ivoire, le trafic et la consommation de cannabis restent le fléau le plus important. Sur le terrain, les agents de police mènent des actions de sensibilisation, mais aussi de contrôle : ils détruisent régulièrement des fumoirs et saisissent de la drogue dans les principaux points de passage : aux frontières, à l'aéroport ou encore dans les gares routières. Bineta Diagne a suivi une descente dans la nouvelle gare d'Adjamé, à Abidjan. Reportage. De notre correspondante à Abidjan, Il est 19h, les allées de la gare routière grouillent de monde. Au milieu de cette foule de voyageurs, un suspect a abandonné un sac à dos noir sur un banc. Un indic alerte la police. Rapidement, une équipe de la DPSD, la Direction de la police des stupéfiants et des drogues, procède à l'ouverture du sac. Le commissaire divisionnaire Maxime Gogoua examine l'un des cinq blocs de cannabis : « Vous voyez, c'est le THC. Et c'est vraiment élevé. C'est sec. Ce bloc pèse 1 kg : il fait 40 000 francs CFA à Abidjan sur le marché noir. Mais, à Bouaké ou à Man, cela vaut 100 000 francs CFA le kg. Et quand ça va au-delà de nos frontières, au nord, ça va à 300 000 francs CFA/kg ». Ce soir-là, un revendeur a été interpellé. Mais le principal suspect, qui a acheminé la drogue, a pu s'échapper. Une enquête va être ouverte. Elle s'appuie notamment sur les enregistrements vidéo d'Issa Koné, le chef de gare, visiblement sous le choc des découvertes de la soirée : « Ça, c'est grave, supposons qu'on attrape ça là, dans le car. Le chauffeur a un problème. Il ne s'en sort pas. On dit qu'il est complice. Or souvent, il n'est pas au courant ». À lire aussiCôte d'Ivoire: 5 ans de prison pour l'ancien patron de la police anti-drogue du port d'Abidjan Un échantillon de la drogue saisie est envoyé dans un laboratoire. Cela servira à l'enquête. Le commissaire Mabonga Touré, directrice de la police des stupéfiants et des drogues : « Sur les blocs de cannabis, il y a des initiales. Il y a des numéros de téléphone. C'est ce que nous appelons la signature. Nous allons l'exploiter pour voir si déjà, cette signature est déjà apparue dans d'autres enquêtes. Et voir si on peut lier d'où c'est venu, et à qui c'est destiné ». Selon le Comité interministériel de lutte anti-drogue, le cannabis est la drogue la plus consommée dans le pays. Professeur Ronsard Yao Kouma, le secrétaire général du CILAD : « Le cannabis le plus prisé, c'est celui qui vient de chez nos voisins, le Ghana. On a des grandes saisies à la frontière ». D'après ce responsable, les saisies de cannabis oscillent entre dix et vingt tonnes chaque année. À lire aussi«Le kush a probablement causé la mort de milliers de personnes en Afrique de l'Ouest»
Denier épisode de cette série consacrée à la Coupe du monde de rugby 1995, un événement historique pour l'Afrique du Sud qui sortait tout juste de l'apartheid ; et la naissance d'une nation arc-en-ciel portée par Nelson Mandela. Trente ans plus tard, le pays est l'un des plus inégalitaires du monde, en plus du chômage de masse et d'une très forte criminalité. Cet été, un dialogue national aura d'ailleurs lieu dans le pays pour ouvrir un nouveau chapitre de la démocratie. Dans ce contexte, que reste-t-il de la mentalité arc-en-ciel de juin 1995 dans le rugby ? Quel est son héritage chez les plus jeunes ? RFI s'est rendu au nord de Johannesburg, dans l'un des plus anciens clubs de rugby de la ville. De notre correspondant à Johannesburg, Un soir chez les Diggers, un club de rugby de la ville de Johannesburg, en Afrique du Sud, nous rencontrons Daniel, salarié du club, il avait 20 ans en 1995. « J'étais au stade, on scandait tous ‘Nelson, Nelson, Nelson'. Et j'ai compris pourquoi, parce que cette poignée de main avec notre capitaine, c'était plus qu'une simple formalité. C'était le symbole de l'union », se remémore-t-il. Une poignée de main qui change le pays et les clubs de rugby. « C'était l'un des plus grands changements pour ce club aussi, car notre club a été fondé avant l'apartheid. Et aujourd'hui, nous sommes un club arc-en-ciel. Comme un grand tableau coloré », explique Ricky, vice-président des Diggers. Parmi les joueurs présents ce soir-là, Dubz, maillot sur le dos et bonnet sur la tête pour affronter le froid, il s'intéresse particulièrement à l'héritage de 1995. « Il y a encore un fossé entre les gens, notamment sur le plan économique. On doit alors trouver un moyen de combler ce fossé et d'une certaine manière le sport parvient à le faire. Moi, par exemple, j'ai débarqué comme ça chez les Diggers. J'ai garé ma voiture là-bas. Les entraîneurs étaient au bord du terrain. Je les ai salués en parlant afrikaans – c'est aussi ça, la diversité que Madiba nous a enseignée. Et maintenant, je fais partie du groupe. Parce qu'ici – et dans le rugby en général – il n'y a aucun profil type. Nous avons toujours eu cette mentalité de 1995 et je l'aurai toujours. J'arrêterai d'y penser seulement quand je serai six pieds sous terre ! Un jour, mon fils me demandera, "papa, c'est qui ce Mandela ?" Je lui répondrai que c'était notre premier président, celui qui nous a tous réunis grâce au sport », raconte-t-il avec enthousiasme. Au bord du terrain, deux jeunes de 19 ans. Dont Josh, qui n'a pas connu la première Coupe du monde sud-africaine, mais celle-ci lui a été maintes fois racontée : « 1995, c'était important pour le sport, mais aussi pour que le monde entier voie que l'Afrique du Sud était en train de changer. Mon grand-père jouait au rugby à l'époque de l'Apartheid, mais il n'a jamais pu jouer à haut niveau, parce que c'était plutôt réservé aux Blancs. En Afrique du Sud, il y avait des barrières solides entre les gens et le rugby a trouvé le moyen de les faire tomber. » Trente ans plus tard, la société sud-africaine est toujours confrontée à de nombreux défis. « Si la société fonctionnait comme notre club de rugby, le monde irait mieux », nous confie Dubz avant d'entrer sur le terrain. À lire aussiMorné du Plessis: «Mandela disait qu'il y a peu de choses capables d'unir les gens comme le sport»
C'était un 24 juin, il y a 30 ans tout pile. C'était jour de finale à Johannesburg, où l'Afrique du Sud gagnait sa première Coupe du monde de rugby. Un tournant dans l'histoire du pays, avec l'implication directe du nouveau président élu, Nelson Mandela, et son projet de nation arc-en-ciel, après l'apartheid. Ce 24 juin 1995 voit les Springboks soulever la coupe Webb Ellis et le pays entier vibrer. C'est l'éclosion de cette fierté d'une nation unie par le sport, prête à se réconcilier. RFI est retourné sur les lieux de cette finale historique, au stade Ellis Park, accompagné d'un de ceux qui ont foulé la pelouse le 24 juin 1995. De notre correspondant à Johannesburg, Nous avançons dans un long couloir chargé d'histoire. Il relie les vestiaires à la pelouse. Trente ans plus tôt, le 24 juin 1995, le jour de la finale du Mondial de rugby, Rudolf Streauli l'empruntait en tant que joueur : « J'étais impatient d'arriver au bout de ce couloir. » À l'époque, il entre sur le terrain avec le numéro 19 dans le dos. « Le président était assis là. Nous, on sentait le stade vibrer », se souvient-il. Devenu un temps entraîneur des Springboks, l'ancien joueur de près de 2 mètres dirige aujourd'hui le club de Johannesburg, les Lions, basé à Ellis Park. Le stade de la finale de 1995 est donc devenu son bureau : « Après avoir soulevé la coupe, je voulais jouer un plus grand rôle. Je suis fier de m'occuper du stade et de vous montrer notre musée aujourd'hui. » Un musée qui retrace l'histoire du rugby sud-africain. Avec, évidemment, des photos de Nelson Mandela, l'ancien président qui a fait de cette première victoire en Coupe du monde un tournant pour l'Afrique du Sud. « Quand il est arrivé avec le maillot numéro 6, c'était une surprise. On était tous nerveux, mais positivement », se remémore-t-il. Sam Nyaniso est salarié du club et nous accompagne le temps de la visite. Et même si ce fan de rugby travaille avec le champion du monde depuis des années, il n'est jamais à court de questions. « Rudolf, sans Mandela, tu penses que vous auriez gagné ? », interroge-t-il. Et le joueur de lui répondre que Madiba avait « joué un rôle central. Son projet pour le pays nous a évidemment motivé ». « Moi, j'avais 11 ans, j'ai regardé la finale sur une petite télévision. Les gens sont sortis dans la rue, ils klaxonnaient. Blancs et Noirs se prenaient dans les bras, témoigne Sam Nyaniso. Et quelques années plus tard, quand Rudolf est devenu coach, mon père a été recruté pour travailler avec lui. C'est lui sur cette photo. » « Le rugby, c'est un sport qui peut changer une société », estime Rudolf Streauli. Quant à Sam Nyaniso, il mesure la force et l'impact du rugby sur sa propre trajectoire : « Pour un gars comme moi, cela a ouvert tellement de portes. Je n'oublierai jamais cette finale ! » Trente plus tard, l'Afrique du Sud reste un pays fracturé et particulièrement inégal. Rudolf Streauli, fidèle à la mentalité de 1995, continue donc d'utiliser le rugby comme un vecteur d'unité et d'espoir pour les Sud-Africains. À lire aussiAfrique du Sud: avant l'apartheid, l'histoire étroite entre le rugby et la communauté noire [1/3]
Cette semaine, RFI consacre une série de Reportage Afrique aux 30 ans de la Coupe du monde de rugby de 1995 en Afrique du Sud. Un événement sportif, mais surtout politique, puisque Nelson Mandela s'en est servi comme d'un outil pour prôner la réconciliation dans le pays. Auparavant, le régime d'apartheid tenait à ce que la ségrégation soit aussi appliquée dans le sport, et les joueurs noirs étaient exclus de l'équipe nationale des Springboks, alors symbole de la culture afrikaner et cible de boycott à l'international. Cependant, les communautés noires et métisses ont une histoire avec le rugby qui remonte bien avant 1995. Les chercheurs s'emploient à la documenter. De notre correspondante à Johannesburg, Dans ce labyrinthe de rayonnages, tout au bout d'une allée, se trouve une section consacrée à l'histoire des formes de résistances face à la ségrégation dans le sport. Parmi les trésors rassemblés, Ajit Gandabhai exhume d'anciens documents sur de vieux clubs de rugby qui existaient dans les communautés noires et métisses. « Ici, on a une brochure commémorative du club de rugby des Newtonians, qui a été formé en 1948. Il y a également des compte-rendus de réunions qui se sont tenues », montre-t-il. Ajit Gandabhai et son équipe ont récolté des archives auprès d'anciens joueurs ou directeurs de clubs. Car afin de sauver cette histoire de l'oubli, il a fallu aller au-delà des sources traditionnelles, qui passaient volontairement sous silence les pratiques sportives multiraciales. « La presse officielle ne couvrait pas le sport non ségrégué. Mais cette histoire doit être racontée, et plus uniquement à partir de 1995 », clame-t-il. Arrivé en Afrique du Sud par le port du Cap, avec les colons britanniques, le rugby s'est propagé au sein des communautés noires via les missionnaires et leurs écoles au XIXe siècle. La passion de la balle ovale s'est particulièrement emparée de la province du Cap-Oriental, au sud du pays. Un mot, en langue xhosa, a donné son titre à l'un des ouvrages co-écrits par le chercheur Buntu Siwisa. « Le terme "umbhoxo" signifie la forme hexagone, pour désigner le ballon qui n'est pas rond. Le fait qu'on ait décrit cette forme en xhosa permet une déconstruction décoloniale de qui peut s'approprier le rugby. C'est aussi notre sport », explique le chercheur. Ces clubs de rugby jouaient aussi un rôle dans le mouvement de résistance contre l'apartheid, selon l'enseignant de l'université de Johannesburg : « Déjà à l'époque, c'était beaucoup plus que du sport. C'était un outil de mobilisation politique. Par exemple, les militants frappés d'interdictions, qui ne pouvaient pas être vus dans des rassemblements, se servaient des clubs comme de lieux où ils pouvaient se retrouver, planifier des actions. Et les stades dans lesquels on jouait au rugby pouvaient être utilisés pour d'immenses funérailles politiques. » Quant aux spectateurs noirs et métis qui suivaient les matchs internationaux, ils supportaient bien souvent d'autres équipes ennemies des Springboks, et notamment les Néo-Zélandais, qui avaient un effectif plus mixte. Ce qui fait qu'encore aujourd'hui, on peut trouver nombre de fans des All Blacks dans les stades sud-africains. À lire aussiRugby: en Afrique du Sud, au coeur de la fabrique à Springboks des lycées
Au milieu des montagnes du territoire de Mahagi, sur les rives du lac Albert, coule la rivière Kakoye. Ce cours d'eau sépare la chefferie de Mokombo en deux : la rive ouest, perturbée par la présence de groupes armés, et la paisible rive est, n'ayant jamais connu d'attaque de groupe armé. Aucun milicien n'ose traverser la rivière que les habitants disent magique. Conséquence : cette zone sécurisée accueille des dizaines de milliers de déplacés qui continuent d'arriver en provenance des rives du Lac Albert. De notre envoyée spéciale, En ce milieu d'après-midi, Martine revient du champ le dos courbé. Son grand âge lui a fait oublier sa date d'arrivée dans le camp de déplacé de Guenguere 3, elle qui a toujours vécu sur les rives ouest de la rivière Kakoye. « Je me suis déplacée jusqu'ici parce que mon village a été attaqué. Mon beau-frère a été tué à la machette, certains enfants de la famille aussi. Nos maisons ont été incendiées et nos biens ont été volés. Alors, je suis venue ici », se souvient-elle. Martine accuse la Codeco, une milice qui dit défendre la communauté Lendu. « Je n'avais connu un tel conflit avant. Même quand j'étais petite. Depuis, c'est très difficile. On n'a rien à manger. Si je ne travaille pas comme journalière dans le champ qui appartiennent à d'autres, comment je vais manger ? Et comment nourrir mes enfants ? », s'interroge-t-elle, désespérée. Malgré cette extrême précarité, les huttes continuent de se construire. Les déplacés sont attirés par la sécurité qui règne dans la zone, en majorité habitée par les Alur. Cette communauté n'a formé aucun groupe armé d'autodéfense et n'est engagée ni dans le conflit communautaire qui oppose les Lendu et les Hema, ni dans les récents affrontements dans la zone littorale à proximité du lac Albert qui opposent les militaires congolais et un nouveau groupe politico-militaire, la CRP. Des affrontements que Silver a fuis il y a trois mois. « Il y a eu un combat acharné. C'était vers une heure du matin, se souvient-il. On a d'abord entendu des coups de feu. On a entendu des bombes. Nous avons pris la fuite d'abord une première fois en septembre dernier. En février, il y a eu de nouveaux affrontements entre les militaires congolais et la CRP. » Ces nouvelles arrivées entraînent des difficultés supplémentaires, déplore Justin Twambe Urumgwa le président du site de Guenguere 3. « Nous manquons de latrines, nous n'avons pas de douches et pourtant, il y a de nouvelles personnes qui arrivent et qui augmentent encore le problème. Pire encore, il n'y a pas de l'eau potable ici. Parfois, les gens se bagarrent à cause des quantités insuffisantes d'eau potable », déplore-t-il. Ces trois derniers mois, 1 880 personnes se sont ajoutées aux 8 000 déjà installées. À lire aussiManenji Mangundu, directeur d'OXFAM en RDC: «La situation humanitaire est très précaire à Goma»
L'Afrique du Sud a signé en 2014 un accord avec le Mozambique, pour s'accorder sur la stratégie de conservation du parc Kruger qui chevauche la frontière, et fait partie, avec le Zimbabwe, du nouveau parc transfrontalier du Grand Limpopo. Ce genre d'accord permet notamment de s'accorder sur les standards de sécurité face au braconnage. Une collaboration qui permet aussi le déplacement d'animaux sauvages d'un pays à un autre, pour repeupler des parcs dans le besoin, et rééquilibrer l'écosystème. C'est dans ce contexte que l'Afrique du Sud vient ce mois de juin de donner dix rhinocéros noirs au Mozambique qui en manque cruellement. Billie est un rhinocéros sud-africain. Une femelle d'environ une tonne placée dans un box en métal, direction le Mozambique. « Normalement, on ne donne pas de noms à nos animaux, mais ils en auront un pour le transport. Si quelque chose se passe mal sur la route, on doit pouvoir les identifier », explique Vuyiswa Radebe, qui travaille pour Ezemvelo KZN Wildlife, l'organisation qui gère les parcs publics de la région. Elle est venue assister à cette opération hors norme. « Le déplacement en lui-même est très éprouvant, mais on sait pourquoi on le fait, c'est pour leur survie. Nous avons besoin d'avoir plein de petites Billie partout dans le monde, et j'ai hâte d'entendre leurs histoires », confie-t-elle. Et c'est tout l'objectif. L'Afrique du Sud, et particulièrement ce parc Hluhluwe, est le berceau des rhinocéros africains. Antony Alexander et la fondation Peace Park coordonnent donc des relocalisations d'animaux sauvages. « Peace Parks n'a commencé à soutenir le gouvernement mozambicain qu'il y a dix ans. On devait d'abord prendre le temps de rétablir des bons systèmes de sécurité là-bas. Et de s'assurer que l'environnement était adapté pour faire venir des animaux sauvages », raconte-t-il. Des transferts qui se multiplient ces dernières années, notamment grâce à des techniques qui évoluent, explique Kester Vickery, de la fondation Conservation Solution. Il rentre à peine du Rwanda, où il a déplacé 70 rhinocéros sud-africains en avion. « Nous pouvons maintenant déplacer des animaux en gros groupes sur une durée de 48 heures, en toute sécurité. C'est plus ou moins le temps qu'il faudra pour déplacer ces rhinos jusqu'à Zinave », détaille-t-il. Zinave, c'est le parc mozambicain qui s'apprête à recevoir Billie et les autres. Pendant près de 40 ans, ce parc n'avait plus aucun rhinocéros. Ils sont de retour depuis peu grâce à une autre opération de ce genre. Drapeau mozambicain brodé sur sa veste, le vétérinaire Hagnasio Chiponde s'apprête à prendre la route : « Je représente la Wildlife Mozambique Alliance, et le pays en général. Nous cherchons à développer notre population de rhinos. Je suis fier de faire partie de l'équipe. » Les dix rhinocéros sont arrivés sains et saufs à Zinave. L'objectif, c'est donc de faire grandir cette population, pour ensuite en envoyer dans d'autres parcs du Mozambique, et ainsi repeupler le pays entier. À lire aussiRéintroduction de dix rhinocéros au Mozambique: une opération à haut risque [2/3]
Aujourd'hui, premier épisode de notre série tournée dans le territoire de Mahagi, une région rurale dans l'est de la RDC, à la frontière avec l'Ouganda. Au milieu de ces montagnes, sur les rives du lac Albert, coule la rivière Kakoye. Ce cours d'eau sépare la chefferie de Mokombo en deux : la rive ouest, perturbée par la présence de groupes armés, et la paisible rive est, n'ayant jamais connu d'attaque de groupe armé. De notre envoyée spéciale dans la chefferie de Mokambo, Devant la rivière Kakoye qui est une rivière qui se jette dans le lac Albert en contrebas. Aujourd'hui, c'est jour de marché, il y a de l'agitation. Les motos traversent très lourdement, chargés de produits vivriers comme des boissons, des légumes, du poisson. « Je suis en train de livrer le chargement, ce sont des boissons sucrées. Je n'ai pas l'habitude de traverser parce qu'il y a de mauvaises nouvelles qui nous arrivent de l'autre côté », raconte Uiroto Mongwi Jacquesan, conducteur de taxi-moto. En amont de la rivière, côté est, se trouve une multitude de villages densément peuplés. Ici, pas de groupes armés. Même les rares policiers n'ont pas d'armes. Les habitants se sentent protégés grâce, disent-ils, à Kakoye. Des pouvoirs attribués à cette rivière que les habitants préfèrent garder secret et que l'un des chefs de groupement de la zone, Louis Le Kodjo, détaille brièvement : « La rivière est infranchissable. Ces groupes armés, ils ont peur. S'ils songent à venir avec la guerre, la rivière devient infranchissable. Cela gonfle ou cela peut changer la couleur aussi. De ce côté de cette rivière, il n'y a jamais eu d'attaque. Nous sommes tranquilles depuis 2019. » Beaucoup fuient les attaques de la Codeco qui sévit du côté ouest de la rivière, rappelle Grégoire Tumi, le coordinateur local de la société civile de la chefferie de Mocambo, séparée en deux par la rivière Kakwa : « On constate, vers l'ouest de la chefferie, l'absence de l'autorité de l'État. Parce qu'on constate que les autorités locales, comme les chefs de villages, les chefs des groupements, ne vivent pas dans leur milieu. Même la police s'est aussi déplacée. Compte tenu des attaques répétitives, la population s'est déplacée pour vivre à l'est. » Au total, 19 camps officiels et six informels sont dans la zone, habités par des dizaines de milliers déplacés. À lire aussiConflit dans l'est de la RDC: les experts congolais et rwandais s'entendent sur un accord préliminaire de paix
Pour sauver les rhinocéros, il faut aussi les déplacer, pour rééquilibrer l'écosystème, repeupler le continent et assurer leur conservation. La région du Kwazulu Natal, connue pour être le berceau des rhinocéros, a ainsi envoyé dix rhinocéros noirs chez le voisin mozambicain. Une opération à haut risque organisée par de nombreux acteurs, comme la fondation Peace Park ou Conservation Solution, en partenariat avec les équipes du parc Hluhluwe. Des dizaines de personnes pour endormir les animaux, les placer dans un box de transport où ils sont ensuite réveillés, puis chargés sur deux grands camions, direction le Mozambique. Une opération spectaculaire et millimétrée. De notre envoyé spécial en Afrique du Sud Le rendez-vous est donné à l'aube. Il fait à peine jour, et tout le monde est déjà sur le pont. « Je crois que tout le monde est là. Bonjour à tous, je m'appelle Dumi. Petit rappel : seules les personnes autorisées peuvent entrer dans l'enclos. Les animaux sont en captivité depuis un certain temps, mais ils sont encore très sauvages. Et là, ils sont déjà stressés. » Parce que ces rhinocéros ont été placés en quarantaine pendant plusieurs mois, pour les calmer et les préparer au trajet. Mais cette opération reste tout de même très risquée. Nous sommes avec Jenny Lawrence. Fusil à fléchettes entre les mains, la vétérinaire est chargée de les endormir un par un : « Les mélanges ont déjà été faits. Là, on prépare juste les fléchettes. On manipule des drogues très dangereuses, alors on essaye toujours d'avoir le moins de personne possible autour de nous. » La fléchette rose est plantée. Le porte du box ouverte, l'équipe peut entrer en scène. Tout va très vite. Nous demandons à Emma Fearnhead, de l'organisation Conservation Solution de commenter cette chorégraphie millimétrée : « Ils lui ont mis un bandeau sur les yeux, et l'ont accroché à une corde. Dès que la vétérinaire injecte le produit pour redonner un peu d'énergie au rhino, l'équipe va le relever, et tous ces gars, ici, vont tirer sur la corde pour forcer l'animal à marcher vers son box de transport. C'est un moment très dangereux, il faut faire très attention. C'est pour ça qu'il y a au moins dix personnes qui tiennent cette corde. Regardez, maintenant la vétérinaire s'allonge sur le dos de l'animal, elle injecte le produit final. Il reste sédaté, mais éveillé. C'est donc un moment critique, parce qu'à partir de maintenant, on a à faire à un rhino complètement réveillé. » Ces rhinocéros sont des animaux sauvages, en temps normal le parc ne leur donne pas de prénom. Mais pour le trajet, ils en auront un. Dans cette grande caisse en métal beige, cette femelle d'une tonne s'appellera donc Billie. « Je m'appelle Linden. Je suis très enthousiaste, tout va bien se passer. Pendant le trajet, on sera escortés, pour notre sécurité et celle des animaux. » Un long trajet presque sans arrêt, seulement de très courtes pauses pour nourrir les rhinocéros. Au menu : des patates douces. Deux jours plus tard, on nous informe que Billie et ses neuf camarades sont arrivés sains et saufs. L'équipe mozambicaine prend le relais. À lire aussiRéintroduire les rhinocéros en Afrique du Sud: Amos, le protecteur de rhinos [1/3]
Le braconnage est un problème majeur en Afrique du Sud. Et il touche particulièrement les rhinocéros, qui, selon le mythe bien répandu en Asie, ont des cornes aux propriétés aphrodisiaques. Résultat : des centaines de rhinocéros sont tués chaque année. Le célèbre parc Kruger a ouvert la voie récemment en décidant de couper préventivement les cornes, une stratégie payante, puisque le braconnage a chuté. Un autre parc fait régulièrement les frais de cette chasse illégale, le parc Hluhluwe dans le KwaZulu Natal. Là-bas aussi, on écorne depuis peu, en plus de se doter de nouveaux équipements ultra-modernes. Portrait du responsable sécurité du parc avec notre journaliste Valentin Hugues. À notre droite, dans la voiture, le volant entre les mains, Amos Tembe : « Vous voyez ces arbres ici ? On a de grandes chances de trouver un rhinocéros noir pas loin ». Lunettes noires, une voix qui porte et une énergie débordante, c'est un spécialiste des rhinocéros : « Regardez sur la route, vous voyez cet amas de terre ? C'est le signe de leur passage. Ils ont marqué leur territoire. Je peux vous assurer qu'ils vont revenir ici aujourd'hui ». Chez lui, à la maison, il a deux enfants, et à Hluhluwe parc… des milliers d'autres : « Quand un rhinocéros se fait braconner, j'ai l'impression de perdre un membre de ma famille. Parce qu'avec le temps, je me sens connecté à eux. Vous savez, j'ai commencé ici avec l'unité anti-braconnage. Je me souviens d'un jour où on était tombé sur six braconniers. Et on n'était que deux. Il n'y avait aucun signal ! Aucun moyen d'appeler des renforts… On a pu en arrêter deux. Les quatre autres ont été neutralisés. Ce n'était pas notre objectif, mais ces gars-là veulent vous tuer ! ». Quinze ans plus tard, Amos a rangé son fusil pour rejoindre l'équipe de direction. Il est monsieur sécurité. Et pour mettre fin aux affrontements dangereux avec les braconniers, le parc a une nouvelle stratégie : « On met en place une clôture connectée autour du parc. On a aussi des drones et des caméras. Comme celles-ci, regardez, vous pouvez à peine la voir, elle est entièrement camouflée ». Sifiso, assis dans la salle de contrôle : « Si vous cliquez sur “léopard”, vous avez les photos de tous les léopards détectés par les caméras. Et vous pouvez aussi sélectionner “humain”. Là par exemple, c'est un braconnier repéré hier ». Mais face à l'urgence, le parc a aussi pris une décision drastique : couper les cornes des rhinocéros, pour prévenir le braconnage. « Regardez celui-ci. On lui a coupé la corne, mais elle va repousser. On s'assure de couper au bon endroit. On espère qu'après trois ou quatre ans, on n'aura plus à faire ça. C'est simplement le temps de stabiliser notre stratégie de défense ». Pour l'instant, grâce à l'écornage, le parc n'a perdu qu'un seul rhinocéros au mois de juin. « Quand on fera un mois sans braconnage. Ce jour-là, croyez-moi, je ferai un gros barbecue, et je boirai un bon coup ! ». Une trentaine ont été braconnés depuis janvier, c'est trois fois moins que l'année dernière à la même période. À lire aussiAfrique du Sud: l'écornage des rhinocéros contribue à réduire fortement le braconnage, selon une étude
Depuis ce lundi 16 juin, la chaîne A+, filiale de Canal+, diffuse une nouvelle série adaptée d'une pièce de théâtre ivoirienne : « Les 220 logements ». Saga historique dans un quartier populaire d'Abidjan, où se mélange l'humour, l'amour, les péripéties de la vie quotidienne, les événements sociaux et politiques qui ont fait l'histoire de la Côte d'Ivoire depuis le début des années 1990. C'est l'histoire d'une pièce de théâtre, « 220 logements », qui a eu son petit succès à Abidjan et devient une série télévisée. 220 logements, quartier emblématique d'Abidjan, où ont vu le jour les premiers grands ensembles d'habitation. Des immeubles où se mélangeaient histoire politique, histoire d'amour et plaisanterie de maquis. C'est sur les lieux mêmes des 220 logements, à Adjamé, que la production de Plan A a posé ses caméras pour mieux s'imprégner de l'ambiance de l'époque, et raconter une saga débutant en 1990. L'acteur Jean-Brice Traore incarne « Joli garçon », un étudiant amoureux de la jolie Léo et leader du syndicat Fesci, sur le campus Houphouët-Boigny : « J'ai 33 ans, je suis né en 1992. J'étais petit quand tout ça s'est passé. Quand nous sommes venus tourner ici, nous avons découvert des gens accueillants. Beaucoup de personnes viennent nous raconter ce qu'ils ont vécu à cette période-là. Franchement, c'est génial ». Gaston habite les 220 logements depuis 1968. Il observe les équipes de tournage filmer un bout d'une vie qu'il a bien connue : « C'est un honneur pour nous que ça se passe dans notre quartier. Tout ça, c'était la brousse avant. Et on assiste petit à petit à l'évolution d'Abidjan ». Sous la direction du metteur en scène Souleymane Sow, les comédiens répètent le texte adapté pour la chaîne A+, par son auteur Chantal Djédjé : « Dans la série, on va retrouver des éléments qui ont composé la Côte d'Ivoire des années 1990 à 1995, donc les mouvements estudiantins qui clament des changements politiques, mais il y a toujours la vie de quartier et l'amour qui peuvent support la bonne humeur à l'ivoirienne ». La vie et les péripéties d'un pays à travers celle d'un quartier ancien, mais toujours debout à Adjamé. « Les 220 logements », ce sont 105 épisodes d'une histoire pas comme les autres, celle de la Côte d'Ivoire. À lire aussiAudiovisuel en Côte d'Ivoire: des initiatives privées pour pallier le manque de main-d'œuvre
En Tunisie, la marche pour Gaza initiée par un collectif de Tunisiens depuis lundi 9 juin est bloquée en Libye suite à la décision des autorités libyennes de l'Est. Alors que beaucoup ne souhaitent pas faire marche arrière, cette initiative a montré la force d'une mobilisation maghrébine en faveur des Palestiniens. Retour sur cette odyssée avec notre correspondante à Tunis. Samedi 14 juin, alors que la caravane Soumoud était encore bloquée à Syrte dans l'Est libyen, des centaines de Tunisiens se sont réunis au centre-ville de Tunis pour soutenir le convoi. Haykel Mahfoudhi, un journaliste indépendant, a fait la route avec la caravane jusqu'à Ras Jedir, le poste frontalier tuniso-libyen. « C'était vraiment incroyable le soutien que nous avons eu, la solidarité, tout au long des villes tunisiennes que nous avons parcourues. On sent que le mouvement de la marche pour Gaza a beaucoup fédéré. » Après les refoulements et expulsions au Caire de participants à la marche internationale, Raouf Farrah chercheur algérien basé en Tunisie, a dû renoncer à rejoindre la marche par voie aérienne. Présent lundi au lancement du convoi, il relève son importance sur le plan maghrébin, près de 700 Algériens se sont joints à l'initiative tunisienne : « Je pense qu'en tant que Maghrébin, nous sentons cette responsabilité à la fois morale et politique de dire "Assez au génocide, assez aux violences génocidaires contre les Palestiniens, au silence et à la complicité des autorités et des gouvernements, des institutions internationales face à un crime qui devrait être arrêté" ». À lire aussiLa caravane et la marche en solidarité avec Gaza stoppées en Libye et en Égypte Après avoir été accueilli à bras ouverts à Zawiya et Misrata en Libye, la caravane, dont la page Facebook cumule plus de 200 000 abonnés, s'est retrouvée bloquée à Syrte, côté Est libyen, depuis jeudi. Sans réseau et avec très peu de connexion, les participants n'ont pu poster que de rares informations et mises à jour sporadiques, disant être en négociations avec les autorités libyennes, selon Haykel Mahfoudhi : « On a eu vent de plusieurs personnes du convoi qui ont été arrêtées. On est encore en train de mettre à jour les informations que nous avons eues au fur et à mesure. C'est très difficile de joindre la caravane actuellement et on ne sait pas trop ce qu'ils vont pouvoir faire. » Dimanche 15 juin, les porte-paroles du convoi insistaient encore dans une vidéo pour rester en Libye et ne pas faire marche arrière. L'objectif final : passer en Égypte pour ensuite rejoindre la marche et aller à Rafah, mais avec les restrictions égyptiennes imposées aux autres participants, l'espoir d'arriver à bon port, reste fragile. À lire aussiMarche de solidarité avec Gaza: de nombreux militants pro-palestiniens interpellés au Caire en Égypte
À Moroni, la pêche artisanale reste une activité essentielle pour des milliers de Comoriens. Mais face à la raréfaction des poissons, à la concurrence de grands chalutiers et aux restrictions locales, les pêcheurs se battent pour survivre. Certains évoquent un métier de plus en plus dur, d'autres tentent de s'adapter malgré les obstacles. Reportage à Moroni, dans un lieu appelé Café du port, où le poisson, autrefois abondant, devient une denrée fragile. De notre correspondant à Moroni, Près du port de Moroni, entre deux parties de dominos, les pêcheurs discutent d'un métier qu'ils aiment, mais qui ne les fait plus vraiment vivre. Commandant Loketo, pêcheur depuis 1999 : « Avant, il y avait moins de bateaux, plus d'opportunités, et surtout plus de poissons. Depuis 2010, les choses ont changé. Il y a les gros bateaux de pêche étrangers qui opèrent dans nos eaux et prélèvent énormément de poissons. Parfois, ils nous menacent avec des armes. On est obligés de fuir. Parfois, ils nous donnent des poissons ». Ces dernières semaines, certains notent une amélioration. Les grands navires se font plus rares, et les prises augmentent. Commandant Loketo : « Dieu merci, les poissons sont revenus. Vous le voyez bien sûr, les prix : la bonite est entre 2 et 2,50 euros ». À lire aussiConférence sur l'océan: des pêcheurs africains pointent l'impact destructeur de la pêche industrielle Mais il y a d'autres batailles pour les pêcheurs. Ibrahim Hassani vend son poisson près du Café du port, un point de vente situé en bordure de route. Les clients y stationnent souvent leurs véhicules, ce qui encombre la circulation et agace la mairie. « On nous empêche de vendre ici. C'est une décision de la mairie. J'ai 750 000 francs de poisson bloqué au congélateur, que je n'arrive pas à écouler ». Il regrette surtout d'avoir dû renoncer à la fraîcheur, son meilleur argument face aux clients. « Ici, il n'y a que du poisson frais. C'est maintenant que la situation a changé que nous avons des poissons congelés. Nous n'arrivons pas à les écouler, mais en période normale, nous n'avons jamais de poissons congelés ». La pression n'est pas que locale. Les pêcheurs dénoncent aussi un manque de soutien face aux enjeux géopolitiques de la mer. Andhum Abdallah, pêcheur depuis 2006 : « Nous avons une vie difficile. On souffre autant en allant à la pêche qu'en revenant. On souffre quand on veut vendre. Et certaines autorités viennent ici, pas pour nous aider, mais pour nous compliquer encore plus la vie ». Rester à flot, malgré les vagues, les décisions politiques, et les poissons qui se font rares. Pour ces pêcheurs, l'espoir, lui, est toujours bien ancré.
La Sierra Leone est l'un des pays les plus exposés à l'érosion côtière au monde. Près de 2 millions de personnes établies le long des côtes encourent aujourd'hui le risque de perdre leur habitation et leurs moyens de subsistance. De nombreuses familles ont par exemple déjà dû quitter l'île Plantain, située à plusieurs heures de bateau de la capitale, Freetown. L'île, qui comptait autrefois 5 000 habitants, s'est dépeuplée face à la montée rapide du niveau de la mer. Les plus pauvres n'ont de toute façon nulle part où aller. L'histoire de l'île Plantain, en Sierra Leone, semble sur le point d'être effacée. Une partie des vestiges de cet ancien comptoir commercial portugais a déjà été engloutie par l'océan. « Je dirais qu'à peu près deux tiers de l'île ont disparu. Dans les années 1970, les gens cultivaient la terre ici, mais ces champs n'existent plus. À l'époque, ils pouvaient aussi chasser les gros rongeurs, mais ces animaux ont, eux aussi, disparus », se souvient Charles Barlay, officier de la marine sierra-leonaise. Il vit à Shengue, la bourgade qui fait face à l'île de plantain, sur la côte. « Je dirais que presque 200 maisons ont disparu dans la mer. Il y avait trois mosquées ici, mais il n'en reste qu'une seule. La FAO avait fait construire des bandas pour sécher le poisson. Ça aussi, c'est parti », se remémore-t-il. Difficile de dire combien d'habitants vivent encore ici. Quelques milliers, peut-être même seulement quelques centaines. À la pointe de l'île Plantain, une fine langue de sable permet de rejoindre les grandes huttes dans lesquelles le poisson est fumé. Hafsatu dort dans l'un de ces bandas depuis qu'elle a perdu sa maison. « Il était minuit, toute la famille dormait, quinze personnes en tout, quand une grosse vague est entrée d'un coup dans notre maison et a tout emporté. Nous aimerions partir d'ici, car la terre rétrécit et nous avons peur. Si j'avais de l'argent, je le ferais, mais je n'ai aucune économie. Sinon j'aimerais m'installer à Tombo, le gros port de pêche sur le continent », raconte-t-elle. Malgré le déclin de l'île, la plupart des jeunes continuent à devenir pêcheurs comme leurs pères, faute d'alternative. C'est le cas de Mohammed Dangoa : « J'ai étudié jusqu'au lycée, mais maintenant, je vais en mer. Pourtant, il y a moins de poissons, car certains pêcheurs ont raclé les fonds avec leurs filets jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Donc, nous sommes obligés d'aller très loin pour trouver du poisson ! Certains de mes amis qui le pouvaient sont partis, pour essayer de trouver un meilleur travail ailleurs dans le pays, parce qu'ici, il n'y a rien. » Et les effets du changement climatique sur la vie quotidienne des pêcheurs ne sont pas toujours visibles à l'œil nu, rappelle Henry David Bayo, qui travaille pour l'Agence de protection de l'environnement. « Avec l'érosion, l'eau salée s'est infiltrée et s'est mélangée à l'eau des nappes phréatiques. Même trouver de l'eau potable sur l'île est devenu difficile. Ce qui a des implications sur la santé des habitants. On observe aussi des changements dans les courants marins, ce qui a des conséquences sur la pêche. Et puis le plancton par exemple ne survit pas à la hausse de la température de l'eau », explique-t-il. Un projet de restauration des mangroves est notamment à l'étude pour tenter de sauver ce qui reste de l'île plantain, avant que l'océan ne l'avale entièrement. À lire aussiSierra Leone: le désarroi des habitants de l'île Plantain, menacée par la montée des eaux [1/2]
La Sierra Leone est l'un des pays au monde les plus exposés à l'érosion côtière. Près de deux millions de personnes établies le long des côtes encourraient le risque de perdre leur habitation et leurs moyens de subsistance. La montée des eaux est particulièrement inquiétante pour ceux qui vivent sur les îles au large des côtes sierra-leonaises. Ainsi, sur l'île Plantain, située au sud de la capitale Freetown, des dizaines de bâtiments ont déjà disparu, la terre se réduisant chaque jour un peu plus. La terre sablonneuse semble avoir fondu à force d'être léchée par les vagues. Le rivage s'enfonce maintenant à pic dans l'océan. L'érosion de la côte a déjà emporté une partie de l'école de Plantain Island, en Sierra Leone. L'extrémité du bâtiment est détruite et frôle le vide. Le professeur Ibrahim Tarawally se remémore son arrivée sur place, il y a presque vingt ans : « Beaucoup d'entre nous sont venus ici depuis le nord, pendant la guerre civile. Maintenant, cette île est en train de disparaître, à cause de l'érosion et des intempéries. Oui, j'ai peur ! Regardez cette école... une salle de classe et le bureau du principal sont tombés dans la mer. Graduellement, l'île rétrécit de plus en plus. Et quand elle disparaîtra, il faudra bien partir. » La population était initialement de plus de 5 000 personnes, il n'en resterait que quelques centaines. En contrebas, les vagues turquoises viennent se briser à quelques mètres seulement d'une petite mosquée bleue. Autrefois, ce bâtiment se trouvait au centre du village. « Une partie des murs s'est déjà effondrée, donc les gens viennent encore prier, mais ils ont peur. Alors quand la marée est haute, les fidèles prient vite, vite, le plus vite possible avant de repartir », témoigne l'imam Djibril Alhaji Kamara, qui continue d'y diriger la prière. Une voisine s'approche. Kadiatou Diallo porte un long voile noir qui recouvre son corps sec. La vieille femme originaire de Côte d'Ivoire pointe la surface lisse qui a fait disparaître de nombreuses maisons. « Avant, on pouvait marcher jusqu'à la petite île, tout là-bas. Il y avait une route, des maisons et une autre mosquée, mais tout a disparu. Juste là, c'était ma maison. Nous vivions de manière très confortable. En fait, on ne pouvait même pas entendre les vagues quand on dormait. Il y a des années, on ne pouvait même pas deviner qu'on vivait sur une île quand on se tenait ici ! On ne voyait même pas la mer », se souvient-elle. L'agence pour la protection de l'environnement en Sierra Leone et l'Organisation internationale pour les migrations ont mené récemment une étude pour voir comment améliorer la vie des habitants sur place. « Pour ceux qui veulent rester sur l'île, il y a un besoin de prendre des mesures de protection. Par exemple, on réfléchit à la manière dont on pourrait restaurer les mangroves qui entourent l'île, car cette végétation permet de ralentir l'érosion et de protéger la côte », explique Henry David Bayo, consultant pour l'agence gouvernementale. Une bonne partie des habitants de l'île Plantain n'ont tout simple nulle part d'autre où aller, ni même les moyens de quitter leur habitat en plein déclin. À écouter aussi8 milliards de voisins: les villes côtières du continent face à l'érosion
Le Sénégal est un pays maritime, dont plus de 700 km de côte sont largement tournés vers l'océan. Plus qu'un paysage ou une ressource dont on vit, la mer est aussi l'objet de croyances, et source de foi. De notre correspondante à Dakar, De l'eau jusqu'aux cuisses, brosse et savon à la main, Moustapha lave soigneusement un mouton dans l'eau turquoise de l'océan sur les plages du Sénégal. Un rituel tout ce qu'il y a de plus banal pour ce pêcheur de 23 ans. « On est en train de préparer la tabaski, on lave les moutons pour la fête. La mer, ça les protège des bactéries », explique-t-il. Moustapha, qui est né et a grandi dans le village de Ngor, a toujours eu la plage pour jardin, la mer pour horizon et l'océan systématiquement présent pour accompagner les grandes fêtes. « C'est une forme de tradition. Depuis qu'on est tout petit, notre père et notre grand-père faisaient cela avant nous. On met du lait concentré sur la mer pour nos ancêtres », témoigne-t-il. Parmi ces actes sacrés : laver les moutons, verser du lait ou sacrifier un animal dans la mer pour demander la bénédiction de l'océan, entité sacrée, source de vie et de subsistance pour la communauté Lebou qui peuple les côtes sénégalaises. C'est aussi ce qui explique que la confrérie soufie des Layènes, tournée vers les flots, est née ici, sur la péninsule dans laquelle se trouve Dakar. « Même en prière, si on vous dit si vous êtes en prière quelque part et que vous avez la mer devant vous, tournez-vous vers la mer, c'est l'origine de tout ! », selon Serigne Abo, le conservateur d'un des sites où les Layènes viennent se recueillir. Une grotte, véritable fente dans la falaise, ouverte sur l'océan et dans laquelle on peut descendre : « La grotte fait face à la mer. Le puits où on s'altère se trouve au bord de la mer. » Il confirme ce lien spirituel fort entre le fondateur de la confrérie, Seydina Limamou Laye et la mer. « L'océan est indéniablement le compagnon de notre communauté. Seydina Limamou Laye est né dans un village complètement entouré par l'océan Atlantique, au nord, à l'ouest et au sud. Il fait partie d'un peuple qu'on nomme le peuple Lébou. On les appelle les gens de la mer, car leur tout c'est la mer. À part les champs à cultiver, la mer occupe 60 à 70% de leurs besoins », raconte-t-il. Aujourd'hui, les fidèles Layènes continuent de croire et d'espérer que leur mausolée et leurs lieux saints qui bordent l'océan sont protégées de la montée des eaux du fait de ce lien fort qui existe entre leur spiritualité et la mer. À lire aussiTabaski en Afrique de l'Ouest: entre traditions, préparatifs et partage familial
Dans l'océan Indien, des scientifiques essaient de connaître le risque microbiologique pour l'homme et pour l'environnement marin de toutes ces bactéries pathogènes qui arrivent à se coller sur les plastiques flottants en mer et à survivre. Une recherche menée par une équipe franco-malgache, dans le cadre du projet ExPLOI, développé par la Commission de l'océan Indien, l'une des rares recherches de ce type en cours dans le monde. De notre envoyée spéciale à La Digue, Dans le lagon de l'île de La Digue, aux Seychelles, dans l'océan Indien, une partie de l'équipe scientifique collecte les macroplastiques à l'aide d'épuisettes, d'autres prélèvent des échantillons, à terre, dans le sable. Thierry Bouvier, écologiste microbien marin et chercheur au CNRS et à l'Institut de recherche pour le développement, au laboratoire MARBEC, assiste Rakotovao Raherimino, doctorant à l'Institut halieutique et des sciences marines de Tuléar. Le premier gratte un morceau de plastique avec un écouvillon, tandis que le second découpe avec précaution un morceau de la bouteille plastique jaunie par le soleil. « Cela se voit que ce plastique a séjourné dans l'eau, montre Thierry Bouvier. Il est colonisé par un certain nombre de choses. On voit des biofilms, on voit des petites tâches qui sont dues au développement pendant son séjour en mer. Après ce séjour à dériver en mer, il s'est échoué et là, on l'échantillonne désormais. On va conserver cet échantillon pour des analyses génétiques et estimer la diversité de ces bactéries qui sont associées au plastique. » De retour au laboratoire embarqué à bord du navire Plastic Odyssey, les deux chercheurs extraient aux ultrasons les bactéries réfugiées sur les plastiques collectés à la plage et en mer, puis les mettent en culture. Objectif : Savoir quelles sont celles qui peuvent affecter les humains et qui ont survécu au soleil et à la salinité. Et les premiers résultats obtenus par Rakotovao Raherimino sont pour le moins préoccupants. « J'ai découvert qu'il y a environ 300 fois plus de bactéries potentiellement pathogènes, c'est-à-dire qui peuvent entraîner des infections pour l'homme, sur les macroplastiques que dans l'eau de mer. On a trouvé des bactéries d'origine fécale, qui sont majoritairement des bactéries pathogènes comme l'Escherichia coli qui provoque des infections intestinales ou la Klebsiella pneumoniae qui provoque des infections pulmonaires. L'objet de ma thèse, c'est de savoir la durée de vie de ces bactéries lorsqu'elles sont hébergées dans les plastiques lors de leur “séjour” en mer », explique-t-il. Le tapis microbien, cette espèce de « film gluant » qui se développe à la surface des plastiques en mer, offre-t-il un écosystème refuge pour les bactéries d'origine humaine, contrairement à l'eau de mer qui ne permet pas à ces bactéries de survivre très longtemps ? Les premiers résultats montrent que ces bactéries sont véritablement plus nombreuses sur les plastiques que dans l'eau de mer environnante et surtout encore vivantes. Certaines d'entre elles ont même été observées dans l'intestin des animaux qui consomment ces plastiques. Les études en cours devraient permettre de dresser différentes conclusions sur les risques pour la santé humaine. À lire aussiAnalyse: à quoi doit servir la Conférence de l'ONU sur l'océan à Nice ?
Il y a des océans dont la pollution est mieux documentée qu'ailleurs. Le Pacifique et son fameux continent de plastique ont bénéficié, ces dernières années, de beaucoup d'études. L'océan Indien, particulièrement le sud-ouest de l'océan Indien, a été jusqu'à présent assez peu observé. Cette année, plusieurs recherches ont été lancées dans la zone grâce au programme ExPLOI. L'une de ces études consiste à produire un inventaire inédit sur la quantité et le type de plastiques que l'on retrouve dans les eaux côtières. De notre envoyée spéciale de retour de Mahé, Nous sommes dans le lagon de Baie Lazare, sur l'île de Mahé, à bord du Zodiac, aux côtés des matelots, Chettun Bhonul, doctorant à l'Université de Maurice. Ce matin, comme tant d'autres, il procède à ce que l'on appelle la collecte de microplastiques : « Prêt pour les mettre à l'eau ? ». Le capitaine du Zodiac répond : « Filet manta à l'eau ! » Ce que le chercheur vient de lancer, ce sont en fait des petits filets harnachés à des flotteurs qui vont capter toutes les particules en suspension, à la surface de l'eau. Durant deux heures, le bateau va tracter ces filets en lignes droites pour collecter un maximum d'échantillons. Une expérience répliquée dans 15 lagons de l'Océan Indien, à Madagascar, à Maurice et bientôt aux Comores. « L'objectif, c'est déjà pour avoir un aperçu sur le nombre de microplastiques qu'on a sur les lagons, mais aussi en dehors du lagon, pour les quantifier. Du coup, quand je prends les microplastiques, je vais les classifier en taille, en type et aussi en couleur pour savoir quel est le plus commun des microplastiques ? Mon étude est inédite parce qu'on a très peu de données sur la pollution plastique dans le sud-ouest de l'Océan Indien, surtout sur les micro plastiques. Dans le Pacifique, dans les autres océans, on a plus de données sur le plastique, sur la situation. Mais ici, dans cette zone comme Maurice, Seychelles et Madagascar, c'est vraiment novateur. » De retour au laboratoire, Chettun Bhonul passe les résidus dans trois tamis différents : un de deux millimètres, un autre d'un millimètre et un troisième de 315 micromètres, pour compter les micro-plastiques et les identifier. Des résultats attendus Pour le comptage des particules les plus fines, le chercheur a besoin du microscope. « Ça, c'est un microplastique. Ça, c'est une fibre, qu'on ne peut pas voir à l'œil nu, mais au microscope, on peut voir. Et ça, c'est un fragment de couleur bleue. On peut voir qu'il y a beaucoup de micro-plastiques qui ne sont pas visibles à l'œil nu. » Le chercheur se met à compter : « Un, deux, trois, neuf… douze. Vous voyez ça, ce sont des fibres. » « Notre première observation, ça dit que "oui, il y a des microplastiques dans les lagons" et l'objectif de ma thèse est de savoir si le lagon joue un rôle de concentrateur de microplastiques ou au contraire, si les eaux calmes du lagon favorisent la sédimentation, c'est-à-dire la chute des microplastiques vers le fond du lagon. » Autrement dit, une fois dans la mer, jamais, les micro-plastiques ne disparaissent tout à fait. Les premiers résultats de cette grande étude sont attendus pour septembre 2025. À lire aussiOcéans: état des lieux autour du continent africain [1/3]
La pollution plastique dans les eaux africaines n'a jamais été aussi élevée. Chaque année, des millions de tonnes de déchets se déversent dans les océans bordant le continent, menaçant les écosystèmes marins et les populations côtières qui en dépendent. Mais contrairement au Pacifique, les données aujourd'hui disponibles sur la pollution plastique autour de l'Afrique demeurent très limitées, freinant de facto la compréhension de ce phénomène. Pour combler ces lacunes, plusieurs études scientifiques essentielles ont été récemment lancées dans le sud-ouest de l'océan Indien, zone particulièrement complexe. Reportage de notre envoyée spéciale de retour des Seychelles, Sarah Tétaud Aussi idylliques soient-elles, les plages des Seychelles ne sont pas épargnées par les détritus qui viennent s'y échouer. « À chaque nouvelle marée, explique un plagiste, on retrouve des petits bouts de plastiques, des sachets... On nettoie deux fois par jour. Même les touristes ramassent les saletés et nous les apportent pour qu'on les mette à la poubelle ». Cette pollution, visible à différents degrés sur les côtes africaines, ainsi que ses effets, restent cependant assez mal connus à l'échelle du continent. Yashvin Neehaul, scientifique, spécialiste de la chimie des océans, basé à Maurice, est co-auteur du livre The African Marine Litter Outlook : « Pour comprendre la pollution plastique marine, il est essentiel de commencer par identifier les sources ainsi que les voies de dispersion des déchets plastiques. Dans les pays continentaux, les rivières et autres cours d'eau constituent les principaux vecteurs de transport des plastiques vers les océans. En fonction des courants marins et de la topographie côtière, ces déchets s'accumulent dans certaines zones spécifiques, le long des côtes africaines ». Les chercheurs ont défini deux zones qui concentreraient des milliers de kilomètres carrés de ce qu'ils appellent des « soupes de microplastiques ». L'une dans l'océan Atlantique, au sud de l'Afrique du Sud ; l'autre dans l'océan Indien, au sud de Madagascar. Néanmoins, rappelle Yashvin Neehaul : « Il est difficile de se prononcer sur les sites exacts où s'accumule le plastique. Pourquoi ? Parce qu'il y a un manque de données sur l'étude des courants autour du continent africain ». Et c'est particulièrement le cas pour la façade est de l'Afrique, comme l'explique Christophe Maes, océanographe et physicien à l'IRD, du Laboratoire d'océanographie physique et spatiale, à Brest, en France : « L'océan Indien souffre d'un manque d'observation in situ et a un gros retard par rapport aux autres océans, tout simplement parce que ce n'est pas forcément le lieu de passage des principaux rails de navigation océanique ... ». Pour y remédier, un programme de collecte de données a lieu en ce moment-même dans le sud-ouest de l'océan Indien, grâce au largage, à partir du navire Plastic Odyssey, de bouées dérivantes, qui émettent un signal GPS.« Quand on lâche des bouées, explique Christophe Maes, ça nous permet d'avoir une description au moins à l'échelle de la bouée, des principaux mouvements de l'océan pour valider nos modèles, et à partir de ces modèles, essayer de mieux comprendre la dynamique que peuvent subir les plastiques dans l'océan Indien. Et le second intérêt de ces largages et d'études sur leur dispersion, c'est qu'en utilisant nos modèles “dans l'autre sens”, on va pouvoir remonter à l'origine de ces plastiques qui viennent polluer l'ensemble de la région. Ça va permettre de comprendre leur dispersion depuis leur zone d'origine à l'échelle de l'océan Indien, et peut-être même plus loin ». Des programmes novateurs et surtout d'intérêt international. La pollution plastique dans les eaux africaines n'a jamais été aussi élevée. Si la majorité des déchets en mer provient de la terre ferme, les chercheurs estiment toutefois que l'abandon et la perte d'équipement de pêche dans les océans seraient responsables jusqu'à 30 % de la diminution des ressources halieutiques. À lire aussiUne mission scientifique inédite dans l'océan Indien À lire aussiEn Afrique, une pollution plastique due surtout aux emballages à usage unique
Au Sénégal, c'était une première, les architectes de tout le continent s'étaient donné rendez-vous à Dakar pour le premier symposium des architectes africains. Pendant trois jours, du 22 au 24 mai, une centaine d'architectes ont buché sur le thème « Repenser les villes africaines pour une perspective durable ». À la clef, une déclaration commune, une série de recommandations aux États du continent pour améliorer la qualité des villes. De notre correspondante à Dakar, Spéculations foncières, croissance galopante des villes et avec quelles solutions architecturales y faire face ? Une centaine d'architectes se sont succédé de table ronde en table ronde. Une rencontre inédite, comme le rappelle Angela Mingas, architecte, venue d'Angola : « C'est la première fois, c'est wow, ça fait plus de 10 ans qu'on ne s'est pas vu et c'est la première fois en Afrique, c'est très important. » Pour elle, c'est une rencontre cruciale : « Parce que les villes ont les mêmes problèmes à travers le continent, nous avons tous cette dualité d'un centre-ville hérité de la colonisation et d'une périphérie, même si nous sommes différents, nous partageons les mêmes défis, c'est donc une opportunité inédite pour échanger des connaissances. »Et pour Baba Seck Bali, un entrepreneur dans l'immobilier venu spécialement du Mali, il y a urgence à trouver des solutions communes : « Vous imaginez comment on va vivre à Dakar dans 20 ans, ça va être très compliqué. Trop de monde, trop d'embouteillages, trop de CO2. Le gros problème, c'est la spéculation. Malheureusement, les spéculateurs sont toujours en avance sur les planificateurs, ce qui fait que nos villes s'agrandissent dans un désordre total. »À lire aussiL'Afrique est le continent avec la «tendance d'urbanisation la plus rapide au monde»Face à ce désordre et pour rattraper les erreurs de l'urbanisation anarchique les architectes ont produit un mémorandum commun, une déclaration de Dakar qui veut - entre autres – corriger la ségrégation spatiale, héritée de la colonisation, réaffirmer l'importance d'utiliser les solutions et connaissances architecturales du continent adapté au continent, mais aussi encourager les États à adopter des normes de constructions plus durables.Exemple avec les briques de typha, du nom de cette plante qui pousse partout au Sénégal. Une brique bien moins polluante que le ciment. Encore faut-il en connaître l'existence comme l'explique Ernest Dione. Il codirige le bureau d'étude bio Build Africa « C'est une innovation qui demande une reconnaissance technique qui permette un recours plus systématique à ce type de brique durable comme pour la terre crue. »Pour cela, il faut aussi augmenter les capacités de production des entreprises qui la fabrique. D'énormes chantiers qui ne réussiront que si les États africains s'emparent de ces recommandations formulées par les architectes africains.
Au Gabon, dans la perspective de One Forest Vision, un sommet sur les forêts tropicales qui se tiendra en France l'année prochaine, des chercheurs sillonnent les forêts du bassin du Congo pour collecter les espèces de plantes et de fleurs encore mal connues ou non encore étudiées. Ces espèces sont photographiées, nommées et stockées dans une application appelée PlantNet. Il y a quelques jours, une vingtaine d'étudiants gabonais ont bénéficié d'une formation théorique suivie d'une expédition dans la forêt que notre correspondant a accompagnée. De notre correspondant à LibrevilleArboretum de Sibang, une forêt située dans le nord de Libreville. Le botaniste Daniel Barthélémy et ses étudiants sont lancés à la recherche d'espèces à documenter après des cours théoriques dans une salle climatisée. Brusquement, le chercheur français basé à Montpellier s'arrête devant une plante. « Alors là, c'est intéressant parce que c'est une euphorbiacée qu'on a vu ce matin avec tous les gens de la formation. On ne sait pas exactement quelle espèce c'est, mais on a une idée du genre parce que l'on a fini par trouver les fleurs, on a trouvé les fruits. Donc, ça, ça nous indique à quel genre peut appartenir cette espèce. »Daniel Barthélémy parcourt les forêts du bassin du Congo depuis 2023 après sa participation à Libreville au One Forest Summit, un sommet sur les forêts tropicales dont les très nombreuses espèces sont encore très mal connues par rapport aux forêts européennes. « Beaucoup, beaucoup d'espèces et finalement peu de monde en comparaison qui les étudie. Et donc on connaît les espèces, bien sûr, mais la quantité d'espèces qui doit être documentée, prise en photo, etc. est considérable. »Une application participativeÀ chaque étape, les chercheurs prennent des photos qui vont enrichir l'application Pl@ntnet créée pour documenter les espèces végétales des forêts tropicales. Dady Ngueba Ikapi, doctorant à l'Université des sciences et techniques de Masuku, fait partie de l'expédition. « On est en train d'enrichir la base de données pour nous permettre de collecter plus d'images et pour pouvoir actualiser au fur et à mesure dans le temps. Lorsque la plante est bien filmée sur le terrain, elle nous permet tout de suite de pouvoir l'identifier à partir de l'application Pl@ntnet. »Pl@ntnet rêve de devenir l'encyclopédie des plantes des forêts tropicales. Il est fondé sur le principe du partage et de la gratuité, explique le docteur Murielle Simo-Droissart de l'IRD Montpellier. « La licence de partage des photos de la planète, c'est une licence libre. Ça veut dire que toutes les photos que vous partagez, vous les partagez librement. Mais chaque fois que les gens utiliseront les photos que vous avez faites, on saura qu'elles sont de vous parce qu'il y aura toujours votre nom en dessous des photos. »Loin d'un simple stockage, les photos fournies par les chercheurs doivent participer grâce à l'intelligence artificielle à mieux protéger les forêts, étudier leur capacité de stockage du carbone, mais aussi à quantifier les crédits carbones.À lire aussiLe parc de la Lopé, sauvegarder le patrimoine naturel et humain du Gabon
Ces dernières années, dans le rap centrafricain, de plus en plus de jeunes talents féminins s'imposent dans le game, RFI vous fait découvrir l'une d'entre elles. Il s'agit de Princia Plisson, une artiste rappeuse et auteure-compositrice, Cool Fawa. Dans un pays où la musique a peu de moyens, elle a aussi dû affronter les préjugés pour se hisser au sommet de son art. Considérée comme un symbole de résilience, Princia Plisson est une inspiration pour les autres filles de sa génération. Assise dans son salon, aux côtés d'un piano et de nombreuses guitares accrochées aux murs, Cool Fawa griffonne des mots dans son bloc note en chantant. Princia Plisson, de son vrai nom, s'est lancée dans la musique avec le groupe de rap MC Fonctionnaire : « En 2010, j'ai commencé par la danse, dans des compétitions inter-lycées et interclasses. Ensuite, j'ai commencé à interpréter des chansons à l'Alliance française de Bangui en 2012. À l'époque, je constatais qu'il y avait des rappeuses dans tous les pays qui nous entourent, mais pourquoi pas chez nous en Centrafrique ? C'est comme ça que je me suis lancée pour défendre les couleurs de mon pays. »En plus de la musique, Cool Fawa fait du sport et poursuit ses études : « C'est une question d'organisation. Je me suis organisée parce qu'il y a de l'amour dans tout ce que je fais. Que ce soit les études, le basketball ou la musique, j'ai de l'amour pour les trois. »Aujourd'hui, la rappeuse utilise sa voix et son micro pour faire passer les messages qui lui tiennent à cœur : « Je me focalise beaucoup plus sur l'amour. Ensuite, je défends la cause des femmes. Je véhicule des messages de paix. Des morceaux pour pousser les centrafricains à s'aimer, à pratiquer la cohésion sociale et le vivre ensemble. »« Sa musique dépasse les frontières »Sur la scène, Cool Fawa met toujours le feu, pour le bonheur de ses fans. Crépin Azouka, promoteur culturel, est impressionné par son parcours. « Je me rappelle la chanson qui l'a propulsée : 'Jennifer'. Elle a brisé la peur pour être dans un groupe de rap masculin, purement engagé. Elle fonctionne avec une équipe solide. Elle travaille son image, elle a une équipe de danseuse. Grâce à son organisation, sa musique arrive à dépasser les frontières. »Mais dans ce milieu dominé par les hommes, Princia Plisson a dû faire face à de nombreux obstacles « Quand j'ai commencé ma carrière de rappeuse, on m'a beaucoup insultée, injuriée, j'ai eu beaucoup de problèmes et ça fait mal. »Grâce à sa ténacité, elle est devenue l'une des artistes les plus suivies en Centrafrique. Princia Plisson a lancé en 2022 son label baptisé Cool Fawa Music pour trouver, encadrer et produire des jeunes talents.À lire aussiLey Kartel fait danser toute la République centrafricaine
Au Sénégal, derniers jours pour l'achat du mouton avant la fête de la Tabaski qui sera célébrée samedi 7 juin par la majorité des musulmans du pays. Les vendeurs sont positionnés en bord de route et sur les ronds-points de la capitale en espérant écouler leur cheptel. Les vendeurs optent eux pour différentes stratégies, entre ceux qui s'y sont pris bien à l'avance et ceux qui attendent la dernière minute. De notre correspondante à Dakar,En passant devant les moutons, Abdoulaye Diatta jette un regard rapide. Lui a déjà acheté sa bête, il y a longtemps. « Je l'ai acheté plus d'un mois déjà. Il faut s'y prendre bien avant. C'est ça l'astuce. Parce que c'est moins cher et on a le temps de bien regarder ce que l'on fait », explique-t-il.Si certains de ses compatriotes cherchent le plus gros mouton ou des races prestigieuses comme le ladoum, Abdoulaye a des critères plus simples. « Ce n'est pas l'envergure qui compte, mais ce sont les principes de l'islam. C'est-à-dire qu'il doit correspondre à ce qu'il faut comme mouton pour la Tabaski. Qu'il soit en bonne santé, qu'il ne soit pas trop âgé, qu'il ait les cornes et tout. En fait, que ce soit le mouton parfait », détaille-t-il.Installés depuis plusieurs semaines déjà en bord de route, les vendeurs comme Abdouleye Diène prennent leur mal en patience. Il a une cinquantaine de moutons. « Je les ai élevés chez moi à Yoff. Il y en a d'autres que j'ai achetés pendant le ramadan et que j'ai entretenus durant trois mois pour les revendre pour la fête. Il y a aussi des moutons que j'ai achetés à l'intérieur du pays pour les revendre ici », énumère-t-il.Dans l'enclos d'à côté, Malick n'a pour l'instant vendu aucun de ses 17 moutons. « Les gens n'ont plus d'argent », estime-t-il. Beaucoup d'acheteurs attendent aussi la dernière minute pour acheter leur bête. Ousseynou fait du lèche-vitrine avec son frère, allant de vendeur en vendeur, avec une stratégie déjà bien rodée. « Je suis venu pour observer un petit peu, voir la tendance au niveau des prix. Après, c'est un premier prix. Cela ne veut absolument rien dire. Cela peut baisser parce que le marchandage, c'est dans nos gènes, c'est dans notre culture », raconte-t-il.Ousseynou regarde les moutons avec une fourchette de prix en tête, entre 200 et 225 000 francs CFA, mais il n'est pas pressé. « Je vais attendre la veille. Car je n'ai pas beaucoup d'espace à la maison. Et il me faudrait deux moutons. Cela ne sert à rien de se précipiter », se ravise-t-il. La nuit, la police assure des patrouilles et les vendeurs dormiront auprès de leurs bêtes jusqu'à samedi pour éviter les vols. Au Sénégal, chaque année, plus de 800 000 moutons sont nécessaires pour la Tabaski.À lire aussiEn Afrique, d'où viennent les moutons sacrifiés de la Tabaski?
On en parle comme d'un nouvel humoriste, pourtant Docta Kevin écume les scènes du pays depuis plus de dix ans. Le récent lauréat du prix RFI Talents du Rire a présenté son nouveau spectacle My Life au public de Douala et de Yaoundé. Docteur Kevin ne manque pas de charisme. Il se raconte avec autodérision dans un français limpide, un humour de famille sans grossièreté. « C'est éviter d'être vulgaire, dire des choses sans dire. On n'est pas obligé de prononcer des obscénités pour faire comprendre certaines choses aux gens. On peut parler de sexe sans prononcer le mot sexe. On peut parler de politique sans dire le mot politique. On peut parler de beaucoup de choses. Je pense que c'est un humour de valeur », estime le jeune humoriste.Ce soir à l'Institut français de Yaoundé, au Cameroun, son public est venu lui témoigner sa sympathie. Anita et Claudelle, qui ont vu les deux premières représentations de son spectacle, sont conquises : « Beaucoup de rires, beaucoup de joie et on se sentait vraiment impliqués. Le fait qu'il faisait participer le public, on se sentait réellement impliqué. Ce n'était pas un monologue. » « Pour moi, c'est un talent brut, pur et je pense que le meilleur reste à venir. Que du bonheur, vraiment du bonheur », témoigne cet autre spectateur admiratif.Pourtant, de l'aveu du lauréat RFI Talents du rire 2024, rien ne le prédestinait à faire carrière dans l'humour. Une aventure qu'il a cependant démarrée en 2012. Ce parcours, il le raconte aussi dans son spectacle My Life. « C'est vrai que c'est assez long à résumer, en une heure, ce n'est pas possible. C'est juste prendre quelques petites séquences marquantes de ma vie. C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses à raconter, mais "My Life", c'est un peu mon tout petit parcours dans le milieu de l'humour », estime-t-il.Dans le milieu de l'humour, le talent de Kevin est reconnu. Pour l'humoriste Ulrich Takam, au-delà d'être drôle, c'est aussi un artiste entreprenant : « Je le trouve super intéressant comme artiste parce qu'il y a une grosse volonté de donner aux autres. Avec sa petite troupe du Gospel Comedy Club, je trouve qu'il a commencé à entreprendre bien avant la célébrité, ce qui est déjà une très bonne chose. Au-delà d'être drôle, c'est un bel artiste. » Outre l'humour, Docta Kevin travaille également dans le secteur de la communication. Il a prêté sa voix à plusieurs entreprises pour des spots publicitaires. À 40 ans, le fondateur du Gospel Comedy Club aimerait désormais vivre de son art.À écouter aussiLa relève du rire: Première demi-finale à Cotonou, Bénin
En Tunisie, un nouveau festival de Jazz, Jazz'it Festival, s'est tenu du 31 mai au 1er juin, attirant plusieurs centaines de spectateurs. Au-delà des concerts de musiciens internationaux, les organisateurs du festival ont également voulu donner une chance aux jeunes talents tunisiens d'assister à des masterclass et de commencer à produire leur musique. Dans le pays, le jazz réunit une grande communauté de passionnés depuis les années 1960. Devant un public de jeunes musiciens tunisiens, le guitariste américain Mark Whitfield présente une masterclass. Au programme, conseils et exemples de composition. Pour Malek Lakhoua, musicien de jazz et organisateur du festival avec le label Jazzit Records, il s'agit de perpétuer une tradition de culture du jazz en Tunisie qui avait commencé avec le festival de jazz à Tabarka en 1968.« J'ai grandi dans cette ambiance de masterclass, "d'aftershow". Pour moi, c'est la liberté que véhicule cette musique, l'union. C'est ce que l'on veut véhiculer à travers ce festival », explique l'organisateur, qui souhaite aider la scène jazz tunisienne à se renforcer. « Pour nous, la scène n'est pas assez structurée, il n'y a pas de label. Les circonstances, l'environnement, il est presque hostile pour la création d'un label. Économiquement, c'est difficile, la distribution est très compliquée, le manque de festivals. Il y a beaucoup de défis par rapport à cela », regrette-t-il.« Je cherche toujours des masterclass ou des sessions de jam pour apprendre et m'inspirer. Surtout que, malgré les quelques maîtres tunisiens du jazz, ce n'est pas vraiment une musique qu'on apprend au conservatoire. Il n'y a pas de formation, c'est un apprentissage un peu autodidacte », estime quant à lui Neder, 24 ans, qui improvise avec ses camarades à la guitare.Si le jazz reste confidentiel en Tunisie, une jeune génération de musiciens, espère percer dans le pays, comme Ahmed Dridi 29 ans, originaire de Zaghouan au nord de la Tunisie. « On est motivés, même si la culture du jazz n'est pas hyper répandue. Mais c'est plus par ignorance que manque d'intérêt pour cette musique. Par exemple, moi, si j'invite des amis à voir des live de musiciens jazz, au début, ils viennent sans connaître nécessairement et après, ils reviennent. Avec les jeunes, une communauté d'amateurs se crée aussi », raconte-t-il.Et pour encourager cette dynamique, le jeune musicien Aymen Dhifaoui, 27 ans et originaire de Kairouan, est monté sur scène pour échanger quelques sons de guitare avec le légendaire Mark Whitfield à la clôture du festival.À écouter aussiL'épopée des musiques noires: David «Yacouba» Jacob revitalise ses origines béninoises
L'Aïd el-Kébir ou Aïd el-Adha, la plus grande fête de l'islam, sera célébrée ces 6 et 7 juin dans les pays et les communautés musulmanes. Elle est appelée Tabaski en Afrique de l'Ouest. En Côte d'Ivoire, où plus de 40% de la population est musulmane, les foyers se préparent à des rassemblements familiaux, mais pas seulement. À Abidjan, une famille nous a ouvert ses portes. De notre correspondante à Abidjan,Tous les ans, c'est le même ballet dans la maisonnée. Madame Taofik, qui tient une boutique à Cocody, sait que son petit pavillon de Blockhaus ne suffira pas à accueillir tous ses invités. Avec la famille élargie et les conjoints, la population du foyer devrait doubler. Alors il faut anticiper. « Le matin avant la prière, ma belle-fille et son mari vont venir, explique Madame Taofik. Ma fille aussi, qui n'est pas encore mariée vient aussi, tout comme le petit frère de mon mari. Ce qui est sûr, c'est qu'on sera en famille. Tout le monde va venir à la maison pour qu'on fête ensemble. Souvent on dépasse les quinze personnes ! Quand la famille vient, on loue les sièges quand il est l'heure de manger. On sait bien s'amuser ! »Plus que les retrouvailles, les enfants sont enthousiasmés par les habits de fête et le festin. En réunissant toutes les générations, la Tabaski est aussi l'occasion de transmettre les traditions aux plus jeunes. Les pères de famille mettront à mort le mouton ou le bœuf, pour ceux qui en ont les moyens.Le petit-fils de Madame Taofik, Jimoh, veut apprendre auprès de son père, qui a promis de l'initier. « La fête va bien se passer, prédit le garçon de dix ans. On va payer un joli habit pour moi, des jolies chaussures, un chapeau, et un bœuf. On va fêter en famille, on va manger et rigoler. Je suis très pressé ! Mon papa va tuer le bœuf, il va me montrer comment, je vais regarder. Comme ça, quand je serai grand, je pourrai le faire aussi. »« J'ai des amis chrétiens et des amis musulmans, je célèbre avec tout le monde »Les femmes de la maison préparent le repas la veille, mais les traditions évoluent chez une jeunesse urbaine et moderne. Pour elle, Tabaski n'est plus seulement une célébration familiale, mais aussi un moment de fête avec les amis, toutes religions confondues. « On a programmé de faire une sortie le soir, explique Rokia Taofik, 27 ans. Le matin, je suis à la maison avec les parents. Après avoir mangé, tout le monde est à l'aise, vous vous reposez. Et puis le soir, vers 19h, vous sortez, vous partez vous amuser… Moi, j'ai des amis chrétiens et des amis musulmans, donc je fête avec tout le monde. Tout le monde a droit à la fête de la Tabaski ! Il ne faut pas dire “lui est musulman, lui est chrétien, il ne peut pas aller fêter”. La fête, c'est la fête ! »Plus de douze millions de personnes devraient célébrer la Tabaski vendredi 6 juin, qui sera un jour férié pour tous les Ivoiriens. À lire aussiAïd-al-Adha, Aïd-el-Kebir ou Tabaski : une année à l'épreuve des crises