Du lundi au vendredi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'Etat ou rebelle, footballeur ou avocate... L'invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.
Nengo, qui veut dire « dignité » en sango, la principale langue de la République centrafricaine, c'est le nom d'un projet de soin et d'accompagnement de victimes de violences sexuelles porté à Bangui par la fondation Pierre-Fabre, en partenariat avec la fondation Panzi du docteur Denis Mukwege. Il a donné lieu à un travail photographique réalisé par Nick Danziger, axé autour de récits de victimes et de la difficulté d'obtenir la justice. Un projet publié sous forme de livre et exposé dernièrement à Libreville et Kinshasa, et qui va l'être à Paris en 2023.
« Nous sommes une opposition responsable, qui ne veut en aucun cas interrompre la coopération avec la communauté internationale, nous voulons juste des partenariats gagnant-gagnant », affirme l'opposant sénégalais Ousmane Sonko, ce 6 janvier 2023, dans une interview à RFI et France 24. Monsieur Sonko, vous soulevez un point qui fait débat et qui fera débat, à savoir la question du troisième mandat. Macky Sall n'a pas encore dit s'il comptait briguer ou pas un nouveau mandat, il estime toutefois qu'en raison de la nouvelle Constitution de 2016, il en a le droit. On entend certains de ses proches l'encourager à y aller. Alors, d'une part, en a-t-il le droit, d'après vous, et s'il y va, est-ce que vous seriez, peut-être, tenté par une stratégie de déstabilisation, si jamais il saute le pas ? Vous savez, le seul fait que ce débat se pose encore au Sénégal n'honore pas ce pays, n'honore pas le président Macky Sall. N'oubliez pas qu'en 2012, c'est le président Macky Sall qui était à la pointe de la contestation contre la troisième candidature du président Abdoulaye Wade, au point d'être dans les manifestations à la place de la Nation, muni d'un petit matelas, se disant prêt même à y passer les nuits s'il le faut. Pensez-vous que, moralement, un homme qui a eu cette position, cette posture et qui a mené ce combat-là, puisse se retrouver, douze ans plus tard, dans la même situation où c'est lui, aujourd'hui, qui veut forcer une troisième candidature ? C'est une honte pour le Sénégal, c'est une honte pour l'Afrique que ce genre de débat ne se pose que chez nous. Quand on a gouverné de la manière dont il a gouverné avec des scandales à la pelle, impliquant ses proches, ses beaux-frères, ses frères, ses parents, tous ces gens qui l'ont mené à sa gouvernance, quand on a gouverné par la brimade en instrumentalisant la justice, en libérant les forces de défense et de sécurité sur les gens, on a toujours peur des lendemains. Mais sur le plan juridique, tous les constitutionnalistes sénégalais - vous voyez que chaque jour ou chaque semaine, il y a des panels - je n'ai pas encore vu un constitutionnaliste qui dise le contraire et nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Cette phrase qui figure dans l'article 27 de la Constitution, a résumé la question. Qu'est-ce qui va se faire ? Cela relèvera du peuple sénégalais. Vous savez, ce n'est pas une question de Ousmane Sonko ou de X ou de Y. La preuve, s'il y a une question qui fait consensus entre l'écrasante majorité du peuple sénégalais, la société civile sénégalaise, les acteurs politiques de l'opposition et même des acteurs politiques du pouvoir, parce que de plus en plus de voix s'élèvent dans le pouvoir - on a même des démissionnaires qui disent rendre leur tablier parce qu'ils ne peuvent pas admettre ce débat sur le troisième mandat - le moment venu, le peuple sénégalais qui est un grand peuple, qui a montré dans le passé son attachement à la démocratie, ce peuple-là aura son mot à dire. Monsieur Sonko, lors de votre candidature officielle - c'était au mois d'août dernier - vous avez accusé Macky Sall de « susciter des dossiers de terrorisme, de rébellion, de viols imaginaires, fabriqués avec le soutien de la France ». La France aurait donc participé à un complot contre vous ? C'est grave, ça, comme accusation… Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui, il y a un certain nombre d'actes que la France pose, ce qui nous fait penser, nous l'opposition, de manière générale, que la France prend fait et cause pour Macky Sall. Sur ces problématiques-là, nous voulons appeler la France à revoir sa position. On a été dépeints comme étant des antifrançais notoires. Nous n'avons rien contre la France, ni contre aucun autre pays. Nous avons un discours qui peut gêner parce que c'est un discours qui appelle à une rupture dans les relations. Il y a des traditions séculaires entre le Sénégal et la France mais ces traditions sont assises également sur des relations qui ne sont pas totalement roses pour le Sénégal. Nous sommes au XXIème siècle, le monde est en train de changer. Il ne s'agit plus de placer un président, de lui apporter un total soutien, tant qu'il accepte la coopération telle que vous la voulez ou telle que vous l'entendez. Nos pays aspirent à autre chose et nous voulons continuer des partenariats mais dans le sens d'un partenariat gagnant-gagnant et cela appelle à une révision d'un certain nombre d'axes, au niveau économique surtout, mais également sur beaucoup d'autres plans. Sur le plan international, il y a un fait inédit. Depuis quelque temps, nous nous rendons compte que la communauté internationale établie au Sénégal semble avoir même peur d'entrer en contact avec l'opposition et on nous dit que ce serait un veto du présent Macky Sall. Nous voulons dire à cette communauté internationale que l'opposition sénégalaise est une opposition responsable, ouverte sur le monde, qui connaît la tradition et l'histoire de la coopération au Sénégal qui, en aucun cas, ne peuvent être interrompues mais que nous voulons des discussions beaucoup plus sereines, beaucoup plus ouvertes et orientées vers des partenariats constructifs, gagnant-gagnant. Monsieur Sonko, vous dites que vous n'êtes pas contre la France. On a vu des manifestations anti-françaises et parfois pro-russes dans plusieurs capitales africaines. Quelle est votre appréciation de cette arrivée des Russes qui pourraient se substituer à la France ? Ce que je voudrais dire à nos amis africains, c'est qu'il n'est pas question de remplacer un partenariat qu'on considérait défavorable, par un autre qui peut l'être beaucoup plus. Remplacer un drapeau par un autre n'est pas en faveur du combat pour la souveraineté des pays africains. Nous devons être très prudents. L'ouverture, certes mais à l'endroit de la Russie également, ce qui est attendu n'est pas un partenariat de guerre, on n'attend pas que la guerre s'installe dans un pays pour débarquer, mais nous voulons des partenariats beaucoup plus constructifs, beaucoup plus larges qui englobent toutes les questions de développement et qui nous interpellent. À propos du dossier judiciaire concernant M. Ousmane Sonko, la Direction de RFI tient à préciser que ses journalistes, à Dakar comme à Paris, ont toujours veillé à couvrir cette affaire avec la plus grande rigueur et avec un souci permanent de l'équilibre.
Au Bénin, la campagne des élections législatives prend fin ce 6 janvier. Les sept partis politiques lancés dans la course ont jusqu'à ce soir pour convaincre les électeurs. Ce scrutin voit la réouverture du jeu politique puisque contrairement à 2019, l'opposition y participe, et notamment le parti Les Démocrates de Thomas Boni Yayi, le principal parti de cette opposition. Entretien avec le politologue Expedit Ologou, qui dirige le think tank Civic Academy for Africa's Future (CiAAF). RFI : Est-ce que ces deux semaines ont permis de renouer avec la tradition des campagnes électorales au Bénin… Festive, animée, l'occasion de joutes oratoires ? Oui, on a vu des acteurs politiques, y compris des plus importants, tenir des meetings dans des conditions tout à fait conviviales, et même responsables, je dirais même amicales. L'ancien président de la République, [Thomas] Boni Yayi a fait de façon longitudinale le tour du pays, du sud jusqu'au nord, mobilisant une foule impressionnante. Les responsables des partis de la majorité ont fait de même et il y avait foule à leurs différentes manifestations, notamment à l'intérieur du pays. Il y a eu, sur la plupart des médias du pays, des échanges courtois sur des questions de fond, même si on peut regretter parfois un manque de profondeur dans certaines des prises de position, des analyses. Mais c'est déjà ça. Les réflexes démocratiques au Bénin sont en train de refaire surface. Il reste à espérer que pendant le jour du vote – et après même le jour du vote – que ces réflexes soient maintenus. Quels sont les thèmes qui ont été les thèmes majeurs de cette campagne ? La question de la vie chère, du coût de la vie, a été une question transversale de la campagne électorale, même lorsqu'elle n'était pas abordée ouvertement dans les prises de position des acteurs politiques, elle a fait l'objet de discussions entre citoyens, entre acteurs de bas niveaux. Et peut-être est-ce pour cela aussi que le gouvernement a pris, quelques jours avant le démarrage de la campagne, des décisions allant dans le sens du soulagement de la cherté de la vie et aussi des décisions sur le traitement salarial des fonctionnaires de l'État. Est-ce que la question de la libération des opposants, Joël Aïvo et Reckya Madougou, a été un des thèmes importants de cette campagne ? Pas tant que ça. C'est une question qui fait partie des questions transversales, des questions qui ne peuvent pas ne pas être abordées. Elles l'ont été, on a entendu les acteurs de la majorité indiquer qu'il y a déjà des pistes législatives politiques qui pourraient permettre la libération de ces acteurs, et du côté de l'opposition, on entend dire qu'une victoire importante à ces législatives pourrait être un moyen de négociation, voire de pression aux fins de la libération de ces deux personnalités. Certains observateurs disent qu'on a eu une campagne aux allures de campagne présidentielle, tant le bilan de Patrice Talon a été au cœur des débats. Est-ce que vous diriez qu'on a eu, lors de cette campagne, un effet de rattrapage après de longues années de tensions politiques ? Oui, il y a eu comme un effet de rattrapage parce que depuis 2019, il y a plus eu une élection qui a vraiment fait croiser le fer. En 2021, l'élection présidentielle n'a pas donné lieu à une campagne électorale effervescente du point de vue des idées. Et donc, ces élections législatives qui donnent place à l'un des partis les plus importants de l'opposition, ont permis aux différents acteurs, notamment de l'opposition, de faire effectivement ce rattrapage de remettre au goût du jour des questions qui n'ont pas été abordées jusque-là. Et donc cette campagne des législatives apparaît un peu comme une sorte de référendum vis-à-vis de l'action de Patrice Talon. L'un des enjeux de cette campagne, c'était de permettre une meilleure représentation des femmes et de leurs préoccupations dans la politique béninoise. Est-ce que ce pari a été tenu selon vous ? Oui, quand on regarde les dispositions légales, il y aura au moins 24 femmes qui seront au Parlement à l'issue des élections du 8 janvier. Il reste que dans la campagne, on n'a pas vu une mise en avant particulière des femmes comme étant les figures nouvelles du Parlement à venir, et donc le combat restera mené sur le terrain pour les femmes pour obtenir un peu plus que ce que la loi leur donne d'office. Est-ce qu'on peut s'attendre à des surprises à l'issue du scrutin de dimanche ? Pas tant que ça. Probablement qu'il y aura plus de diversité. Il me semble qu'au regard de ce que la campagne électorale a donné, que le Parlement à venir n'aura pas que deux parties siamoises de la majorité présidentielle, et que probablement, l'opposition ferait son entrée dans ce Parlement. En tout cas, ce serait le souhait de tous les acteurs sociopolitiques pour une « repacification » du pays, pour une nouvelle vibration de la démocratie dans le pays. Il y va de l'intérêt de tout le monde, y compris des acteurs de la majorité comme de l'opposition, de la société civile comme du citoyen tout court, et de la nation tout entière. ► À lire aussi : «Galvaniser», convaincre les électeurs: le challenge des sept partis en lice pour les législatives au Bénin
Quel souvenir laisse Benoît XVI en Afrique, à la fois chez les chrétiens et les musulmans ? Pourquoi a-t-il abdiqué il y a 10 ans ? En ce jour des obsèques de Benoît XVI, entretien avec le religieux burkinabè Jean-Paul Sagadou, père assomptionniste et journaliste au groupe de presse catholique Bayard Afrique, à Abidjan et à Ouagadougou. RFI : Quel bilan faites-vous du pontificat de Benoît XVI ? Père Jean-Paul Sagadou : Alors c'est difficile de faire le bilan d'un pape et il a eu une décision audacieuse, surprenante même, de faire ce qu'aucun pape n'avait jamais osé faire depuis des siècles, renoncer à sa charge. S'il y avait trois choses à dire sur ce qui a marqué son pontificat, je dirais la foi, l'espérance et la charité. Alors, vous dites qu'il a stupéfait le monde entier le jour de février 2013, où il a renoncé à sa charge. À l'époque, il disait que c'était pour des raisons de santé, mais il a survécu 10 ans à son abdication. Était-ce seulement pour cela ? Alors, c'est difficile à dire. J'estime personnellement que les choses se sont passées au plus profond de sa conscience. Il a compris qu'il avait peut-être atteint un âge qui ne lui permettait plus de continuer à assumer correctement sa mission. Après, évidemment, les observateurs de ce qui peut se passer au Vatican peuvent épiloguer, comme quoi c'était difficile, qu'il y avait peut-être des mésententes à l'intérieur [du Vatican, NDLR]. Personnellement, je considère qu'il a pris une décision audacieuse, que moi je considère aujourd'hui comme quelque chose d'assez positif. Je pense que ça a été un homme défenseur de la doctrine de la foi qui n'a pas voulu se mêler à des enjeux de pouvoir, parce que, pour lui, qui dit pouvoir dit forcément, nécessairement, service. L'un de ses grands combats, c'était la lutte contre l'esprit de mai 68 et contre le relativisme moral, n'est-ce pas l'une des raisons de son abdication de 2013 et peut-être, au contraire de ce que vous appelez l'espérance, une forme de désespoir ? Je pense que c'est difficile de percevoir les choses de cette manière. C'est vrai, en 2005 – je crois, lors d'une homélie – il a déclaré : « Nous mettons en place une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et dont les standards ultimes sont simplement l'ego et les désirs de chacun ». De ce point de vue, on peut dire qu'il s'est retrouvé en face d'un monde qui vit en contradiction avec la perception qu'il a de l'Évangile. Est-ce que cela l'a bousculé, troublé ? Est-ce que son message ne passait pas et cela l'a poussé à partir ? Moi, je ne mettrais pas forcément cette hypothèse en avant, voilà. Alors, comme son compagnon de toujours, Jean-Paul II, Benoît XVI laisse le souvenir d'un théologien conservateur qui était intransigeant sur la question des mœurs : il défendait le célibat des prêtres, il ne voulait pas entendre parler de l'ordination des femmes. Est-ce qu'aujourd'hui, il n'apparaît pas comme un pape qui n'est plus de son temps ? Oui, je crois que Benoît XVI se situait dans la droite ligne de la tradition de l'Église. Justement, sur l'ordination des femmes, c'est assez subtil ce qu'il disait : « Nous ne disons pas que nous ne voulons pas, mais que nous ne pouvons pas. » Et il ajoutait que le Seigneur a donné à l'Église une forme avec les 12 apôtres, puis avec les évêques et les prêtres, donc ce n'est pas nous qui avons donné cette forme à l'Église. Alors, on peut considérer que cette position-là, d'un point de vue théologique, peut rester une forme de débat à l'intérieur de l'Église, mais en tout cas, telle a été sa position. Mais sur le célibat des prêtres, n'y a-t-il pas une grande hypocrisie, notamment en Afrique ? Hypocrisie, je ne sais pas. Et pourquoi l'Afrique ? Par contre, on constate, avec toutes les questions que nous connaissons actuellement des abus dans l'Église, qu'il y a quand même un certain nombre de questions qui se posent, qui méritent qu'au sein de l'Église, on regarde avec beaucoup plus de clairvoyance, de vérité. L'enjeu étant vraiment le service de l'Église. ►À lire aussi : Le pape François rend un dernier hommage à son prédécesseur lors des obsèques de Benoît XVI N'y aurait-il pas moins d'abus sexuels dans l'Église catholique si les prêtres avaient le droit de se marier ? C'est une bonne question, mais je ne sais pas qui serait capable de répondre à cette question, est-ce qu'il y aurait moins de difficultés ? Ou plus, ou moins… Je n'en sais rien (sourire). Benoît XVI est le premier pape à s'être engagé au sein de l'Église catholique dans la lutte contre les abus sexuels et la pédocriminalité. Mais n'a-t-il pas été trop timide dans ce combat ? C'est le reproche qu'on lui fait, en effet, mais je pense qu'il faut insister sur le fait qu'il a été le premier à s'engager auprès des victimes de violences sexuelles commises par les clercs. Il est le premier souverain pontife à consacrer un document à cette crise-là, avec la publication en 2010 d'une lettre aux catholiques d'Irlande après des révélations sur des milliers de cas. D'ailleurs, un texte au ton vif, dans lequel il dit partager leur consternation et leur sentiment de trahison. Donc, moi, je pense que c'est un homme humble qui a d'ailleurs accepté les critiques qui étaient adressées à l'Église et qui finalement contribuaient à mettre en place de nouvelles normes pour qu'on puisse quand même – disons le mot, et je pense que lui-même l'a utilisé – nettoyer l'Église. On sait qu'en son temps, il y a eu quelque 400 prêtres qui ont quand même été renvoyés. Et puis, le pape François a poursuivi le travail. Benoît XVI n'aimait pas voyager, mais en novembre 2011, il est allé au Bénin, notamment à Ouidah, où il a signé l'exhortation Africae Munus, l'engagement pour l'Afrique, une sorte de feuille de route de l'Église catholique pour l'Afrique. Qu'en retenez-vous ? Alors ce n'était pas seulement au Bénin, mais il a fait aussi le Cameroun et puis l'Angola et je pense qu'au Bénin, de fait, c'était une étape importante parce qu'il y avait eu le second synode des évêques pour l'Afrique – c'était peut-être en octobre 2009 – et donc là, en arrivant au Bénin en 2011, c'est à cette occasion que le pape a remis l'exhortation synodale Africae Munus, donc l'engagement des évêques pour l'Afrique. Et puis on peut voir dans ce texte comme une sorte de charte pour la réconciliation, la justice et la paix en Afrique. En 2009, on avait aussi la mémoire de tout ce qui s'était passé, avec le génocide au Rwanda, toutes les problématiques d'ethnies, de tribus… Donc ce qui a été au cœur de ce voyage du pape, c'est quand même cette question de la réconciliation, de la justice et de la paix. Et puis il a interpellé tout le monde, à la fois les responsables d'Église, mais aussi les hommes politiques, puisqu'il a parlé de la bonne gouvernance. Moi, je retiens deux choses : il a parlé de l'Église d'Afrique comme d'un poumon spirituel pour l'humanité, donc il y a quelque chose à en tirer, il y a de la richesse. Il a aussi appelé les gouvernants à ne pas priver les populations d'avenir, d'espérance et donc à travailler à une bonne gouvernance pour qu'enfin, ce continent-là, qui est si riche, puisse quand même apporter sa contribution au reste du monde, mais à condition qu'il y ait la paix, la fraternité, la solidarité. Et puis il y a la grande question des rapports entre chrétiens et musulmans. L'un des moments les plus marquants du pontificat de Benoît XVI reste son discours de Ratisbonne en septembre 2006, où il a cité un empereur byzantin qui disait que la violence était intrinsèque à l'islam. Il a eu raison ou il a eu tort ? Alors en fait, je crois qu'il a été très mal compris, mais on sait aussi qu'assez rapidement, il a été accueilli en Turquie par le président Erdogan, et il a redit son souhait de voir musulmans et chrétiens marcher côte à côte sur les chemins d'une compréhension réciproque. Donc, je pense qu'à Ratisbonne, il y a eu quiproquo, il y a eu incompréhension et peut-être que le contexte global aussi de l'époque pouvait favoriser cela et ça a créé des dégâts. Et je pense que le pape en a beaucoup souffert lui-même, parce qu'il a eu plusieurs occasions de dire que ce n'est pas ce qu'il voulait dire et qu'il a même beaucoup d'estime pour le Coran, pour lequel il éprouve le respect qui convient, pour le Livre Saint d'une grande religion comme l'islam. C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de violence au nom de l'islam dans l'histoire, mais n'y a-t-il pas eu aussi beaucoup de violence au nom du christianisme dans l'histoire ? Ah, c'est évident, c'est évident. Parce que ce discours a beaucoup choqué, notamment à la mosquée Al-Azhar du Caire, à la Grande Mosquée de Paris. Est-ce que le pape a ensuite trouvé les voies du dialogue avec ces grands docteurs de la foi musulmane ? Oui, justement, je me rappelle, j'étais au Togo à l'époque. Là, vous évoquez un peu des grands lieux d'islam où les conséquences ont été dramatiques, mais en fait, jusque dans les petits villages, même d'Afrique, il y a eu quand même une sorte de rayonnement de ce discours qui a provoqué une sorte d'effervescence irrationnelle. Y compris dans les communautés musulmanes d'Afrique de l'Ouest, comme au Togo ? Oui, oui, évidemment. Moi – je me rappelle donc – moi je vivais dans une ville où il y avait 70% de musulmans. On s'est retrouvé avec des jeunes qui ne comprenaient pas forcément ce qui avait été dit. Le discours, c'est : « On a insulté l'islam, on a insulté le prophète. » Donc, ça suffisait pour sortir et crier. C'est pour ça que je trouve qu'il y a eu quiproquo. Probablement que l'intellectuel, le grand théologien que Mgr Ratzinger, devenu pape Benoît XVI, a eu un discours qui n'est pas facilement accessible pour la plupart d'entre nous et qui peut provoquer ce type d'incompréhension. Mais la question, c'est : comment s'est-il comporté par la suite ? On sait qu'il y a eu plusieurs approches. Le fait qu'il y ait eu cette rencontre en Turquie, mais je pense qu'il y a eu d'autres occasions où le pape Benoît XVI a essayé de rendre compte de ce qu'il voulait dire, et que ce n'était pas une attaque contre l'islam. Et je pense que Benoît XVI – et bien avant lui, même Jean-Paul II – ils ont toujours, quand même, intégré la question de la raison, de la réflexion. On ne croit pas n'importe comment et sinon, on verse dans l'intolérance. Et puis, dans tout ce qu'on connaît aujourd'hui, comme fondamentalisme et tout ça… La foi doit être forcément éclairée, et je crois que c'est ça qui peut nous faire avancer ensemble. Pour conclure, peut-on dire que Benoît XVI a été un pape incompris ? Peut-être. J'ai eu le sentiment, depuis son décès, avec tout ce que j'ai pu lire et entendre, que de fait, les gens se disent « on pense qu'on l'avait un peu mal compris, mais on pense qu'on le comprend, peut être maintenant », et c'est souvent après la mort de certaines personnes qu'on découvre vraiment leur visage et qu'on reconnait quels ont été le poids, la force de leurs paroles, de leurs discours. ► À écouter aussi : Cardinal Fridolin Ambongo (RDC): le pape Benoît XVI reste «notre plus grand théologien»
C'est dans un climat de tension politique que la Tunisie commence l'année 2023. L'opposition, rassemblée au sein du Front de Salut National, appelle à la démission du président Kaïs Saïed. Le président, lui, s'en prend violemment à ses opposants qu'il accuse de « porter atteinte à l'État et ses symboles », et évoque « un complot contre la sécurité intérieure et extérieure de l'État ». Au cœur de l'actuelle séquence politique, les législatives. Le premier tour, en décembre, a vu une participation extrêmement faible. Le second doit avoir lieu d'ici au mois de mars. Comment analyser cette crise ? À quel jeu joue la centrale syndicale UGTT qui est l'un des acteurs les plus en vue actuellement ? Pour en parler, notre invité est Hamza Meddeb, chercheur en science politique. Le premier tour des élections législatives en Tunisie le 17 décembre 2022 devait permettre de parachever un système politique très présidentialiste avec l'élection d'une Assemblée aux pouvoirs réduits. Il a vu une très faible participation de 11,2%. Qu'est-ce que cela nous dit du regard des Tunisiens sur le projet politique de Kaïs Saïed ? Hamza Meddeb : Le faible tour des participations lors du premier tour des élections législatives traduit clairement un désaveu. Le projet de refondation politique du président a été mené d'une façon unilatérale. Une large majorité des partis politiques ont boycotté le processus. Le plus gros syndicat du pays, l'UGTT [Union générale tunisienne du travail] a été extrêmement critique et virulent à l'égard de la démarche du président. On n'a pas vu réellement de sujets de fond débattus lors de la campagne électorale. Les gens ont clairement compris que le pouvoir politique est préoccupé par une forme de refondation constitutionnelle et politique… et pas par les sujets réellement brûlants qui préoccupent les gens dans leur vie quotidienne, à savoir les sujets sociaux-économiques. Mais, est-ce que la population est d'accord avec le principe de cette refondation politique ? Je pense qu'il y a une demande de présidentialisation du régime. Il est clair qu'un des points faibles de l'ancienne Constitution de 2014 a été cette forme d'éparpillement des pouvoirs, de division au sommet de l'État, au sommet de l'exécutif. Et je pense que la population, en tout cas une bonne partie de la population, a voulu clairement donner une primauté au président lors de la nouvelle Constitution. Le problème, c'est que le président n'est pas censé avoir le pouvoir uniquement pour concentrer les pouvoirs, mais pour régler les problèmes des Tunisiens. Or depuis plus d'un an et demi, on a vu un accaparement de tous les pouvoirs par le président, des pouvoirs pharaoniques en vertu de la Constitution de 2022, et en même temps, une impuissance, une dégradation socio-économique. C'est ce contraste-là qui a été profondément rejeté par les Tunisiens. C'est cette absence de résultats qui fait que les électeurs ont boudé les urnes lors du premier tour des législatives ? Je pense que ça a beaucoup joué. Et en même temps, il n'y pas que cela. Le fait que ces élections ont été boycottées par l'opposition, par les partis politiques, par les syndicats, cela a beaucoup joué dans le sens où, finalement, tout ce processus de refondation, ça tourne un peu à une lubie présidentielle… qui manque de sens. La principale coalition d'opposition, le Front de salut national, réclame la démission du président Kaïs Saïed, l'UGTT appelle à l'élaboration d'une feuille de route et se dit prête à assumer sa responsabilité nationale. Comment est-ce que vous évaluez le rapport de force qui s'installe ? Que pèsent les anti-Saïed ? Certes, l'opposition n'est pas très populaire, mais je pense que le président a perdu beaucoup de sa popularité, comme le montre un certain nombre de chiffres et de sondages. Et du coup, cet activisme aujourd'hui de l'opposition avec l'UGTT, le principal syndicat, pèse réellement. Est-ce que la centrale UGTT joue à un jeu clair dans ce contexte-là ? Est-ce qu'elle est réellement fer de lance de ce mouvement ? Le jeu de la centrale syndicale n'est pas clair. Son secrétaire général ne cesse de répéter qu'il s'oppose au processus lancé par le président le 25 juillet 2021, mais ça ne veut pas dire que la centrale appuie ou soutient un retour à l'avant 25 juillet. Il y a clairement au sein de l'UGTT une forme d'ambiguïté. L'UGTT en tout cas prend de la distance par rapport au président et se rapproche un peu plus de l'opposition sans toutefois couper les ponts avec le président. Qu'est-ce qui explique cette ambiguïté de l'UGTT ? L'UGTT cherche toujours à être un partenaire du pouvoir politique en Tunisie. L'UGTT veut peser dans l'équation politique du pays pour éventuellement protéger un certain nombre de privilèges socio-économiques. C'est un syndicat extrêmement présent dans le secteur public et c'est un syndicat, rappelons-le, qui de toute évidence paiera un prix fort lors d'un prochain programme FMI [Fonds monétaire international] quand on sait que les principales réformes demandées par le FMI concernent la baisse de la masse salariale dans le public et une restructuration d'entreprises publiques. Depuis 2019, l'UGTT n'a pas pu trouver justement une formule d'entente avec le président de la République, avec un Parlement fragmenté. Et au lendemain du 25 juillet 2021, lorsque Kaïs Saïed est réellement devenu l'homme fort qui concentre tous les pouvoirs dans le pays, on l'a vu négliger, marginaliser la centrale syndicale. Toutes ces manœuvres aujourd'hui de l'UGTT visent à retrouver une forme de centralité dans le jeu politique, dans l'architecture institutionnelle que le président peine réellement à mettre en place. ►À lire aussi : En Tunisie, colère après un discours de Kaïs Saïed qui promet de lutter contre ses détracteurs
Les politiques de lutte contre le blanchiment d'argent largement vantées lors des sommets ont-elles permis de faire reculer le phénomène ? Rien n'est moins sûr, selon l'ancien juge Renaud Van Ruymbeke qui a été pendant deux décennies l'un des magistrats du pôle financier du tribunal de Paris. Dans un livre intitulé Offshore qu'il vient de publier, Renaud Van Ruymbeke décrit comment les techniques de fraude se sont affinées et comment les circuits de circulation de l'argent se reconfigurent sans cesse, au profit de multinationales, de chefs d'État ou de dirigeants mafieux. Il est notre invité. On a le sentiment à vous lire que les circuits de détournement d'argent sont en ce début de XXIe siècle toujours plus actifs et de plus en plus élaborés ? Renaud van Ruymbeke : Oui. Et très prospères, c'est-à-dire qu'il y a énormément d'argent qui circule effectivement dans les paradis fiscaux. Ça atteint un niveau de sophistication très élaboré. Il y a des législations anti-blanchiment, des échanges d'informations, etc., qui auraient normalement dû freiner le mouvement, mais qui malheureusement n'ont rien empêché du tout. C'est-à-dire que les techniques sont devenues sophistiquées, elles se sont adaptées aux nouvelles mesures et c'est toujours aussi compliqué d'identifier cet argent sale. On parle quand même de plus de 8 000 milliards de dollars. Ce système fonctionne grâce à un ensemble d'acteurs que vous nous décrivez dans votre ouvrage, les sociétés fiduciaires suisses ou luxembourgeoises, les cabinets panaméens spécialisés dans la vente de sociétés écrans. Les banques elles-mêmes qui ferment les yeux d'une manière qui apparaît assez hypocrite face à des circuits de transferts suspects. Il y a finalement un secteur assez florissant en matière de prise en charge et de dissimulation de l'argent sale actuellement dans le monde ? Oui. Justement parce que cela devient de plus en plus compliqué. Donc, il faut des gens de plus en plus pointus en quelque sorte. Il y a des cabinets spécialisés qui font gagner énormément d'argent à ceux qui pratiquent l'évasion fiscale, la fraude fiscale, à ceux qui cachent leur argent parce qu'ils ont peur de se retrouver un jour en prison parce que ce sont des trafiquants de drogue ou des grands corrompus. Il y a un certain nombre de dictateurs sur cette planète et leurs proches... Ils assurent l'impunité. On a des pays aussi qui laissent les professionnels de l'argent sale travailler parce qu'ils y trouvent leur intérêt… Absolument. Les paradis fiscaux vivent pour partie de cet argent, c'est une manne. Vous prenez Bahamas, vous prenez les îles Caïman. Aux Bahamas, il y a du tourisme, mais il y a aussi des banques qui vivent de tout ce système offshore. En Suisse, au Luxembourg, vous avez des cabinets spécialisés. Alors ils ne gèrent pas que de l'argent sale, bien entendu, ils ont une compétence financière. Mais dans la masse d'argent qu'ils gèrent, il y a aussi l'argent sale et malheureusement, ils n'ont pas fait le ménage ou ils ne l'ont fait qu'à moitié. Vous dénoncez notamment dans votre ouvrage l'incapacité de la justice britannique à recouvrer des fonds qui avaient été détournés, et détournés par l'ancien chef d'État nigérian, Sani Abacha… Absolument. Dans les plaintes de son successeur, il a été fait état de milliards de dollars qui avaient pris pour une part le chemin de la Suisse, la Suisse a fait son travail et l'argent récupéré. Par contre, à Londres, on a tout laissé filer. Et comment expliquez-vous ce peu d'empressement de la Grande-Bretagne ? Parce que la Grande-Bretagne a toujours eu une tradition de protection du secret bancaire. N'oubliez pas qu'en Grande-Bretagne, vous avez la City au cœur de Londres, que c'est une part importante du PIB britannique. Et donc, la fortune de la City, au début, elle est construite là-dessus, sur le secret bancaire. Comme toutes les places financières, il y a une législation qui n'est pas du tout adaptée et il n'y a pas de juge, de procureur anticorruption digne de ce nom en Grande-Bretagne. Dans votre ouvrage, vous nous parlez d'un autre type de comportement étatique qui pose question, celui des gouvernements de certains États victimes. De la fin des années 1990 à la fin des années 2000 par exemple, l'attitude des gouvernements du Congo-Kinshasa a fortement limité les rapatriements de capitaux pillés par le régime Mobutu… Oui. Des sommes importantes ont été saisies. Et il faut aussi qu'ils obtiennent la coopération de l'État d'origine pour établir que l'argent vient de la corruption ou il vient de détournements de fonds publics. Or, dans l'exemple que vous citez, la Suisse n'a pas eu le concours du Congo. Plus d'argent aurait pu revenir au Congo si l'État congolais s'était plus mobilisé dans ce dossier des restitutions des biens pillés par la famille Mobutu ? Bien sûr. C'est ce que disent les autorités judiciaires suisses. Dans cette reconfiguration des flux financiers illicites mondiaux, vous expliquez que Dubaï est devenu l'épicentre de l'argent sale, parce que Dubaï est pratique : non seulement on peut y mettre des fonds à l'abri, mais aussi on peut soi-même en vivant à Dubaï essayer d'échapper à la justice. Et vous citez notamment dans votre livre l'exemple des frères Gupta, des acteurs essentiels des circuits de corruption dans le système Zuma en Afrique du Sud… Oui. C'est vrai qu'à Dubaï, votre argent m'intéresse. Je ne vous poserai pas de questions sur l'origine des fonds et si vous avez un mandat d'arrêt, on ne l'exécutera pas. Cela a été constaté. C'est véritablement un pays qui ne coopère pas et qui présente toutes les caractéristiques d'un paradis fiscal. S'il fallait identifier une ou deux urgences pour que la lutte contre ces flux illicites de capitaux puisse avancer, que retiendriez-vous ? Tant qu'on n'aura pas une démarche internationale et une volonté politique forte, on n'y arrivera pas. Donc il faut que ces volontés se manifestent. Pourquoi les États ne réagissent-ils pas ? Ils devraient réagir, prendre des initiatives, justement pour mettre au pas les pays comme les îles Caïman, Gibraltar, Chypre, Malte. Ce n'est quand même pas si compliqué que cela. ► Offshore. Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux, aux éditions Les liens qui libèrent, Paris, 2022.
Quelle place pour l'Afrique dans l'œuvre des auteurs et interprètes gabonais ? C'est le thème d'un ouvrage collectif paru tout récemment aux éditions Descartes et Compagnie. Un livre supervisé par Flavien Enongoué, maître assistant de philosophie politique à l'Université Omar Bongo à Libreville et diplomate, puisqu'il est actuellement ambassadeur du Gabon à Rome, après avoir occupé ce poste à Paris. Cet ouvrage de plus de 300 pages, qu'il a supervisé, est intitulé L'Afrique dans la chanson gabonaise. RFI : Comment est née l'idée de cet ouvrage collectif ? Flavien Enongoué : En fait, quand j'étais à Paris, en mission, j'avais sollicité un certain nombre de spécialistes pour faire une compilation sur les auteurs musicaux gabonais qui ont chanté sur l'Afrique. Et cela n'a pas prospéré, mais comme je suis un auteur, je me suis dit autant s'orienter vers l'écriture. Et c'est comme ça que j'ai mobilisé un certain nombre d'universitaires pour finalement aboutir à cet ouvrage collectif L'Afrique dans la chanson gabonaise, qui est sorti deux ans plus tard. Les artistes gabonais se sont-ils montrés réceptifs très tôt à l'idée africaine ? Oui, à la différence des hommes politiques qui sont considérés comme portés vers le nationalisme, les auteurs musicaux gabonais se sont montrés très attentifs à l'idée africaine, et très tôt d'ailleurs puisque l'un des plus emblématiques d'entre eux, Pierre Claver Akendengué, a été considéré comme l'artiste africain par excellence. Justement Pierre Claver Akendengué, c'est l'un des deux grands artistes auquel est consacré ce livre, parce que finalement il est question dans cet ouvrage de deux artistes prénommés Pierre Claver tous les deux. La première partie porte effectivement sur Pierre Claver Akendengué, dont on connait des chansons emblématiques : « Awana W'Africa », « Africa obota », ainsi de suite. Et puis, il y a Pierre Claver Zeng qui a une chanson emblématique « Afrika », mais il y en a d'autres aussi parce que la troisième partie de l'ouvrage est consacrée à des auteurs comme Mackjoss, Annie Flore Batchiellilys, Aziz'Inanga, Alexandre Sambat. Puis, il y a des jeunes : par exemple, nous avons essayé d'avoir Lord Ekomy Ndong « Où sont les lions ». Et là, c'est le rap, le rythme vraiment nouveau. Qu'est-ce qui caractérise cette chanson gabonaise aujourd'hui ? Il est difficile d'avoir un marqueur identitaire qui puisse caractériser comme ça un peu la musique gabonaise. Il y a ce qu'on appelle la musique « tradi-moderne », qui s'appuie finalement sur des rythmes traditionnels, mais mélangés à des rythmes modernes comme la rumba, le makossa. C'est cette musique « tradi-moderne » qui est la marque de fabrique de la musique gabonaise. Est-ce que les auteurs et les interprètes gabonais, comme Annie Flore Batchiellilys, sont reconnus à leur juste valeur dans leur pays ? C'est un peu le problème qui est posé : la place de l'artiste, de la culture dans la société gabonaise. Quand on les entend, ce n'est pas évident parce qu'il y a les combats pour les droits d'auteur. Il faut être Pierre Claver Akendengué pour pouvoir sortir du lot. Il y en a d'autres, Patience Dabany, ainsi de suite. Mais, c'est un combat de longue haleine qui n'est pas simplement particulier au Gabon. Mais ces auteurs sont Africains non pas simplement parce qu'ils ont chanté africain, mais parce qu'une bonne partie d'entre eux ont été accueillis en Afrique. Le combat reste d'actualité, celui de (permettre aux) artistes de vivre de leur art, mais ils ne sont pas très nombreux (à pouvoir le faire) et c'est valable partout dans le monde.
Hier, samedi 31 décembre, Benoît XVI est mort à l'âge de 95 ans. Pour la première fois de son histoire, l'Eglise vit la disparition d'un « pape émérite », titre inventé au moment où iI renonce à son pontificat en 2013. Un pontificat salué pour ses nombreux apports à la doctrine de l'Eglise, mais par ailleurs souvent critiqué. Pour le cardinal Fridolin Ambongo en République démocratique du Congo (RDC), le théologien allemand a souvent été « incompris ». Sa disparition va surtout permettre de découvrir ce « grand pape » comme il dit. Pour retracer les moments forts de son pontificat, l'archevêque de Kinsahsa est au micro de Pauline Le Troquier. RFI : Votre Éminence, le pontificat de Benoît XVI a été relativement court, 8 ans par rapport aux 26 ans de son prédécesseur Jean-Paul II par exemple. Pourtant, ceux qui l'ont rencontré se souviennent d'un homme qui a fait beaucoup pour l'Église. 'est votre cas. Que retenez-vous de Benoît XVI ? Fridolin Ambongo : Moi, je crois que le Pape Benoît XVI restera le grand Pape. Je retiendrai surtout sa grande connaissance en matière de théologie. Pour l'église catholique, le Pape Benoît XVI reste le plus grand théologien que nous avons aujourd'hui, je crois même le théologien qui a une vue systématique, globale, complète de notre doctrine catholique. Ça, c'est du point de vue de la théologie mais comme pasteur, je retiens de lui sa grande humilité, son grand amour, l'amour profond qu'il avait pour l'Église. Benoît XVI a aussi prôné la tolérance zéro à propos de la pédophilie dans l'Église. C'est aussi quelque chose qui vous a marqué ? Le premier à prendre ce dossier à bras-le-corps, c'est Benoît XVI. Je me souviens quand j'étais évêque dans mon premier diocèse de Bokungu-Ikela dans la province de l'Équateur, j'étais confronté à ce genre de problèmes. Je suis allé le trouver et je lui ai expliqué la situation qui se passait avec certains membres du clergé et lui-même m'a dit: « Monseigneur, retournez dans votre diocèse. S'il y a des prêtres qui sont dans des situations pareilles, je vous conseille de préparer leur dossier pour qu'ils soient renvoyés de l'État clérical ». Cela reste pour moi, je dirais, la preuve de la conviction profonde de cet homme à redorer l'image de l'Église sur des questions d'ordre moral. L'un des moments forts du pontificat de Benoît XVI remonte au 12 septembre 2006. Le Pape visite sa Bavière natale, en Allemagne, et il prononce ce discours de Ratisbonne sur la foi et la raison. Là, il est accusé d'établir un lien entre islam et violence. Qu'en pensez-vous ? Pour qui connaît le Pape Benoît XVI, on ne peut pas lui prêter des intentions comme une volonté claire de sa part d'établir un lien entre la violence et l'islam. Il était trop préparé, cultivé pour commettre une pareille erreur. Moi, je crois que ce qui s'est passé à ce moment-là, c'était tout simplement un problème de communication. Et cela fait partie de ce que je considère comme, de la part du Pape Benoît XVI, un Pape incompris. Mais dans ce cas-là, est-ce que c'était juste une incompréhension de la part des croyants et responsables religieux, quand on sait par exemple que le président de la communauté pakistanaise en Italie a appelé Benoît XVI à retirer sa déclaration, que des manifestations ont eu lieu aussi dans plusieurs pays à majorité musulmane ? On ne peut pas l'accuser d'établir un lien aussi à la légère. Benoît XVI n'était pas un fanatique, il n'était pas un va-t-en-guerre contre les autres religions, bien au contraire. C'était un homme d'une grande ouverture. Je crois que ce serait injuste de juger le pontificat de Benoît XVI sur le seul fait de cette déclaration. Nous apprendrons à le découvrir, à découvrir maintenant qu'il est parti, avec le recul, la vraie personnalité, la vraie pensée du Pape Benoît XVI. Benoît XVI est connu pour être le Pape qui a renoncé à son pontificat. Officiellement, c'est pour des raisons de santé. Mais n'y avait-il pas, d'après vous, d'autres raisons d'ordre théologique ou des critiques devenues trop pesantes peut-être ? Non. Je crois que la raison, c'est ce qui a été rendu public. Sur ce plan-là, on n'a pas assez de choses. Le Pape Benoît XVI était arrivé à la conclusion qu'il fallait initier des réformes à l'intérieur de l'Église. Il y a des choses qui devaient changer mais, connaissant sa personnalité, lui-même était sincère avec lui-même, il faut beaucoup de force, pas seulement spirituelle, morale, mais aussi une force physique. Dix ans se sont passés tout de même entre la démission de Benoît XVI en 2013 et sa disparition, samedi, ce qui laisse imaginer que les raisons de santé qu'il évoquait, à l'époque, n'étaient peut-être pas les seules raisons ? Les critiques ont été un peu trop sévères vis-à-vis du Pape Benoît XVI. Il a été critiqué et des fois, de façon exagérée. Je crois que c'est tout ça ensemble. À un certain moment, il était arrivé à la conclusion qu'il faut quelqu'un de plus costaud, de plus robuste que lui, sur le plan physique, sur le plan moral, sur le plan même psychologique pour affronter aussi ces critiques qui se faisaient contre lui. Je crois que tout cela a contribué à sa démission. Mais, le point de départ, pour sa démission, je crois, c'était la nécessité de réformes dans l'Église.
La mort du roi Pelé a ému toute la planète football, mais pas que. Qu'on soit amateur ou non, le nom du Brésilien, décédé le 29 décembre à l'âge de 82 ans à São Paulo, résonnait forcément. Et particulièrement pour certains acteurs du foot africain, proches de l'icône. C'est le cas d'Abedi Pelé. Né Abedi Ayew, mais surnommé tout petit « Pelé » quand il jouait au foot dans les faubourgs d'Accra, l'ancien international ghanéen, qui a remporté la Ligue des champions avec l'Olympique de Marseille en 1993, avait rencontré Pelé lors du tirage au sort de la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. On vient d'apprendre la disparition du « Roi » Pelé. Le Brésilien qui est mort le soir du jeudi 29 décembre 2022 à Sao Paulo, au Brésil. Quelle est votre réaction, vous qui portez son nom en surnom ? Moi, personnellement, ça m'a bouleversé, parce que c'est quelqu'un que je connais très bien. Le « Roi » Pelé, je le connais, on s'est rencontré à New York, Madison Square Garden, puisqu'on a fait les tirages au sort ensemble. En 1994, la Coupe du monde est en Amérique. Puis, on s'est rencontré à la FIFA plusieurs fois. Il était dans beaucoup de commissions de la FIFA. Je le connais très, très bien. On a quelqu'un qui est le « Roi », quelqu'un que je respecte beaucoup, parce que j'ai son nom. Je regardais quelques vidéos à l'époque de lui, même si c'était en noir et blanc. J'ai gardé une certaine image de lui. Ça m'a vraiment touché. Justement, votre surnom, vous l'avez acquis dans les rues d'Accra, quand vous jouiez petit au ballon, il me semble. Voilà, c'était un symbole, une référence mondiale, déjà, Pelé. Quand on jouait bien au foot dans n'importe quelle capitale africaine, on se faisait surnommer « Pelé », c'est ça ? (Rires) Eh bien, c'est ça, exactement ! J'étais peut-être entre 7 et 10 ans. Je jouais dans le petit coin, à l'époque, déjà quand joue quelqu'un m'appelle… Surtout les gens plus vieux, qui connaissent le nom Pelé ! Ce sont eux qui m'appellent Pelé. Et même mes coéquipiers m'appelaient Pelé, sans savoir qui est Pelé ! Et nous tous, on ne savait pas… Après, un jour, il y a un grand Monsieur qui nous dit : « Vous, vous dites le nom de Pelé, mais vous ne le connaissez pas… ». On lui a dit : « Nous, on ne le connaît pas… Mais c'est le plus grand joueur du monde ! » Et après, en grandissant, on a commencé à apprendre beaucoup sur lui. Et puis, un cadeau, l'année 94, où on s'est rencontré en Amérique, où on a beaucoup, beaucoup parlé de football. Il me dit qu'il me regarde beaucoup, sur les chaînes françaises, et tout ça… Il sait qui je suis. Alors ça m'a vraiment, vraiment fait plaisir Vous disiez que vous l'aviez rencontré à plusieurs reprises. Des rencontres forcément très, très marquantes. C'était un homme chaleureux, c'était un homme qui mettait à l'aise ? Ah non, mais c'est vraiment quelqu'un qui est respectueux. Et puis, tous, on errait dans la salle de la FIFA où on faisait des réunions, comme ça. Et puis il rentre à la fin, et nous tous, on reste debout, pour saluer le plus grand. Et ça, ça ne disparaît pas dans ma tête. C'est comme une petite photo devant moi. C'était un homme qui était aussi assez lié au continent africain. Il était déjà venu notamment jouer des matchs au Congo-Brazzaville, au Gabon. Vous, au Ghana, on vous appelle les Brésiliens de l'Afrique… Donc forcément, il y a des liens avec Pelé ? Oui ! Il y a un peu de lien, mais à l'époque je crois que je ne suis peut-être pas né, ou je suis très petit, on m'a dit qu'il était venu au Ghana, avec son équipe de Santos. Le Brésil, ils sont venus au Ghana, ils ont fait un match amical. À l'époque, le Ghana s'appelle le Gold Coast (Côte-de-l'Or). Et vous disiez en début d'interview qu'avec vos amis, quand vous étiez petits à Accra, vous vous surnommiez Pelé sans même l'avoir vu jouer, sans même savoir qui c'était. Mais même quand on ne le connaissait pas, tout le monde connaissait Pelé sur le continent africain ? Bien sûr ! Mais c'est le « Roi ». Tu n'as pas besoin de connaître, tu as juste besoin d'entendre le nom, et puis tu sais qui c'est ! C'est ça la force qui l'a amené dans le football mondial. C'est celui qui a fait que le football est devenu ce qu'il est aujourd'hui. Et pour terminer, pour rendre un dernier hommage au « Roi » Pelé, si vous deviez garder une image, un souvenir, que ça soit en tant que joueur, ou dans vos rencontres aujourd'hui, qu'est-ce que ça serait ? Vraiment, c'était une grande chose pour moi de l'avoir devant moi. Et puis surtout, il y a une photo que j'avais de France Football, je crois que si vous voulez chercher, il m'a retenu dans son bras, comme son enfant. Vraiment, ça je n'oublie pas ! Le jour où il m'a fait ça…. C'était en 94 hein ! On était allé faire les tirages en Amérique. ► À lire aussi : Pelé et le football africain, un mélange de respect et d'admiration
À l'occasion des élections législatives du 8 janvier 2023 au Bénin, entretien avec Paul Hounkpè, secrétaire exécutif du parti d'opposition Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE). En mai 2021, il est devenu chef de file de l'opposition. Un statut qui lui coûte des procès en légitimité par les autres partis qui l'accusent de faire valoir. RFI : Monsieur Paul Hounkpè, bonjour. Vous êtes le secrétaire exécutif du parti d'opposition FCBE. Les élections législatives se tiennent le 8 janvier prochain. Comment se déroule la campagne et quel niveau de mobilisation vous constatez sur le terrain ? Paul Hounkpè : La population en général est partagée entre les fêtes de fin d'année et les débats politiques. Ça n'a pas été un bon choix de placer la campagne en fin d'année où il y a deux fêtes majeures et l'engouement est partiel et donc la population se trouve un peu dispersée. Qu'est-ce que vous voulez changer et qu'est-ce que vous reprochez au Parlement sortant ? Depuis 2016, il y a une soumission des institutions et nous avons constaté que le Parlement qui a été mis en place n'a pas du tout joué son rôle en se faisant passer pour une suite du pouvoir exécutif. Et donc notre intention, c'est de restaurer notre démocratie en assurant la séparation des pouvoirs. Qu'est-ce que les populations vous réclament et vous demandent ? Il y a plusieurs lois à polémiques. Il y en a véritablement qui dérangent, telle que la restriction des libertés et surtout le droit de grève. Il ne s'agira pas de dire une remise en cause systématique. Mais c'est de relire, d'assouplir, de revoir et de recadrer. Avez-vous, lors de cette campagne, une pensée pour Joël Aïvo et Reckya Madougou, est-ce que vous demandez leur libération ? Nous voulons véritablement que ces personnes soient libérées au plus tôt. Si le peuple nous accordait la majorité des députés, c'est d'aller à une loi d'amnistie et de pouvoir les libérer. Je crois que ce sont des choses qui sont possibles. Sur la participation du parti Les Démocrates à ces élections. Vous dites : vive le retour de la démocratie ? Pour nous, c'est assez positif et d'ailleurs ça fait qu'aujourd'hui, les campagnes se déroulent dans l'ambiance et la paix. C'est une grande satisfaction que de ne pas voir les engins de guerre circuler au cours donc de cette période. C'est une avancée notable, et nous ne pouvons que souhaiter ça. En mai 2021, vous avez été fait chef de file de l'opposition. Beaucoup de partis d'opposition vous font un procès en légitimité. En clair, ces partis, ne vous reconnaissent pas comme tel. Qu'est-ce que vous répondez ? Nous, nous avons participé à une élection et nous avons eu des résultats. C'est au vu des résultats que le chef de file de l'opposition a été désigné. Et conformément à la loi, c'est FCBE la principale force de l'opposition. Qu'est-ce qui vous permet de dire ça ? Justement parce que nous sommes représentés partout, nous avons des élus, nous avons des maires. Vous étiez seuls ? Nous étions seuls, mais nous n'avons empêché personne. On ne peut que juger, et ce, sur ce qui est factuel. Vous ne pouvez pas faire des extrapolations et penser que quelqu'un qui n'a jamais participé à une élection peut se permettre de dire qu'il est la principale force, ce n'est pas possible. Tout ne suffit pas d'être un ancien président pour se prévaloir d'être une force politique importante du pays. Est-ce que vous redoutez que les Démocrates fassent mieux que vous à ces élections ? Ceux qui ont été obligés d'avoir des accointances avec le pouvoir - avant de sortir, d'émerger de l'eau – eh bien ils ne peuvent pas se dire véritablement autonomes, capables donc de surgir sans un coup de pouce du pouvoir. Nous n'avons peur d'aucune force. Vous accusez les Démocrates d'avoir négocié avec le pouvoir, c'est ce que vous dites ? Je n'accuse pas, mais je constate. Et pourtant c'est vous qu'on accuse de faire-valoir du pouvoir. Vous êtes faire-valoir du président Talon, oui ou non ? La question fait mal, quand j'explique, vous revenez chaque fois là-dessus ! Nous n'avons aucune relation avec le pouvoir. Est-ce que vous serez candidat en 2026 à l'élection présidentielle ? Personne ne peut penser aux élections de 2026 sans d'abord réussir les élections de 2023. Avez-vous un doute sur le départ du chef de l'État ? Il a répété plusieurs fois qu'il ne se présenterait plus. Non, mais s'il y a une qualité que je reconnais au chef de l'État, c'est d'être direct. Si jusqu'ici il n'a fait aucune autre déclaration que celle qu'il partirait en 2026, il n'y a pas de raison d'avoir de doute. Vous êtes prêt à l'union sacrée pour la lutte contre l'insécurité et contre le terrorisme dans le nord du Bénin ? Lorsqu'il s'agit, n'est-ce pas, de notre pays, aucun sacrifice ne sera de trop et nous devons nous mettre ensemble pour combattre ces forces extérieures. Ça, là-dessus, il n'y a pas opposition. Monsieur Paul Hounkpè, merci. Merci beaucoup. ► À écouter aussi : Saliou Akadiri (LD): au Bénin, «le peuple se reconnait dans notre parti comme celui de l'opposition» Abdoulaye Bio Tchané (BR): «Notre objectif est de sortir des élections en tant que premier parti du Bénin» Orden Alladatin (UPR): au Bénin, «les électeurs nous demandent d'être leur meilleur porte-parole»
Les Béninois sont appelés aux urnes le dimanche 8 janvier pour des élections législatives. L'Assemblée nationale sortante est uniquement composée de partis de la mouvance présidentielle. Sept partis politiques sont cette fois en compétition, dont Les Démocrates, parti de l'ancien président Thomas Boni Yayi. Entretien avec Saliou Akadiri, directeur national de campagne du parti Les Démocrates (LD) et l'un de ses vice-présidents. RFI : Saliou Akadiri, bonjour. C'est la première fois que votre parti participe à des élections. Ça va vous permettre de tester vos forces, votre ancrage sur le territoire béninois ? Saliou Akadiri : Le parti Les Démocrates se réjouit de pouvoir participer pour la première fois depuis sa création. Cette participation est un grand soulagement pour le peuple qui se reconnait à travers notre parti comme étant le vrai parti de l'opposition. Alors on entend, effectivement, que vous vous présentez comme le plus important parti d'opposition. Mais en fait c'est ce scrutin surtout qui va vous permettre de le savoir. Effectivement, ce n'est pas la volonté d'aller à une élection qui nous a manqué. Qu'il vous souvienne qu'en 2021, à l'occasion des élections présidentielles, nous avions présenté un candidat, Reckya Madougou, dont le dossier a été rejeté. L'occasion nous est donnée maintenant de montrer effectivement que nous sommes le vrai parti de l'opposition. Reckya Madougou est emprisonnée, comme l'est également Joël Aïvo. Tous deux ont été condamnés à des peines de prison. Est-ce que vous pensez que ces législatives du 8 janvier pourraient favoriser leur libération puisque le climat politique semble plus apaisé ? Le tort de ces deux camarades de lutte, c'est d'avoir osé se présenter ! Sinon, bon, quand vous écoutez les charges, vous verrez qu'il s'agit d'un procès purement politique. Il est clair que nous travaillerons à leur libération, pour qu'ils retrouvent la totalité de leurs droits civiques qui leur permettront de participer à l'animation de la vie publique et de faire en sorte qu'ils apportent leur contribution au développement de notre pays. Vous avez failli être écartés de ces législatives, est-ce qu'il y a eu des négociations avec le pouvoir en place pour permettre votre participation ? Nous n'avons fait aucune négociation. Nous avons soumis des dossiers. Plusieurs de nos candidats ont eu des difficultés à obtenir le quitus fiscal. Et nous avons introduit un recours auprès de la cour constitutionnelle, qui nous a donné raison. Donc, sans négociations ? En matière électorale, un droit, c'est un droit… Ce n'est pas une faveur ! Les dernières élections législatives avaient été marquées par des tensions. Est-ce que cette fois, vous pensez que le climat sera plus apaisé ? Les événements malheureux de 2021 sont à déplorer. Nous n'avons jamais appelé, justement, nos militants à participer à ces manifestations. Et cette année, la consigne est la même : pas de provocation, pas de trouble, restez sereins, restez calmes. Nous sommes sûrs que ces mots d'ordre-là seront respectés. Vous êtes en pleine campagne. Est-ce que l'ancien président, Thomas Boni Yayi - qui est le président d'honneur de votre parti - va prendre part à cette campagne ? Le président Boni Yayi fait ce qui est en son devoir pour amener, aussi bien les responsables politiques du parti que les militants, à faire en sorte que notre parti connaisse une victoire écrasante. Mais il le fait en coulisses alors, parce qu'il s'est fait discret pour l'instant… Nous avons encore une semaine devant nous, et rien ne l'empêche de participer de façon officielle, plus active qu'il ne le fait maintenant, à la campagne. Quelles sont vos priorités pour ces élections, quelles préoccupations les électeurs béninois vous font-ils remonter pendant cette campagne ? Depuis 2016, les Béninois savent l'état dans lequel se trouve le pays, tant au niveau politique, économique que social. C'est par rapport à ces difficultés que rencontrent ces populations-là que nous attirons leur attention. De sorte que, lorsque nos députés seront à l'assemblée, ils fassent les choses conformément aux aspirations de ces populations, et pour résoudre leurs problèmes au quotidien. Quand vous évoquez le bilan du gouvernement, de l'action de la majorité, en matière économique, en matière sociale... Il y a des choses qui ont été faites, et notamment récemment : une augmentation du salaire minimum, des subventions accordées sur des produits de consommation de base. Qu'est-ce que vous pouvez proposer d'autre, ou qu'est-ce que vous pouvez proposer de faire différemment sur ces thèmes-là ? Ce n'est pas nous, au parti Les Démocrates, qui allons dire que ce n'est pas bon. Mais nous pensons que par rapport aux besoins réels des populations, les efforts qui ont été faits par le gouvernement sont à améliorer. Ces législatives vous préparent aussi pour la présidentielle de 2026. Est-ce que vous avez déjà une idée, dans votre parti, d'un candidat pour la prochaine présidentielle ? Notre parti va se préparer en prenant toutes les dispositions pour qu'il n'y ait aucun blocage quant aux dispositions légales, pour que le dossier de notre candidat ne soit pas rejeté, comme ça a été le cas en 2021. ► À écouter aussi : Abdoulaye Bio Tchané (BR): «Notre objectif est de sortir des élections en tant que premier parti du Bénin» Orden Alladatin (UPR): au Bénin, «les électeurs nous demandent d'être leur meilleur porte-parole»
Les Béninois sont appelés aux urnes le 8 janvier pour des élections législatives. L'Assemblée nationale sortante est uniquement composée de partis de la mouvance présidentielle. Sept partis politiques sont cette fois en compétition, dont les Démocrates, parti de l'ancien président Thomas Boni Yayi. Entretien avec Abdoulaye Bio Tchané, secrétaire général national du parti Bloc Républicain (BR). RFI : Abdoulaye Bio Tchané, bonjour ! Abdoulaye Bio Tchané : Bonjour, Madame Lagrange. Sept partis - dont trois se réclament de l'opposition - sont en lice pour les législatives du 8 janvier. Aux dernières élections législatives, en 2019, l'opposition n'avait pas pu se présenter. Est-ce que, cette fois, une élection plus ouverte, c'est une bonne chose ? Oui, bien sûr. C'est une bonne chose pour le pays dans son ensemble, pour notre système démocratique, et c'est une bonne chose aussi pour ces partis qui participent aujourd'hui. Un match plus ouvert, c'est aussi un match plus dur. Abordez-vous cette élection différemment ? Bien sûr, l'élection est plus compétitive. Mais pour nous, ça ne change pas grand-chose en termes d'objectifs. Notre objectif est clair : c'est de sortir de ces élections en tant que premier parti politique du Bénin. Et donc, c'est pour nous effectivement un bon test. En 2019, la participation avait été inférieure à 30 %, en raison justement de la non-participation de l'opposition aux élections législatives. Est-ce que cette fois, vous pensez que ce scrutin peut faire revenir les électeurs aux urnes ? Forcément, par rapport à 2019. Mais je veux rappeler qu'il y a eu des élections entretemps où la participation a été meilleure. Aujourd'hui, avec sept partis en compétition, nous espérons que la participation sera meilleure, et on verra bien. Il y avait eu des tensions aussi, lors des derniers scrutins. Vous vous attendez à des élections plus apaisées ? Oui, forcément. Ceux qui ont pensé qu'en troublant la paix dans le pays, ils pouvaient imposer leur démarche au pays, participent aujourd'hui. Je pense donc qu'ils n'ont pas de raison de s'engager dans des troubles à nouveau. Le parti les Démocrates participe à ce scrutin, mais l'opposante Reckya Madougou, condamnée à 20 ans de prison, est toujours en détention. Le groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire réclame sa libération. Joël Aïvo est en prison également. Après ces élections, un geste envers eux est-il envisageable ? Il ne m'appartient pas de juger de cela, ils ont été jugés et condamnés. Je veux rappeler que dans des cas de ce genre, il n'y a que deux voies : la voie de l'amnistie, et la voie de la grâce présidentielle. Aujourd'hui, il est prématuré de dire ce qui va être fait. Encore faudrait-il que, dans leur position, on sente une volonté aussi de participer à cet apaisement. Là, on est quand même dans un climat plus apaisé. Oui, il y a un climat plus apaisé, et on a besoin de consolider ce climat, et il faut que tout le monde y participe. Est-ce que, malgré la menace jihadiste dans certaines zones frontalières au nord du Bénin, vous pouvez faire campagne partout ? Moi, je suis au Nord où je fais campagne. J'ai déjà circulé dans quelques circonscriptions du nord du pays. De ce que je vois, le gouvernement a pris des mesures de sécurité très importantes qui nous assurent que les élections auront lieu dans tous les arrondissements, et dans toutes les communes de notre pays. On peut acheminer le matériel électoral actuellement partout, sur tout le territoire béninois ? Je pense. Je vois les gens circuler un peu partout, et donc il n'y a pas de raison que ce matériel n'y arrive pas. L'un des autres sujets de préoccupation pour les Béninois, c'est le coût de la vie. Ces derniers mois, il y a eu plusieurs manifestations de syndicats contre la vie chère. Que vous demandent les électeurs à ce sujet, qu'est ce que vous pouvez faire pour ça ? Le gouvernement du président Patrice Talon a pris des mesures. D'abord, subventionner massivement un certain nombre de produits de consommation courante. Ensuite, le gouvernement a pris des mesures d'accroissement des salaires des fonctionnaires de l'État. Et donc c'est dans cette direction que nous entendons poursuivre avec le gouvernement. Il y a eu ces mesures, effectivement, mais certains entrepreneurs se plaignent du poids des impôts. L'impôt est d'abord une obligation. Mais ensuite, c'est avec l'impôt qu'un pays comme le Bénin peut se construire. Nous ne sommes pas un pays avec des ressources minières infinies comme d'autres. Et donc, notre économie est assise essentiellement sur la perception des impôts. Donc oui, il peut y avoir des raisons de se plaindre, mais c'est aussi vrai que dans l'ensemble, l'économie béninoise n'est pas suffisamment fiscalisée. Il y a des plaintes également sur les restrictions du droit de grève. Qu'est-ce que vous répondez aux personnes qui disent que le Bénin recule dans ses libertés sociales ? Nous avons besoin, dans un pays comme le Bénin, que les travailleurs soient au travail. Nous avons engrangé des résultats incroyables, aussi bien dans le secteur de la santé que dans le secteur de l'éducation, justement parce que nous n'avons pas connu de grèves depuis trois ans. Donc, même si certains peuvent se plaindre théoriquement de ce que le droit de grève a été restreint, au Bloc Républicain nous sommes en soutien à ces mesures, parce que nous en voyons les résultats. Ces législatives vous préparent aussi pour la présidentielle de 2026. Le président Patrice Talon ne sera pas candidat ? Il l'a dit plusieurs fois, je crois qu'il faut se référer à ce qu'il a dit. Je n'en dirai pas plus. Et donc, il faut préparer sa succession. Vous le faites au Bloc Républicain ? Notre ambition est de prendre et d'exercer le pouvoir, mais il est prématuré de parler de l'élection présidentielle de 2026, alors même que nous sommes au milieu d'une élection qui est très, très importante pour le parti, et pour les autres partis, d'ailleurs. ► À écouter aussi : Invité Afrique - Orden Alladatin (UPR): au Bénin, «les électeurs nous demandent d'être leur meilleur porte-parole»
Le Bénin organise des élections législatives le 8 janvier 2023. Il y a quatre ans, lors du précédent scrutin, les partis de l'opposition avaient été écartés et les 83 députés élus venaient tous du camp au pouvoir. Cette fois, sur les sept partis en compétition, trois formations de l'opposition y participent. Entretien avec Orden Alladatin, membre de la direction exécutive nationale, député de l'Union progressiste le renouveau (UPR) et président de la commission des lois du Parlement sortant. ► À lire aussi : Au Bénin, dans la rue, un intérêt limité pour les élections législatives
Retour sur le parcours exceptionnel de l'équipe marocaine de football, parvenue à se hisser en demi-finale de la récente Coupe du monde de football au Qatar. C'est la première équipe africaine à parvenir à ce stade d'un Mondial. Comment le royaume pourrait-il profiter de cette performance des Lions de l'Atlas en termes de rayonnement à l'échelle mondiale ? Entretien avec Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. RFI : La réussite inédite de l'équipe marocaine de football pourrait-elle apporter au Royaume des gains diplomatiques ? Pierre Vermeren : Des gains diplomatiques, je ne sais pas, parce que la diplomatie, c'est quand même autre chose que le football. Toutefois, on peut compter sur le Maroc pour effectivement capitaliser sur ce parcours tout à fait remarquable à la Coupe du monde, notamment en Afrique, parce qu'on sait que le Maroc a une diplomatie africaine très active. Il veut compter parmi les grands. Le défi de remporter la Coupe d'Afrique des nations dans deux ans a déjà été lancé, ou en tout cas, d'y briller, c'est certain. Le Maroc, qui est dans une compétition très importante avec ses challengers, notamment arabes, que ce soit l'Algérie où l'Égypte, va tout faire pour briller. Mais enfin, il faut quand même rester réaliste, le football, c'est effectivement très important, c'est de la politique. On l'a vu durant tout ce mois. Toutefois, les victoires diplomatiques et les victoires sportives sont quand même de deux ordres différents. Ce parcours extraordinaire des Marocains au mondial, vient-il confirmer la stratégie du soft power sur laquelle Rabat mise depuis plusieurs années pour affirmer son rôle à l'international ? Oh, dans le domaine du sport, oui, très clairement, parce que, quand on termine premier de son groupe, et qu'on bat deux très grandes équipes européennes, il y a quand même peu de hasard. C'était une réussite méritoire et préparée. Encore une fois, cette académie de football près de Rabat, qui a été créée en 2009, on voit que 13 ans après, on a un résultat tout à fait remarquable. De plus, cette fois-ci, le Maroc possédait un entraîneur marocain, ce qui est aussi une première. La dimension nationale, nationaliste, est très forte, avec une célébration digne des grandes nations de football, quand l'équipe est rentrée chez elle, avec des images diffusées un peu partout en Afrique et dans le monde arabe. Il y a une diplomatie du sport tout à fait évidente. Néanmoins, on est quand même dans le domaine du sport, même si le sport fait partie du soft power, même si le sport améliore l'image des nations et que clairement le Maroc joue cette carte. Certains observateurs avancent que cette victoire sportive est une victoire symbolique sur l'Algérie, frère ennemi de Rabat, partagez-vous cet avis ? Je crois que l'Algérie avait remporté la dernière Coupe d'Afrique des Nations. Elle n'a pas participé à cette Coupe du monde, donc clairement là, oui, dans le petit match bilatéral entre le Maroc et l'Algérie, le Maroc a marqué un point. En tout cas, il s'est vengé de la dernière étape, et cette fois-ci pas au niveau africain, ni maghrébin, mais au niveau international, donc bien sûr, ça va entraîner certainement une réaction de la part de l'Algérie. En tout cas, en tant que premier pays africain, arabe et maghrébin à atteindre ce niveau de la compétition footballistique internationale, le Maroc a marqué un point. C'est un point précieux, c'est quelque chose évidemment de très apprécié. On connaît la passion du football qui traverse tout le Maghreb, qui est très puissante aussi en Algérie. Il y a évidemment pour eux un challenge à relever, mais ce challenge a été porté cette fois-ci par le Maroc clairement. On a vu des joueurs et des supporters brandir le drapeau palestinien quand l'équipe marocaine gagnait. Or, on sait que le Royaume a normalisé ses relations avec Israël. Comment interprétez-vous cette utilisation du drapeau palestinien d'un point de vue politique ? Je pense que ça aurait été n'importe quelle équipe d'un pays du Maghreb ou du Moyen-Orient, on aurait eu aussi des drapeaux palestiniens. Alors c'est vrai que tous les pays n'ont pas la même histoire avec la Palestine, avec Israël. Mais on sait très bien que la cause palestinienne reste très chère au cœur et aux opinions publiques dans la région, au Maroc en particulier. Moi, ça ne m'a absolument pas surpris. De toute manière, vous savez, la politique internationale, la realpolitik domine. Après, il y a le cœur, et dans le cœur des Marocains, c'est clair que si le pays et le Royaume mettent souvent en avant, ses relations avec Israël, ce n'est quand même pas vraiment étonnant qu'il y ait une très puissante affection vis-à-vis des Palestiniens, dont on n'a plus beaucoup parlé ces dernières années pour diverses raisons, notamment depuis les printemps arabes. Mais, le peuple marocain, qui, pendant des décennies a manifesté en faveur des Palestiniens, n'a pas évidemment oublié cette cause, comme on vient de le voir. Je pense que ce n'est pas du tout le hasard, ce n'est pas non plus marginal. C'était une expression, je dirais, légitime et surtout pas très confidentielle et pas très inattendue.
Les opérations d'identification et d'enrôlement des électeurs ont été lancées samedi 24 décembre à Kinshasa. Elles concernent d'abord 10 provinces de la partie ouest du pays et dureront un mois. Où en sommes-nous avec ce processus ? Quelles sont les principales contraintes ? Le calendrier électoral sera-t-il respecté ? Entre difficultés financières, problèmes logistiques et défis sécuritaires, les élections pourront-elles être organisées comme prévu ? Denis Kadima, président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) en RDC est notre invité Afrique. RFI : L'opération d'identification et d'enrôlement des électeurs pour les élections générales de 2023 a débuté depuis samedi dernier dans les provinces de l'ouest du pays. Bien que se trouvant dans cette zone, le territoire de Kwamouth, en proie à des conflits communautaires, ne sera pas concerné. Vous avez eu peur pour votre personnel, pour le matériel, pour la sécurité des enrôlés ou parce qu'il n'y a personne là-bas ? Denis Kadima : Il y a tout cela. D'abord, il faut être sûr que les membres de notre personnel ne sont pas en danger, que les électeurs eux-mêmes ne vont pas se faire attaquer. Évidemment, il y a le fait que beaucoup de gens ont quitté leur lieu de résidence. Et nous ne voulons pas que cela affecte leur participation au processus électoral qui viendra à la fin de l'année prochaine. Donc, c'est juste attendre que les choses rentrent dans l'ordre pour qu'eux aussi aient la même opportunité que tout le monde. Des opposants comme Martin Fayulu vous accusent de vouloir tricher en positionnant plus de centres d'enrôlement des électeurs dans certaines provinces que dans d'autres ? Oui, nous avons entendu tout cela. Mais ce n'est pas factuel. Quand vous lisez les documents que nous avons établis dans le cadre de la cartographie, les vrais documents, vous verrez qu'aucune province n'a perdu. Au contraire, toutes les 26 provinces ont gagné quelque chose. C'est complètement faux, je dois le dire. Quand on cite même le nom des provinces, parfois, on cite des provinces qui ont connu une très grande augmentation. Je ne sais pas si c'est un problème d'information, mais c'est complètement à côté de la plaque. Qu'est-ce qui n'a pas marché avec les précédentes opérations d'enrôlement des électeurs ? Pourquoi avez-vous décidé d'augmenter le nombre de centres d'enrôlement ? En 2018, il y avait à peu près 17 500 centres d'inscriptions. C'est insuffisant. Les gens devaient parcourir des fois 20 à 25 km pour arriver au lieu d'enrôlement. Nous, nous avons augmenté ce nombre en ajoutant 5 000 centres d'instruction. Cela reste insuffisant. Si le pays en avait les moyens, nous en aurions peut-être 50 000. Parlons du financement du processus électoral, sur les 640 millions de dollars attendus cette année, vous n'avez reçu que 400 millions de dollars. Ainsi, vous accusez quatre mois d'arriérés. Ce sont des frais liés aux opérations ou au fonctionnement de la Céni comme institution ? C'est l'ensemble, c'est-à-dire qu'il y a le fonctionnement, il y a les opérations, l'investissement. Tout cela regroupé, ça forme le montant des décaissements attendus. Il y a des impaiements sur quatre mois, comme vous l'avez dit. Nous essaierons d'avancer avec ce que nous avons. Le gouvernement a annoncé qu'il prendra en charge le financement des élections. Par le passé, on sait que le gouvernement s'était appuyé sur des partenaires comme la Monusco. Est-ce que la mission onusienne a été saisie ? Oui. La Monusco avait été contactée il y a exactement un an. C'était le 21 décembre 2021. Puis, ils ont mis un processus en cours, c'est-à-dire, ils ont envoyé une équipe pour faire un état des lieux. Finalement, les discussions sont encore en cours. En ces temps, le processus a pris de l'envergure. Comme j'ai dit, on se contente des moyens qui nous sont fournis par le gouvernement, parce que c'est la responsabilité première du gouvernement. Et concernant la Monusco, il faut aussi reconnaître qu'elle n'a plus la capacité qu'elle avait en 2006. Aujourd'hui, elle est beaucoup plus confinée à l'est du pays. Nous sommes en train de travailler à l'ouest, donc on travaille avec les moyens qui sont les nôtres. Avec le délai contraignant, avec les arriérés auxquels vous faites allusion, l'élection générale en décembre 2023, c'est toujours tenable ? Ah, oui, c'est tenable. Nous sommes à 12 mois des élections. Donc, on a beaucoup de temps, beaucoup de choses peuvent se passer. J'ai rencontré le Premier ministre [Jean-Michel Sama Lukonde] il y a trois jours. Il était ici à la Céni. Nous en avons parlé, il en est conscient. Les autres membres du gouvernement sont concernés par la question. Ils savent bien que nous sommes en pleine opération. En fait, l'inscription des électeurs, c'est l'opération électorale la plus importante, parce qu'on y met tous les moyens, on détermine le nombre de personnes et leur distribution sur le territoire. Et sur cette base-là, nous aurons des informations très précises pour organiser les scrutins. Donc, je suis optimiste.
Demi-finaliste du mondial de football au Qatar, le Maroc a été l'équipe surprise de la compétition reine du football. Mais derrière la surprise se cache un travail de l'ombre. Notre invité ce dimanche est Nasser Larguet, l'un des fondateurs et premier formateur de l'académie Mohammed VI de football d'où sont sortis plusieurs piliers de l'équipe marocaine actuelle. Avec notre correspondant au Maroc, Victor Mauriat, il revient sur le parcours et les raisons du succès des Lions de l'Atlas dans cette Coupe du monde.
Selon un rapport d'experts mandatés par l'ONU, dont la publication est attendue dans les prochains jours, mais qui a fuité dans la presse ce jeudi, il existe des preuves d'une « implication directe » des forces de défense rwandaise dans l'est de la RDC. Après un premier rapport en août dernier, les experts des Nations unies accusent de nouveau le Rwanda de soutien au groupe armé du M23, un soutien toujours démenti par Kigali. Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, est l'invité de RFI. Un rapport d'experts, mandatés par l'ONU et transmis au Conseil de sécurité ce jeudi, accuse le Rwanda d'avoir fourni des armes, des munitions et des uniformes au groupe armé du M23. Comment réagissez-vous à ces accusations ? Alain Mukuralinda : On a déjà entendu ces accusations, il y a 3, 4, 5 mois. Le rapport n'est pas encore sorti officiellement. On attend de voir concrètement les preuves dont on parle pour les examiner et pouvoir réagir en conséquence. Aujourd'hui, on se base sur des paroles, on se base sur des témoignages que le Rwanda n'a pas encore vus. Donc, c'est difficile de réagir. Mais ce qu'on a toujours dit, le Rwanda n'a pas besoin du M23 pour assurer sa propre sécurité et le M23 n'a pas besoin du Rwanda pour pouvoir soutenir ses revendications par rapport à son gouvernement. Donc, quand on lit dans ce rapport que le Rwanda fournit des munitions, des uniformes et des armes au M23, est-ce que c'est faux ? Est-ce que le Rwanda le dément ? Le Rwanda le dément, parce que, jusqu'à aujourd'hui, on nous a parlé des militaires qui traversaient les frontières, on n'en a pas vus. On a juste vu deux militaires qui ont été arrêtés et on a expliqué dans quelles conditions. On nous a parlé des uniformes aujourd'hui. On n'a vu que 3 ou 4 uniformes qui ont été exposés par le gouvernement congolais. On a expliqué comment ces uniformes ont pu arriver de l'autre côté de la frontière et on sait très bien qu'à l'est du Congo, les frontières sont poreuses. Les groupes qui pullulent là-bas exploitent et le sous-sol et le sol congolais. Pourquoi est-ce qu'ils n'auraient pas les moyens pour s'approvisionner en armes ? Mais, s'il y a des preuves, on va les examiner. Dans ce rapport, on parle également de preuves substantielles d'une intervention directe de l'armée rwandaise en RDC entre novembre 2021 et octobre de cette année, est-ce que les Forces de défenses rwandaises (RDF) opèrent en RDC ? Je pense que si, aujourd'hui, on parle de colonnes de militaires rwandais ou de commandos, on en parle depuis 5, 6 mois, on aurait pu quand même avoir des preuves tangibles. On n'en a pas. On n'en a pas parce qu'il n'y a pas eu ces mouvements qui traversent les frontières. Aujourd'hui, vous démentez clairement le soutien du Rwanda au M23 ? Nous le démentons et on rappelle aussi que, dans ce rapport, on parle du soutien des FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo] par rapport aux groupes rebelles, et notamment les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda]. On n'en parle pas. Aujourd'hui, on ne fait que parler du M23. Donc, il y a des raisons qui poussent à ce qu'on ne parle que d'une partie du problème, à ce qu'on ne parle que d'un seul mouvement alors qu'il y a plus de 130 mouvements. Donc, il faut faire attention et le Rwanda dément. Après les États-Unis il y a quelques semaines, la France condamne à son tour pour la première fois le soutien du Rwanda au M23 à l'est de la RDC. Que leur répondez-vous ? Je pense que c'est une erreur. C'est une erreur qui se répète. Donc, on est en train de se détourner du vrai problème qui se pose à l'est du Congo. Et également, cela a un impact négatif sur la sécurité des pays voisins et du Rwanda. Vous dites que le massacre de Kishishe est une fabrication du gouvernement congolais. Et pourtant, un rapport préliminaire de l'ONU a comptabilisé 131 morts dans ce village du Nord-Kivu et, depuis ce lundi 19 décembre, RFI diffuse tous les jours les témoignages très précis de rescapés qui se sont réfugiés à Goma. Pour vous, la mort de civils congolais le 29 novembre dernier dans la localité de Kishishe, ce n'est qu'un mensonge ? Dire qu'il y a eu des morts et dire comment ces gens sont morts, c'est deux choses différentes. On sait très bien que dans cette région, il y a eu des affrontements entre le M23 et les FARDC soutenues par les groupes armés. Il faut qu'il y ait des enquêtes. Or, les autorités congolaises disent elles-mêmes qu'elles n'ont pas encore pu faire des enquêtes. Alors affirmer des choses sur lesquelles personne n'a enquêté, quelqu'un de dépendant, je pense que c'est aller trop vite dans la besogne. Et c'est surprenant de voir que ces pays qui, aujourd'hui, condamnent et qui critiquent ont repris la narration du gouvernement congolais. Oui, il y a eu des affrontements. Oui, il y a eu des morts. Mais laissons la place à une enquête sérieuse et non partisane. Et après, on pourra toujours dire "voilà, le responsable est celui-là", suite à des enquêtes sérieuses. Et donc, le gouvernement de la RDC multiplie les accusations contre le Rwanda, notamment avec la publication ce mois-ci d'un livre blanc sur « les agressions avérées de la RDC par le Rwanda ». Est-ce que le dialogue est rompu entre les deux pays ? Non. Le dialogue n'est pas rompu, mais continuer à accuser un peu partout… dans des forums… je pense que cela démontre une façon de fuir ces responsabilités, une incompétence ou une incapacité totale de résoudre le problème qui se pose à l'est du Congo, et de chercher un bouc émissaire. Aujourd'hui, tout le monde admet que dans cette région, il y a plus de 130 mouvements qui se battent là-bas. Tout le monde est d'accord qu'il y a eu de graves abus contre la population congolaise, qu'il y a eu des discours de haine. Et personne n'en parle. Si on continue à ne prendre qu'une partie du problème, cela va encore durer 20 ans.
Il y a cinquante ans, fin décembre 1972, l'historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo publiait son Histoire de l'Afrique noire, d'hier à demain. Un livre fondateur, qui a consacré l'émergence de la première génération d'historiens africains. Quel est le contexte dans lequel cette publication a eu lieu, avec quelles positions Ki-Zerbo a-t-il rompu, à quel point ce livre a-t-il inspiré les historiens actuels de l'Afrique ? Pour en parler, notre invité ce matin est Yacouba Banhoro, historien, maître de conférences à l'université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. Il répond aux questions de Laurent Correau. Pourquoi l'Histoire de l'Afrique noire de Joseph Ki-Zerbo, publiée il y a 50 ans, est-il un des ouvrages importants de l'historiographie africaine ? Yacouba Banhoro : Dans le monde francophone africain, c'était la toute première fois que non seulement on écrivait une histoire de l'ensemble de l'Afrique noire, mais également qu'un Africain noir écrivait également cette histoire. Il faut dire que c'est à partir des années 1960-1961-1962 que l'histoire même de l'Afrique s'implante en France, notamment à la Sorbonne avec la création de chaires. Et les chaires en France, c'étaient des chaires sur l'histoire africaine qui étaient attribuées à des Français. Et c'est donc pratiquement une décennie après que l'ouvrage de Joseph Ki-Zerbo sort et, cette fois-ci, c'est un Africain qui a eu l'agrégation en 1957 en histoire et qui écrit un ouvrage sur l'histoire de l'Afrique noire. C'est vrai qu'il y avait des historiens qui avaient déjà soutenu leur thèse. Par exemple, en 1955, Abdoulaye Ly, Sénégalais, avait soutenu une thèse d'État [«La Compagnie du Sénégal»] ; il y avait également Cheikh Anta Diop qui avait également soutenu une thèse d'État [en 1960, « L'Afrique noire précoloniale et L'Unité culturelle de l'Afrique noire »]. Donc, il y avait ce fond d'histoire africaine qui était en train de commencer, mais qui n'était pas suffisamment implanté. Quelle place ce livre tient-il dans l'œuvre de Joseph Ki-Zerbo ? En 1964, avant Histoire de l'Afrique noire, il avait publié Le monde africain noir. Donc, c'est une deuxième publication. Je pense que c'est l'ouvrage majeur de Joseph Ki-Zerbo. C'est l'ouvrage à partir duquel, vraiment, il a développé d'autres théories, comme le développement endogène par exemple qui est développé dans La natte des autres [1993]. Pratiquement, le fond de ces différents ouvrages parle de l'histoire de l'Afrique noire d'hier à demain. Avec quel type de récit historique, est-ce que Joseph Ki-Zerbo rompt au travers de cette Histoire de l'Afrique noire ? L'histoire de l'Afrique n'apparaissait qu'en appendice de l'histoire européenne. Le discours qui prévalait disait que l'Afrique n'avait pas d'histoire, parce que l'Afrique n'a pas d'écriture. Joseph Ki-Zerbo réussit à montrer qu'il fallait utiliser d'autres méthodes en utilisant la tradition orale, en utilisant la linguistique, en utilisant des éléments de l'archéologie, en utilisant des éléments de l'anthropologie, combinés pour pouvoir aboutir à une histoire de l'Afrique noire. C'est un ouvrage qui raconte toute l'histoire de toute l'Afrique noire… C'est un ouvrage qui prend l'Afrique noire dans son ensemble depuis pratiquement le paléolithique jusqu'à la création de l'Organisation de l'unité africaine [OUA-1963]. Comme le dit Joseph Ki-Zerbo lui-même, il ne s'agit pas d'une histoire qui est racontée pour toujours. C'est une entreprise scientifique qui est amenée à être mise à jour en fonction justement de l'état des connaissances. Son combat, c'était de dire ''les Africains ont une identité''. Et à partir de cette histoire de l'Afrique, les Africains peuvent se décomplexer des préjugés qu'on avait d'eux dans le monde scientifique, dans le monde occidental, pour pouvoir construire leur avenir avec une certaine sérénité. Quel est l'héritage de ce livre ? Est-ce qu'il a joué un rôle pour la génération suivante d'historiens burkinabè, et plus généralement africains ? Oui. Je pense que, quand on lit les différents documents qui ont été publiés en hommage à Joseph Ki-Zerbo, que ce soit par Présence africaine, que ce soit par l'Association des historiens africains, nous voyons que cette histoire-là a marqué tous les historiens du continent, et même au-delà du continent africain, dans la mesure où cet ouvrage a été traduit dans plusieurs langues. Et pour nous, c'était la Bible de l'historien. Et donc, quand on avait besoin de quelque chose sur l'histoire de l'Afrique, pendant nos exposés, on commençait bien sûr par là. Et 50 ans après, est-ce que cette histoire de l'Afrique noire, c'est un texte que vous recommandez toujours à vos étudiants, c'est encore un texte à lire aujourd'hui ? Oui. C'est un texte à lire. Quand on relit pratiquement la partie méthodologique de l'ouvrage de Joseph Ki-Zerbo, on voit qu'elle est très actuelle et nous l'enseignons toujours dans nos universités. On peut naturellement varier les domaines d'investigation et innover en matière de récolte d'informations et d'analyses d'informations, mais la méthodologie de l'histoire qu'il a eue à décrire dans son ouvrage, de mon point de vue, cette méthodologie reste toujours valable. Et je pense que les historiens doivent s'en approprier, même s'ils veulent innover. ► À (ré) écouter : Joseph Ki-Zerbo, pionnier de l'histoire africaine
Dans un communiqué diffusé lundi, la France « condamne » le soutien que le Rwanda apporte aux rebelles du M23 dans l'est de la République démocratique du Congo. Pour la RDC, c'est un succès diplomatique. Mais le président Félix Tshisekedi veut encore pousser son avantage. Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et des Médias et porte-parole du gouvernement de Kinshasa, est l'invité de RFI. RFI : Patrick Muyaya, quelle est votre réaction à la décision de la France de condamner formellement le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 ? Patrick Muyaya: Nous saluons évidemment cette décision de la France. Nous aurions voulu que cela arrive plus tôt. Cela aurait peut-être permis d'éviter certaines situations malheureuses sur le terrain, mais maintenant nous espérons que la France ira plus loin, pour que finalement le Rwanda respecte sa part de responsabilité pour le retour de la paix dans cette partie de la République démocratique du Congo. Vous auriez aimé que cela arrive plus tôt. Depuis l'accord entre Emmanuel Macron et Paul Kagame en 2018 pour la désignation de la ministre rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie, il y avait, c'est vrai, une vraie complicité franco-rwandaise. Est-ce que le communiqué français de ce 19 décembre est un tournant pour vous ? Peut-être que la France, qui était aussi dans une forme de médiation entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, ne pouvait pas, diplomatiquement, prendre une décision aussi ouverte. Mais je crois que le fait que la France le dise publiquement aujourd'hui doit entraîner forcément des conséquences, à commencer par le retrait du M23 de tous les territoires occupés en République démocratique du Congo. Il est établi que le Rwanda est un pays qui agresse la République démocratique du Congo. Cela devrait être aussi pris en compte dans les relations franco-rwandaises. Alors par ailleurs, c'était hier à l'ONU, le Conseil de sécurité vient de lever tous les obstacles administratifs à la vente d'armes à votre pays, notamment cette obligation pour les vendeurs d'armes de s'identifier auprès des Nations unies. Quelle est votre réaction ? Pour nous, c'est une injustice réparée, c'est une bataille gagnée, parce que ces régimes de notification paraissaient, à nos yeux, aux yeux des Congolais, comme un mécanisme qui ne pouvait pas nous permettre d'avoir tous les moyens pour assurer la défense de notre territoire. Et donc nous considérons que c'est un pas significatif, qui nous permettra de défendre notre territoire, principalement dans sa partie est. Est-ce que vous sentez, depuis quelques jours, un déclic international en votre faveur ? Évidemment, ce déclic aurait pu arriver plus tôt, parce que, comme vous le savez, nous avons sorti, publié un livre blanc qui répertorie tous les crimes commis en République démocratique du Congo, et tous les services de sécurité étrangers étaient au courant, notamment, vous avez suivi les rapports du groupe d'experts qui a fuité il y a quelques mois. Ça veut dire que tout le monde savait que le mal se produisait à l'est, mais que personne n'en parlait. Donc aujourd'hui, que tout le monde en parle publiquement, ça nous réjouit. La prochaine étape pour nous en tout cas : condamnation, sanction, justice, réparation. Parce que nous pensons, cette fois-ci, que la composante judiciaire est une garantie qui pourra nous permettre de ne plus voir se répéter ces cycles de violences dans l'est de la République démocratique du Congo. Voilà six mois, Monsieur le ministre, que le M23 opère sur votre territoire. Ce n'est que maintenant, en effet, que la communauté internationale commence à se mobiliser. Mais pourquoi tant de passivité, est-ce qu'il y a des causes externes à la sous-région ? Écoutez, comme on dit, mieux vaut tard que jamais. Nous espérons que, cette fois-ci, au-delà des mots, il y a des actes qui seront posés pour mettre plus de pression sur le Rwanda pour que la paix puisse revenir dans cette partie du pays. C'est cela le plus important. Est-ce que la guerre en Ukraine n'a pas occulté la guerre au Congo ? Sans doute, mais la situation en République démocratique du Congo, elle est même comme un conflit oublié. Au-delà du nombre de morts, qui rivalise aujourd'hui avec le nombre de morts de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, notre plaidoyer consiste simplement à ce que les populations congolaises qui sont victimes, vous avez suivi le massacre de Kishishe, de ces horreurs, méritent aussi la solidarité de la communauté internationale. Toutes, que ce soient les Ukrainiens ou les Congolais, toutes sont des vies humaines, qui méritent une compassion, qui méritent une action plus grande pour être sûr que les populations déplacées rejoignent leurs familles, et pour éviter tout risque d'épidémie et autres conséquences désastreuses. À Luanda au mois de juillet, à New York au mois de septembre, le président Tshisekedi a accepté de serrer la main du président Kagame devant les photographes, et ce n'est que le mois dernier, au sommet de la francophonie, à Djerba, que les autorités congolaises ont dit stop, fini les photos avec le président rwandais. Est-ce que vous-même, gouvernement congolais, vous n'avez pas manqué d'un peu de fermeté ces derniers mois ? Écoutez, il faut regarder le président Tshisekedi depuis son arrivée à la tête de la République démocratique du Congo, il avait fait le choix clair de construire la paix. Nous n'avons pas oublié le passé, qui est pourtant difficile avec les pays limitrophes, mais on a pensé qu'on pouvait ouvrir un chapitre nouveau. Vous avez vu l'éruption du Nyiragongo en mai 2021 nous rappeler que nous sommes voisins et que nous devons continuer à collaborer. Mais l'attitude du président Kagame aujourd'hui ne nous permet plus d'entretenir le même rapport, parce qu'on ne peut pas s'imaginer une telle insensibilité face à un tel torrent de pleurs, de violences commises sur des populations innocentes. Je reviens encore sur le massacre de Kishishe qui a été commis dans des conditions horribles. Je ne pense pas que nous pourrons continuer à nous serrer la main lorsque nous avons en face de nous quelqu'un qui ne veut pas que vous puissiez vivre en paix finalement, y compris avec les voisins rwandais. Vous parlez du massacre de Kishishe. Fin novembre à Kishishe, dans cette localité du Nord-Kivu, les rebelles du M23 sont accusés d'avoir massacré au moins 131 civils. Est-ce que c'est cela, le déclic, sur la scène internationale ? Ça serait dommage que le déclic vienne après un tel massacre horrible, et pourtant, il y a des signaux d'alerte qui ont déjà été donnés. Mais comme dit tout à l'heure : à quelque chose, malheur est bon. Nous, aujourd'hui ce que nous voulons, c'est la justice pour les âmes qui ont été perdues. Nous voulons que les enquêteurs puissent avoir accès à Kishishe, pour savoir véritablement ce qu'il s'est passé. Nous voulons travailler pour donner des sépultures à ces compatriotes qui ont perdu la vie injustement dans l'est de la République démocratique du Congo. Alors, le M23 commet des crimes, dans votre pays, mais les FDLR également. Le président Kagame n'a-t-il pas raison de souligner que la présence de ces Hutus rwandais FDLR sur votre territoire reste une vraie menace pour le Rwanda ? Écoutez, il est évident que les FDLR constituent d'abord un problème de sécurité pour nos compatriotes. Les FDLR tuent des Congolais, rançonnent des Congolais. Deuxièmement, les forces négatives, toutes, doivent être éradiquées. Les FDLR, ce sont des forces étrangères, qui doivent être éradiquées. Je dois rappeler que, dans le livre blanc que nous avons publié, nous sommes revenus sur toutes les fois où nous les avons combattus. Aujourd'hui, il existe des résidus des forces FDLR que nous devons tous combattre, mais cela ne devrait justifier en rien l'attitude naturellement belliciste du Rwanda qui va aujourd'hui commettre des massacres sous prétexte de combattre les FDLR. Les motivations sont économiques, nous le savons. Il n'y a aucune raison qui justifie l'attitude belliqueuse du président Kagame dès lors qu'à Nairobi, nous avions convenu d'un schéma qui devait permettre de combattre nos groupes armés à la fois locaux et étrangers, y compris les FDLR. Alors, on l'a dit : depuis ce lundi, la France condamne le soutien rwandais au M23, mais elle affirme en même temps vouloir parler à tout le monde, y compris avec le Rwanda, pour trouver une solution. « On ne bâtira pas une paix durable sans le Rwanda », précise à Kinshasa la secrétaire d'État française Chrysoula Zacharopoulou, qui est en visite dans votre pays. Est-ce que vous êtes d'accord avec elle ? Évidemment, nous sommes d'accord. Parce que, quoiqu'il arrive, le Rwanda restera toujours voisin de la République démocratique du Congo. Aujourd'hui, nous avons répondu à tous les rendez-vous pour la paix : à New York, à Luanda, à Nairobi, à Washington, à Charm el-Cheikh. Partout, nous y allons, il faut que le Rwanda commence par respecter ses engagements, parce que c'est le Rwanda qui est responsable du M23. Nous espérons que, cette fois-ci, ils pourront agir, et agir vite pour éviter d'autres drames. Donc, vous attendez beaucoup peut-être d'une prochaine réunion du processus de Luanda. On parle d'un sommet à Bujumbura avant la fin de l'année ? Aujourd'hui, ce que nous attendons, c'est le retrait du M23. Les rencontres, il y en aura sûrement en janvier au niveau des chefs d'État. Aujourd'hui, nous attendons de voir le processus de retrait commencer, parce qu'il ne sert à rien de se rencontrer s'il n'y a pas d'évolution concrète sur le terrain. Donc, d'abord le retrait, et ensuite la rencontre ? Nous ne conditionnons pas la rencontre des chefs d'État par le retrait, sinon nous n'en aurions pas eu. Depuis juillet, nous sommes engagés dans différentes discussions avec le Rwanda, mais il n'y a pas eu de respect de ce qui avait été convenu. Donc aujourd'hui, nous voulons être sûrs que tous les acteurs qui soient impliqués dans la paix, nous voulons qu'ils jouent le rôle qui est le leur dans le cadre des mécanismes qui ont été clairement définis. Et pas de rencontre entre chefs d'État avant le 31 décembre ? Pas à ma connaissance, non. Depuis près de deux mois, Monsieur le ministre, un contingent kényan est arrivé à Goma dans le cadre d'une force est-africaine. Qu'est-ce que vous répondez à vos opposants congolais, comme Martin Fayulu, qui dit que cette force n'a rien à faire à Goma, car le Congo n'est pas un pays de l'Afrique de l'Est, et à l'opposant Moïse Katumbi, qui dit que les Congolais n'ont pas confiance dans des forces étrangères ? Bon écoutez, il y a ceux qui font de la politique-politicienne. Il y a nous qui avons la boussole, la gestion quotidienne du pays. Aujourd'hui, les questions sécuritaires sont des questions qui se gèrent avec les autres, s'il faut parler, par exemple, du cas des ADF. Aujourd'hui, si la République démocratique du Congo a adhéré à la Communauté de l'Afrique de l'Est, c'est parce que la RDC a un rôle central qu'elle doit jouer dans la région, il ne faut pas oublier que notre adhésion à la Communauté de l'Afrique de l'Est a relancé le processus politique. Aujourd'hui, au moment où nous faisons cette interview, les groupes armés de la République démocratique du Congo, qui étaient à Nairobi sous les auspices du président Kenyatta, se sont engagés pour la paix, et j'ai entendu que vous aviez parlé des candidats – de toute façon, des candidats, on en aura beaucoup – aujourd'hui, la principale question, c'est d'être en mesure de pointer le Rwanda, et je n'ai pas entendu cela de Moïse Katumbi. Alors, en effet, nous sommes déjà en pré-campagne électorale - la présidentielle est dans un an – et que répondez-vous à l'opposition qui dit qu'on n'arrivera pas à tenir les délais du 20 décembre 2023, car on ne pourra jamais enrôler toute la population congolaise en 3 mois ? D'abord, la commission électorale nationale indépendante a publié un calendrier en même temps qu'elle a fait part de certaines contraintes. Il y a, évidemment, des contraintes financières pour lesquelles le gouvernement va faire sa part, et nous faisons notre part. Il y a, d'autre part, des contraintes sécuritaires, nous travaillons, y compris diplomatiquement et nous pensons pouvoir y arriver. Et pour ce qui concerne en tout cas le gouvernement, nous tiendrons nos engagements pour que ces élections se tiennent dans les délais, parce que nous avons eu déjà des exemples de glissement. Nous ne pensons pas que le glissement serait une bonne chose, alors que nous, nous voulons consolider notre processus électoral. Et c'est cela, aujourd'hui, l'interpellation qui doit être faite à toute la classe politique : d'accompagner le processus d'enrôlement, qui commence déjà ce 24 décembre. Je pense que le président de la République procédera au lancement à partir de la province de l'Équateur. Et cela va aller dans toutes les aires opérationnelles. On dit que ça ne sera pas possible d'enrôler, mais aujourd'hui, Monsieur Boisbouvier, vous savez qu'il y a des moyens technologiques qui permettent de faire un peu plus vite certaines choses. Nous, nous sommes optimistes, nous ferons notre part pour que ces élections se tiennent dans les délais. C'est ici aussi le lieu de rappeler encore au Rwanda de cesser le soutien aux M23, pour nous permettre, contrairement à eux, de faire des élections libres et transparentes avec des compatriotes de ce pays, qui pourront aussi voter. Des élections « libres et transparentes », contrairement au Rwanda, dites-vous ? Évidemment.
Le représentant de la Banque mondiale en Centrafrique Guido Rurangwa a pris ses fonctions à Bangui il y a quelques mois dans un contexte délicat. Alors que le gouvernement est en froid avec les bailleurs internationaux, que les appuis budgétaires ont été gelés et que les autorités prévoient un budget 2023 en baisse, il explique que l'institution demeure mobilisée auprès des Centrafricains.
Le sommet États-Unis – Afrique s'est tenu à Washington la semaine dernière. Cinquante délégations africaines s'y sont rendues. Le Niger, que les Américains considèrent comme un pays clé dans leur engagement au Sahel, était présent. Le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, est l'invité de RFI. Quel regard le pays porte-t-il sur les propos du président du Ghana concernant une éventuelle présence du groupe de mercenaires russes Wagner au Burkina Faso ? Quelle coopération avec les États-Unis en matière de sécurité ? RFI : Le président américain a annoncé 55 milliards de dollars de financement pour l'Afrique. Il va plaider pour un siège de l'Afrique au G20. Ce sont les deux grosses annonces du sommet États-Unis – Afrique. Est-ce que c'est assez ? Hassoumi Massaoudou : Le premier bilan, c'est d'abord que ce sommet se tienne, parce que c'est le retour des États-Unis. Il n'y a pas si longtemps, les États-Unis avaient mis une cloche sur l'Afrique. Et aujourd'hui, nous apprécions le fait que l'administration Biden s'intéresse à l'Afrique, mette l'Afrique à son agenda, et s'engage à ce niveau-là. Je trouve cela très appréciable et nous sommes très satisfaits. Après les engagements des États-Unis, attendez-vous du concret, comme le font d'autres pays – la Chine par exemple – en Afrique ? Je suis très confiant dans la suite à donner à cet engagement vu la personnalité qui a été désignée, il s'agit de M. Johnnie Carson, le sous-secrétaire Afrique au temps de l'administration Obama. Sa silhouette hantait les sommets de l'Union africaine. Je pense que ce choix est déjà un manifeste pour nous amener à croire que cet engagement sera suivi de faits. Qu'allez-vous dire à vos autres partenaires, la Chine, la Russie, la Turquie par exemple après ce sommet ? La Chine, c'est un partenaire économique pour nous. La Turquie aussi. La Russie, pas vraiment. La Russie n'est pas très présente en Afrique au plan économique. Sa présence, malheureusement ces derniers temps [se fait] de manière quasi-criminelle avec une société de mercenaires. Je ne mets pas d'intervention dans notre région, de la Chine au même plan que celle de la Russie. Par contre, avec les États-Unis, nous partageons des valeurs communes. Nous apprécions davantage l'engagement des États-Unis en Afrique. ►À lire aussi : Sept choses à savoir sur les relations Afrique/États-Unis: une mise en perspective Ce faisant, qu'allez-vous dire à la Chine ? Elle est la bienvenue, nous avons de bons rapports avec la Chine. Nous considérons que la présence de la Chine au Niger est bénéfique. Par exemple, l'exploitation du pétrole par la Chine au Niger est positive, parce qu'il n'y avait personne. Par conséquent, nous sommes tout à fait à l'aise dans notre relation avec la Chine et nous accueillons très, très bien cet engagement américain, qui chez nous est déjà un fait. Aujourd'hui, le niveau d'engagement américain sur le plan sécuritaire est très élevé. Son niveau d'engagement sur le plan de l'aide publique au développement est le plus élevé, il n'a rien à voir avec l'engagement de la Chine. Les noms de la Chine, de la Russie, n'ont pas été vraiment prononcés par le président Biden pendant ce sommet. Mais on sent que c'est aussi un sommet pour reprendre du terrain en Afrique. Est-ce que, à un moment donné, les Américains demandent aux Africains un engagement ? Je n'ai pas senti de demande d'engagement autre de la part des États-Unis. Mais nous sommes engagés sur des valeurs avec les États-Unis. Et nous assumons de manière sereine et à l'aise ce choix d'amitié avec les États-Unis, la France et les pays occidentaux. Évidemment, ces valeurs, nous les partageons avec ceux-ci, pas avec ceux-là. Néanmoins, nous accueillons les investissements, d'où qu'ils viennent notamment de la Chine et de la Turquie. Le président du Ghana a évoqué la société Wagner dans un entretien avec Antony Blinken, le secrétaire d'État américain. Nana Akufo-Addo a dit que les hommes de Wagner peuvent maintenant s'implanter au Burkina, et qu'une mine, située juste à la frontière avec le Ghana, peut être exploitée par Wagner. Vous confirmez cette information ? Je ne peux pas confirmer, certainement qu'il a plus d'informations que moi. En ce qui me concerne, je ne l'ai pas encore, mais je pense que c'est une information vraisemblable. Vous partagez une frontière avec le Burkina. Le fait qu'il puisse y avoir prochainement des éléments de Wagner à votre frontière, vous inquiète-t-il ? Évidemment, que ça nous inquiète parce que nous n'acceptons pas des mercenaires dans notre espace. Nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, c'est condamné par la loi internationale. Et deuxièmement, nous voyons bien le rôle négatif que cela joue, donc nous considérons que c'est une menace pour la démocratie et pour les institutions de la région. Le capitaine Ibrahim Traoré est allé en déplacement à l'étranger mais il ne s'est pas rendu au Niger. Pourtant, vous êtes des pays très proches. Pour vous, il montre clairement les choix de ses nouvelles alliances et vous n'en faites pas partie ? Pour le moment, sa trajectoire n'est pas celle que nous souhaitons. C'est pour ça que j'appelle les autorités burkinabè à se ressaisir, à venir dans cet espace-là, conformément aux engagements qu'ils ont pris avec la Cedeao et à avoir des relations sereines avec leurs voisins. C'est notre souhait, c'est notre appel. Mais vous avez des relations avec le Burkina, vous avez des échanges ? Là, non. On avait commencé à avoir une coopération militaire avec l'armée burkinabè, avant le coup d'État, mais jusqu'ici, nous sommes dans une situation d'attente. Les relations sont revenues à un niveau zéro. Mais le Burkina occupe encore une place plus centrale que le Mali. Si le Burkina s'effondre et malheureusement les signes sont là annonciateurs, c'est carrément le golfe de Guinée qui est menacé. Donc, par conséquent, c'est une situation très sérieuse à prendre avec beaucoup d'inquiétude. Il faut que la Cedeao considère que le Burkina est une préoccupation majeure numéro un, aujourd'hui, pour notre espace. ► À lire aussi : Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré officiellement investi président de la transition Revenons sur l'engagement américain au Niger, qu'y font les forces américaines ? Elles font beaucoup de choses. Premièrement, il y a la base aérienne d'Agadez. Une base de drones qui renseigne sur tout ce qu'il se passe dans cet espace ; deuxièmement, sur le plan militaire, ce sont les premiers formés, les bataillons des forces spéciales ; troisièmement, les États-Unis nous équipent de manière considérable : en forces blindées, en matériel de communication, en avions, qui nous permettent de projeter des forces d'un point à un autre. Donc, les États-Unis sont pour nous un allié important dans la lutte contre le terrorisme à travers ses formes multiples de soutien. Les drones à Agadez, font-ils uniquement du renseignement ? Pour le moment, ils ne font que du renseignement, oui. Ce ne sont pas encore des drones tueurs. Nous, nous avons acheté des drones de combat avec la Turquie que nous allons utiliser. Mais pour le moment, la fonction essentielle, c'est du renseignement et nous en sommes extrêmement satisfaits. La France est engagée aussi, elle est basée au Niger. Est-ce que les contours de cette nouvelle force française au Niger, sont maintenant définis et clairs ? C'est clair. La France, non seulement fait la même chose que les autres, en formant nos forces, en nous équipant aussi, mais là, c'est le seul pays avec lequel nous avons également un partenariat de combat. Les forces françaises basées au Niger combattent aux côtés des forces nigériennes, sous commandement nigérien, les jihadistes. Ça se passe sous un format qui est un peu différent du format de Barkhane, avec des grandes unités et ça se passe bien. Au niveau des effectifs, cela donne quoi ? Les effectifs, ce n'est pas très important en réalité. Ce qui est important, c'est la nature du partenariat et les résultats. Les effectifs sont élastiques en fonction de nos besoins. Mais ils ont augmenté ? Avant, il n'y avait pas de partenariat de combat. Les forces françaises combattaient au Mali. On avait à la base aérienne de Niamey des forces aériennes de soutien. Maintenant, on a des forces combattantes au Niger, ce qui marque une différence par rapport à la situation d'avant. Du reste, nous avons posé la question à l'Assemblée nationale, il y a eu un vote. Donc par conséquent, nous le faisons en accord avec le peuple nigérien et ce qui nous importe, c'est le résultat. Il y a pourtant des demandes, dans la société civile, de manifestations – qui sont souvent refusées d'ailleurs – contre la présence des forces françaises au Niger. Le peuple nigérien n'est pas unanimement favorable à cette présence. Ils sont tout à fait marginaux. Pourquoi parfois est-ce que nous interdisons ces manifestations ? La première fois qu'on les a laissé manifester - d'abord, ils n'étaient pas nombreux – mais on n'a vu que des drapeaux russes. Nous n'acceptons pas que chez nous, voyant ce qu'il se passe ailleurs, que quelques groupuscules donnent l'impression à l'opinion internationale que le peuple nigérien appelle la Russie à venir. Soyons sérieux. Donc, nous n'accepterons pas ça. Ceux qui s'y opposent disent aussi qu'ils sont nombreux… Ils sont nombreux, mais ils n'osent pas dire qu'ils sont majoritaires. Mais je ne pense pas que nous allons les laisser défiler avec des drapeaux russes pour donner l'impression qu'il y a une revendication de ce genre-là par rapport à une organisation criminelle de mercenaires de Wagner. Ça, nous n'accepterons pas ça. Un dernier mot sur l'affaire de Tamou. La société civile a parlé de dizaines de morts, dont des civils. Où en est l'enquête de votre côté ? L'enquête, certainement qu'elle est en cours. Je ne suis pas très près de cette question, mais je pense que les juridictions continuent l'enquête. Vous n'avez pas d'autres éléments sur ce qu'il s'est passé à Tamou ? Non non, je n'en ai pas d'autres, non. Mais une enquête étant ouverte, j'attends les résultats de l'enquête.
Le chanteur congolais Fally Ipupa vient de dévoiler, ce vendredi 16 décembre, un nouvel album intitulé Formule 7. Une sortie qui intervient plus d'un mois après un drame qui s'était produit à Kinshasa lors de l'un des concerts de la star, une bousculade qui avait fait onze morts. L'album qui vient de paraître est le 7e disque de sa carrière et le 5e consacré à la rumba. ► Retrouvez l'interview de Fally Ipupa consacré à « Formule 7 » sur RFI Musique.
Depuis plus d'un an, l'ancien gouverneur du Katanga restait silencieux… Aujourd'hui, Moïse Katumbi annonce sur RFI et France 24 qu'il est candidat à la présidentielle du 20 décembre 2023 en République démocratique du Congo. « Je suis candidat, car la situation du Congo est chaotique et car je dois sauver un peuple en danger », déclare-t-il. Le président du parti « Ensemble pour la République », qui met en avant son bilan de gouverneur et son expertise, affirme avoir « une vision et un programme » pour « reconstruire l'armée et la sécurité du pays » et pour « créer des emplois et refaire les infrastructures ». Moïse Katumbi précise sur RFI et France 24 qu'il quitte l'Union sacrée – la coalition présidentielle qui soutient la candidature du président sortant Félix Tshisekedi – et que sa propre candidature sera « avalisée » par un congrès de son parti « Ensemble pour la République », à partir de ce lundi 19 décembre à Lubumbashi. RFI – France 24 : Les élections présidentielle et législatives, elles sont prévues par la commission électorale (Céni), le 20 décembre 2023. Pour la plupart des observateurs internationaux, le calendrier est matériellement intenable et un glissement inévitable, mais le président Tshisekedi affirme que ce ne sera pas le cas. Quel est votre point de vue ? Moïse Katumbi: Vous savez, je me rappelle bien du cardinal Ambongo, il avait dit : « D'un mal parfois, on peut sortir un bien pour le pays ». D'abord, l'élection de Kadima, le président de la CENI, a été contestée par tout le monde. Mais j'espère que Kadima sera à la hauteur pour nous donner de bonnes élections. Le plus important pour moi, c'est le jour des élections. Je demande à la population congolaise qu'elle aille s'enrôler. Nous n'allons pas permettre cette fraude et les élections chaotiques qu'on a eues en 2018. Je demande à la population : le jour des élections, ils ne doivent pas quitter le bureau de vote, on doit compter et afficher le résultat, et nous ne serons pas d'accord avec le vote électronique, on sera d'accord avec le vote semi-électronique. Jusqu'à nouvel ordre, Moïse Katumbi, votre parti Ensemble pour la République et vous-même, vous êtes toujours l'allié de Félix Tshisekedi dans l'Union sacrée. Quel bilan vous portez, que pensez-vous de la gestion du pays par le président Tshisekedi, depuis quatre ans ? Vous savez, le bilan est très mauvais, le bilan est chaotique. Mais j'ai donné des conseils en interne, j'ai écrit au président de la République, et j'avais aussi donné le cahier des charges quand j'ai accepté de rejoindre l'Union sacrée et ce cahier des charges n'a pas été considéré. Alors depuis des mois, tout le monde se pose la question : est-ce que vous allez, oui ou non, être candidat à l'élection présidentielle de décembre 2023 ? Comme la situation continue à être chaotique, je dois sauver un peuple en danger, et je serai candidat en 2023, mais je dois avaliser ma candidature au congrès de notre parti le 19 décembre, à Lubumbashi. Donc, je serai candidat parce que j'ai une vision pour mon pays et j'ai un bilan de quand j'étais gouverneur et j'ai de l'expertise aussi. Je ne viens pas là pour faire de l'aventure parce que vous savez, il ne faut pas chercher le pouvoir pour le pouvoir. Je serai un président qui ne pleure pas, je serai un président qui va trouver des solutions pour son pays. Donc ça y est, votre décision est prise, aujourd'hui, vous êtes candidat ? La décision est prise : je suis candidat, parce que j'ai une vision, j'ai un programme, où on va nous respecter. Je vais créer de l'emploi, j'ai les infrastructures à refaire, il y a le tourisme… On doit aussi reconstruire notre armée, donc la sécurité dans notre pays, j'ai tout un programme. Alors cela signifie qu'avec votre parti Ensemble pour la République, vous allez devoir quitter l'Union sacrée. Vous venez de nous le dire, vous allez tenir un congrès le 19, c'est-à-dire, je crois, lundi prochain. Ce sera où ? Et surtout, est-ce que vous ne craignez pas que beaucoup de vos députés, sénateurs, ministres même, vous avez cinq ministres actuellement dans le gouvernement, ne vous abandonnent pour soutenir le candidat Tshisekedi ? Vous savez, j'ai décidé de quitter, donc j'ai dit au revoir à l'Union sacrée, mais je dois aussi consulter les membres de mon parti ce lundi au congrès, à Lubumbashi. Je sais qu'il y a des gens qui vont nous quitter, et c'est ça la démocratie, ceux qui partent vont laisser la place aux autres. Mais nous allons continuer avec de vrais combattants qui voudront que nous puissions changer la situation de notre pays ensemble pour un Congo meilleur. Donc, je suis candidat parce que je vois que mon pays va mal, et je peux trouver une solution pour mon pays : je l'ai fait quand j'étais gouverneur, j'ai un bilan, donc j'ai l'expertise. Après huit ans de brouille, vous avez serré la main de l'ancien président Kabila, c'était en mai dernier, à l'église, à Lubumbashi. Alors évidemment, ça a surpris tout le monde. Mais maintenant que vous nous dites que vous êtes candidat, est-ce qu'on va vers un renversement d'alliance sur le thème : « Tous contre Tshisekedi » ? Et est-ce qu'on pourrait voir par exemple Joseph Kabila ou plusieurs de ses partisans à votre congrès de lundi prochain, d'Ensemble pour la République ? Vous savez, au congrès, nous allons inviter tout le monde. La réconciliation avec M. Kabila, c'est une réconciliation de Katangais, donc j'ai serré la main au président Kabila. Le plus important pour nous, c'est le pays, c'est le Congo, mais pour le moment, nous n'avons pas un deal politique avec qui que ce soit. Le parti va voir, lors des assises, ceux que nous devons considérer comme amis et alliés. Mais quand vous dites « pour le moment », ça veut dire que ça peut changer, que cette poignée de main à l'église peut devenir une alliance politique… Vous savez, il y a eu la poignée de main à l'église, mais il y a plusieurs candidats qui se sont déclarés et je les respecte tous. Je respecte tout le monde. Mais jusqu'à aujourd'hui, ce n'est pas à l'ordre du jour.
Le sommet Etats-Unis / Afrique s'est terminé hier jeudi à Washington, après avoir réuni pendant trois jours cinquante délégations africaines, pour évoquer des thèmes comme la sécurité notamment au Sahel, le changement climatique, le développement, etc. Une rencontre préparée par les Etats-Unis en collaboration avec l'Union africaine, dont la présidence est actuellement assurée par le Sénégal. Quel bilan tirer de cet événement ? La ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, est notre invitée ce matin. RFI : Madame la ministre, vous avez participé au sommet États-Unis/Afrique. Est-ce que le bilan est positif ? Aïssata Tall Sall : Le président Joe Biden a fait de très fortes déclarations à l'endroit de l'Afrique. Il est tout à fait heureux que les États-Unis n'aient pas réinventé la roue. Ils ont pris comme socle de notre partenariat l'agenda 2063 de l'Union africaine autour de l'Afrique que nous voulons. Cela fait que les États-Unis se placent dans les priorités et dans le chemin qui porte les intérêts prioritaires de l'Afrique. Il faut s'en féliciter. Maintenant, en termes de mesures, il a annoncé 55 milliards de dollars, c'est quand même un grand pactole. Ceci dit, 55 milliards, si on divise par le nombre de pays qui sont représentés, cela fait 1 milliard par pays, même si ce n'est pas réparti comme cela évidemment. Ce n'est pas si énorme… Ces 55 milliards, ce n'est pas quelque chose qu'on va se partager. Mais c'est un levier qui nous permettra d'obtenir des financements beaucoup plus conséquents. Et je pense qu'effectivement, l'Afrique est un bon partenaire et les États-Unis sont également un bon partenaire pour l'Afrique. Mais le président Macky Sall a aussi soulevé deux points qui lui plaisent moins : des sanctions contre le Zimbabwe et également une loi qu'il a reprochée aux États-Unis. Pour le président Macky Sall, il est de son devoir de dire les choses sur lesquelles nous nous entendons, mais également les choses sur lesquelles nous ne nous entendons pas. Le Zimbabwe subit des sanctions de la part des États-Unis depuis très longtemps. Et l'Union africaine a pris des résolutions pour appeler à la levée de ces sanctions. D'ailleurs, je peux vous dire que, dans une discussion en off avec une autorité américaine, il m'a été annoncé que les États-Unis sont en train de faire la revue de ces sanctions, d'enlever peut-être celles qui nous paraissent les plus handicapantes et peut-être de maintenir quelques sanctions symboliques. L'essentiel, comme je l'ai dit, c'est que nous discutions entre nous et que nous avancions. Sur ce projet de loi… Sur ce projet de loi qui tend à sanctionner les pays africains qui commerceraient avec la Russie. Les pays africains n'entendaient pas être sanctionnés pour s'être choisis un partenaire. L'Afrique discute avec tous ceux qui veulent discuter avec elle et qui respectent également ses positions souveraines. Nous savons que c'est peut-être un point de crispation. Mais la diplomatie sert à dépasser les situations difficiles. Donc, nous continuerons à faire que cette loi ne s'applique pas en Afrique. Et je pense que les États-Unis finiront par comprendre notre position sur cette question difficile. Mais n'était-ce pas l'un des enjeux de ce sommet pour les États-Unis, d'obtenir plus de soutien des pays africains au moment où une partie des pays africains s'abstiennent de voter aux Nations unies les résolutions qui condamnent la Russie ? On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt, c'est ça aussi les relations internationales. Chacun défend ses intérêts et les préserve. Que les États-Unis aujourd'hui soient très enthousiastes à rencontrer l'Afrique, que l'Afrique soit également enthousiaste à rencontrer les États-Unis, peut-être qu'il y a effectivement une convergence quelque part. Le président ghanéen Nana Akufo-Addo, au cours de ce sommet, a évoqué la présence de Wagner au Burkina Faso. Est-ce que vous êtes en mesure de confirmer cette information ? Non. Malheureusement, je ne le peux pas. Le président Nana Akufo-Addo a peut-être fait cette déclaration. Je n‘ai pas de commentaires particuliers par rapport à cela. La seule chose que je peux dire, c'est que la situation sécuritaire au Sahel est très préoccupante pour nous tous et que nous avons un regard absolument vigilant sur ce qui peut se passer ça ou là. Est-ce qu'au niveau de la sécurité, qui est un des thèmes prioritaires pour l'Afrique, il y a eu des avancées sur certains dossiers ? Oui. Absolument. La première chose d'abord, c'est quand le président Joe Biden fait l'annonce de ces 55 milliards de dollars dont une partie sera consacrée à la cybersécurité. L'autre chose, c'est cette enveloppe de 30 millions de dollars. Là, immédiatement, pour la sécurité des pays africains. Nous devons imaginer des stratégies par rapport à l'insécurité en plus de tout ce qui a déjà été mis en place. C'est tout cela maintenant qui est de la responsabilité de l'Union africaine. Sur la succession du Sénégal à l'Union africaine, le président des Comores a dit sur l'antenne de RFI qu'il y aurait des discussions en marge de ce sommet, puisqu'il y a deux candidats déclarés pour l'instant : le président des Comores Azali Assoumani et le président du Kenya William Ruto. Est-ce qu'il y a effectivement eu ces discussions ? Je sais que ces discussions devaient avoir lieu depuis très longtemps déjà. Nous, notre devoir, en tant que président de l'Union continentale, c'est de faire de telle sorte que, une fois que la région est désignée comme devant prendre la tête de l'Union africaine, que la région discute entre elle et se mette d'accord. Nous avons incité, poussé les Comores et le Kenya à se mettre d'accord. Et nous avons bon espoir qu'il en sera ainsi.
A Doha au Qatar, la folle aventure des Lions de l'Atlas s'est donc achevée hier soir en demi-finale de la Coupe du monde. Les hommes de Walid Regragui ont chuté face à la France. Une défaite 2 à 0. Malgré cela, le Maroc a réalisé un parcours exceptionnel. Il est le premier pays du continent à atteindre ce stade de la compétition. Pour y parvenir, il a battu tour à tour la Belgique, l'Espagne et le Portugal. Des succès qui ont été célébrés à travers le monde arabe et sur le continent africain. Pour analyser cette performance historique et ses possibles retombées, Jamal Amiar, auteur et journaliste marocain, est notre invité. RFI : Quel est le sentiment qui vous anime après cette défaite du Maroc en demi-finale. C‘est de la déception, de la désillusion ? Jamal Amiar : Non, de la désillusion peut-être pas. Certainement de la déception, parce que l'équipe du Maroc n'a pas démérité hier soir. Elle a fait un très bon parcours. Elle s'est retrouvée dans cette demi-finale, c'est quand même le dernier carré face à une équipe de France efficace, expérimentée. C'est un résultat quand même cruel pour les Lions de l'Atlas. Ils ont dominé, ils ont eu des occasions, mais ça n'est pas passé. Ils ont eu des occasions, certes. Dominé ? Je ne sais pas, parce que je crois qu'en première mi-temps après le premier but français, les Lions de l'Atlas ne sont pas passés très loin de la catastrophe, parce qu'il y a eu deux ou trois occasions françaises très bonnes. Les Marocains ont beaucoup mieux joué en deuxième mi-temps, c'est sûr. Mais on ne va pas refaire le film, l'équipe du Maroc est mal rentrée dans le match et après, ça a été un peu compliqué. Ils n'ont pas été aussi percutants que contre le Portugal, l'Espagne ou la Belgique. ► A lire aussi : Maroc, la fin d'un rêve après un match à l'envers Malgré cette défaite, le Maroc aura réalisé un parcours incroyable qui restera dans l'histoire du football. Ce parcours exceptionnel des Lions de l'Atlas, ils le doivent notamment à un homme : Walid Regragui, leur sélectionneur. Il a pris les commandes de l'équipe fin août. Comment est-il parvenu en si peu de temps à construire un groupe aussi solide ? L'homme a certainement, avant même d'avoir des qualités sportives ou des qualités d'entraîneur, des qualités de meneur d'hommes et de leadership assez exceptionnelles. Et il est certain que, quand on prend en main une équipe un 31 août pour une Coupe de monde qui démarre à la mi-novembre, il faut du charisme, du caractère, la capacité à vraiment diriger une équipe, à lui donner confiance, à créer du liant entre plus de vingt-cinq éléments. Cela reste des choses à voir avec un peu plus de détails à analyser, mais il est certain que Walid Regragui a accompli un travail formidable en moins de quatre mois, vraiment formidable. On parle là de Walid Regragui. Mais il y a eu aussi tout le travail qui a été entrepris par la Fédération royale marocaine de football (FRMF) ces dix dernières années. C'est vrai. L'autre chose, au niveau des structures, c'est qu'il y a eu au Maroc la création d'une académie de football Mohammed VI, qui est située au nord de Rabat, il y a un peu plus de dix ans. Et cette académie est une véritable pépinière de footballeurs : elle est très bien faite avec une dizaine de terrains de foot, avec des hébergements haut de gamme, avec tout ce qu'il faut pour une école de foot. Et les professionnels du football sont assez unanimes maintenant à le déclarer et à dire que l'on commence à récolter les fruits. Après cette performance, est-ce que le Maroc ne devient pas un candidat très sérieux à l'organisation d'une nouvelle Coupe du monde sur le continent africain ? Oui, certainement. Le Maroc a toujours eu l‘ambition d'organiser une Coupe du monde. Cinq candidatures, le Maroc a déjà organisé des Coupes d'Afrique - il est encore candidat pour organiser la prochaine. Le Maroc avait le projet de présenter une candidature pour 2030 avec l'Espagne et le Portugal. Mais, pour 2030, je pense que le Maroc n'ira pas, parce que le Maroc soutiendra plutôt la candidature de l'Arabie saoudite. Mais le Maroc est candidat à ce genre d'événements. C'est vrai que c'est beaucoup de diplomatie, c'est beaucoup d'argent pour préparer, c'est beaucoup d'investissements. On verra, mais cela se fera. Pour l'instant, pas avant 2034, il faut être réaliste. Qu'est-ce que cette performance peut changer pour le Maroc ? Elle a déjà changé l'image du Maroc certainement dans les milieux sportifs internationaux. En Afrique et dans le monde arabe, on a vu quelque chose qui ne s'est jamais vu auparavant. C'est-à-dire qu'avant la qualification du Maroc pour les quarts et avant la qualification pour les demi-finales, on a vu le drapeau marocain brandi à Casablanca, à Dakar, à Tel Aviv, à Ramallah, à Bagdad, dans les camps de réfugiés en Syrie, au Yémen, dans les capitales et les grandes villes européennes où il y a de grandes communautés marocaines. Donc, on a vu quelque chose d'assez magnifique qui améliore l'image du Maroc, qui accroit un peu son soft power, son pouvoir immatériel, son influence. Et cela, c'est très bien pour l'image du pays, pour des choses comme le tourisme, pour le commerce aussi. Ce genre de performance sportive offre tout de suite un préjugé beaucoup plus favorable sur le pays que d'ordinaire. Et ça, c'est bien, c'est un acquis. Il y a eu récemment des fortes tensions entre Rabat et certaines capitales africaines. Ce parcours des Lions de l'Atlas peut faire évoluer l'image du Maroc et permettre d'apaiser ces tensions ? Le football, c'est un jeu et c'est du plaisir. Et la politique, c'est quelque chose d'extrêmement dur, cynique et brutal. Jusqu'où cette image sportive positive peut [aller]… Je pense que c'est du très court terme, mais pas du tout du moyen ou long terme. Parce que sur le moyen ou long terme, des intérêts d'État, la raison d'État, les grandes animosités au niveau des médias ou de l'information restent. Quel impact vraiment concret sur le fond des choses ? Cela reste encore à prouver.
France – Maroc, ce mercredi soir à 19h (TU), c'est plus qu'un match de football. C'est une bataille qui oppose deux peuples amis et deux pays aux destins entremêlés. D'autant que de nombreux Français vivent au Maroc et de nombreux Marocains vivent en France. Le Marocain Aboubakr Jamaï est un de ceux-là. Fondateur au Maroc de l'hebdomadaire Le Journal, à l'époque du roi Hassan II, il vit aujourd'hui à Aix-en-Provence, dans le sud de la France, où il dirige l'École des relations internationales et du management. À quelques heures du match, ce passionné de football se confie. RFI : Ce soir, c'est la France ! Alors, votre pronostic ? Aboubakr Jamaï : Je souhaite que le Maroc gagne, pas seulement parce que je suis Marocain, mais je crois que la France a déjà écrit de très belles pages dans son histoire footballistique. Je crois que le Maroc mérite cette fois d'écrire sa propre légende. Je suis assez abasourdi par la maturité – que ça soit celle de Walid Regragui ou de celle ses joueurs – donc mon cœur sera très fermement du côté marocain. En sachant aussi que je suis un grand admirateur du football français, de cette équipe française qui aussi, évidemment, est extraordinaire. Alors, cette passion-là, depuis quelques semaines, de tout un peuple pour son équipe de foot. Est-ce qu'il y a derrière une immense fierté d'être marocain ? Oui, absolument ! Regardez la France. Je veux dire, l'attachement de la France à son équipe nationale est aussi très fort. Ça touche à la nature du sport qui est le football, qui est un sport qui n'est pas un sport de riche, qui est égalisateur socialement. C'est l'intégration des jeunes, surtout dans les pays en voie de développement – l'intégration dans les quartiers – donc évidemment, dans les pays en voie de développement, il y a plein de vidéos qui circulent sur les explosions de joie aussi lointaines que l'Indonésie, lorsque le Maroc gagne. Évidemment, il y a une résonance identitaire, c'est un pays musulman, en très grande majorité, c'est un pays berbero-arabe aussi. Et puis tout simplement, c'est le petit qui est en train d'en montrer aux grands. Et vu cette solidarité arabe, on peut imaginer que ce soir, vous jouerez un petit peu à domicile, non ? Ça n'est pas du jeu, ça ! Mais absolument, vous faites bien de le dire. J'avais une grande pensée pour tous ceux qui ont affronté le Maroc déjà ! L'Espagne, le Portugal et la Belgique ont joué à Casablanca. Ils n'ont pas joué à Doha. Quand vous voyez le stade, et qu'à chaque fois que l'équipe adverse touchait le ballon, c'étaient des sifflets. Effectivement, vous avez tout à fait raison, le Maroc joue à domicile à Doha. ►À lire aussi : Invité France - Demi-finale Coupe du monde : « L'équipe de France a toutes les raisons de craindre le Maroc » Vous avez éliminé successivement l'Espagne et le Portugal. Vous affrontez ce soir la France. Ce sont les trois derniers pays qui ont colonisé le Maroc. Qu'est-ce que cela vous inspire ? Évidemment, c'est une dimension qu'on ne peut pas oublier. Donc il y a une espèce – peut-être dans l'esprit de certains – une espèce de revanche. Évidemment, avec la France, ça sera beaucoup plus fort parce que, si effectivement le Portugal, dans une moindre mesure, et l'Espagne un peu plus, ont été des puissances coloniales dans l'histoire du Maroc, la puissance coloniale pour le Maroc, c'est évidemment la France. Mais je pense, très sincèrement, qu'on commence à dépasser, depuis pas mal de temps déjà, cette dimension. Tout simplement parce que ce sont deux pays qui ont des relations très fortes. Là, je ne suis pas en train de vous resservir la sauce diplomatique officielle, mais je suis content de voir un joueur marocain qui s'appelle Romain. Je suis content de savoir que Mbappé a une mère algérienne et un père camerounais. D'ailleurs, vous savez que sur les 26 joueurs marocains, seize sont nés et ont grandi à l'étranger. Il n'y en a que trois, qui sont nés et ont grandi en France. Le reste – d'ailleurs, ça dit quelque chose sur l'évolution de l'immigration marocaine – vient plutôt de Belgique et de Hollande. Cette diversité-là, je trouve que c'est formidable, c'est une équipe nationale qui a beaucoup profité aussi des systèmes de formation européens, d'ailleurs français. Walid Regragui est né en Essonne, il a grandi en France, il a étudié en France. Parce que peu de gens le savent, mais c'est un monsieur qui a un DEUG en économie, qui est donc aussi le produit du système français. À mon avis, ça nous met un peu au-delà de la dimension coloniale, même si, dans l'esprit de certains, cette dimension existera ce soir. Je pense que ce qui marque beaucoup plus, c'est cette interpénétration entre toutes ces sociétés que le football arrive à magnifier. Oui, mais il y a tout de même des sujets de tension entre la France et le Maroc. En témoin, cette polémique depuis que la France a réduit de moitié le nombre de visas accordés aux candidats marocains. Est-ce que vous ne craignez pas des propos haineux aussi aujourd'hui ? Je le crains, je le crains. J'espère que les gens feront la différence. Ce n'est pas la faute de Mbappé, de Tchouameni et de Giroud si les visas ne sont pas donnés aux Marocains. C'est la faute au gouvernement français. Mais effectivement, vous avez raison, il y aura probablement des manifestations pas très jolies. Bon, on espère que si elles existent, elles seront le fait d'une toute petite minorité. Il y a eu des affrontements samedi dernier entre police et supporters marocains après la victoire du Maroc en quart de finale. Qu'est-ce que ça vous inspire ? C'était sur les Champs-Élysées, à Paris. Oui, absolument. Il y a eu un précédent en Belgique d'ailleurs, qui était beaucoup plus grave, à Bruxelles, à Molenbeek. C'est le fait en général d'une minorité et je suis toujours inquiet quand ce genre de phénomène se passe parce que, évidemment, vous vous imaginez bien, les extrêmes droites dans le monde sautent sur ce type d'incident pour en faire leur beurre et donc expliquer en quoi l'immigration est problématique, etc. Je pense que dans la grande échelle, ce sont des épiphénomènes. ►Le direct pour suivre le match France - Maroc ce soir
Le sommet États-Unis/Afrique s'est ouvert hier, mardi 13 décembre, à Washington, avec 49 pays invités, en plus de l'Union africaine. De nombreux chefs d'État ont fait le déplacement pour répondre à l'invitation de leur homologue Joe Biden, dont le président des Comores. Azali Assoumani évoque sa candidature à la présidence de l'Union africaine, des questions de politique intérieure, et la relation des Comores avec la France. Vous êtes candidat à la présidence de l'Union africaine. Le président sera choisi en février prochain. Vous avez un adversaire qui est le Kényan William Ruto. Est-ce que les choses, ici à Washington, peuvent vous départager ? Azali Assoumani : Oui, j'espère bien. J'en ai discuté avec lui quand on était en Égypte. On n'a pas eu le temps d'approfondir. Mais j'avais pris contact avec le président de la Commission africaine et on s'est dit qu'on va en discuter ici. Et j'ose espérer qu'on va trouver un compromis favorable. Donc, il y a des négociations qui ont lieu en marge de ce sommet, ici à Washington ? On va discuter. J'en ai parlé avec le président de l'Union africaine, Macky Sall. Le poste de président de l'Union africaine l'année prochaine revient à l'Afrique de l'Est. Donc, c'est à nous de trouver un consensus. Vous êtes un petit pays, les Comores. Vous êtes face à un pays plus grand, plus riche aussi. Qu'est-ce que vous allez dire à vos pairs pour les convaincre que ce sont les Comores qui doivent présider l'Union africaine ? Vous savez, l'Afrique est un continent, avec des pays souverains. Et on a l'obligation de respecter la souveraineté de tout pays. On fait partie de l'Union africaine, comme on fait partie du monde. Aux Nations unies, il n'y a pas une voix pour les petits ou pour les grands. Je ne vois pas pourquoi aujourd'hui, parce que c'est un petit pays, il n'aurait pas le droit d'assumer des responsabilités. Mais aux Comores, l'opposition vous accuse parfois de dérives dictatoriales. Est-ce que ce ne sont pas des arguments qui peuvent jouer en votre défaveur ? « Dictatoriales », ce sont les réseaux sociaux. Mais, venez aux Comores, vous allez voir (rires). Donc, ils peuvent nous accuser. En tout cas, il y avait un deal en 2016, en 2019. On a un deal en 2024, qu'ils se préparent. Mais je peux vous dire sans prétention aucune, comparativement à d'autres pays, pas seulement africains, à d'autres pays, on doit s'estimer heureux aux Comores. Vous avez évoqué les échéances électorales. Justement, en 2019, vous avez été réélu après avoir modifié la Constitution et la loi électorale qui a abrogé ce système de présidence tournante entre les trois îles. L'opposition à ce moment-là a dénoncé votre réélection, vous a contesté. Trois ans après, que comptez-vous faire pour relancer un dialogue politique qui semble aujourd'hui un peu dans l'impasse ? D'abord, il n'y a pas d'impasse. Je répète : la Constitution, ce n'est pas moi qui l'ai changée. C'est l'opposition elle-même. Je n'étais même pas au pouvoir. Ce n'est pas moi qui ai clamé qu'il faut qu'on change cette Constitution. Donc, quand j'ai été président, je l'ai appliquée. Mais est-ce que le dialogue politique existe ? Voilà. Tout à fait. On l'a tenu. Dernièrement, on a tenu un dialogue politique pour essayer d'apaiser les tensions. Beaucoup d'opposants sont venus parce que, dans le cas des élections prochaines, il est temps que chacun donne son avis sur le mécanisme électoral pour que demain, il n'y ait pas de contestation. Malheureusement, il y en a qui ne sont pas venus. Donc, vous dites qu'il y a un dialogue avec l'opposition, mais le mois dernier, l'un de vos principaux opposants, l'ex-président Ahmed Abdallah Sambi a été condamné à la prison à vie pour l'affaire dite de la « citoyenneté économique », soit le détournement allégué d'importantes sommes d'argents de la vente de passeports comoriens à des étrangers. Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre cette condamnation et vos tentatives de dialogue avec l'opposition ? Que dieu vous pardonne ! (rires) Quelqu'un qui a fait un acte anti-loi, on ne va pas le juger parce que c'est un ancien président, parce qu'il est opposant ? Ses partisans dénoncent un procès politique… Ils disent tout ce qu'ils veulent. Je l'ai déjà entendu. Moi, ça ne m'empêche pas de dormir. Mais ce qui a été fait, c'est au vu et au su de tout le monde. Parce qu'on est en train de voir un détournement d'argent. Donc, le président Sambi n'est pas au-dessus de la loi. D'ailleurs, il n'est pas le seul président à être jugé : en Afrique, en Asie, en Amérique, en Europe. Il a fait un acte ignoble. Moi, je ne voudrais pas que ce soit un exemple pour les autres. Enfin moi… la justice. Donc, c'est quelqu'un qui a violé la loi, qui a trahi le pays. Donc, il a été jugé et là, on prend le poste d'opposant ? Mais c'est aussi un opposant. Est-ce que pour apaiser les relations avec l'opposition, est-ce que dans le cadre de ce dialogue que vous voulez mener avec l'opposition, vous pourriez envisager une mesure de grâce ou d'amnistie pour l'ex-président Sambi ? Un opposant qui travaille avec moi, qui comprend. Mais l'opposant extrémiste n'a pas un effet de chantage. Il doit rentrer dans le dialogue. Et puis, effectivement, j'ai des prérogatives de grâce, je peux le faire. Mais, je ne veux pas le faire par chantage. Vos relations avec Paris ne sont pas vraiment au beau fixe. Il y a toujours ce problème de l'île de Mayotte. Comment qualifieriez-vous vos relations avec la France et avec Emmanuel Macron ? Elles sont au beau fixe. Même en famille, on se tire, ce n'est pas un problème, parce que, effectivement, il ne va plus dans l'émergence, donc ça veut dire qu'il y a un compromis. On s'est dit que, effectivement, voilà ce qui nous différencie, on le laisse de côté. On voit ce qui nous rassemble. La France et les Comores sont des partenaires. Sur ces problèmes-là, j'espère qu'on va trouver un consensus pour l'intérêt des deux pays.
Yaya Moussa, économiste et fondateur du média Africa Prime, est aussi analyste pour un certain nombre de médias américains. Il analyse les enjeux du sommet États-Unis/Afrique qui s'ouvre ce mardi 13 décembre à Washington. RFI : Ce mardi s'ouvre à Washington le sommet États-Unis/Afrique avec, côté africain une certaine méfiance, il faut le dire, vis-à-vis des États-Unis, puisque beaucoup de dirigeants ont encore en tête le mépris affiché par Donald Trump vis-à-vis du continent. À votre avis, comment, Joe Biden va-t-il s'y prendre pour briser la glace ? Moussa Yaya : On pourrait dire qu'après les propos calamiteux de Trump sur les pays du continent, Biden a cherché à racheter l'Amérique aux yeux des Africains en posant trois décisions importantes. La première, la tenue même de ce 2e sommet, huit années après le premier. Il faut ici réduire le déficit de confiance réciproque. La 2e décision importante, c'est la tournée récente du secrétaire d'État [Antony] Blinken, et la publication en août 2022 d'un document sur la nouvelle stratégie américaine vis-à-vis de l'Afrique. Troisièmement, l'invitation lancée par le président Biden à l'Union africaine pour rejoindre le G 20 qui est une reconnaissance de l'importance économique du continent sur la scène globale. À ce propos, est-ce un geste suffisant aux yeux des dirigeants africains, selon vous ? Je préfère voir derrière cette annonce un augure, un acte de soutien, une ferme volonté des États-Unis de soutenir l'intégration des pays africains, et ce, dans un ensemble politique, diplomatique, économique, financier et monétaire capable de parler avec force et crédibilité aux autres ensembles que sont l'Union européenne, la Chine, l'Inde ou les États-Unis eux-mêmes. Vous venez d'évoquer la nouvelle stratégie américaine pour l'Afrique. En quoi consiste-t-elle ? La nouvelle stratégie poursuit quatre objectifs prioritaires. La promotion des sociétés dites ouvertes et de la bonne gouvernance. C'est un leitmotiv souvent évoqué par les États-Unis, comme nous le savons. Deuxièmement, la promotion de la démocratie et de la sécurité. Vous noterez le lien entre “démocratie et sécurité”. Ensuite, la reprise économique après le Covid et enfin la défense de l'environnement et la transition énergétique. Pensez-vous qu'à travers l'Agoa [African Growth Opportunities Act, Loi sur le développement et les opportunités africaines], l'Amérique va continuer à conditionner ses avantages commerciaux au respect des règles démocratiques ? L'Agoa est une initiative américaine qui date, je pense, de l'an 2000 [mai 2000 signée par Bill Clinton, NDLR], pour ouvrir le marché américain à peu près 7 000 produits africains sans droits de douane. L'initiative étant américaine, libre aux États-Unis d'imposer leurs conditionnalités. Libre également aux Africains de les accepter ou de les refuser. Par ailleurs, il ne revient pas à la Chine ou à la Russie de contester les modèles de démocratie proposés par les Américains aux Africains, car ces deux pays doivent eux-mêmes inventer leur modèle de démocratie. Il revient aux Africains, en revanche, de se convaincre et de se prouver qu'ils ont un modèle crédible et viable de démocratie. Qu'est-ce que les pays africains peuvent attendre aujourd'hui de l'Amérique de Joe Biden ? N'oublions pas qu'au moment où nous parlons, les États-Unis à travers le Pentagone sont présents dans environ 15 pays africains, où ils maintiennent des bases permanentes ou semi-permanentes. Une trentaine de bases, donc. L'Amérique est un fournisseur de sécurité pour ainsi dire. Elle est aussi un partenaire économique. L'Amérique est également présente, ne l'oublions pas, au sein des institutions internationales de développement comme le FMI et la Banque mondiale. Son vote compte. C'est extrêmement important. Et enfin, il y a quand même un lien charnel entre les États-Unis et l'Afrique à travers la diaspora africaine, forte de deux millions de personnes, ainsi que des quarante-trois millions d'Africains américains. Est-ce qu'aux États-Unis, les dirigeants ont le sentiment que les Africains peuvent apporter quelque chose à l'Amérique, que ce soit sur le plan économique, diplomatique, sécuritaire et surtout culturel ? Vous parlez de la contribution de l'Afrique au niveau de la culture internationale mondiale, c'est effectivement dans ce domaine que l'Afrique est massivement présente aux États-Unis. Vous évoquiez les aspects économiques et ceux des affaires. C'est le cœur désormais de la diplomatie mondiale de tous les pays et l'Amérique ne fait pas exception. Enfin, l'Afrique représente 25 à 30% du vote aux Nations unies. Peut-on dire qu'aujourd'hui, les Africains ne sont plus prêts à confier leur influence à un seul bloc ou à un seul pays ? On peut le dire, mais je vais tempérer un peu cet optimisme. La compétition entre les grandes puissances semble donner une certaine marge de manœuvre aux pays africains, mais il ne faut pas oublier que quand on parle d'Afrique, on parle de 54 pays. Il ne s'agit pas d'une entité unique, avec une prise de décision unique, avec des objectifs uniques. Donc l'Afrique, qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? C'est une grande question que les Africains doivent eux-mêmes se poser. Est-elle un fantôme géopolitique ? Qui parle au nom de l'Afrique ? Mais cette question concerne davantage l'Afrique elle-même que les partenaires de l'Afrique. Je pense que désormais, pour le continent africain, une forme d'intégration - je parlerai même d'unité - n'est plus un rêve romantique, ni une aspiration sentimentale, c'est un impératif de survie pour les pays africains. ►À lire aussi : Ouverture du sommet États-Unis/Afrique en présence d'une cinquantaine de chefs d'État
Il y aura un nouveau sommet Russie-Afrique en 2023 et ce sera en Russie, dit l'Ivoirien Ahoua Don Mello, consultant du patronat russe sur les dossiers africains et représentant pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale des Brics, l'alliance entre la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. Sa parole est rare. Que pense-t-il du groupe Wagner en Centrafrique et au Mali ? Que lui inspire le sommet États-Unis – Afrique, qui doit s'ouvrir ce mardi à Washington ? RFI : En Centrafrique et au Mali, la Russie est vue comme une alternative à la France. Quelle est, de votre point de vue, la différence d'approche entre les Français et les Russes ? Ahoua Don Mello : Du côté de la France, je pense qu'il est bon de prendre conscience que les derniers liens coloniaux doivent sauter. Je pense notamment à la question monétaire, à la question militaire, et puis aussi à la question de l'économie des matières premières. De l'autre côté, vous avez la Russie qui se positionne, mais vous ne verrez jamais les Russes venir imposer une politique à un pays africain. Ça ce n'est pas possible. Mais n'y a-t-il pas des entreprises minières russes qui s'intéressent à certaines matières premières africaines, comme la bauxite de Guinée-Conakry ? Mais vous savez, depuis les années Sékou Touré, l'accord entre la Guinée et la Russie est un accord d'abord militaire. Mais comment financer cet accord militaire-là ? Ça a été par le biais la bauxite. Donc la Russie opère dans le secteur minier pour financer ces accords de coopération avec ces différents pays. Elle n'est pas un acteur majeur. Vous prenez la Guinée, les acteurs majeurs dans le secteur de la bauxite, ce sont les Américains, ce sont les Chinois. Et vous dites qu'à la différence de la France, la Russie n'a pas d'influence militaire en Afrique, mais n'y a-t-il pas le groupe Wagner en Centrafrique et au Mali ? Le groupe Wagner, c'est ce qu'on appelle dans le jargon moderne des sociétés militaires privées, donc je dirais des Bob Denard modernisés. Il y a plusieurs groupes comme ça en Afrique, que ce soit des groupes américains, que ce soit des groupes français, à travers d'anciens gendarmes, comme Robert Montoya ou Paul Barril. Si le Mali estime que ça peut leur rapporter, eh bien c'est leur droit. Si la Centrafrique estime que ça peut lui rapporter, c'est aussi un droit. En Centrafrique comme au Mali, le groupe Wagner est pointé du doigt. Est-ce que vous ne craignez pas que ces exactions puissent ternir l'image de la Russie en Afrique ? Non, ce sont des sociétés privées, c'est comme si on me disait : c'est vrai que l'image de Bob Denard, etc. n'est pas reluisante, et que c'est reproché à la France d'avoir utilisé ces services-là. Certes, le groupe Wagner est une société privée, mais elle est dirigée par M. Prigojine qui est très proche du président russe, Vladimir Poutine, et elle combat actuellement à Bakhmout, face aux forces ukrainiennes et aux côtés des forces russes… Bouygues, Bolloré, etc., ils sont proches du gouvernement français, mais ça ne veut pas dire qu'ils perdent du coup leur statut de société privée. Est-ce que vous ne craignez pas que les exactions dénoncées ternissent non seulement le groupe Wagner, mais l'image de la Russie tout simplement ? Vous savez aujourd'hui en Occident, on cherche à instrumentaliser la question des droits de l'Homme, parce qu'on voit le silence que les Occidentaux observent quand eux-mêmes sont responsables de ces exactions. On voit comment ils montent en épingle… Moi, je me souviens du cas de la Côte d'Ivoire, on a accusé Laurent Gbagbo de tous les maux, et on s'est rendu compte en fin de compte qu'il est innocent. Ahoua Don Mello, ce mardi à Washington s'ouvre un sommet États-Unis – Afrique, est-ce que les Américains n'ont pas des arguments, à la fois politiques et économiques, beaucoup plus importants que les arguments russes sur le continent africain ? Ce qui est sûr, c'est que pour nous, c'est une situation qui favorise le continent africain. Voyez-vous, les États-Unis se réveillent brusquement, pour proposer un sommet et pour faire encore des propositions, c'est bon à prendre. Et donc nous avons une panoplie de propositions, et je pense que c'est à l'Afrique de choisir le meilleur pour son continent. Et quand vous dites que les Américains se réveillent brusquement, voulez-vous dire que c'est à cause de la crise internationale provoquée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie ? On constate qu'il y a coïncidence et on constate que la position de l'Afrique a beaucoup gêné les Américains et les Occidentaux, et je constate qu'on convoque les Africains justement pendant cette période de crise ukrainienne. Alors, il y a eu un sommet Russie-Afrique, c'était à Sotchi en 2019, est-ce qu'il y aura un nouveau sommet Russie-Afrique en 2023 ? Tout est bon à prendre, c'est à nous de prendre le meilleur de chaque offre. Donc, il y aura un sommet Russie-Afrique en 2023 ? Eh bien oui. Et ce sera quand ? Je n'ai pas la date précise, mais on le saura bientôt. Et ce sera en Russie ? Ce sera probablement en Russie.
En 1979, Jean-Louis Brossard créait le festival les Trans Musicales à Rennes, dans l'ouest de la France. Avec comme identité : faire venir et découvrir des musiciens inconnus notamment du continent africain comme Keziah Jones et Femi Kuti du Nigeria ou les punks malgaches Dizzy Brains. Pour la 44e édition, qui se termine ce dimanche, 80 groupes se sont produits, avec autant de découvertes pour le public et des milliers d'anecdotes, d'histoires pour Jean-Louis Brossard. ► À écouter aussi : Trans Musicales de Rennes: Nana Benz pour la première fois en Europe
Notre invitée est la Dr Corine Karema, directrice générale par intérim de « Roll Back Malaria », le partenariat pour en finir avec le paludisme, qui regroupe les organisations internationales, le Fonds mondial, les bailleurs, le secteur privé et les États où sévit le parasite, en tout 500 partenaires. Le paludisme a fait 619 000 morts en 2021 dont 96% en Afrique. C'est moins qu'en 2020, mais on est toujours au-dessus de la mortalité d'avant le Covid-19, qui a perturbé la lutte contre cette pandémie. Malgré tout, l'OMS observe que les systèmes de santé nationaux de lutte contre le paludisme ont résisté. Comment l'expliquez-vous ? C'est vrai que malgré les perturbations des services de santé, et bien sûr de lutte contre le paludisme dû au Covid-19, les pays ont vraiment fait des efforts héroïques et qui ont vraiment porté leurs fruits. Premièrement, il y a le leadership des pays, et bien sûr, c'est un partenariat robuste, que ce soient les institutions bilatérales, multilatérales, les ONG, qui ont continué à fournir des efforts. 185 millions de cas de paludisme et 997 000 décès ont été évités en 2021. Et nous avons aussi vu qu'en 2021, un grand nombre des pays sont à portée de l'élimination du paludisme, et cela continue à progresser, en Afrique, nous avons le Cap-Vert, nous avons le Botswana. L'éradication du paludisme est pourtant confrontée à de nouveaux défis. Les outils de prévention et les remèdes ne sont plus aussi efficaces, le parasite est devenu résistant… Oui, il y avait neuf pays déjà en Afrique qui ont montré qu'il y a une résistance aux insecticides qui sont les pyréthrinoïdes, qui sont les insecticides qui sont utilisés tant pour les moustiquaires imprégnées et pour les pulvérisations dans les maisons. Et il y a aussi un nouveau moustique, l'Anopheles stephensi, qui se répand dans les villes ? Le nouveau moustique stephensi qui a été vu en Asie commence à être vu dans beaucoup de pays, Djibouti, en Somalie et au Nigeria. C'est un nouveau problème et c'est pour ça que l'OMS a élaboré une directive qui permet aux pays de pouvoir contrôler ce nouveau vecteur. La recherche est-elle en bonne voie pour trouver des solutions à ces problèmes ? Oui, maintenant, nous sommes à un niveau où on a vraiment un grand arsenal, des outils d'innovation qui sont en cours de développement et qui viennent d'être développés. Par exemple, quand on regarde pour les moustiquaires, on a des moustiquaires de nouvelle génération, des moustiquaires PBO, donc on ajoute à notre produit aux insecticides qui sont disponibles, pour essayer de booster l'efficacité de l'insecticide et bien sûr agresser les problèmes des moustiques qui sont résistants au pyréthrinoïde. Et du côté des médicaments et des vaccins ? En ce qui concerne les médicaments, pour le moment, il y a des nouvelles molécules qui ne sont pas à base d'artémisinine, qui sont en développement. Vous savez qu'il y a un premier vaccin qui a été approuvé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et qui est déjà mis en œuvre dans trois pays en Afrique : le Kenya, le Ghana et le Malawi, et il y a à peu près 27 pays africains qui ont déposé leur soumission à Gavi [l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, NDLR], pour être candidat aux sites qui vont recevoir ces vaccins. Il y a aussi un nouveau vaccin qui est le R21 qui est en troisième phase d'essai clinique. Il y a aussi d'autres vaccins qui sont en développement. Il y a aussi des anti-monoclonaux qui sont aussi des outils de prévention qui pourront être des candidats de chimio prévention pour la lutte contre le paludisme. C'est pourquoi, je suis optimiste, ce sont des outils qui vont nous permettre d'éradiquer le paludisme. Le déploiement de tous ces nouveaux outils contre le paludisme va demander de l'argent. L'OMS évalue les besoins à 7,8 milliards de dollars par an et les financements, même s'ils ont augmenté en 2021, sont deux fois moins élevés que cela. Là aussi, vous êtes optimiste ? Nous venons d'avoir en septembre la conférence pour la reconstitution du Fonds mondial, de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Je pense que c'est une belle réussite, surtout en se situant sur le contexte présent du Covid-19, de l'impact socioéconomique, de la guerre avec l'Ukraine, le changement climatique, parce que c'est la première fois que le Fonds mondial a pu mobiliser 15 milliards de dollars. Le Fonds mondial est un partenaire très important dans la lutte contre le paludisme, maintenant avec le Covid-19, les coûts des interventions de lutte contre le paludisme ont augmenté, les coûts d'approvisionnement ont augmenté. Donc ça dépendra aussi des pas endémiques, troisième contributeur le plus important, les soins de santé primaire. ►À lire aussi : Paludisme: la situation se stabilise, mais de nouveaux risques émergent, selon l'OMS
La région de Ménaka subit depuis mars les assauts de la branche sahélienne du groupe État islamique (EIGS) qui tente de s'installer durablement dans cette partie du nord-est du Mali, proche du Niger et du Burkina Faso. Une région jusqu'alors sécurisée par des groupes armés maliens signataires de l'accord de paix de 2015 et alliés des autorités de Bamako, mais où les jihadistes du Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM ou Jnim en arabe), lié à al-Qaïda au Maghreb islamique, contrôlent également certaines parties du territoire. C'est principalement à ses rivaux d'al-Qaïda que l'EIGS s'attaque depuis des mois, massacrant au passage des centaines de civils. Des affrontements sont régulièrement signalés, et l'assise de l'EIGS semble se renforcer inéluctablement, menaçant la sécurité de ces régions du nord du Mali et, plus globalement, du Niger, du Burkina Faso, et de toute la sous-région. Guillaume Soto-Mayor est chercheur associé au Middle East Institute, spécialiste des groupes jihadistes au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Il estime que c'est un tournant majeur, pour l'unité du Mali et la sécurité de toute l'Afrique de l'Ouest, qui est en train de se jouer. Depuis mars, le groupe État islamique est à l'offensive dans le nord-est du Mali, il contrôle deux cercles sur trois dans la région de Ménaka et mène des attaques de plus en plus près de la ville de Ménaka et même, tout récemment, de Gao. Est-ce que vous pourriez nous donner un aperçu de l'état des forces actuelles de l'EIGS ? Guillaume Soto-Mayor : Pour évaluer la présence et la force du groupe, il est intéressant de mesurer sa capacité simultanée d'action et de présence, aussi bien dans les régions de Gao et de Ménaka, mais également de plus en plus dans l'Oudalan, dans la région des Trois frontières, au nord du Burkina Faso, dans laquelle le groupe EI qui avait été chassé par al-Qaïda il y a deux ans, met de nouveau pied, et dans lequel il affronte la branche d'al-Qaïda qui s'appelle Ansarou al-Islam, mais également dans les régions de Tombouctou, dans les communes de Gossi et de Hombori, près de Douentza, où l'État islamique est actuellement à l'offensive contre la Katiba Macina et la Katiba Serma. C'est-à-dire que le groupe se sent suffisamment fort pour affronter Al-Qaïda, principalement, dans toutes ces régions à la fois. On a une idée du nombre d'hommes, du matériel ? Des images récentes de l'allégeance de la province de l'État islamique au Sahel, au nouveau leader de l'État islamique, à Andéramboukane, montre environ 150 à 200 combattants présents, rien que dans cette zone qui est donc à l'est de la région de Ménaka. Et les différentes constitutions de katibas, dans les différentes régions que je viens d'évoquer, indiqueraient que le groupe a une capacité de déployer environ 1 000 à 1 200 combattants, mais c'est très compliqué à évaluer, donc ce sont des estimations. En tout cas, on est passé en quelques mois d'un groupe qui était désorganisé, éparpillé et désargenté, à l'été 2021, à un groupe qui est capable de réaliser une offensive multiple, d'avoir une progression territoriale extrêmement rapide, et tout ça pose véritablement question. Et ce renforcement de la branche sahélienne du groupe État islamique est synonyme de tragédie pour les civils : on parle, selon les estimations des communautés locales, de plus de 900 morts depuis mars. Sa présence et le contrôle territorial de l'État islamique s'accompagnent de violences accrues contre les civils. À chaque fois qu'ils arrivent dans de nouveaux territoires, ils lancent des ultimatums aux populations civiles : « vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous ». C'est une vision sans compromis du jihad. On voit les cycles de représailles se multiplier, les exécutions sommaires dans toutes leurs zones d'opérations. Mais également les vols de bétail, les destructions de villages, etc. Les humanitaires sont également considérés comme des cibles légitimes, et donc dans ces zones où l'État malien est absent depuis des années, ce sont des milliers de personnes qui vont souffrir et qui souffrent déjà. Face aux jihadistes du groupe État islamique, le MSA et le Gatia – deux groupes armés locaux signataires de l'accord de paix de 2015 – tentent de défendre les populations avec, plus récemment, les ex-rebelles de la CMA. Il y a aussi les jihadistes du Jnim, liés à al-Qaïda, qui ne veulent pas laisser leurs rivaux de l'EIGS s'implanter durablement dans ces régions de Ménaka et de Gao. En revanche, l'armée malienne est tout à fait absente. Comment est-ce que vous l'expliquez ? C'est très difficile. On peut s'interroger peut-être sur la faiblesse ou les capacités réelles de l'armée malienne à intervenir. On peut évoquer un manque de confiance, ou de coopération entre les groupes armés présents dans cette zone et l'armée malienne. En tout cas, cette absence, notamment avec la présence de l'armée malienne à Ménaka, pose véritablement question, elle interroge… À Ménaka où les supplétifs russes de l'armée sont également déployés… Absolument. Cette coopération militaire est un choix souverain qu'il faut respecter, en tout cas, pour le moment, ce qui est certain, c'est que les groupes jihadistes progressent et que l'armée malienne ne semble pas avoir la volonté, et c'est ça qui interroge le plus, de répondre à cette progression. Ce que cela laisse aux populations, c'est un sentiment d'abandon total, d'un laisser-faire ou en tout cas d'un désintérêt de Bamako face à leur sort. ►À lire aussi : Grand Reportage - Mali : quand il ne reste que la fuite, récits de victimes Donc que l'EIGS prenne le contrôle de ces régions, où que des groupes locaux les repoussent, il y a selon vous un risque pour l'unité du Mali. Je serais prudent sur ces dimensions, mais oui, je pense que c'est un risque réel. Le conflit date maintenant de nombreuses années, les populations ont énormément souffert, et actuellement, il y a un appel général de toute la population du Nord, à combattre ces groupes. Et donc face au sentiment d'abandon de l'État malien, on remarque que même un général de l'armée malienne, le général Ag Gamou qui est aussi le responsable du Gatia, en appelle aux Touaregs de toute la région, c'est-à-dire également à des combattants étrangers au Mali, à venir les aider face à cette menace encore une fois existentielle pour les communautés. Le risque est donc immense pour le Mali, mais aussi pour le Niger, le Burkina et les autres pays ouest-africains ? Le pourquoi de ces capacités opérationnelles vient de la capacité du groupe EI à s'être renforcé d'un point de vue humain, avec la présence de combattants nigérians, mais aussi de combattants de la Libye, en plus petit nombre. Et deuxièmement, d'avoir récupéré de l'argent, d'avoir récupéré un soutien logistique, via un couloir de transmission très efficace, reliant le sud-est du Mali et la zone des Trois frontières, au nord-est du Nigeria, au nord de la région de Sokoto. Et ce couloir, la viabilité de cette transmission entre l'État islamique en Afrique de l'Ouest et l'État islamique au Sahara, montre la capacité du groupe à opérer conjointement, de concerts, dans son expansion opérationnelle. C'est véritablement un tournant pour la sous-région. C'est un tournant, car là, pour la première fois, vous avez un groupe qui est très bien interconnecté, qui est fort tactiquement, qui est capable d'affronter al-Qaïda sur l'ensemble de son territoire, et donc qui menace aussi bien l'Algérie que la Mauritanie, et également le reste du Burkina Faso. C'est une menace régionale que l'expansion de l'État islamique. C'est une double menace pour la région parce que c'est aussi une menace qui s'accompagne de l'expansion d'Al-Qaïda vers le sud, il ne faut jamais oublier ça ! Trois exemples très récents : une opération à la frontière togolaise et béninoise, une présence également dans la région de Kayes au Mali, dans cette région qui s'approche de la frontière sénégalaise et de la frontière mauritanienne, et une présence également de plus en plus signalée au nord du Ghana et au nord de la Côte d'Ivoire. Donc le retour en force de l'État islamique au centre du Sahel est accompagné malheureusement d'une expansion d'Al-Qaïda qui pourrait menacer les capitales aussi bien du centre au Sahel, que les populations du nord des pays côtiers dans les prochains mois, dans les prochaines années. ►À lire aussi : Le nord du Togo, une région davantage ciblée par les terroristes